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Hydrocarbures et énergie nucléaire en Iran : quel avenir énergétique pour la République islamique ?

Par Corentin Denis, Nicolas Hautemanière
Publié le 02/01/2015 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

I. L’Iran et sa production pétrolière : un colosse aux pieds d’argile ?

L’Iran demeure un acteur incontournable de la production pétrolière mondiale. Avec 3,2 millions de barils de brut produits chaque jour, l’Iran se classe au deuxième rang des pays membres de l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP), derrière l’Arabie saoudite. Selon ces statistiques, tout semble indiquer que cette situation est vouée à perdurer, puisque les réserves du pays en pétrole brut sont estimées à 132 milliards de barils, ce qui les place également au deuxième rang des pays membres de l’OPEP. En ce sens, il peut paraître étonnant que la puissance persane cherche à diversifier ses sources de production d’énergie au profit de l’énergie nucléaire. Pourtant, de nombreux indices montrent qu’en dépit des apparences, le modèle pétrolier iranien se fissure. Depuis sept ans, sa production décline continuellement, au point d’être passée en deçà des quotas de production de l’OPEP en 2012, avec une production de 2,95 millions de barils par jour, contre 4,25 millions en 2007. L’objectif longtemps affiché des 5 millions de barils semble bien lointain. En prenant davantage de recul, on observe également que jamais la République islamique n’a pu renouer avec les niveaux de production de la période du Shah : l’Iran produisait alors jusqu’à 6 millions de barils par jour (1974).

Les causes de cette crise sont multiples mais tiennent d’abord aux sanctions internationales touchant l’Iran depuis le vote de l’Iran Libya Sanctions Act par le Congrès américain en 1996. La multiplication des mesures sous l’administration Bush a abouti à une interdiction de facto de l’exportation du pétrole iranien vers les alliés des Etats-Unis, obligeant l’Iran à trouver d’autres marchés que ses voisins de l’OPEP pour vendre sa production pétrolière. De manière plus structurelle, le régime de sanctions diplomatiques empêche le renouvellement d’installations d’extractions datant pour l’essentiel des années 1970. Impossible de faire venir les pièces de rechange occidentales nécessaires au bon fonctionnement des sites d’exploitation du pétrole. Impossible, aussi, d’exploiter de nombreux sites où la présence d’hydrocarbures est connue. L’exemple d’Azadegan en est emblématique. Découvertes en 1999, les réserves de ce site pourraient s’élever à 26 milliards de mètres cube de pétrole. L’exploitation en fut confiée à une firme japonaise en 2000. Au terme d’une véritable guerre diplomatique menée par les Etats-Unis, l’entreprise finit par renoncer à sa participation aux extractions en octobre 2006. La Chine a finalement pris le relais, mais n’exploitera que les réserves gazières du site. Comme Azadegan, de nombreuses réserves ne pourront être exploitées qu’une fois les sanctions internationales levées. En attendant, l’Iran continue de produire moins que ses capacités réelles ne lui permettraient.

Carte 1 : L’industrie pétrolière iranienne

La levée des sanctions représente donc un enjeu important pour la mise en exploitation des réserves pétrolières iraniennes et l’exportation de leur produit. Mais ces sanctions n’expliquent pas tout. Les carences de l’industrie pétrolière iranienne tiennent aussi à la complexité de son système administratif : toute demande d’investissement pétrolier venue de l’étranger doit être soumise au « Bureau des supervisions » et être approuvée par le Conseil des ministres. D’autre part, le système juridique interdit aux entreprises étrangères de détenir des ressources en hydrocarbure dans le pays. Elles doivent donc s’associer à la Compagnie nationale iranienne du pétrole (NIOC) et faire passer leurs investissements pour des prêts que l’Etat iranien rembourse avec des taux d’intérêts très élevés (de l’ordre de 15 à 17%). Ce système, dit de « buy back », est à la fois coûteux pour l’Etat et peu encourageant pour les sociétés étrangères. Au regard des difficultés de la Compagnie nationale à financer seule les projets d’investissement, une réforme de ce système semble également nécessaire pour développer le potentiel pétrolier iranien.

