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L’annonce de la mort de l’ancien chef d’État de la République arabe d’Égypte Muhammad Hosni El Sayed Moubarak le 25 février, relayée par l’ensemble de la presse internationale, s’est accompagnée de la proclamation par Le Caire de trois jours de deuil national (1).
Cet article propose un rapide retour sur les points centraux de sa carrière, jusqu’à sa destitution lors des printemps arabes en février 2011, et sur les réactions suscitées par son décès en Égypte et au Moyen-Orient.
Né le 4 mai 1928, au bord du Nil, à Kafr-el-Meselha en Egypte, Hosni Moubarak intègre l’armée de l’air à l’âge de 22 ans, où il gravit assez rapidement les échelons, en occupant divers postes, passant notamment de celui de pilote à instructeur, puis chef d’escadrille et enfin commandant de base. Mais c’est véritablement à partir de 1972 qu’il voit ses responsabilités s’accroitre lorsqu’il est nommé ministre des Affaires militaires, à la suite de la guerre d’usure entre l’Egypte et Israël (1967-1972), poste qu’il occupe en cumul avec celui de directeur de l’Académie de l’armée d’Akhenchour dont il est par ailleurs commandant de l’armée de l’air.
Il s’illustre particulièrement en tant que commandant en 1973 lors de la guerre du Kippour contre Israël, où il coordonne l’ensemble des frappes au sol de l’aviation égyptienne sur des cibles stratégiques israéliennes. Ces faits d’armes lui vaudront pour l’ensemble de la suite de sa carrière une certaine aura héroïque, un élément souvent rappelé dans les hommages qui lui ont été adressés ces derniers jours.
Le 6 octobre 1981, Anouar El-Sadate, Président de la République arabe d’Égypte depuis octobre 1970, est abattu alors qu’il assiste avec son vice-président, Hosni Moubarak, à une parade militaire dans la cité cairote. L’attentat, qui blesse également Moubarak à la main, est perpétré par 4 militaires membres du mouvement du jihad islamique égyptien, branche dissidente des Frères musulmans. Hosni Mubarak, alors discret vice-président de la République arabe d’Égypte depuis 1975, est élu président de la République à la suite d’élections présidentielles organisées à la hâte le 13 octobre 1981, une semaine après les attentats.
Les commentateurs occidentaux de sa présidence tendent aujourd’hui à le présenter comme un chef d’État ayant voulu suivre la ligne de son prédécesseur, voulant « faire le lien, et surtout bouger le moins possible (…), être le plus stable possible » (2). Pourtant, à l’époque, son gouvernement applique une politique de libéralisation importante, réduisant les dépenses publiques dans de nombreux secteurs et limitant l’intervention de l’État dans l’économie intérieure. Il s’attire notamment une forte impopularité auprès de la classe paysanne en mettant fin aux programmes de location par l’État de terres arables, privatisant massivement l’agriculture et appauvrissant toute une frange de la population égyptienne (3).
Sa présidence a également été marquée, au moins en apparence, par une forte opposition au mouvement égyptien des Frères musulmans (qu’il reconnaitra comme organisation religieuse mais pas comme parti politique) ainsi qu’une lutte contre les groupes islamistes, lui valant un certain soutien de la part des puissances occidentales. En représailles, l’Égypte sera frappée par d’importants attentats islamistes : parmi eux, on peut citer le massacre de Louxor en 1997 provoquant la mort de 62 personnes dont de nombreux visiteurs du temple d’Hatshepsout, lieu du drame ; la triple attaque de Charm El Cheikh en 2005 visant deux hôtels et un marché, faisant 88 morts et 150 blessés ; le triple attentat suicide de la station balnéaire de Dahab, un an plus tard, qui fit 18 morts et une soixantaine de blessés. Quelques semaines avant la chute de Moubarak, le 1er janvier 2011, une bombe explose lors des festivités du nouvel an à Alexandrie, faisant 21 morts et une centaine de blessés. L’ensemble de ces attaques est revendiqué par des groupes islamistes, principalement du réseau d’Al Qaeda. En 1995, Moubarak lui-même échappe à une tentative d’attentat perpétré par un groupe islamiste à Addis Abeba, en Éthiopie.
Sur la scène régionale, Hosni Moubarak a longtemps joué un rôle de médiateur pour une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien.
Bien apprécié autant par le camp israélien que palestinien, l’annonce de son décès a suscité de nombreuses réactions de sympathie au sein des deux parties. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est déclaré endeuillé par la nouvelle, évoquant la perte d’un ami personnel : « Mubarak, my personal friend, was a leader who led his people to peace and security, to peace with Israel » (4). Son opposant direct, le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a également fait part de sa tristesse, en saluant un « soutien de la cause palestinienne et du peuple palestinien dans sa quête de liberté et d’indépendance ». L’Egypte, frontalière avec la bande de Gaza, fait partie des principaux pays impliqués dans la résolution de ce conflit. Le président Hosni Moubarak multipliera les rencontres avec les autorités palestiniennes et israéliennes en vue d’une résolution pacifique du conflit.
