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Ibn Saoud et la naissance du royaume d’Arabie saoudite (2/2)

Par Yara El Khoury
Publié le 16/06/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 17 minutes

SAUDI ARABIA, RYIADH : Portrait non daté du roi Abdel Aziz ibn Séoud d’Arabie Saoudite, 1er souverain de la dynastie saoudienne.

AFP

Lire la partie 1 :Ibn Saoud et la naissance du royaume d’Arabie saoudite (1/2)

La Première Guerre mondiale – La révolte du Hedjaz contre les Turcs

Dès l’éclatement de la Première Guerre mondiale, Ibn Saoud n’hésitera pas à se rapprocher des Anglais et à recevoir d’eux des aides, tout en expliquant aux Ikhwân réticents que cet argent est comparable à la Jizya que paient les chrétiens en terre d’Islam.

Les deux objectifs primordiaux des Anglais au Moyen-Orient étaient la protection du canal de Suez et le contrôle du Golfe et de l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate afin de sécuriser les champs de pétrole iraniens. Ils vont subir deux grandes défaites, l’une dans le sud de l’Irak et l’autre à Gallipoli.

Quand la guerre éclate, Abdel Aziz tente en vain de convaincre le chérif Hussein, l’émir Saoud Ben Saleh de Ha’il et le cheikh Moubarak du Koweït de prendre ensemble des dispositions en vue de la signature d’un traité avec les grandes puissances qui garantirait le droit des Arabes à l’autodétermination. L’absence de communauté de vues a voué cette initiative à l’échec.

L’Empire ottoman dépêche des émissaires dans le Nedjd afin de demander à Abdel Aziz de l’appuyer. Ce dernier se dérobe sous prétexte qu’il est incapable de tenir tête aux Anglais, promettant toutefois de ne pas empêcher les commerçants du Nedjd de fournir de la nourriture aux troupes turques. Durant la guerre, les caravanes turques ont pu traverser son territoire depuis la Syrie vers le ‘Assir et le Yémen.

En dépit de leur préférence pour une alliance avec le chérif Hussein, les Anglais ne pouvaient ignorer l’importance de la position d’Abdel Aziz au cœur de la péninsule. Ils attendent de lui qu’il paralyse l’action de l’émir de Ha’il qui menace leur armée dans le sud de la Mésopotamie. Fin janvier 1915, une bataille s’engage entre Ibn Saoud et Saoud Ben Saleh. La guerre s’achève sans victoire réelle de l’un des deux camps, ce qui va dissuader l’émir de Riyad pendant deux ou trois ans de s’engager dans de grands conflits.

Un traité est signé le 26 décembre 1915 par Percy Cox et Abdel Aziz, ratifié par le vice-roi des Indes en juillet 1916. Les Anglais s’engagent à protéger les territoires d’Ibn Saoud contre la promesse de ce dernier qu’il aiderait les Alliés et s’abstiendrait d’établir des alliances avec les autres pays sans en aviser l’Angleterre. Le Nedjd va recevoir des subsides mensuels d’une valeur de 5 mille Livres Sterlings et des armes.

Abdel Aziz apprend la nouvelle du déclenchement de la révolte du chérif Hussein par Percy Cox. Les Anglais souhaitent le voir coopérer avec le chérif, ou du moins qu’il n’entrave pas son action. Au lieu de se plier à leur volonté il adopte une attitude ambiguë. Ses troupes attaquent les tribus soumises au chérif Hussein. Lui-même noue des contacts avec le wali ottoman et le commandant en chef des forces turques à Médine. Fin septembre 1916, il envoie une délégation du Nedjd à Damas pour discuter avec les autorités ottomanes de la ville. Mais au mois de novembre, il rend visite aux Anglais à Bassora. De son côté, le chérif Hussein l’invite à se battre à ses côtés contre l’ennemi commun, les Turcs. Abdel Aziz répond positivement, d’une part en raison des pressions anglaises et d’autre part car il a noté que depuis le début de la guerre, les Turcs envoient des armes à l’émirat de Jabal Chammar. Le 20 novembre 1916, à Koweït, Abdel Aziz fait un commentaire élogieux de l’action du chérif Hussein mais ne s’engage à fournir aucune aide. Il assiste à une démonstration d’armements britanniques à Bassora. C’est à cette occasion qu’il voit des avions pour la première fois.

