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A la suite des traités de Golestan (1813) et de Turkmanchai (1828), l’Azerbaïdjan se retrouve divisé en deux. Le nord du territoire passe sous le contrôle de Moscou (et constituera le territoire actuel de l’Azerbaïdjan), alors que la Perse maintient sa souveraineté sur la partie sud (dont les provinces forment aujourd’hui l’Azerbaïdjan iranien). L’Azerbaïdjan, enjeu des rivalités russo-iraniennes, ne retrouvera jamais ses frontières historiques. Ainsi, de nos jours, il y a davantage d’Azéris en Iran (au moins 12 millions) (1) qu’en Azerbaïdjan (9 millions) (2). Dès lors, depuis la scission de l’Azerbaïdjan, les deux pays n’ont cessé d’invoquer l’existence de cette minorité azérie pour justifier leur politique étrangère.
La composante ethnique et culturelle ne peut cependant expliquer en elle seule les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan au cours des deux derniers siècles. Un certain pragmatisme a en effet été adopté des deux côtés afin de s’adapter aux événements géopolitiques (la découverte du pétrole, les deux guerres mondiales, la guerre froide, la chute de l’URSS) et contrer l’influence – ou bien en tirer profit – d’autres acteurs (Russes/Soviétiques, Américains, Britanniques, Arméniens).
Au XIXème siècle, les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan sont à assimiler à celles entre l’Iran et l’empire russe qui contrôle désormais le territoire azerbaïdjanais. La domination russe dans le Caucase et l’interdiction faite aux autorités perses de naviguer sur la mer Caspienne ont considérablement affaibli l’Iran. Dans les années 1930, la balance commerciale de l’Iran avec la Russie était d’ailleurs catastrophique et entièrement à l’avantage des Tsars. La pénétration économique de la Russie en Iran s’est donc réalisée à travers sa conquête de l’Azerbaïdjan (3).
Bakou, principale ville côtière de l’Azerbaïdjan, est amenée à jouer un rôle économique essentiel à partir de 1846 et de la construction d’un des premiers puits de pétrole. A la fin du siècle, elle s’impose comme le premier centre pétrolier mondial, et sa population passe de 15 000 habitants en 1870 à 215 000 en 1913. Parallèlement, Tabriz, principale ville de l’Azerbaïdjan iranien et capitale historique de l’Iran, est abandonnée en tant que capitale par les autorités à partir de 1834. Cependant, elle conserve son poids commercial et se retrouve même au cœur des relations entre la Perse et la Russie.
Au début du XXème siècle, la vague de révolutions que connaît la région n’épargne pas l’Azerbaïdjan iranien. En 1906, Mozaffaredin Shah, dirigeant de la Perse, se retrouve confronté à des mouvements de contestation politique et est contraint d’accorder une constitution et un parlement (« Majles ») à son peuple. Son fils et héritier Mohammed Ali Shah, à la tête des Brigades Cosaques soutenues par les Russes qui voient d’un mauvais œil l’émergence de mouvements démocratiques dans la région, fait fermer l’assemblée en 1908. Une révolte éclate alors à Tabriz contre le chef des Brigades. En 1909, les forces tsaristes viennent au secours des Cosaques et envahissent la ville. A la veille de la Première Guerre mondiale, la Russie est donc parvenue à profiter de l’affaiblissement du pouvoir central perse pour tenter de prendre le contrôle de l’Azerbaïdjan iranien (4).
Cette période de révolutions crée un climat propice au développement de mouvements nationaux cherchant à réunifier l’Azerbaïdjan. Certains intellectuels azéris ont d’ailleurs déjà participé à l’insurrection russe de 1905, à la révolution « jeune-turque » de 1908 ainsi qu’au mouvement constitutionnaliste iranien (1908-1911). Inspiré par les événements politiques que connaissent les voisins turcs, russes et iraniens, un parti nationaliste libéral, le « Moussavat », est ainsi créé à Bakou en 1912 (5).
Malgré l’émergence de formations nationalistes qui tentent de définir l’identité de leur pays (tiraillée entre la Perse, à laquelle les Azéris doivent une partie de leur culture et leur religion, et la Turquie, dont ils parlent la langue), l’Azerbaïdjan, en proie à une grande instabilité politique, va de plus en plus subir l’influence et la domination de la Russie.
La révolution russe de 1917 laisse pourtant croire dans un premier temps au retrait de Moscou. Les Bolcheviks, nouveaux maîtres de la Russie, déclarent en 1918 que leur pays n’a plus d’ambitions politiques ou territoriales en Perse, et se retirent de l’Azerbaïdjan (y compris de la partie iranienne). L’Azerbaïdjan va alors traverser une période très instable. Occupé successivement par les Britanniques (août-septembre 1918) puis par les Turcs qui cherchent à s’emparer du pétrole de Bakou (août-septembre 1918), l’Azerbaïdjan entre également en guerre contre l’Arménie pour le contrôle du Karabakh, une région à l’est du territoire arménien (6).
Cependant, en 1922, l’Azerbaïdjan est réintégré au sein d’une nouvelle Fédération transcaucasienne (1922-1936) elle-même membre de l’URSS. Quant à l’Azerbaïdjan iranien, Mohammed Kiabani, un député de Tabriz, parvient en 1920 à y instaurer un gouvernement local et proclame la création de l’Azadistan (la « Terre de la Liberté »). Quelques mois plus tard, les autorités iraniennes reprennent toutefois le contrôle du territoire administré par Kiabani, et anéantissent les rêves des nationalistes azéris (7).