L’Egypte, qui avait été quelque peu écartée de la Ligue arabe à la suite de l’accord de paix israélo-égyptien de 1979 entre le Président égyptien Anouar El Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin aux Etats-Unis, sera en reconquête à la suite de l’accession au pouvoir d’Hosni Moubarak. Ce dernier est alors très souvent impliqué dans les négociations, avec des positions parfois considérées comme proches de celles d’Israël. Hosni Moubarak décidera ainsi d’isoler Gaza, qui constitue la base du Hamas, dont il est un fervent opposant, le mouvement étant proche des Frères musulmans. Tout au long de sa présidence, Hosni Moubarak rencontrera à de nombreuses reprises les dirigeants israéliens et fera de l’Egypte un lieu de négociations, à l’instar du sommet tenu à Sharm el-Sheikh en 2005, réunissant les dirigeants israéliens, palestiniens et le roi d’Arabie saoudite et ayant abouti à la fin de la seconde intifada.
Considéré par certains comme un patriote et par d’autres comme un despote, Hosni Moubarak gouverne l’Egypte durant 30 ans, entre le 14 octobre 1981 et le 11 février 2011.
En ce début 2011, le peuple égyptien et en particulier la jeunesse descend dans les rues des grandes villes en scandant « Irhal ! » (Dégage), dans une adresse directe à son président alors en exercice depuis 30 ans (5). Le Printemps arabe en Egypte est en réalité l’aboutissement d’une succession de crises internes ayant eu cours depuis le début des années 2000 (6).
En effet, les jeunes, principaux acteurs de la révolution, avaient commencé à se mobiliser dès l’année 2000, notamment pour soutenir la seconde intifada palestinienne et le boycott des produits importés d’Israël, puis en 2003 pour dénoncer l’intervention américaine en Irak. Plus tard, en 2005, année électorale en Egypte, ils participent au mouvement Kef̄aya (« ça suffit » en arabe) contre le président Moubarak (7). Enfin, au cours de l’été 2010, lors des campagnes électorales, ils mènent « la bataille sur les murs » (tags, destruction des affiches de campagne) contre ce qui est perçu comme la future candidature du fils du président, Gamal Moubarak. La succession de ces mouvements de contestation aura pour impact de faciliter les mobilisations du Printemps arabe ayant conduit à la démission d’Hosni Moubarak.
La révolution égyptienne débute le 25 janvier 2011 et se caractérise par une série d’événements et de contestations (manifestations, grèves, occupations de l’espace public) contre le régime en place. C’est notamment grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) que les jeunes, principaux acteurs de la révolution, réussissent à se mobiliser massivement. Cette révolution est déclenchée en réponse aux actes des forces de police égyptiennes, à la corruption, mais aussi à l’état d’urgence permanent et à ses procédures expéditives. A cela s’ajoutent les problèmes socio-économiques que sont le chômage, le manque de logements, l’augmentation des prix des biens de première nécessité et le manque de liberté d’expression, ainsi que les conditions de vie urbaines très dégradées des classes populaires.
L’un des objectifs des manifestants était d’obtenir la fin de l’Etat policier et la démocratie, qui passait préalablement par le départ du président égyptien et une répartition plus juste des richesses. Réunissant des manifestants de divers milieux socio-économiques, la révolution égyptienne, encore surnommée « révolution du 25 janvier », ou « révolution du Nil », est le plus grand mouvement populaire qu’ait jamais connu l’Égypte. Il aboutit, le 11 février 2011, au transfert du pouvoir à l’armée à la suite de la démission du président Moubarak.
Deux mois plus tard, alors que les avoirs de Moubarak et de sa famille sont gelés en Suisse, deux enquêtes sont lancées contre lui, l’une pour corruption, l’autre concernant les 864 victimes des répressions policières lors des manifestations du Printemps arabe. Son procès s’ouvre en août, sa condamnation à mort pour la répression violente des événements est requise par le procureur, en plus d’une amende de plus de 20 millions d’Euros pour avoir fait couper les réseaux de communication pendant les soulèvements populaires. L’ancien chef d’État plaide non coupable, et sera finalement condamné à la prison à perpétuité en 2012, tandis que son état de santé semble se dégrader. Un an plus tard, il obtient une liberté conditionnelle, avant d’être à nouveau jugé et condamné en 2015 pour détournements de fonds publics (8). En 2017, il se trouve acquitté de toute responsabilité liée aux répressions des soulèvements de 2011, et il est définitivement libéré le 24 mars.
La présidence égyptienne a officiellement annoncé le 25 février 2020 la nouvelle du décès de Moubarak via un discours officiel sur les chaines de télévision nationales. Dès cette annonce du décès de l’ancien Rais très controversé et âgé de 91 ans, les réactions et les hommages n’ont pas tardé à se multiplier, que ce soit au sein de la classe politique égyptienne, que parmi les acteurs régionaux et internationaux.