Quand le chérif Hussein s’autoproclame roi des Arabes, Abdel Aziz manifeste sa réprobation et exige que les frontières entre le Hedjaz et le Nedjd soient clairement délimitées, et que soient précisés les liens d’allégeance des tribus frontalières. Les Anglais font des tentatives répétées auprès de lui pour le convaincre d’attaquer Jabal Chammar. Quand il cède enfin, Jérusalem est prise, ce qui rassure les Alliés sur l’issue victorieuse de la guerre ; l’attaque de Jabal Chammar perd de son importance et Abdel Aziz est déçu de ne pas recevoir les armes espérées. Le 5 août 1918, la campagne contre Jabal Chammar débute cependant, avec à sa tête les Ikhwân. A la grande colère d’Ibn Saoud, les Anglais lui ordonnent d’arrêter les opérations car, entretemps, Ha’il avait passé un accord avec le chérif Hussein et Londres ne voulait pas mécontenter leur allié. Abdel Aziz se retire donc, non sans avoir amassé un butin considérable.

Au cours du siège de Médine par les Hachémites qui a lieu entre mars 1917 et octobre 1918, l’émir de l’oasis d’al-Kharma, le chérif Khaled Ben Mansour Ben Lou’ayy est insulté par l’un des cheikhs de la tribu des Otaïba. Au cours du Hajj qui a lieu à l’automne1917, le chérif Khaled établit des contacts avec les pèlerins venus du Nedjd et il adopte le wahhabisme. Dès lors, une rupture intervient entre lui et le chérif Hussein. En 1918, cette rupture prend une tournure guerrière au moment où le chérif Hussein envoie une troupe mettre la main sur l’oasis d’al-Kharma. Abdel Aziz envoie alors des Ikhwân au secours du chérif Khaled et les hommes du chérif Hussein sont tués jusqu’au dernier.

Début juillet 1919, les Anglais ordonnent à Abdel Aziz de retirer ses troupes et de ne pas pousser plus loin son avancée vers le Hedjaz, en attendant que soient délimitées les frontières au cours des négociations de paix. Des avions et des soldats anglais arrivent à Djeddah. Abdel Aziz retourne dans le Nedjd et donne l’ordre aux Ikhwân d’évacuer les oasis. Pour la diplomatie anglaise, Hussein a reçu un coup de semonce important par la défaite cuisante infligée à ses troupes, mais Abdel Aziz ne devait pas non plus avoir une trop grande liberté de manœuvre dans la péninsule. Néanmoins, l’émir avait pu mesurer l’étendue de sa force militaire face à celle du Hedjaz. Pour lui, l’occupation de cette province n’était plus qu’une question de temps.

L’unification de la péninsule arabe autour du Nedjd

A l’heure où s’effondre l’Empire ottoman, cinq Etats princiers indépendants voient le jour dans la péninsule arabe : le Hedjaz, le Yémen, le ‘Assir situé entre les deux, le Nedjd au centre et le Chammar dans le Nord. Ces Etats sont d’importance inégale. Ainsi, le Yémen est le plus peuplé, mais c’est le Hedjaz qui est le plus prestigieux de par la présence des lieux saints de l’Islam. Il est également le plus important politiquement et il jouit d’une certaine visibilité internationale du fait de la révolte arabe déclenchée par le Chérif Hussein en 1916. Quant au Nedjd, il est indéniablement l’Etat le plus puissant sur le plan militaire.

Abel Aziz se rend compte de la modification de la situation survenue du fait de la Première Guerre mondiale. Auparavant, il pouvait jouer sur les rivalités entre l’Empire ottoman et la Grande-Bretagne. Désormais, cette dernière est devenue la seule puissance qui compte dans la région. De son côté, Londres tente d’éviter d’intervenir dans les affaires de la péninsule et de ne plus dépenser de l’argent pour entretenir ses dirigeants.

