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De 1978 à 1990, une guerre civile touche le Liban. Quelles en sont les causes ? Qui sont les forces en présence ? Quelles sont les conséquences pour l’Etat libanais ?
Plusieurs paramètres expliquent la montée des tensions : les relations avec la Syrie, le problème palestinien et les difficultés politiques internes.
La création du Grand Liban par la France en 1920 est une source de contestation pour les nationalistes tant syriens que libanais, qui revendiquent le rattachement du Liban à la Syrie. Damas cherche de ce fait à contrôler le Liban et exerce diverses pressions qui tendent les relations entre les deux Etats. De plus, dans le contexte de la guerre froide, le Liban s’étant rangé dans le camp occidental, il refuse d’intégrer la République arabe unie et se distingue par sa liberté d’expression et son économie libérale.
Le problème palestinien est consécutif à la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Le Liban, intervenu militairement aux côtés des armées arabes, est concerné pour deux raisons. Tout d’abord, la frontière entre le Liban et Israël fixée en 1920 par les puissances mandataires française et britannique est choisie lors de l’armistice israélo-libanais de mars 1949 comme ligne de cessez-le-feu, et est surveillée par une mission de l’ONU. Ensuite, les réfugiés palestiniens sont accueillis au Liban, et sont répartis dans environ quinze camps près des grandes villes. De 100 000, le nombre des réfugiés augmente après la guerre des six jours de 1967 et après Septembre noir (1970) à 250 000. Les camps, où sont recrées les organisations politiques et paramilitaires palestiniennes (notamment l’OLP), servent également de base d’entraînement militaire. Des opérations sont ainsi lancées, à partir du Liban, contre Israël, qui attaque le territoire libanais en représailles. Le but israélien est double : lutter contre les Palestiniens et forcer l’Etat libanais à combattre ces derniers. L’accord du Caire de novembre 1969 reconnaît la présence militaire palestinienne au Liban, en échange de quoi l’OLP reconnaît la souveraineté libanaise. Néanmoins, les répercussions liées à la présence palestinienne sont nombreuses pour le Liban : en dépit de l’accord du Caire, le pays est touché dans sa souveraineté par les actions des Palestiniens et des Israéliens.
Les tensions politiques sont en effet exacerbées par la présence palestinienne au Liban. Le Mouvement national, dirigé par le druze Kamal Joumblatt, réunit les arabistes, tant chrétiens que musulmans, et soutient les Palestiniens. En face, les chrétiens défendent la nation libanaise. Plusieurs d’entres eux, Camille Chamoun, Pierre Gemayel ainsi que le président de la République Suleiman Frangié, créent le Front libanais. A ces difficultés politiques s’ajoute l’évolution de la société : le réveil du syndicalisme, la volonté de sortir du communautarisme, tant sur le plan personnel et individuel par la recherche de la laïcité (c’est-à-dire de ne plus être répertorié en fonction de l’appartenance religieuse), que sur le plan du fonctionnement du système politique basé sur la répartition communautaire. Des grèves et des manifestations sont le corollaire à ce contexte troublé et les partis politiques recueillent de nouvelles adhésions. Ils constituent et arment également des milices, comme les Phalanges (ou Kataëb) fondées par Pierre Gemayel.
Dans ce conteste politique et social très lourd, la guerre du Liban se déclenche.
La guerre débute le 13 avril 1975, à la suite d’un incident entre les Phalanges et des Palestiniens dans la banlieue de Beyrouth. Cet incident met le feu aux poudres et embrase tout le Liban. Deux factions se font face dans des affrontements violents et meurtriers (guérilla dans les villes, assassinats de civils, francs-tireurs, bombardements) qui touchent tout le pays : les chrétiens d’un côté et les défenseurs de l’arabisme et des Palestiniens de l’autre. A Beyrouth, dont le centre est détruit à l’automne 1975, une ligne de démarcation sépare l’est chrétien de l’ouest musulman. C’est dans ce contexte que l’armée syrienne entre au Liban. Dès le début du conflit, la Syrie a proposé sa médiation. Son intervention est motivée par plusieurs raisons : la crainte d’une alliance entre un petit Liban chrétien et Israël, la crainte d’une invasion de la Syrie par l’armée israélienne en passant par le Liban et la volonté de contrôler la résistance palestinienne. La volonté à terme du président syrien Hafez el-Assad est de créer une Grande Syrie sous l’égide syrienne, composée de la Syrie, du Liban, de la Jordanie et de l’OLP. Après des contacts établis entre les différents chefs libanais (Kamal Joumblatt qui a rejeté violemment cette intervention et l’a payé de sa vie le 16 mars 1977 et les chrétiens plutôt favorables à une intervention qui va les aider à redresser leur situation gravement compromise dans la montagne face aux Palestiniens et au Mouvement National), les troupes syriennes entrent au Liban début juin 1976. Cette intervention militaire est acceptée par les responsables politiques libanais, dont le président Frangié. Freinées dans leur progression par des combats menés par les Palestiniens, les troupes syriennes entrent à Beyrouth le 15 novembre 1976 (elles n’entrent pas au Sud Liban). Leur arrivée est l’occasion d’un arrêt des combats, après un an et demi de guerre et 65 000 victimes.
