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Hommage à Samir Frangié : un homme de dialogue et de réconciliation

Par Carole André-Dessornes
Publié le 11/05/2017 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Samir Frangié

Samir Frangié, la noblesse d’âme à l’état pur incarnant la modestie autant que l’élégance d’esprit, nous a quittés le 11 avril dernier, laissant un bon nombre d’entre nous orphelins.
Ardent défenseur de la non-violence et du « vivre ensemble », n’ayant eu de cesse de s’opposer à la tutelle syrienne et dénonçant la servitude, il s’évertua contre vents et marées à rejeter la barbarie sous toutes ses formes.
Que ce soit en tant que journaliste ou député, il a défendu coûte que coûte la cause de la paix. Toute sa vie durant, il a fait preuve d’un courage sans égal, mais la maladie aura eu raison de lui.

Son père, Hamid Frangié fut l’un des artisans de l’indépendance et plusieurs fois ministre.
Originaire du Casa (1) de Zghorta, Samir en sera le député durant un mandat.
A travers son essai Voyage au bout de la violence (2), il nous a laissé un héritage humaniste, rompant avec la culture de la violence qu’il condamna avec force. Cette violence, c’est bien malgré lui qu’il en fera la douloureuse expérience à l’aube de ses douze ans : le 16 juin 1957 au cours d’une messe célébrée à la mémoire de Salim Abad à Meziara, en présence d’évêques et de personnalités politiques parmi lesquelles se trouvaient Hamid et son oncle Sleiman Frangié, des coups de feu retentirent et vingt-trois personnes trouvèrent la mort (dont dix appartenant au clan Doueihy et cinq au clan Frangié) et cinquante autres furent blessées. Son père Hamid en sera profondément affecté.
Elève chez les Jésuites, à Notre-Dame de Jamour dont il fut renvoyé (renvoi qu’il vécut comme « le plus beau jour de sa vie à l’époque »), c’est en France qu’il passera son baccalauréat.
A son retour au Liban, Samir Frangié, alors étudiant en philosophie à l’Ecole des lettres, penche vers la gauche, mais pas n’importe laquelle, celle de Camus, Frantz Fanon, Abdel Nasser…Alors que son oncle Sleiman Frangié est président de la république, Samir se montrera sensible à la cause défendue par les fédayins palestiniens. C’est aussi à l’université Saint-Joseph de Beyrouth qu’il rencontre des fidèles compagnons de route pour un temps tels qu’Amin Maalouf, Maroun Baghdadi, …Mais il va surtout faire la rencontre de celle qui partagera sa vie pendant près d’un demi-siècle, Anne Mourani, sa compagne dans la vie mais aussi une militante, avec qui il aura deux enfants, Samer et Hala.
Il collabore à partir de 1970 à L’Orient comme journaliste, puis à L’Orient-Le jour. Militant politique et intellectuel il tente alors de mettre à mal cette violence qui finit par emporter son pays dans un véritable chaos. Fidèle à ses principes, c’est tout naturellement qu’il s’engage au sein du Mouvement national contre les forces chrétiennes du front libanais.

La guerre civile et les massacres qui se succédaient ainsi que l’assassinat en 1977 de Kamal Jumblatt (dont il était l’un des compagnons au sein du Mouvement national) et de Tony Frangié et sa famille en 1978, le pousseront à faire de cette « lutte contre la violence » le « combat » de sa vie tout autant que « le vivre ensemble ».
Il découvre la pensée de René Girard qui ne le quittera plus, notamment ses œuvres ; au lendemain du décès de ce dernier, Samir lui rendra hommage et présentera son œuvre comme « d’une grande utilité pour comprendre les raisons de cette violence qui s’étend de jour en jour » (3).
Samir travaillera à l’établissement du dialogue entre les acteurs de cette guerre civile tout en dénonçant l’ingérence de Damas qui sera parvenue à mettre le Liban sous tutelle.