Les relations entre le Koweït et le Nedjd se détériorent du fait de la montée en puissance d’Abdel Aziz. Les affrontements entre les deux camps augmentent en fréquence et en intensité, à tel point que le Koweït va réclamer une médiation anglaise. Le cheikh Salem Ben Moubarak du Koweït meurt fin février 1920. Les notables épuisés par la guerre choisissent pour lui succéder son neveu, Ahmad Ben Jaber al Sabah, un homme conciliant et prédisposé à dialoguer avec Abdel Aziz. Ce dernier s’était rendu compte que les Anglais n’étaient pas enclins à lui abandonner le Koweït. De toute façon il était lui-même pris dans les préparatifs de la campagne contre Ha’il. Au printemps 1921, une réconciliation intervient entre le Koweït et le Nedjd.

Depuis 1920, l’émirat de Jabal Chammar est gouverné par Abdallah Ben Mot’eb Ben Abdel Aziz. L’émir du Nedjd apprend que de nombreux partisans de la famille du chérif Hussein sont à la cour des Âl Rachid, ce qui est pour lui une menace à l’heure où les Anglais s’apprêtent à placer Fayçal sur le trône d’Irak. Après l’accord intervenu avec le Koweït, il prépare une campagne contre le Jabal Chammar. En avril 1921, les troupes d’Ibn Saoud arrivent sous les murailles de Ha’il où elles installent un siège d’une durée très longue, dans un contexte de sécheresse qui réduit considérablement les réserves alimentaires. Face à l’épuisement des provisions, l’émir Abdallah Ben Mot’eb Ben Abdel Aziz offre de négocier avec Ibn Saoud, mais ce dernier ne veut rien de moins qu’une reddition complète et inconditionnelle. Dans ces conditions, le siège se poursuit et l’émir de Ha’il est démis de ses fonctions par la population et remplacé par Mohammad Ben Talal.

Au même moment, les Anglais placent Fayçal sur le trône d’Irak et son frère Abdallah sur le trône de Transjordanie. Ibn Saoud décide de hâter les choses avant que le Chammar ne lui échappe. Avant de donner un nouvel élan à la campagne, il réunit son conseil et se fait nommer sultan du Nedjd et des territoires rattachés. La campagne reprend de plus belle en août 1921 avec des troupes estimées à 10 000 hommes. Au bout de deux mois, la ville de Ha’il se rend. Mohammad Ben Talal attend en vain du secours de la part des Anglais et de Fayçal d’Irak. Il se rend à condition d’avoir la vie sauve. Il se constitue en prisonnier à Riyad et donne sa fille en mariage à Ibn Saoud. Il mourra assassiné par un de ses esclaves à Riyad en 1954. Il était le dernier émir de Ha’il.

Après la chute du Jabal Chammar, les frontières du Nedjd se retrouvent accolées à trois Etats gouvernés par des membres de la famille hachémite : Hedjaz, Transjordanie et Irak. Comme c’est souvent le cas en Arabie, les frontières qui les séparent ne sont pas entièrement délimitées. D’ailleurs, les déplacements des tribus se faisaient dans l’ignorance totale du principe même de frontières. Après des incidents répétés entre les tribus appuyées par Riyad et les nouvelles autorités irakiennes, les Anglais font signer le traité de Mouhammara le 5 mai 1922 qui répartit les tribus entre le Nedjd et l’Irak. Mais Abdel Aziz refuse de signer le texte, sous prétexte que certaines tribus se sont mises sous sa protection.

A partir de juin 1922, les Ikhwân entreprennent de conquérir les unes après les autres les oasis du nord-ouest de la péninsule, en direction de la Transjordanie. Très vite, ils arrivent aux portes d’Amman au moment où les troupes du Nedjd avancent vers la Syrie sous mandat français. Réagissant à cette menace directe, les Anglais mandatent Percy Cox de trouver une issue à l’épineux problème de la délimitation des frontières. Des réunions qu’il tient avec Abdel Aziz vont sortir les protocoles d’al-‘Aqir qui serviront d’annexes au traité de Mouhammara. Ces textes précisent le tracé des frontières entre le Nedjd et l’Irak, tout en préservant la liberté de circulation des tribus qui se voient attribuer des zones-tampons et des puits dont elles peuvent disposer, mais pas dans des buts guerriers. Les frontières avec le Koweït sont également délimitées. Mais, comme les tribus n’ont pas été consultées, les incidents frontaliers continuent de se produire pendant longtemps. Par ailleurs, les frontières avec la Transjordanie n’avaient pas fait l’objet d’un accord. Début 1923, un groupe d’Ikhwân lance une attaque contre le royaume ; ils sont pris et exécutés à Amman.