Sur le plan régional, l’intervention de la Syrie suscite la prise de position diplomatique de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte. Au cours d’un sommet organisé à Riyad par ces deux Etats, le Liban et l’OLP reconnaissent la légitimité de la présence syrienne au Liban, tandis que la Syrie reconnaît la présence au Liban d’une force armée composée de troupes d’Arabie Saoudite, du Soudan, de la Libye, du Yémen et des Emirats arabes unis. Cette force de 30 000 hommes est appelée Force arabe de dissuasion (FAD).
Au Liban, le président Frangié est remplacé par Elias Sarkis, élu à la présidence de la République le 8 mai 1976. Sélim Hoss devient président du Conseil. Le gouvernement libanais souhaite rétablir l’unité nationale et reconstruire le pays. Mais Elias Sarkis doit faire face à de nombreux défis. Une très forte proportion de la population est réfugiée à l’étranger et hésite à revenir au Liban. Sur le plan militaire, une armée libanaise est recréée, et les milices, conformément aux décisions de Riyad, doivent désarmer. Ces dernières refusent non seulement de désarmer mais également de se plier à l’Etat, devenant ainsi un contre pouvoir. Dans le même temps, les relations entre chrétiens et syriens, ainsi qu’entre les différents groupes chrétiens se délitent. Tandis que la guerre civile se calme, les milices chrétiennes décident de lutter contre la présence syrienne, craignant que les Syriens ne deviennent les nouveaux occupants. Dans le même temps, afin de trouver de nouveaux alliés, les chrétiens se rapprochent des Israéliens. Sur le terrain, les chrétiens du Front libanais se battent contre l’armée syrienne dès février 1978, et des bombardements détruisent Beyrouth est en septembre et en octobre.
Au Sud Liban, l’armée israélienne, à la suite d’une attaque palestinienne en mars 1978, envahit le Sud Liban jusqu’au fleuve Litani, afin de dissuader les Palestiniens de nouvelles attaques. Cette opération, qui provoque la fuite vers Saïda et Beyrouth de 200 000 Libanais, est condamnée par le conseil de sécurité de l’ONU. Deux résolutions créent la FINUL (force intérimaire des Nations unies au Liban) qui prend position au Sud Liban, afin de rétablir la sécurité et l’autorité du gouvernement libanais. L’armée israélienne est obligée d’évacuer mais elle met en place une « ceinture de sécurité », c’est-à-dire une bande d’environ 10 km de profondeur, s’étendant de la côte à la ville de Merjayoun, et laissée à la milice du colonel Saad Haddad. Cette milice, aidée par l’armée israélienne, interdit à l’armée régulière libanaise de reprendre position dans le Sud Liban. Les combats sont nombreux entre la milice de Haddad et les positions libanaises et palestiniennes, tandis que les bombardements de l’aviation israélienne se poursuivent.