Reste qu’à court terme, aucune amélioration substantielle de la situation pétrolière n’est envisageable. Dans ces conditions, la production totale s’érode tandis que la consommation intérieure ne cesse de croître : depuis 1980, la demande interne de pétrole a ainsi augmenté de 6,4% par an contre 5,6% pour l’offre. La tendance s’est accentuée ces dernières années. En 2012, d’après l’Agence Internationale de l’Energie, 2,95 millions de barils par jour ont été extraits des réserves iraniennes, tandis que 1,83 millions ont été consommés sur place. Or, la consommation de pétrole par les foyers iraniens est subventionnée par la République islamique et lui coûte particulièrement cher. Seul le pétrole exporté par le pays lui rapporte les fonds nécessaires à son bon fonctionnement. Dans un Etat où les hydrocarbures contribuent à hauteur de 80% aux exportations, on comprend que la situation soit préoccupante, d’autant que les mesures de rationnement votées en 2007 n’ont pas produit l’effet escompté sur la consommation des ménages iraniens. Les responsables politiques sont donc à la recherche d’une solution qui permettrait de pallier cette difficulté à court et moyen terme, avant d’envisager une rénovation générale de leur industrie pétrolière.

II. Construire un parc nucléaire : un mirage économique ?

C’est ici que l’énergie nucléaire entre en jeu. Puisqu’il est difficile d’augmenter rapidement la production de pétrole, l’Iran cherche à limiter sa consommation propre de manière à dégager des volumes d’exportation plus importants. L’objectif est de construire un parc électrique neuf qui cesse de consommer les ressources pétrolières iraniennes – 70% de l’électricité produite en Iran en dépendent aujourd’hui – et permette d’augmenter les exportations sans attendre une hypothétique mise à niveau des infrastructures d’extraction d’hydrocarbures. La volonté des responsables politiques iraniens de mettre en place une industrie nucléaire dans le pays répond à une certaine logique. Reste à savoir si une telle entreprise est économiquement viable à long terme.

Pour être viable et rentable, la filière nucléaire iranienne doit être autonome et fonctionner en vase clos, sans alourdir la fragile balance commerciale du pays. Pour l’Etat iranien, tout le cycle du combustible devrait donc être géré à l’intérieur des frontières. Les mines des régions de Saghand et Bandar Abbas (respectivement au Sud-Est et au bord du golfe Persique) doivent fournir le minerai nécessaire à la production électrique. L’usine d’Ardakan doit procéder à la transformation de ce minerai, ensuite envoyé à Ispahan pour être converti en hexafluorure d’uranium. Ce concentré doit alors être enrichi à Natanz, au Sud de Téhéran, où 3000 centrifugeuses ont été installées par des entreprises russes à cet effet. Le produit enrichi doit ensuite être ramené à Ispahan où sont finalisées les pastilles de combustibles nécessaires au fonctionnement des centrales. De lourds investissements ont ainsi été consentis pour la création d’une filière nucléaire locale, mais la mise en fonctionnement de cet ensemble n’est pas encore à l’ordre du jour, tant les difficultés techniques rencontrées sont nombreuses.

Carte 2 : Un cycle autonome : les installations nucléaires iraniennes

Le projet a-t-il des chances d’aboutir ? Rien n’est moins sûr. De nombreux doutes planent sur la faisabilité du projet. On connaît les ambivalences du programme nucléaire iranien, qui, s’il ne vise pas nécessairement à la fabrication immédiate de la bombe, a au moins pour objectif de voir reconnaître à l’Iran un « potentiel nucléaire », c’est-à-dire une capacité à produire l’arme atomique rapidement en cas de crise régionale majeure. Cette ambivalence rend très improbable la participation d’entreprises occidentales aux chantiers. Or, comme le faisait remarquait l’ancien directeur du Centre de technologie nucléaire d’Ispahan Reza Khazaneh, « le pays ne pourra pas arriver à des résultats définitifs sans une coopération technique avec des entités industrielles des pays développés ». Du reste, même si cette participation était possible, de nombreux problèmes resteraient irrésolus. Tout d’abord celui des réserves. En dépit d’intenses campagnes de prospection, les réserves minières trouvées ne semblent pouvoir offrir que 1500 tonnes de minerais contenant de 0,05 à 0,20% d’uranium. Par comparaison, c’est quarante fois moins que ce dont la France disposait au moment d’initier son propre programme nucléaire. A terme, aucune industrie d’importance ne pourra donc perdurer sans une importation de minerai. Enfin, même les optimistes prévisions de l’Etat iranien n’escomptent pas obtenir une capacité supérieure 6000 MW d’ici 2020, ce qui signifie que le parc nucléaire ne représenterait, au meilleur des cas, que 12% de la production électrique totale du pays. Bref, il n’y a que très peu de chance pour que la filière nucléaire soit l’eldorado tant attendu apte à redresser les comptes du pays.