A l’initiative de la Grande-Bretagne, une rencontre est organisée au Koweït en décembre 1923 entre les représentants de Transjordanie, d’Irak et du Nedjd pour faire une tentative de conciliation, mais sans résultats. Une réunion se tient à nouveau en mars-avril 1924 mais n’aboutit à rien non plus. L’armée britannique doit user de tous ses moyens pour éloigner les Ikhwân qui au mois d’août font une percée au cœur du territoire de Transjordanie.

La conquête du Hedjaz

L’objectif principal d’Abdel Aziz est la conquête du Hedjaz, pour des raisons religieuses, mais aussi financières liées aux rentrées du pèlerinage et aux taxes douanières du port de Djeddah. Comme ses troupes entreprennent sans succès au mois de mai 1920 la conquête du ‘Assir, dans le sud-ouest de la péninsule, le chérif Hussein interdit aux habitants du Nedjd d’accomplir le Hajj. Suite aux protestations qui remontent jusqu’à Percy Cox, il les autorisera à venir à La Mecque l’année suivante, en posant toutefois des restrictions, de peur de voir déferler les Ikhwân sur le Hedjaz.

Le ‘Assir tombe aux mains d’Abdel Aziz à la fin de l’année 1922, à l’issue d’une campagne commandée par son fils, le futur roi Fayçal, né en 1906. Le Hedjaz apparaît alors comme l’étape suivante, mais Abdel Aziz hésite quelque peu, connaissant l’attitude des Anglais qui l’avaient auparavant obligé à se retirer avec ses troupes. Pourtant, les choses sont au plus mal au Hedjaz. La population accuse le chérif Hussein de mauvaise gestion et se plaint des impôts de plus en plus lourds. Les pèlerins qui viennent d’Egypte et d’Inde se plaignent de la mauvaise qualité des services médicaux dans les villes saintes. Sur le plan international, les relations entre le chérif Hussein et les Anglais se sont considérablement détériorées depuis le refus du premier de reconnaître les dispositions prises lors de la conférence de San Remo qui a établi les mandats français et anglais au Levant. En 1921, le colonel Lawrence porte au chérif un projet de traité avec l’Angleterre qui lui accorde des aides, notamment militaires, contre une reconnaissance de sa part des intérêts de Londres au Hedjaz. Le chérif Hussein refuse. Pourtant, la montée en puissance du chef du Nedjd l’inquiète. Pour se protéger il tente la voie de la négociation avec les Anglais. Mais leurs discussions qui s’étendent de 1921 à 1924 achoppent sur la volonté des Anglais de lui faire reconnaître leur mandat sur la Palestine où s’appliquerait la déclaration Balfour.

En 1924, Mustafa Kemal abolit le califat en Turquie. Hussein se proclame alors calife et reçoit l’appui des autorités religieuses du Hedjaz, de Palestine, Transjordanie et Irak, de la seule famille hachémite donc. Mais le reste du monde musulman et l’Angleterre s’opposent à une décision jugée hâtive. Abdel Aziz Âl Saoud en profite pour organiser avec les Ikwân la campagne de conquête du Hedjaz.

Le 5 septembre 1924, les Ikhwân entrent à Taëf où ils se livrent à des exactions d’une telle ampleur qu’Ibn Saoud s’engage personnellement à préserver la sécurité et les biens des habitants du Hedjaz. Suite à la demande des notables de la province, Hussein abdique en faveur de son fils Ali qui est intronisé roi du Hedjaz le 6 octobre 1924. Un Conseil national est mis en place, qui initie une monarchie constitutionnelle. Le chérif Hussein part à Djeddah, puis à Aqaba d’où les Anglais le conduisent à Chypre.

L’abdication d’Hussein ne donne pas satisfaction à Abdel Aziz. Le 13 octobre 1924, La Mecque est occupée par les Ikhwân qui entrent dans la ville fusils tournés vers le sol, dans une intention pacifique clairement affichée. Abdel Aziz a choisi de rester à Riyad dans l’attente d’une réaction éventuelle de la part des Anglais.