Les relations entre chrétiens sont également très tendues. Le fils de Pierre Gemayel, Bachir Gemayel, réorganise dès l’été 1976 les structures paramilitaires rattachées au parti Kataëb et les dote d’un commandement autonome. Après la chute du camp palestinien de Tell el-Zaatar, situé dans les faubourgs chrétiens de Beyrouth, ces milices prennent le nom de Forces libanaises. Bachir Gemayel devient leur chef à la suite de William Hawi, mort au cours des combats. Quant à Pierre Gemayel, il reste le chef du parti Kataëb jusqu’à sa mort en 1984. L’ambition de Bachir est d’unifier toutes les milices chrétiennes. Mais les maronites du nord Liban, conduits par l’ancien président Frangié, refusent cette unification. Le contentieux opposant les deux camps porte sur la volonté d’obtenir des intérêts économiques sur différentes entreprises d’Etat très lucratives, comme les cimenteries nationales ; sur les relations avec la Syrie ; sur la direction de la communauté maronite et par conséquent sur la présidence de la République. La riposte de Bachir Gemayel est immédiate. Un commando des Forces libanaises, sous le commandement de Samir Geagea, assassine le fils de l’ancien président Frangié, Tony Frangié, ainsi que sa famille le 13 juin 1978. Le 7 juillet 1980, une opération similaire est menée contre l’autre grande rivale des Forces libanaises, la milice du Parti National Libéral de l’ancien président Camille Chamoun et commandée par son fils Dany. Ce dernier, contrairement à Tony Frangié, a la vie sauve, mais ses combattants doivent intégrer la milice de Bachir Gemayel qui, désormais, domine du côté chrétien.
Bachir Gemayel entreprend alors de s’opposer aux Syriens dans la Békaa, région stratégique pour la sécurité de la Syrie en cas d’attaque israélienne. Contrôler la ville chrétienne de Zahlé devient l’enjeu du Front libanais et des Syriens. Les combats entre la milice chrétienne et l’armée syrienne débutent dès le mois de décembre 1980, et fin avril, les Syriens assiègent la ville. En parallèle, les combats reprennent à Beyrouth le 2 avril, puis se propagent au sud Liban entre Palestiniens et Israéliens. Les Etats-Unis envoient alors un médiateur, le diplomate américain d’origine libanaise Philippe Habib. Des tractations diplomatiques s’organisent entre les Libanais, les Palestiniens et les Israéliens, et un cessez-le-feu est négocié le 24 juillet 1981.
En 1982, une nouvelle intervention israélienne se prépare. L’objectif est double : éliminer la résistance palestinienne du Liban et favoriser la victoire des Forces libanaises et l’accès à la présidence de la République de leur chef, Bachir Gemayel, qui s’engage à signer un traité de paix avec Israël. Sur le plan politique, le président Sarkis, ne parvenant pas à réaliser l’unité du pays, soutient la candidature de Bachir Gemayel à la présidence de la République. Celui-ci garantit pour sa part son aide militaire aux Israéliens. L’opération militaire israélienne, appelée Paix en Galilée, débute le 6 juin 1982. 100 000 soldats israéliens combattent les Palestiniens dans le Sud Liban et atteignent Beyrouth le 14 juin où ils rejoignent les troupes des Forces libanaises. Ces dernières reçoivent l’ordre de ne pas combattre et d’apporter uniquement une aide logistique aux Forces de défense israéliennes. Bachir Gemayel ne veut en effet pas impliquer directement ses hommes auprès des Israéliens, afin de préserver son image pour l’avenir auprès des communautés musulmanes hostiles à Israël. Dès le 9 juin, les Israéliens attaquent également l’armée syrienne dans le Chouf et dans la Bekaa, où elle subit de lourdes pertes et se retire brutalement de toutes les positions jusque là occupées. Grâce à la médiation américaine de Philippe Habib, un cessez-le-feu est signé le 11 juin. L’armée israélienne poursuit son offensive et bombarde Beyrouth Ouest où sont repliés les combattants palestiniens et le commandement de l’OLP. La médiation américaine obtient l’évacuation de l’OLP à partir du 21 août sous la protection d’une force multinationale composée de 2500 soldats français, américains et italiens et la promesse israélienne de ne pas entrer dans Beyrouth Ouest. Une fois sa tâche accomplie, la Force multinationale quitte le Liban le 13 septembre 1982.
