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« Assurément, Khenemetimen-Hatshepsout sera le nom de cette fille que j’ai placée dans ton corps […] Elle exercera cette illustre et bienfaisante fonction royale dans ce pays tout entier : pour elle sera ma valeur, pour elle ma puissance, pour elle ma force. » (Bas relief du temple de Deir el-Bahari mettant en scène le Dieu Amon qui fait l’annonce à la reine Ahmès de l’enfant qui va naître.)
A quatre reprises au cours de son histoire, peut-être cinq si l’on compte la reine Nitocris qui n’a laissé aucune trace, l’Egypte ancienne a été gouvernée par un pharaon féminin. Rarement une femme aura autant intrigué qu’Hatshepsout. Certes, d’autres femmes de pouvoir existèrent avant et après elle, mais jamais une reine n’aura autant marqué son temps et sa civilisation. Pourtant, et ce malgré toutes les recherches, bien des zones d’ombre subsistent, de son arrivée au pouvoir, à sa disparition. Et l’annonce fracassante de l’identification par l’égyptologue Zahi Hawass de sa supposée momie en juin 2007 a amplifié la légende autour de cette femme d’exception.
La reine Hatchpsout est la seule femme à avoir gouverné l’Egypte, en son propre nom, pour une période aussi étendue, près de 15 ans. Couronnée en l’an 7, elle célèbre en effet en l’an 16 un jubilé royal (cérémonie à laquelle les rois d’Egypte procédaient pour régénérer symboliquement leur pouvoir). Comment est-elle arrivée au pouvoir, alors que par tradition un homme devait gouverner ? En effet, la fonction royale se concevait comme la mise en scène d’un guerrier et d’un chasseur, dont le rôle était avant tout, par son efficacité militaire, de maintenir l’ordre cosmique de l’univers, la maât, en triomphant de ses ennemis. De même, la mise en scène du pouvoir s’accompagnait d’un ensemble de rites démontrant la virilité du souverain : course autour du mur par laquelle le nouveau roi prend possession de son territoire, rite de lancer de flèches aux quatre points cardinaux pour se placer au centre de l’univers, etc. La société égyptienne était donc essentiellement dirigée par des hommes, et si les représentations de filles, épouses ou mères des dirigeants du pays apparaissaient régulièrement dans les tombeaux qui leur étaient dévolus, ce n’est pas tant en vertu d’un principe d’égalité, que parce que l’élément féminin était censé jouer un rôle dans l’au-delà en faveur de la protection et de la régénération du défunt.
La reine Hatshepsout règne cependant sur l’Egypte. A la mort de son époux Tousmôsis II (qui était aussi son demi-frère), Hatshepsout n’ayant pas eu de descendance masculine avec lui, la succession revenait de droit à Thousmôsis III, un fils qu’il avait eu avec une épouse secondaire, Iset. Toutefois, au vu de l’âge de Thoutmôsis III (il n’a alors que 5 ans), la cour donna la régence à sa belle-mère (et tante), Hatshepsout. La reine devient donc régente, mais cela ne lui suffit pas. Hatshepsout va en effet chercher à faire valoir les droits que lui avait concédés son père, qui voyait en elle une femme éduquée et prête pour le pouvoir. Avec l’appui du clergé d’alors, Hatshepsout, dans une cérémonie en l’honneur d’Amon (le dieu célébré à cette époque), Hatshepsout, sous le commandement d’un oracle, obtient tous les pouvoirs en se faisant couronner « Pharaon » : « Un silence pesant se fit dans le sanctuaire. Toutmôsis s’inclina devant Amon et répandit de nouveau l’encens […]. Hatchepsout attendait sans bouger, convaincue au plus profond d’elle-même que quelque chose allait se produire. Et lorsqu’elle se prosterna jusqu’à terre pour la dernière fois, une voix claire s’éleva des lèvres de l’idole, qui fit frémir toute l’assemblée : ‘relève toi et part, bien-aimé roi d’Egypte’. Hatchepsout releva brusquement la tête, tous les souvenirs, les ambitions, les échecs et les rêves de ces dernières années affluèrent en masse et explosèrent en un formidable cri de triomphe. Elle se leva et pivota, les bras tendus au-dessus de la tête : ‘Dieu a parlé’, s’écria-t-elle, en proie à l’exaltation de la victoire, ‘Je me proclame Pharaon’ [1] ».
A partir de son couronnement, Hatshepsout épouse les traditions tant vestimentaires que comportementales des Pharaons d’alors, et ne tient désormais plus à être reconnue en tant que « belle femme », ni même comme une femme. Ainsi, elle abandonne la robe-fourreau et la couronne traditionnelle des reines, et se fait représenter avec les attributs royaux des hommes : le pagne court, la couronne royale, un large collier, et même la barbe.