Khaled Ben Lou’ayy est nommé émir de La Mecque. Les représentants des puissances étrangères en poste au Hedjaz lui envoient des messages l’assurant de la neutralité de leurs gouvernements et lui demandant de protéger leurs ressortissants. A la demande des notables, Ali renonce au trône en octobre 1924 et le conseil national prononce sa propre dissolution.

Mais Abdel Aziz ne veut rien de moins que l’éviction de la famille hachémite. Fin octobre 1924, il quitte Riyad à la tête d’une armée de cinq mille hommes. Redoutant une réaction anglaise, il progresse lentement et met trois semaines pour couvrir la distance qui le sépare de La Mecque. Mais les dépêches diplomatiques qui arrivent les unes après les autres le rassurent sur la décision prise par les puissances de ne pas intervenir. Le 5 décembre, il fait son entrée à La Mecque. Dans un communiqué publié dans la presse, il s’engage à purifier les villes saintes de toutes les pratiques qui les ont souillées et appelle les musulmans du monde à envoyer des délégations à La Mecque pour y tenir un congrès islamique qui décidera du type de gouvernement qui devra y être mis en place. Le congrès n’aura pas lieu ; en décembre 1924, Ibn Saoud fait élire un conseil de onze membres à La Mecque.

Le 5 janvier 1925, les troupes d’Ikhwân mettent le siège devant Djeddah suite au lancement de tracts au-dessus de La Mecque par Ali Ben Hussein. Ce dernier résiste jusqu’au mois de décembre, avec ses propres troupes et des groupes de combattants venus de Syrie, Palestine, Yémen et Egypte. En revanche, Ali ne reçoit aucune aide des monarchies d’Irak et de Transjordanie gouvernées par ses frères. Le roi Abdallah a même accepté que son père le chérif Hussein soit évacué d’Aqaba vers Chypre, afin d’ôter à Ibn Saoud un prétexte pour envahir son royaume. Durant toute cette période, il apparaît clairement que l’Angleterre a décidé de ne pas entraver l’action de l’émir du Nedjd. Ce dernier, reconnaissant à l’égard de cet assentiment tacite, ordonne à ses troupes de cesser toute incursion vers le nord, aux confins des territoires sous mandat anglais.

En octobre 1925, le colonel britannique Clayton arrive au quartier général d’Abdel Aziz dans le Hedjaz. De leurs pourparlers sortiront les traités de Bahra et Hidda, signés les 1er et 2 novembre 1925. Le premier règle les problèmes frontaliers entre l’Irak et le Nedjd, chaque partie s’engageant à sévir contre les tribus qui font des razzias sur le territoire de l’autre. Des tribunaux seront mis en place à cet effet. Chaque tribu doit disposer d’un permis l’autorisant à traverser les frontières. Le second traité applique les mêmes dispositions aux relations entre le Nedjd et la Transjordanie. Ibn Saoud cède au petit royaume hachémite le passage dans la steppe qui le relie à l’Irak. L’accord comporte aussi l’interdiction de tout prosélytisme venant de l’un ou l’autre pays.

A Djeddah toujours assiégée, Ali comprend que ses frères tiennent à leurs trônes beaucoup plus qu’à lui et il se met en devoir de négocier avec les Anglais les conditions de sa capitulation. Il quitte sain et sauf la cité portuaire qui se rend le 22 décembre 1925. Médine s’était rendue à Ibn Saoud le 6, suivant les conditions posées par ses habitants qui avaient refusé que les Ikhwân entrent dans leur ville. C’est donc Mohammad, le fils d’Abdel Aziz qui ira prier dans la mosquée du Prophète. La veille de la reddition de Djeddah, les notables, les habitants et les pèlerins de La Mecque font solennellement allégeance à Ibn Saoud. Il devient dès lors roi du Hedjaz et sultan du Nedjd.