III. Développer les ressources gazières, un enjeu économique véritable

C’est ailleurs que se situe l’enjeu énergétique réel de l’Iran. Il repose sans doute dans le développement du secteur gazier, qui semble offrir les possibilités de croissance les plus importantes pour le pays. Bien sûr, les problèmes posés par les sanctions internationales et par le système de « buy-back » sont les mêmes que pour la production pétrolière. Les difficultés liées au marché intérieur sont également comparables puisque, d’après l’Agence Internationale de l’Energie, l’Iran consommait 97% de sa production gazière en 2012. Mais pour ce secteur, les possibilités de croissance sont tout à fait prometteuses. L’accroissement de la production est déjà une réalité, puisque l’Iran produit aujourd’hui 166 milliards de mètres cubes de gaz, contre 82 milliards il y a dix ans. Avec les gisements de Kayyam, Forouz, Kangan et les parties non exploitées du site de North Pars, l’Iran dispose de réserves colossales qui devraient permettre de soutenir cette croissance dans la durée. Enfin, d’un point de vue géostratégique, la proximité de l’Iran avec la Russie – deuxième plus gros producteur mondial de gaz après les Etats-Unis – permet aux deux pays de décider conjointement des orientations économiques à prendre quant à la gestion des ressources gazières sur le long terme. Une position confortable qui contraste avec le retrait de l’Iran dans le système de prise de décision de l’OPEP, dominé par l’Arabie saoudite.

Carte 3 : Un secteur en pleine expansion : l’industrie gazière iranienne

La ressource gazière semble être d’autant plus décisive pour réinsérer l’Iran sur l’échiquier politico-économique international que la part prise par cette ressource dans la consommation mondiale d’énergie ne cesse de croître, au détriment du pétrole. Dans le contexte de la crise ukrainienne, l’Europe elle-même s’est montrée particulièrement intéressée par le gaz iranien. L’attitude des responsables de la République islamique est jusque là restée ambivalente. Hassan Rohani s’est déclaré réservé quant à l’opportunité d’exporter le gaz iranien vers l’Europe, en raison des difficultés posées par la consommation intérieure de gaz, que nous avons soulignées [1]. En même temps, il ne faut pas oublier que le ministre iranien de l’Industrie Mohammed Reza Nematzadeh s’était déclaré favorable à ce développement au mois d’avril 2014 [2]. Dans ce contexte, la réaction du président Rohani doit-elle être interprétée comme une renonciation réelle au marché européen ou plutôt comme une manière de ménager l’allié russe, dont le rôle demeure crucial pour la bonne menée des négociations sur le nucléaire iranien ? Il reste difficile de répondre à la question, mais il est certain que c’est aujourd’hui la promotion du gaz qui constitue l’enjeu énergétique véritable de l’Iran.

Bibliographie :
 Données de l’International Energy Agency, disponibles sur http://www.iea.org/statistics/statisticssearch/report/?country=IRAN&product=oil&year=2012, consulté le 27/04/2014.
 Rapport de l’US Energy Information Administration daté du 21 juillet 2014, disponible sur : http://www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Iran/iran.pdf, consulté le 27/04/2014.
 Dorraj Manochehr et Currier Carrie, « Lubricated with oil : Iran-China Relations in a Changing World », Middle East Policy Council, 2008, 2.
 Khazaneh Reza, « Iran, avancées et maitrise des programmes nucléaires », Politique étrangère, IFRI, 2008, 4, pp. 817-826.
 McDonald Paul. “Oil Production Outlook Means Iran May Need Nuclear Energy”, Petroleum Review, avril 2006.
 Mascré David, « Ressources stratégiques, réserves minières, positionnement géopolitique et géoéconomique. Quelle place pour l’Iran dans le monde de demain ? », Géostratégiques, 2013, 3, pp. 34-66.
 Stern Roger, « The Iranian Petroleum Crisis and United States National Security », disponible sur www.pnas.org_cgi_doi_10.1073_pnas.0603903104, consulté le 27/12/2014.

Notes :

Publié le 02/01/2015


Nicolas Hautemanière est étudiant en master franco-allemand d’histoire à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’Université d’Heidelberg. Il se spécialise dans l’étude des systèmes politiques, des relations internationales et des interactions entre mondes musulman et chrétien du XIVe au XVIe siècle.


Élève à l’École normale supérieure, Corentin Denis s’intéresse à l’histoire et à la géopolitique du Moyen-Orient. Il met en œuvre pour les Clés du Moyen-Orient les méthodes d’analyse et de cartographie employées dans le cadre d’un mémoire de master de géopolitique portant sur l’Océan Indien.


 


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