Il posera, avec Ghassan Salamé, Nassib Lahoud, Talal Husseini et Rafic Hariri, les bases des accords de Taëf qui seront signés en 1989 mettant fin à cette terrible guerre qui dura quinze années.
La paix est certes retrouvée, mais la tutelle syrienne (l’un des prix à payer de cette paix) est pour Samir inacceptable. Pour lui, la réconciliation passe par la lutte de libération.
A travers le Congrès permanent pour le dialogue libanais, aux côtés du Patriarche Sfeir, de l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine et devHani Fahs, entre autres, il prônera l’unité des Libanais défendant le rétablissement de la souveraineté du Liban, laquelle idée sera reprise lors du printemps de Beyrouth en 2005.
Il jouera également un rôle, aux côtés de Farès Souhaid, dans la fondation du Rassemblement de Kornet Chehwane hostile à l’occupation syrienne et soutenant les demandes du Patriarche Sfeir qui avait lancé, aux côtés des évêques, l’appel de Bkerké réclamant le redéploiement des troupes syriennes « dans la perspective de leur retrait du Liban » (mots que Samir obtint de rajouter à cet appel).
Après l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, il sera à l’origine d’un mouvement populaire, « l’intifada de l’indépendance » qui chassa le régime syrien. Les intimidations et la maladie n’ont jamais porté atteinte à sa détermination ni à son courage.
Il est de toutes les actions en faveur du « vivre-ensemble » et de tous les combats au service de la citoyenneté et la dignité humaine.

Les insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur lui ont été remis le 10 octobre 2016 par l’ambassadeur de France au Liban. C’est la juste reconnaissance d’un Grand homme de Bien.
Cet homme, libre par-dessus tout, a su s’affranchir des contraintes liées aussi bien à son appartenance à un clan qu’à la politique, et ainsi défendre un Liban libre et uni dans sa diversité.
Il n’a jamais plié devant l’adversité. Ce mal qui l’a frappé à plusieurs reprises a eu raison de lui…mais pas de sa pensée.

Il est de notre devoir de poursuivre sans relâche son rêve de paix et d’unité, plus que jamais menacé et pas seulement au Liban. Son message pour le Liban porte bien au-delà et nous engage à ne rien céder face à la barbarie.

Lire les entretiens de Samir Frangié :

 Entretien avec Samir Frangié à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Voyage au bout de la violence : pour un avenir de paix au Liban et dans le monde arabe »

 Entretien avec Samir Frangié – Vivre ensemble au Liban

Notes :
(1) C’est-à-dire district.
(2) Voyage au bout de la violence (Actes Sud/L’Orient des livres, 2011).
(3) Hommage paru dans le numéro de décembre 2015 de L’Orient Littéraire.

Publié le 11/05/2017


Carole André-Dessornes est Chercheure - Consultante en Géopolitique depuis 16 ans travaillant sur les questions générales et les thèmes portant sur la violence sous toutes ses formes au Moyen-Orient.
Docteure en sociologie (Doctorat obtenu sous la direction de Farhad Khosrokhavar à l’EHESS) et membre associée au Cadis, Carole André-Dessornes est également, entre autres, titulaire d’un DEA d’études diplomatiques et Stratégiques, de 2 maîtrises d’histoire.
Elle intervient également dans des institutions comme l’École Militaire de Spécialisation de l’Outre-Mer et de l’Etranger (EMSOME), le CEDS…les hôpitaux psychiatriques auprès du personnel soignant et administratif sur la Géopolitique du Proche et Moyen-Orient ainsi que sur les impacts de la géopolitique sur la santé mentale.
Elle est l’auteur de nombreux articles sur le Moyen-Orient, ainsi que de plusieurs ouvrages : « 1915-2015, un siècle de tragédies et de traumatismes au Moyen-Orient », aux éditions L’Harmattan, collection la Bibliothèque de l’IreMMO, octobre 2015, « Les femmes-martyres dans le monde arabe : Liban, Palestine, Irak », aux éditions l’Harmattan, décembre 2013. A publié en 2006 un ouvrage sur « La géopolitique, un outil au service de l’entreprise » aux éditions EMS.


 


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