Ce n’est que pendant la Seconde Guerre mondiale que le sentiment national azéri va pouvoir réapparaître. En 1941, l’URSS et le Royaume-Uni demandent à l’Iran d’expulser les quelques 1 500 Allemands présents en Iran. Insatisfaits par la réponse de l’Iran, ils décident de l’envahir. 40 000 Soviétiques et 19 000 Britanniques, bientôt rejoints par les Américains, se partagent alors le territoire iranien occupé. L’URSS, chargée du contrôle des provinces du nord (y compris les deux Azerbaïdjan), peut dès lors soutenir à son avantage les mouvements sécessionnistes azéris. Ainsi, alors qu’il avait été décidé que les troupes étrangères devaient se retirer d’Iran une fois la guerre terminée, l’URSS demeure dans les provinces azerbaïdjanaises jusqu’en mai 1946, soutenant le communiste Pishevari et empêchant le gouvernement iranien d’intervenir. Finalement, à la fin de l’année 1946, l’URSS décide de se retirer et de laisser le régime iranien reprendre le contrôle de l’Azerbaïdjan iranien.
Régulièrement menacé au cours de la première moitié du XXème par le sécessionnisme azéri, Téhéran va surveiller de très près les mouvements nationalistes actifs à Tabriz au cours de la seconde moitié du siècle, et se méfier de Bakou qu’il suspecte de les soutenir (8).
Dans la mesure où l’Azerbaïdjan, en tant que République socialiste constitutive de l’URSS, ne peut disposer de politique étrangère autonome, les relations Iran-Azerbaïdjan au cours de la guerre froide sont quasi-inexistantes, éclipsées par les relations Iran-URSS.
Ce n’est donc que vers la fin de l’Union soviétique que l’Azerbaïdjan et l’Iran vont pouvoir rétablir des liens. En 1988, les nombreux Arméniens vivant en Azerbaïdjan dans la région autonome du Haut-Karabakh expriment leur volonté d’être rattachés à l’Arménie. En remettant en cause les frontières établies au cours du XXème siècle, leur demande suscite un réveil du nationalisme azéri et la résurgence des persécutions d’Arméniens en Azerbaïdjan. Parallèlement, de nombreux Azéris résidant en Arménie décident de s’exiler de peur de représailles. En janvier 1990, l’Armée rouge soviétique pénètre en Azerbaïdjan afin d’empêcher la poursuite des massacres. L’ayatollah Khamenei, guide suprême de la République islamique iranienne, condamne alors l’intervention russe qu’il qualifie d’ingérence (9).
A la fin de la Guerre froide, Bakou et Téhéran entretiennent des relations cordiales voire amicales. L’Iran a soutenu l’indépendance de l’Azerbaïdjan, et est un des premiers partenaires commerciaux du régime azerbaïdjanais (10). Pourtant, un certain nombre d’éléments, dont l’implication iranienne dans le conflit du Haut Karabakh et la présence de minorités azéries en Iran, vont contribuer à détériorer rapidement leurs relations. Comment ces deux pays, si historiquement et culturellement liés, ont-ils pu entretenir dans les vingt dernières années autant de sujets de discorde ?
Lire les autres parties :
– Historique des relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan (1/3) : des origines à 1828
Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
– Histoire de l’Arménie, 1/3 : des origines jusqu’à la conquête arabe
– Histoire de l’Arménie 2/3 : du Moyen Âge à l’époque moderne
– Histoire de l’Arménie, 3/3 : histoire de l’Arménie contemporaine
– Les relations russo-ottomanes au XIXème siècle. Première partie : du début du siècle à la guerre de Crimée
Notes :
(1) https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ir.html)
(2) REYNHOLDS, James, « Why Azerbaijan is closer to Israel than Iran », BBC News, 12 August 2012.
(3) BOSWORTH, C.E., « AZERBAIJAN iv. Islamic History to 1941 », Encyclopedia Iranica, 1987, mis à jour en 2011, http://www.iranicaonline.org/articles/azerbaijan-iv
(4) BOSWORTH, C. E., op. cit..
(5) http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Azerba%C3%AFdjan/106992
(6) Idem.
(7) BOSWORTH, C. E., op. cit..
(8) Idem.
(9) VALIYED, Anar. M., « Azerbaijan-Iran Relations : Quo Vadis, Baku ? », PONARS Eurasia Policy Memo N°244, September 2012, p. 2.
(10) MAMMADOV, Farhad, « Iran-Azerbaijan Relations and Strategic Competition in the Caucasus », Center for Strategic and International Studies Russia and Eurasia Program, April 29, 2013.
Simon Fauret
Simon Fauret est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (Relations internationales - 2016) et titulaire d’un Master 2 de géopolitique à Paris-I Panthéon Sorbonne et à l’ENS. Il s’intéresse notamment à la cartographie des conflits par procuration et à leurs dimensions religieuses et ethniques.
Désormais consultant en système d’information géographique pour l’Institut national géographique (IGN), il aide des organismes publics et privés à valoriser et exploiter davantage les données spatiales produites dans le cadre de leurs activités (défense, environnement, transport, gestion des risques, etc.)
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