En politique intérieure, Bachir Gemayel est élu à la présidence de la République le 23 août et s’attache à rétablir l’Etat libanais sur l’ensemble du territoire national. Il tend la main aux leaders musulmans et prône la réconciliation nationale. Sa politique implique donc une alliance discrète avec Israël et non, comme le souhaite Israël, un traité de paix. Il est assassiné le 14 septembre, ainsi que de nombreux civils, alors qu’il tenait une dernière rencontre avec ses partisans au QG des Forces libanaises du quartier d’Achrafieh. Au lendemain de l’assassinat du président élu, et en dépit de la promesse de ne pas investir Beyrouth Ouest, l’armée israélienne y entre, afin d’assurer la sécurité et d’éviter des massacres. En réalité, Israël souhaite achever la destruction de la présence palestinienne (armes et combattants). Les Forces libanaises entrent également à Beyrouth et massacrent du 16 au 18 septembre les populations palestiniennes civiles (les combattants ont été évacués par la Force multinationale) des camps de Sabra et Chatila, sous le regard des militaires israéliens. Une fois connue la nouvelle du massacre, la Force Multinationale retourne au Liban. Le 21 septembre, Amine Gemayel, frère du président assassiné, est élu Président.
Amine Gemayel poursuit la politique de son frère (refus de signer un traité de paix avec Israël, restauration de l’Etat libanais et reconstitution d’une armée nationale) mais il se heurte à l’opposition des Forces libanaises, alliées d’Israël, qu’il ne parvient pas à contrôler. Il s’appuie également sur la politique américaine qui prône l’évacuation des forces étrangères du Liban et sur la présence de la Force multinationale. Mais les heurts se poursuivent avec les différentes factions présentes au Liban : Forces libanaises, armée israélienne, armée syrienne, Front de la résistance nationale libanaise (créé le 16 septembre 1982 et qui réunit le parti communiste, le parti syrien national et social, le Fatah palestinien, le FPLP). Des négociations sont entamées entre le Liban et Israël le 28 décembre 1982, sous la médiation américaine. Un accord, conclu le 17 mai 1983, décide du retrait des forces israéliennes, syriennes et palestiniennes du Liban. Mais cet accord n’est accepté ni par la Syrie ni par le Front de la résistance nationale libanaise.
A l’été 1983, dans le Sud Liban, les chiites et le mouvement chiite Amal de Nabih Berri, mouvement pro-syrien, se battent contre les Israéliens. Le but de Amal est d’obtenir des pouvoirs plus étendus pour la communauté chiite, dans un Etat libanais réunifié sous l’égide syrienne. Un autre mouvement apparaît à la même époque : le Hezbollah (parti de Dieu), parti chiite pro-iranien, qui veut installer une république islamique au Liban. Dans le Chouf, l’armée israélienne décide d’un changement de stratégie et évacue la région début septembre 1983, laissant derrière elle les combattants des Forces libanaises qui ont mis à profit l’invasion israélienne pour investir le Chouf, où ils commettent des actes hostiles envers les notabilités et la population druzes. Il s’en suit « la guerre de la montagne » de septembre 1983, au cours de laquelle les druzes aidés de combattants palestiniens et d’armes envoyées par la Syrie battent les Forces libanaises aidées de la Force multinationale qui, à partir de ses porte-avions croisant le long du rivage beyrouthin, bombarde les positions druzes. Vivement critiquée pour son soutien aux Forces libanaises, la Force multinationale est victime de deux attentats le 23 octobre, l’un contre les Français (57 morts) et l’autre contre les Américains (241 morts). Dans une réaction immédiate, le président Amine Gemayel annonce son intention de ne pas ratifier l’accord du 17 mai, semant la consternation dans les rangs des Forces libanaises. La Force multinationale évacue le Liban en février 1984.
Sur le plan diplomatique, une conférence se tient à Genève du 31 octobre au 4 novembre 1983, avec les responsables politiques libanais afin de trouver une solution à la guerre. La Syrie est représentée par son ministre des Affaires étrangères Abdel Halim Khaddam, et l’Arabie Saoudite par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères Mahmoud Massoud, et par Rafic Hariri, homme d’affaires libano-saoudien qui a mis ses talents de négociateur et sa fortune personnelle au service de la conférence. Aucun accord n’ayant été trouvé sur les réformes et sur la cessation des hostilités, la conférence de Genève se solde par un échec. Et la guerre se poursuit avec l’intervention d’une nouvelle force : le 6 février 1984, les miliciens d’Amal, du PSP, du PSNS et du PCF, forts de la révolution iranienne et du retrait de la Force multinationale, s’emparent de Beyrouth Ouest. Le président Amine Gemayel révoque l’accord du 17 mai et est reçu le 29 février 1984 avec les honneurs à Damas par le président Assad qui, la veille, a déjoué un putsch organisé par son frère Rifaat. Une nouvelle conférence est alors organisée à Lausanne du 12 au 21 mars au cours de laquelle un gouvernement d’union nationale est constitué. La déclaration finale de la conférence de Lausanne pose les fondements des futurs Accord Tripartite. Le président Frangié s’oppose violemment à la réduction des privilèges traditionnels de la communauté maronite. Une altercation a même lieu à ce sujet entre lui et le ministre Khaddam qui se hâte de rentrer à Damas.
