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« L’Orient-Express est avant tout un moyen de se rapprocher. Devant ce progrès qui roule, la Terre se rétrécit » [Georges Boyer, 1883]
L’Orient Express fait une halte pour quelques mois sur le parvis de l’Institut du Monde Arabe à Paris, avant d’entamer un tour de l’Europe des musées. Autour de cet événement exceptionnel voulu par Jack Lang, nouveau Président de l’Institut du Monde Arabe, il s’agit de faire découvrir les secrets et les fantasmes créés autour de ce monument ferroviaire. Conçue avec l’appui de la SNCF, cette manifestation se déroule en deux temps. D’une part, il s’agit pour le visiteur de monter à bord des wagons mythiques de l’Orient Express pour en découvrir le luxueux intérieur et imaginer la vie des voyageurs qui l’ont occupé le temps d’un voyage. D’autre part, l’exposition au sein même de l’Institut, plus « classique », nous invite à un retour aux sources pour mieux comprendre ce qu’était et ce que représentait ce train, ainsi que ce qui l’a rendu mythique : malles de voyage, menus de restaurant, affiches, documents de voyage, etc. constituent le gros de l’exposition, accompagnés d’un diaporama fait d’images documentaires, de bandes actuelles mais aussi puisées dans la filmographie de l’Orient Express. En plus de cette partie très réaliste, une importance section de l’exposition est consacrée à la rencontre Orient-Occident que l’Orient Express a pu concrétiser, confrontant ainsi l’imaginaire occidental à la réalité orientale, mais qui a aussi permis aux voyageurs de l’Orient de connaître et de fréquenter une Europe qui leur était jusqu’alors difficilement visible, voire inconnue. En marge de l’exposition, l’équipe de l’IMA organise un cycle de conférences (colloques d’historiens et de politologues, débats, rencontres littéraires), ainsi qu’un ciné-club permettant de découvrir ou redécouvrir la riche filmographie qu’a nourri l’Orient Express. Mais quel est donc ce train si mythique ? Et pourquoi sa légende a-t-elle traversé les époques ?
L’Orient-Express provient tout droit de l’imagination d’un ingénieur belge, Georges Nagelmackers, qui dans les années 1870, imagine un train reliant l’Europe à Constantinople. Le cheminement est long et complexe, puisque l’Europe n’étant pas unifiée, une entreprise conjointe est difficilement réalisable. Ainsi, la guerre de 1870-1871 entre la France et l’Allemagne contrarie ses projets, mais avec le soutien de Léopold II, roi des Belges, Nagelmackers parvient à faire circuler les premiers wagons-lits entre Paris et Vienne, en 1872, puis ouvre un an plus tard une liaison entre Paris et Berlin. En 1876, il crée la Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens, et commence à échafauder l’idée d’un parcours à travers l’Europe en direction de la plus fascinante des capitales, Constantinople. Novateur au plus haut point, le train imaginé par Nagelmackers est à la fois une prouesse technique, une entreprise folle, une fenêtre ouverte sur le rêve, mais aussi un pied dans un monde nouveau.
C’est le 4 octobre 1883 que l’« Express Orient » effectue son premier voyage. Parti sous les applaudissements de centaines de personnes, le train quitte la gare de Strasbourg (ancien nom de Gare de l’Est) pour traverser l’Europe jusqu’à Bucarest, emprunter un bac sur le Danube, rejoindre un autre train en Bulgarie pour gagner les bords de la Mer Noire, et enfin de rejoindre l’Espero pour rentrer dans la capitale de l’Empire ottoman, Constantinople. Ce voyage, par sa rapidité (moins de quatre jours), est retentissant et marque les esprits. La légende était née, celle d’un train que le monde entier viendra à nommer « L’Orient-Express ».
Plus qu’un simple train, l’Orient-Express a été le vecteur d’un véritable changement, tant au niveau des mœurs qu’à celui des perceptions de l’Autre.