Craignant de voir les bédouins du Nedjd dominer le Hedjaz plus développé, cinquante-six délégués de l’aristocratie locale, des oulémas et des commerçants créent un « conseil institutionnel » qui décide que le Hedjaz doit rester indépendant du Nedjd, et que les deux provinces ne seraient unies que par la personne du roi. Le conseil institutionnel ne fera pas long feu. Par décret royal, des conseils sont créés en 1926 à La Mecque, Médine, Yanbou et Taëf. Ils deviendront par la suite des conseils municipaux. Un organisme consultatif est aussi créé, qui comprend 13 personnes. Il assiste le vice-roi du Hedjaz, le futur roi Fayçal nommé par son père à cette haute dignité.

Ibn Saoud se devait encore obtenir la reconnaissance des chefs d’Etats musulmans. Il leur adresse des courriers dans lesquels il proclame son intention de veiller à l’entretien des lieux saints et à la bonne marche du pèlerinage. Un congrès islamique se tient à La Mecque en juin 1926, avec 69 délégués venus d’Inde, Egypte, URSS, Java, Palestine, Liban, Syrie, Soudan, Nedjd, Hedjaz, ‘Assir, Afghanistan, Yémen et autres. Les personnes réunies ne purent que prendre acte de la détermination d’Ibn Saoud à être le maître des lieux saints. Certaines délégations se retirèrent, et celles qui choisirent de rester ne purent que reconnaître à Abel Aziz son nouveau statut de « protecteur des Lieux Saints ». L’acquisition du Hedjaz lui confère une aura religieuse certaine, mais aussi des rentrées pour son Trésor. Le Hajj génère en effet près de deux millions de Livres Sterling par an.

La fin de la confrérie des Ikhwân

Les religieux fondamentalistes sont opposés aux nouvelles technologies qui font leur entrée dans la péninsule arabe. Ils seront obligés néanmoins d’accepter les voitures, les avions, le téléphone, l’électricité, la radio…

Les Ikhwân détruisent le patrimoine religieux et historique du Hedjaz et s’en prennent aux habitants, dans une nouvelle manifestation de l’opposition entre nomades et sédentaires. Ils attaquent les pèlerins et les musulmans qui travaillent auprès des représentations diplomatiques étrangères. Un incident se produit en 1926 avec les pèlerins égyptiens à cause de la musique qui accompagnait leur convoi. Vingt-cinq Ikhwân sont tués sans que le roi ne prenne de mesures trop sévères à l’encontre des coupables.

Mais, pour ne pas s’aliéner la puissante confrérie, Ibn Saoud radicalise sa politique religieuse dans le sens du wahhabisme le plus strict. Il crée en 1926 le groupe Jama’a dont le rôle est d’ordonner le Convenable et d’interdire le Blâmable, comme le recommande une prescription coranique, sous la supervision d’oulémas de la famille al Cheikh. Les Ikhwân ont désormais la tâche d’informer cette nouvelle institution de tous les manquements à la loi islamique mais ils n’ont plus le droit de décider des peines et de les appliquer. Des commissions sont mises en place, véritable police religieuse qui agit sous la supervision de la direction de la police. L’expérience circonscrite au départ au Hedjaz est appliquée à Riyad à partir de 1929, toujours dans l’objectif de dessaisir les Ikhwân du pouvoir de contrôler la population.

Une lutte ouverte va néanmoins avoir lieu entre le roi et les Ikhwân. Ces derniers nourrissent beaucoup de griefs contre lui : sa coopération avec les Anglais, l’arrêt des razzias vers l’Irak et la Transjordanie qui les prive de leurs ressources principales, leur mise à l’écart du gouvernement du Hedjaz, l’introduction du télégraphe, du téléphone et de la voiture, la tolérance envers les chiites de l’Ihsa’a… Les Ikhwân étaient devenus peu après leur fondation une sorte de guilde des chefs de tribus ; ce sont ces derniers qui déclenchent le conflit contre Abdel Aziz, afin de récupérer leur pouvoir perdu. Leur fronde rassemble un grand nombre de tribus qui vivent dans des territoires situés autour de Riyad. Certaines tribus parmi les plus importantes resteront cependant loyales à Abdel Aziz, comme la grande tribu d’Anza, la tribu Harb et une grande partie de Chammar. C’est justement le fait que cette fronde n’était pas globale qui a préservé le pouvoir saoudien de la chute.