Dans le même temps, Israël, pour des raisons de politique intérieure et d’intensification de la guérilla à son encontre, décide de retirer son armée du Sud Liban. Ce retrait s’effectue de janvier à juin 1985. Une zone de sécurité de 20 km de profondeur est constituée en territoire libanais, et confiée à l’armée israélienne ainsi qu’à la milice dirigée par le général libanais Antoine Lahad (devenu le chef de la milice à la suite de la mort de Saad Haddad). Profitant du départ israélien, l’OLP se réinstalle dans les camps palestiniens du Sud Liban. Quant aux chiites du mouvement Amal, ils intensifient leurs actions afin de prendre le contrôle de la totalité de Beyrouth-Ouest et se heurtent dans leur entreprise aux intérêts des druzes de Walid Joumblatt. De son côté, le Hezbollah, souhaitant l’établissement d’une république islamique au Liban [1] et la guerre contre Israël, se bat contre Amal (qui ne veut pas de la reprise des combats avec Israël). Des affrontements ont lieu entre Amal et le Hezbollah dans la banlieue de Beyrouth et dans le Sud Liban, et sont renforcés par des prises d’otages d’Occidentaux par les mouvements pro-iraniens. La situation se complique encore le 19 mai 1985, lorsque commence la guerre des camps entre le mouvement Amal et les Palestiniens, qui, en un mois fait plus de 1 000 morts et 4 000 blessés. Ces affrontements durent jusqu’en 1988.
L’année 1985 est également riche en bouleversements dans les régions contrôlées par les Forces libanaises. Depuis la mort de leur chef Bachir Gemayel, ces dernières vivent une transition difficile. Leur allégeance au président Amine Gemayel a été de pure forme. L’abrogation de l’Accord du 17 mai les a fait basculer dans l’opposition au nouveau régime. Le 12 mars 1985, Samir Geagea, le commandant des Forces libanaises à Jbeil (Byblos), conduit un mouvement insurrectionnel (Intifada). Il conteste le rapprochement qui s’esquisse entre les Kataëb et la Syrie à l’initiative de la nouvelle direction du parti, à la suite du décès le 29 août 1984 de son fondateur, cheikh Pierre Gemayel. Le 9 mai 1985, Geagea est renversé par Elie Hobeika qui, suite à une deuxième Intifada, prend le commandement des Forces libanaises et prône un rapprochement avec Damas. Au cours de l’été 1985, des réunions se déroulent à Damas entre les Forces libanaises dirigées par Hobeika, le PSP et Amal. Le 26 octobre 1985, un texte intitulé « Projet pour une solution nationale au Liban » est signé par les représentants des trois partis qui, au regard de la Syrie, sont les plus influents sur la scène libanaise. Ce document est rejeté par l’ensemble des maronites, par le président Amine Gemayel qui n’a pas été consulté, et par l’ancien président Frangié. Ceci n’empêche pas le texte d’être officiellement adopté à Damas le 28 décembre 1985. Il sera désormais connu sous le nom d’Accord Tripartite. Il décrète notamment : la fin de l’état de guerre, l’équilibre des pouvoirs entre chrétiens et musulmans, l’abolition du confessionnalisme et la réforme des institutions. Les dispositions posant problème aux maronites sont celles concernant l’éducation et l’information, qui doivent être remodelées de façon coordonnée avec la Syrie. La liberté du système éducatif libanais et de la presse libanaise apparaît menacée. Le 13 janvier 1986, lors d’un sommet qui le réunit avec le président syrien Assad, le président Amine Gemayel refuse d’adopter l’Accord Tripartite. Le 15 janvier 1986, une nouvelle Intifada conduite par Samir Geagea contraint Elie Hobeika à quitter le Liban. Il gagne la Syrie via Paris. Ce mouvement insurrectionnel sonne le glas de l’Accord Tripartite, mais pour un temps seulement. Il finit par s’imposer sous le nom d’Accord de Taëf à la fin de l’année 1989.