La recherche de la différence culturelle est clairement exprimée autour de ce train, et mise en valeur dans cette exposition. En effet, l’Orient-Express est ce symbole fort d’une confrontation à l’Autre, tant physique que mentale : les gens se rencontrent au détour de ses wagons, discutent, échangent chacun sur leurs cultures. L’Orient Express, finalement, satisfait une curiosité culturelle qui pousse les voyageurs à s’interroger. La vision fantasmée du Levant ne prend pas fin avec l’accès à ce monde : la majorité des voyageurs qui peuvent désormais constater la réalité de l’Orient prennent le parti de l’ignorer, et le fantasme est ainsi préféré à la réalité. D’ailleurs, parmi les nombreux surnoms de l’Orient-Express, celui de « tapis magique » est significatif : ce train est perçu comme véritable vecteur de fantasmes. Cependant, l’influence mutuelle sur les deux cultures qu’a apporté l’Orient-Express dans son sillon est considérable. De fait, les Occidentaux déterminent leur identité d’après le regard des Orientaux, et vice-versa, puisqu’avec l’arrivée de l’Orient Express, l’Occident s’insère à Constantinople et tend à influencer les modes de vie de la cité. Ainsi, l’électricité qui jusqu’alors était interdite parce que considérée comme dangereuse pour la sécurité de la ville, est désormais autorisée, et notamment dans les hôtels que dessert l’Orient-Express. Ces deux parties du monde que tout semblait opposer « ne furent pas des mondes séparés, repliés sur eux-mêmes, imperméables l’un à l’autre, en témoigne l’Orient-Express qui a su relier, concrètement aussi bien que mentalement, les pays européens à Constantinople [2] »
De la même manière que l’Orient-Express a facilité les échanges entre Orient et Occident, il a permis aux femmes d’acquérir plus d’autonomie en étant actrices d’un itinéraire, celui de leurs vies. Tout d’abord, ce train, en mêlant espace public (par le biais d’un transport en commun) et privé (en fermant ses compartiments), participe à l’évolution de la notion d’intimité dans les sociétés européennes d’alors. En effet, Nagelmackers a l’idée d’inventer un compartiment réservé aux dames, ce qui constitue une avancée phénoménale. Les femmes peuvent voyager en toute tranquillité, ainsi que jouir de leur intimité nouvellement acquise. Cette possibilité donnée aux femmes de voyager seule leur permet d’acquérir une forme d’indépendance. Un article de 1906 décrit cet impact du train sur l’émancipation des femmes : « La femme aime de plus en plus les voyages qui satisfont le besoin d’indépendance que lui donne l’émancipation moderne. Au XXe siècle, elle sait voyager, et elle sait voyager seule [3]. A cette autonomie véhiculée par le train s’ajoute la rencontre entre femmes d’Europe et d’Orient ; rencontre qui a aidé au dialogue sur la condition féminine et à la diffusion d’une cause féministe au-delà de toutes frontières, réelles ou imaginées.
C’est tout ce progrès, cet esprit novateur, ce questionnement à l’Autre, cette remise en cause des mœurs, qui ont permis de forger une identité à part entière à l’Orient Express, et à en faire un train au-dessus des autres, un train mythique.
L’Orient Express, dès sa mise en fonction, a un véritable impact sur l’imaginaire collectif, par les voyageurs qui le fréquentent, par les légendes qui le traversent. Au fil des lettres, documents, récits de voyages exposés dans les malles de l’IMA, c’est cet Orient-Express mythique que l’on découvre. En son temps, parmi les personnalités qui rêvent à son bord, on trouve par exemple le roi Ferdinand de Bulgarie, l’écrivain russe Léon Tolstoï, ou bien encore l’actrice américaine Marlene Dietrich qui en fera son train de prédilection. L’aventure y a aussi sa place puisqu’il est emprunté par des figures telles que Lawrence d’Arabie ou l’espionne Mata-Hari. Mais le véritable mythe autour de l’Orient-Express se construit plus tard, à travers la littérature tout d’abord, puis au cinéma. De nombreux auteurs y trouvent l’inspiration, ou en font l’objet, le décor de leurs histoires. Agatha Christie, avec le désormais célèbre Le crime de l’Orient-Express, immortalise le train comme monument narratif. Le cinéma s’en empare très vite et Sydney Lumet, qui en fait l’adaptation, y fait voyager des acteurs tels que Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Sean Connery ou encore Anthony Perkins. Cette escapade cinématographique ne saurait être complète sans l’évocation au film Bons Baisers de Russie (1963), dans lequel James Bond consacre l’Orient-Express. Ce pan artistique lié à l’Orient-Express est narré avec soin dans l’exposition, et les conférences qui l’accompagnent en feront découvrir plus aux visiteurs.
« L’Orient-Express concourt activement à la construction d’un monde nouveau puisqu’il offre à ses contemporains la perspective de la modernité, reconfigurant leur rapport à l’espace et au temps. L’Orient-Express n’es donc pas le simple produit de son époque, il participe à sa création, il ‘fait’ son époque en étant porteur d’une multitude de changements collectivement fantasmés et, pour certains, concrètement réalisés [4] ». Train légendaire, histoire mythique, traversée novatrice : l’Orient-Express a su créer un monde, a su en relier d’autres, et c’est ce que montre très habilement et très justement cette exposition à l’Institut du Monde Arabe, unique en son genre.
Informations sur l’exposition :
http://www.imarabe.org/activites-evenements/collections-expositions/expositions/orient-express
Institut du Monde Arabe - 1, rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris
Quand : Du 4 avril au 31 août
Où : Niveaux -1, -2 et parvis
Combien : De 8.50 € à 10.50 €, hors frais de réservation (gratuit - de 16 ans)
Bibliographie :
– « Orient-Express, un billet pour le rêve », Le Monde, 7 avril 2014
– « Orient-Express, ces écrivains transportés », Le Monde, 7 avril 2014
– HANI, Meryem, L’Orient-Express, véhicule des fantasmes, Paris, Ed. Non Lieu, 2013
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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