La présidence a ainsi présenté ses condoléances à la famille de Moubarak, en le présentant comme un héros de la guerre du Kippour en 1973 qui avait opposé une coalition d’États arabes à Israël.
La Direction générale des Forces armés égyptiennes a également présenté via Twitter ses condoléances à la famille Moubarak et à tous les officiers et soldats de l’armée égyptienne, « qui pleurent en ce jour un de ses fils et glorieux chef de la guerre d’octobre » (9).
Du côté des opposants politiques, Wael Ghoneim, l’une des figures de la révolution de janvier 2011, a aussi présenté ses condoléances via Twitter, en soulignant que Moubarak a « porté une énorme responsabilité envers le peuple égyptien, il s’est trompé dans certaines choses, il en a réussi d’autres, et l’histoire le jugera » (10).
A l’échelle régionale, l’ensemble des gouvernements du Moyen-Orient a réagi au décès de l’ancien dirigeant égyptien selon les protocoles diplomatiques habituels, rappelant pour certains d’entre eux l’action d’Hosni Moubarak pour les États arabes. Le ministre émirien des Affaires étrangères Anwar Gargash a ainsi rappelé dans un tweet « son rôle dans la bataille pour libérer l’État du Koweït et de nombreuses crises affectant le monde arabe » (11).
De son coté, Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien et ancien ministre de la Défense, a aussi salué le « diplomate influent » qu’était Moubarak, qui a « su restaurer la place de l’Egypte au sein du monde arabe » (12). Dans son intervention sur l’émission Connect the world sur la chaine CNN, Ehud Barak a rappelé l’attachement de Moubarak au processus de paix au Moyen-Orient, même « lorsque des chars israéliens occupaient une capitale arabe » (13), en faisant référence à la crise de Beyrouth en 1982.
Avec provocation, l’homme d’État israélien a ajouté que l’Égypte « est en train de payer le prix d’avoir poussé Moubarak à la sortie très tôt », en pointant du doigt les positions américaines et européennes lors du Printemps arabe égyptien. Israël aurait en effet eu intérêt à ce que les puissances occidentales maintiennent Moubarak au pouvoir, leur absence de soutien envers ce dernier ayant précipité sa chute à la suite de la révolution (14).
Notes :
(1) SALEM Mostafa « Egypt declares three days of mourning for Mubarak », CNN, 25 Février 2020.
(2) Interview de Gauthier Rybinski, éditorialiste, France 24 – 25 Février 2020.
(3) Gana, A. (2015). Protestations et mobilisations paysannes en Égypte : des voix qui comptent ? Revue Tiers Monde, 222(2), 67-84. doi:10.3917/rtm.222.0067.
(4) https://www.aljazeera.com/news/2020/02/regional-leaders-react-passing-egypt-hosni-mubarak-200225162500688.html
(5) Brown Derek, BLACK Ian, “Hosni Mubarak obituary”, The Guardian, 25 février 2020
https://www.theguardian.com/world/2020/feb/25/hosni-mubarak-obituary
(6) Urfer, S. (2012), L’Égypte de Tahrir. Anatomie d’une révolution, Seuil, 2011, 250 p
(7) Ibid.
(8) AL-ATRUSH Samer, « Moubarak condamné à trois ans de prison », AFP – Le Devoir, 9 mai 2015 https://www.ledevoir.com/monde/afrique/439680/egypte-moubarak-condamne-a-trois-ans-de-prison-pour-corruption
(9) https://www.bbc.com/arabic/trending-51630340
(10) Ibid.
(11) https://twitter.com/AnwarGargash/status/1232268605745717248
(12) https://www.facebook.com/CNNconnect/videos/2505531176368634
(13) Ibid.
(14) Ibid.
Mohamed El Amine Meziane
Mohamed El Amine Meziane, diplômé en Droit de l’Université de Blida en Algérie, inscrit au barreau de Blida et titulaire d’un master en droit international de l’université Lyon 3.
Nicolas Klingelschmitt
Nicolas Klingelschmitt est doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses domaines de recherche portent sur les Relations Internationales, en particulier la paix et la coopération sur le continent africain.
Titulaire d’un master en Droit public mention Relations Internationales - Gestion de Programmes Internationaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, il est également consultant en géopolitique et a réalisé à ce titre plusieurs études auprès de l’Institut Afrique Monde (Paris) dont il est membre depuis 2016.
Il a ainsi étudié les migrations de l’Afrique vers l’Europe, le dialogue interreligieux et la gouvernance. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent politiquement, culturellement, économiquement et historiquement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient.
Younouss Mohamed
Younouss Mohamed est doctorant en Science Politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d’un master de recherche en Science Politique, obtenu à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun, il est également membre du Groupe Interuniversitaire d’Études et de Recherches sur les Sociétés Africaines (GIERSA). La participation politique de la diaspora africaine, la sociologie politique et la géopolitique constituent ses domaines de recherche principaux. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse à l’histoire politique commune des États et figures politiques de l’Afrique et du Moyen-Orient.
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