En 1987, la Syrie se repositionne au Liban, à la demande du gouvernement libanais. L’armée syrienne s’installe à Beyrouth Ouest. Son but est de rétablir l’ordre dans le conflit qui oppose Amal et les druzes. Sur le plan politique, le président Amine Gemayel arrive en fin de mandat et de nouvelles élections se préparent pour l’été 1988, mais le Parlement n’a pas encore trouvé son successeur. Le climat politique est très tendu : le président du Conseil, Rachid Karamé, assassiné le 1er juin 1987, est remplacé par le ministre de l’Education Sélim Hoss. La Syrie, l’Irak et les Etats-Unis interviennent alors dans le choix du candidat. L’impasse est totale, les Forces libanaises rejetant tous les candidats proposés par la Syrie et par les Etats-Unis. C’est finalement le général Aoun qui est choisi pour former un gouvernement provisoire, en attendant l’élection définitive d’un président de la République. Le président du Conseil Sélim Hoss maintient néanmoins son gouvernement soutenu par la Syrie : il y a donc à la tête de l’Etat libanais deux gouvernements. La mission initiale du général Aoun est de faire élire un nouveau président de la République. Mais il s’engage dans une politique d’indépendance et d’intégrité du Liban, politique qui passe par la lutte contre les milices, et notamment les Forces libanaises qu’il attaque à partir du 14 février 1989. Il déclare également la guerre aux Syriens par la « guerre de libération » menée du 14 mars au 22 septembre 1989.
Dans le même temps, une solution au conflit est examinée par la Ligue des Etats arabes. Trois Etats membres, le Maroc, l’Algérie et l’Arabie Saoudite tentent une médiation entre les différents acteurs libanais et la Syrie. Un accord est trouvé à Taëf, en Arabie Saoudite, le 22 octobre 1989. Le général Aoun et ses partisans refusent la mise en application de cet accord, et l’élection à la présidence de la République de René Moawad, député de Zghorta, le 5 novembre 1989, n’est reconnue ni par Michel Aoun qui se proclame président du Liban le 7 novembre, ni par Samir Geagea. Le 22 novembre, René Moawad est assassiné et Elias Hraoui, député de Zahlé, le remplace à la présidence de la République. Le général Aoun poursuit néanmoins, en janvier 1990, la guerre contre les Forces libanaises de Samir Geagea. Le 13 octobre 1990, la Syrie, décidée à mettre fin à sa résistance, bombarde son armée qui rend les armes. Aoun demande alors à ses partisans de rejoindre l’armée légale et lui-même demande asile à l’ambassade de France et part en exil à Paris.
La reconstruction du Liban se déroule sous la tutelle syrienne, comme il en a été décidé à Taëf, et suite à la signature d’un accord entre les deux pays, le 22 mai 1991, par lequel le Liban accepte d’harmoniser sa politique extérieure et culturelle ainsi que son économie avec la Syrie. En outre, l’armée syrienne, malgré les décisions prises à Taëf, est autorisée à rester au Liban et n’est plus tenue de se replier dans la Bekaa, tant que l’armée israélienne restera dans le Sud Liban et tant que toutes les réformes constitutionnelles ne seront pas mises en place. Le gouvernement doit faire face à plusieurs défis : la reconstruction de l’Etat, la faiblesse de l’économie, avec une livre très basse et un manque d’investissement, et la question des populations déplacées.
Bibliographie :
Denise Ammoun, Histoire du Liban contemporain, 1943-1990, Fayard, Paris, 2005, 1010 pages.
André Bourgey, Philippe Droz-Vincent, Elisabeth Picard, "Liban", Encyclopédie universalis 2009.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
Yara El Khoury
Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.
Notes
[1] En réalité cet objectif a été très vite abandonné par le Hezbollah qui, dans un texte, évoque la singularité de la structure sociale et communautaire du Liban, et l’impossibilité d’y imposer une République islamique par la force. Dans un souci de cohérence, le Hezbollah renvoie la création de la République islamique à un avenir hypothétique, quand les conditions favorables à sa création seront réunies.
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