Durant son règne, Hatshepsout s’est illustrée par son pouvoir artistique, en grande bâtisseuse et restauratrice d’un patrimoine égyptien. En effet, selon la tradition égyptienne, la légitimité et la pérennité d’un Pharaon se mesuraient, entre autres, à sa volonté d’être un prince des arts. Mais cette prolifération de constructions dédiées aux dieux est aussi une manière pour elle de rendre à l’architecture son rôle de contact avec le surnaturel et de rapprocher l’humain des dieux. Outre son temple funéraire de Deir el-Bahari, à côté de celui de Montouhotep II (2061-2010), débuté en l’an 7 et dont la construction dura près de 15 ans, temple que les Égyptiens nommaient « djéserdjéserou » (Le magnifique des magnifiques), elle fit en effet ériger un grand nombre de monuments et d’obélisques dédiées aux divinités d’alors, et notamment Amon. Déjà au début de sa régence, elle fait extraire deux obélisques du site des carrières d’Assouan, qui seront érigées à l’entrée du temple à Karnak. Plus tard, elle ordonne l’extraction de deux autres obélisques pour célébrer sa 16e année de « Pharaon », qui seront recouvert d’or et installés à Karnak. Dans tout le pays, jusqu’en Nubie, son énorme programme de construction va laisser des traces : la Reine se fait construire une tombe dans la vallée des Rois, KV20, pour être près de son père ; à Elephantine, elle fait construire deux sanctuaires dédiés aux divinités locales, dont le temple de Satis ; à coté de Béni Hassan, au Sud de Al Minya, elle fait creuser le Spéos Artémidos, temple dédié à la Déesse Sekhmet, etc.
Mais Hatshepsout s’est également illustrée par son importante activité internationale. Ayant compris qu’une paix durable et féconde devait passer par des relations pacifiées et pragmatiques avec les peuples du Sud de l’Egypte, la Pharaon considérait que la force d’une armée puissante n’avait de sens que dans un contexte d’échanges économiques, utiles à tous. C’est dans cette optique qu’elle envoya au début de sa corégence (autour de l’an 9) une expédition au pays de Pount (qui se situerait dans le Sud du Soudan actuel). Cette dernière fut féconde dans la mesure où elle fit appel à des compétences très variées, à la fois logistiques, climatologiques, médicinales, artistiques, etc. Mais la grande réussite de cette expédition fut sans doute de rouvrir une route commerciale oubliée depuis longtemps vers la terre la plus lointaine que les Egyptiens aient atteinte durant l’époque pharaonique. Pour certains historiens, ce voyage à Pount serait l’illustration que sous le gouvernement d’une femme, on avait renoncé aux guerres de conquêtes pour se tourner vers des expéditions commerciales. Par cette politique, Hatshepsout réussit à maintenir la paix dans un pays où les frontières, aux longueurs considérables du Nord au Sud, constituaient une menace perpétuelle
Princesse des arts et princesse conquérante. Hatshepsout fit beaucoup pour l’Egypte de son temps. C’est peut-être pour cela qu’elle fut écartée du pouvoir, mais aussi de la postérité.
Après l’an 20 et au plus tard en l’an 22, Hatshepsout disparaît de la scène politique. L’hypothèse la plus probable est le décès de la souveraine. Pour Florence Maruéjol, la mort ne fait pas de doute. Pourtant, vingt ans après la disparition de la reine, toutes les mentions de son nom ont été effacées des monuments égyptiens, ses représentations dans les bas-reliefs martelées, et l’ensemble des statues à son image retirées des temples. Ressentiment de Thoutmosis III envers cette femme qui l’aurait écarté d’un pouvoir qui lui revenait de droit ? Rien n’est moins sûr. La persécution tardive d’Hatchspout paraît être plus le fruit d’un calcul politique que d’un mouvement de colère, et pour de nombreux égyptologues, il est vraisemblable que cet effacement ait été orienté vers le futur plus que vers le passé. Dimitri Laboury met en avant le souci de Thoutmosis III d’assurer la transmission du pouvoir à son héritier, Amenhotep II, sans que d’éventuelles descendantes féminines d’Hachtepsout puissent exiger leur place. Hatshepsout fut accusée d’être une usurpatrice et, après sa mort, on saccagea toute trace de son passage. Le nombre réduit, voire l’absence de sources à son sujet vient aussi du fait qu’elle fut pendant longtemps effacée de l’Histoire, qui était alors essentiellement le fait d’hommes. C’est probablement en ce sens que Christiane Desroches-Noblecourt écrit qu’Hatshepsout « avait surtout le grand tort d’être une femme ».
Bibliographie :
– DESROCHES NOBLECOURS, Christiane, La femme au temps des pharaons, Paris, Stock, 1986.
– DESROCHES NOBLECOURS, Christiane, La Reine mystérieuse Hatchepsout, Paris, Pygmalion, 2002.
– SINOUE, Gilbert, 12 femmes d’Orient qui ont changé l’Histoire, Paris, Pygmalion, 2011.
– TALLET, Pierre, 12 reines d’Egypte qui ont changé l’Histoire, Paris, Pygmalion, 2013.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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