Sentant venir la révolte, Abdel Aziz quitte le Hedjaz et retourne dans sa capitale, Riyad, en janvier 1927. En un premier temps il négocie avec les Ikhwân, accepte de réduire les impôts mais refuse net de bannir les nouvelles technologies, et parvient à se faire nommer « roi du Hedjaz, du Nedjd et des territoires annexes ». Pour les Anglais, il est le seul interlocuteur dont ils reconnaissent la légitimité en Arabie. Le 10 mai 1927, le traité de Djeddah entérine la nouvelle cartographie politique dessinée par le chef du Nedjd.

Incapables d’affronter Ibn Saoud directement, les Ikhwân choisissent de porter leurs attaques contre l’Irak sous prétexte que ces habitants sont chiites. La mise en place d’un poste de contrôle à la frontière leur fournit le prétexte pour déclencher les hostilités sans qu’Abdel Aziz puisse les en empêcher. L’aviation britannique se chargera de mener la riposte, tout en continuant à fournir armes et munitions au roi. Ce dernier est dans une situation très délicate : il ne veut pas reconnaître devant les puissances son incapacité à contrôler ses sujets, et en prétendant les contrôler, il porte la responsabilité du déclenchement des hostilités contre l’Irak. Il choisit l’attentisme, tout en poursuivant les rencontres avec les Ikhwân d’une part, les Anglais de l’autre. Il réunit les représentants des différents groupes qui constituent la société saoudienne le 6 décembre 1926 et offre de renoncer au pouvoir à condition que les notables choisissent un membre des Âl Saoud pour lui succéder. Les personnalités présentes protestent énergiquement contre cette proposition et refont allégeance au roi. Les chefs de la fonde étaient absents ; ils se targuaient de représenter le véritable Islam face à Ibn Saoud qui, à leurs yeux, se fourvoyait avec les Anglais.

Après une attaque des Ikhwân contre les habitants du Nedjd, le roi lance une campagne punitive qui débute au mois de mars 1929. Un des chefs de la fronde, Fayçal el Douwaysh, est grièvement blessé ; il envoie ses femmes à Ibn Saoud pour lui demander sa grâce. D’autres responsables du mouvement sont faits prisonniers. Croyant la révolte terminée, Ibn Saoud effectue le pèlerinage au début de l’été 1929.

La seconde fronde éclate peu après. Elle prend les allures d’une vraie guerre civile. Ibn Saoud met les Ikhwân en déroute en octobre 1929. De nombreux chefs de la confrérie tentent de se réfugier en Irak ou dans le Koweït voisins d’où ils sont refoulés en Arabie par les troupes britanniques. Le roi sévit contre eux et les désarme au profit des tribus qui lui étaient restées loyales. Fayçal el Douwaysh parvient à passer au Koweït où il se rend aux Anglais en janvier 1930.

Le roi Fayçal d’Irak voulait accorder aux chefs en fuite l’asile politique mais les Anglais et Abdel Aziz ne l’entendaient pas ainsi. Les chefs de la fronde sont remis à Ibn Saoud le 27 janvier 1930. Ayant persisté dans son refus de reconnaître ses torts, Fayçal el Douwaysh meurt dans la prison de Riyad le 3 octobre 1931. Ainsi se termine le mouvement des Ikhwân et les tribus de bédouins se retrouvent définitivement sous la coupe des sédentaires et du roi.

La proclamation du royaume d’Arabie saoudite

Le 20 février 1930, à bord d’un bâtiment de guerre britannique Ibn Saoud et Fayçal d’Irak se réconcilient et concluent un traité d’amitié et de bon voisinage. Le pragmatisme prend le dessus, au détriment des prétentions de la famille hachémite sur le Hedjaz.

Le 18 septembre 1932, le roi Abdel Aziz décide par ordre royal que l’Etat qui a vu le jour sera appelé Royaume d’Arabie saoudite. Il est proclamé le 23 septembre 1932. Le conseil des ministres qui a été créé en décembre 1931 est chargé de définir le système politique et le mode de transmission du pouvoir. En 1933, le prince Saoud est désigné héritier du trône.

Le fondateur du royaume d’Arabie saoudite meurt en 1953. Lui succèderont ses fils, tous demi-frères. Ce seront les rois Saoud, Fayçal, Khaled, Fahd et le roi actuel Abdallah Ben Abdel Aziz.

Publié le 16/06/2014


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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