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Icônes arabes, art chrétien du Levant

Par Sixtine de Thé
Publié le 26/07/2012 • modifié le 02/10/2015 • Durée de lecture : 6 minutes

Si le titre de l’exposition paraissait - à dessein - paradoxal, c’est sans doute parce que l’on associe trop souvent les notions d’arabe et d’islamique. Or il convient de rappeler que le Levant [1] est aussi le berceau du christianisme, et que plus d’une vingtaine de cultes s’y retrouvent, jusqu’à aujourd’hui : maronite, orthodoxe, nestorien, arménien, melkite… L’historiographie traditionnelle distingue généralement deux périodes importantes pour l’histoire des Chrétiens d’Orient, deux âges d’or : un premier sous le califat abbasside, un autre sous l’Empire ottoman (à partir du XVIe siècle). La première période avait vu s’épanouir des églises schismatiques, rejetées par Byzance. Et si ces églises offrent des expressions artistiques et spirituelles si singulières, c’est aussi grâce à leur libération de la tutelle de Constantinople, encouragée par l’Islam. Au IXe siècle, la philosophe aristotélicienne s’était répandue à Bagdad par l’intermédiaire des traducteurs chrétiens (qui traduisaient du grec vers le syriaque, puis du syriaque vers l’arabe). Mais c’est surtout au XVIe siècle que ces communautés chrétiennes d’Orient connurent un renouveau culturel. Qu’est-ce qui explique un tel renouveau, une telle vigueur artistique à cette époque chez les Chrétiens d’Orient ? Pourquoi et selon quelles modalités la domination ottomane a-t-elle constitué une forme de libération artistique et comment a-t-elle révélé les diverses influences qui se jouent dans ces objets de culte ?

Un renouveau culturel

On constate dès le XVIe siècle un essor général dans tous les domaines - économie, art, démographie - qui gagne aussi les communautés chrétiennes. Après plusieurs siècles de déclin économique et culturel pour ces dernières, cette renaissance a surtout pour cause et pour structure l’Empire ottoman (pluriethnique, mais turc). « La masse des chrétiens paie la dîme à l’agha, la capitation de l’Etat, des taxes sur toutes les activités lucratives, bénéficie d’une justice rapide et d’une tranquillité ignorée depuis longtemps en Orient, et reste soumise à l’organisation religieuse traditionnelle. L’Eglise grecque a profité de l’appui du Sultan pour étendre son autorité sur l’ensemble des orthodoxes des Balkans. (…) La prospérité due aux conquêtes et à une exploitation assez rationnelle des richesses du pays contribue au développement d’une civilisation brillante [2]. » A partir de 1516-1517, les « Chrétiens de l’Islam » se retrouvent sous la tutelle de Constantinople, après sept siècles hors du territoire byzantin. Cette tutelle fut très importante pour l’organisation des églises d’Orient. Les Ottomans demandèrent en effet aux Grecs-orthodoxes de gérer les autres communautés chrétiennes, à l’exception des Arméniens et des Maronites.

Ainsi les chrétiens d’Orient profitent-ils du renouveau proposé par l’Empire ottoman, tout en consolidant leur singularité. A cette époque, l’Empire ottoman a de multiples contacts avec l’Europe, et les chrétiens profitent de cette ouverture. On assiste alors à une sorte de mixité nouvelle entre les différentes communautés : les Melkites rencontrent les Grecs orthodoxes et fréquentent les hauts lieux du christianisme orthodoxe, les Maronites se rendent à Rome. L’Eglise de Rome décide que ses missionnaires enseigneront la foi catholique en arabe, par la création d’écoles, surtout au Mont-Liban qui échappe à la pression ottomane. Mais on constate cependant au fur et à mesure une latinisation des églises orientales, ce qui en modifie les structures à la fois liturgique, ecclésiastique et socio-culturelle. On assiste en effet à la création de nouveaux ordres monastiques. Or, ces derniers diffèrent par leur structure de l’organisation féodale qui prévalait dans les montagnes, fondées sur l’union derrière le patriarche. Ainsi, toutes ces conditions permettent un renouveau culturel et l’apparition de nouvelles formes d’art qui, tout en se fondant sur les bases de traditions très anciennes, ont su ouvrir la voie à des créations originales.

Icônes : art et liturgie

« Ce que la Bible est aux gens instruits, l’icône l’est pour les analphabètes, et ce que la parole est à l’ouïe, l’icône l’est à la vue [3] »
L’icône a chez les chrétiens d’Orient une place très différente que chez les chrétiens d’Europe. Primordiale d’un point de vue liturgique, on la trouve dans les maisons, en grand nombre, aux carrefours. Elles ne représentent pas seulement des œuvres d’art, elles sont même encensées dans les rites orientaux. « Alors que l’église d’Orient fait de l’image un signe de l’incréé et une participation au divin, l’église d’Occident semble ignorer l’enjeu du culte des images saintes. » D’où l’exigence imposée dans la lecture des ces images que l’on ne peut aborder de manière exclusivement esthétique : une lecture religieuse est essentielle, éclairée par une connaissance des rites, des cultes, des fois et de leurs évolutions dues aux rencontres avec les autres religions. Une lecture historique de ces images est alors essentielle, et c’est ce que cette exposition voulait faire saisir à travers sa démarche explicative. Mais il ne faut pas oublier non plus toute leur dimension mystique : « Figurative mais non naturaliste, l’image obéit à un réalisme symbolique propre à l’Eglise d’Orient. L’art sacré des icônes cherche à incarner le visible de l’invisible. Les artistes sont des « thésaurophylaques » gardiens inspirés du Trésor divin et l’icône, elle-même, est « pneumatophore », porteuse de l’Esprit. Le lien entre icône et liturgie se fonde sur la prière. Celle-ci permet, par un dialogue avec Dieu, de rétablir la communication avec le créateur. L’icône sert à la prière en manifestant la présence des personnes auxquelles s’adressent les fidèles. Elle révèle également le résultat de cette prière en figurant les corps spirituels des saints qui, par l’ascèse, sont parvenus à la vie divine [4]. »

On peut mieux comprendre ce lien étroit entre les icônes et la liturgie grâce à la place et à la représentation liée à l’iconostase. Cette cloison sépare les fidèles (dans la nef) du clergé (dans le sanctuaire, espace qui leur est réservé). Et c’est sur l’iconostase qu’apparaissent les icônes dès le Moyen Age, ainsi étaient-elles offertes à la vénération des fidèles. L’organisation des icônes sur l’iconostase se comprend selon un principe réflexif dont la représentation-présence du Christ est le centre : sur la partie centrale sont représentés le Christ en majesté, la Vierge et Saint Jean-Baptiste, ces deux derniers tournés vers le Christ en signe de vénération. On trouve de même sur les portes la Vierge et les Saints tournés vers le Christ, récapitulant ainsi l’acte liturgique qui conduit les fidèles vers le trône divin.

La dernière floraison des icônes

Si l’art des icônes est un art typiquement orthodoxe, il connaît un essor particulier au Levant à la fin du XVIe siècle. Et c’est précisément à Alep que naissent des écoles et des dynasties d’artistes chrétiens, enlumineurs, peintres d’icônes, miniaturistes. On peut prendre comme exemple la dynastie la plus fameuse parmi celles qui s’y sont succédées, la famille Moussawir, dont les membres furent artistes sur quatre générations, à Alep. Mais la création artistique ne se concentre pas exclusivement à Alep, on en trouve aussi à Beyrouth, à Saïda, à Jérusalem, à Damas, ainsi que dans certains monastères. De plus, les artistes circulent d’un lieu à un autre, et les miniaturistes et peintres d’icônes fréquentent le même entourage d’un patriarche, par exemple. Ainsi Euthyme Saïfi, archevêque melkite de Tyr et de Sidon, était entouré d’une cour d’artistes.
Le Levant est comme on l’a dit un carrefour de traditions : grecque, byzantine, sassanide, ottomane, occidentale. L’art chrétien participe donc de ce syncrétisme et emprunte à ces différentes traditions styles, thèmes, techniques. S’inscrivant pour la plupart dans ce qu’on appelle l’art post-byzantin, les artistes respectent pourtant la tradition byzantine, malgré leur nouvelle liberté créatrice. Mêlant les diverses influences, ils parviennent à des œuvres originales : dans certaines icônes, le Christ de la Communion a une posture typiquement arabe : assis de face, les jambes écartées. Ou encore, dans ces œuvres chrétiennes, les tapis sont peints avec les bords relevés, c’est-à-dire à la manière des miniaturistes musulmans. Et de même, il est parfois difficile de différencier une icône catholique d’une icône orthodoxe, tant les styles en sont venus à se ressembler. La plupart des icônes mêlent le modèle byzantin avec une franche originalité.

Ainsi on a pu voir que le cas particulier des icônes arabes posait plusieurs questions sur la fabrication de l’image et son statut, et cristallisait à bien des égards les relations entre les différentes communautés, ainsi que la prédominance des certaines traditions (byzantines). Mais si les XVI et XVIIe siècles connurent cette floraison des icônes et l’expansion culturelle des communauté chrétiennes du Levant, on constate que, vers la fin du XVIIIe, les artistes s’éloignent de plus en plus de la tradition. D’une manifestation du divin, l’icône devient objet populaire dénaturé de sa valeur spirituelle première.

Publié le 26/07/2012


Normalienne, Sixtine de Thé étudie l’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et à l’Ecole du Louvre. Elle s’intéresse particulièrement aux interactions entre l’Orient et l’Occident et leurs conséquences sur la création artistique.


 


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