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Il y a cent ans, la bataille de Turabah (1/5)

Par Yves Brillet
Publié le 30/04/2019 • modifié le 16/04/2021 • Durée de lecture : 8 minutes

Photo de l’armée d’Ibn Saoud prise par Shakespear en 1911 près de Thaj.

In HVF Winstone, Captain Shakespear, p. 176.

 La crise de Khurma (janvier 1918-mai 1919) et la gestion par la Grande-Bretagne du conflit entre le Nedjd et le Hedjaz (1)
 La crise de Khurma, partie 2
 La crise de Khurma, partie 3
 La crise de Khurma, partie 4
 La crise de Khurma, partie 5

La bataille de Turabah : mai 1919

Après la reddition de la garnison turque de Médine, l’émir Abdallah avait entrepris de reprendre le contrôle des districts de Khurma et de Turabah. Ibn Saoud avait averti les autorités britanniques à Bahreïn dans un message du 20 avril reçu le 27 avril qu’Abdallah avait quitté Médine dans le but d’attaquer les tribus du Nedjd. Selon Ibn Saoud, les forces d’Abdallah constituées de soldats de la garnison turque de Médine et de contingents tribaux étaient équipées d’artillerie de montagne et de mitrailleuses. Ibn Saoud signalait qu’en l’absence de réaction de la part du gouvernement britannique, il lui serait nécessaire de prendre les mesures adéquates pour se défendre (2).

Abdallah informa Hussein que, le 21 mai, après deux heures de combat, il avait pris Turabah et qu’après en avoir renforcé les défenses, il marchait sur Khurma menacée par des forces des Ikhwan. Le 27 mai, Hussein reçut un rapport en provenance de Taif indiquant que les Ikhwan sous le commandement du gouverneur rebelle de Khurma, avait attaqué Abdallah aux alentours de minuit dans la nuit du 26 au 27 mai 1919, détruisant son artillerie et causant la déroute des troupes chérifiennes (3). Abdallah parvint à se replier sur Okheidir afin de protéger la base chérifienne d’Asheirah. Avec la destruction de l’armée d’Abdallah, la route de Khurma à Taif était ouverte, mettant ainsi La Mecque et Djeddah à la portée des forces wahhabites. Cette défaite cuisante des forces chérifiennes révéla aux autorités britanniques la faiblesse du dispositif militaire d’Hussein ainsi que la médiocrité de ses officiers, incapables, malgré la supériorité de leur équipement, de faire face à une force largement inexpérimentée. Les rapports ultérieurs en provenance de Djeddah confirmèrent l’importance de la défaite, avec 250 morts, la perte de la totalité de l’artillerie et des 2/3 des munitions, ainsi que la désertion de ses 10.000 supplétifs bédouins (4).

Les craintes britanniques après la défaite d’Abdallah

L’agence britannique à Bahreïn avait télégraphié le 14 mai à Bagdad, qui transmit le 16 mai à Londres, que les12.000 hommes d’Ibn Saoud étaient face à une armée chérifienne à proximité de Khurma (5). Le 22 mai, Shuckburgh réagit en soulignant l’ambiguïté de la situation, faisant état du caractère contradictoire des rapports, qui pour certains insistaient sur les déclarations de bonne volonté d’Ibn Saoud tandis que d’autres rapportaient qu’il était prêt à se battre. En tout état de cause, Shuckburgh insistait sur le fait que la politique du gouvernement avait été exposée dans le télégramme du 12 mars et qu’Ibn Saoud avait été averti qu’il risquait de perdre le soutien de Londres s’il se maintenait dans les territoires disputés et que s’il n’obtempérait pas, le versement de sa subvention, déjà réduite de 50%, serait suspendue. Shuckburgh ajoutait que la Grande-Bretagne ne disposait pas d’autre moyen de pression et qu’une intervention militaire en Arabie centrale était impossible à mettre en place (6).

Le 27 mai, Allenby télégraphia au Foreign Office, que si un affrontement devait se produire entre Abdallah et Ibn Saoud, il était nécessaire d’agir immédiatement pour le prévenir, que le moment était venu de reconnaitre les droits d’Hussein et de lui apporter le soutien de la Grande-Bretagne. Le Caire demandait donc que l’on ordonne à Ibn Saoud de retirer ses forces sous peine de voir sa subvention suspendue. Allenby remarquait qu’il était possible de laisser Hussein et Ibn Saoud se combattre mais que cela était susceptible de déclencher une conflagration généralisée (7).

De son côté, Bagdad fit savoir le 29 mai que la décision de suspendre l’aide financière à Riad avait été prise en attendant des instructions plus précises du gouvernement (8). Le même jour, Allenby informa Londres que les troupes d’Abdallah avaient été mises en fuite et qu’Hussein demandait l’envoi de blindés ainsi qu’un soutien aérien (9).

Avec l’accord d’Allenby, les autorités militaires au Caire informèrent le War Office que les préparations étaient en cours pour envoyer l’aviation si le gouvernement en décidait ainsi (10). Après discussion de la situation par le Comité Interministériel, l’India Office informa Bagdad (qui était chargé d’en informer Ibn Saoud) et le Vice-roi que pour Londres, l’évolution de la situation ne nécessitait pas une modification des instructions détaillées dans le télégramme du 12 mars, instructions qui constituaient le fondement de la politique de la Grande-Bretagne à propos du conflit opposant Hussein et Ibn Saoud. L’émir wahhabite avait été clairement averti qu’il devait accepter le contrôle chérifien sur Khurma et qu’il s’aliénerait le soutien de Londres s’il persistait dans son opposition. Il perdrait en outre tous les avantages liés au traité de 1915 et verrait sa subvention suspendue (11).

Après avoir pris connaissance des télégrammes d’Allenby et devant l’urgence de la situation qui faisait craindre une attaque des forces wahhabites et des Ikhwan sur les villes de La Mecque et de Médine, Allenby fut informé le 5 juin de l’intention gouvernementale de fournir toute aide nécessaire pour stopper une avancée possible vers les Lieux saints. Le Foreign Office informa Le Caire que T. E. Lawrence pourrait être éventuellement dépêché sur place pour coordonner les opérations (12). Le 2 juin, le commandant en chef des forces britanniques en Egypte avait télégraphié que des troupes indiennes seraient nécessaires pour assurer la protection des appareils de la Royal Air Force (13).

L’India Office réagit immédiatement à cette demande en rappelant que le Secrétaire d’Etat pour l’Inde, Edwin Montagu, s’était toujours opposé à l’envoi de soldats indiens et musulmans pour prêter assistance à Hussein (14) et demanda au Foreign Office de télégraphier au Caire pour que le Haut-Commissaire fasse annuler cette disposition (15).

Le même jour, Allenby informa le Foreign Office que la situation sur place semblait s’être calmée et que, du côté des forces wahhabites, on n’avait identifié aucun mouvement de troupes en direction du Hedjaz (16). Pour sa part, Ibn Saoud fit parvenir depuis Turabah un message à Abdallah dans lequel il lui proposait une rencontre à condition que les troupes chérifiennes se retirent de Khurma et de Turabah. Allenby informa le Foreign Office que d’après les informations obtenues par C.E. Wilson à Djeddah au cours de conversations avec Abdallah, la propagande des Ikhwan était si efficace que les tribus du Hedjaz n’apporteraient pas leur soutien à Hussein et qu’il était vital d’envoyer immédiatement l’aviation contre les campements des Ikhwan à proximité de Khurma et de Turabah (17). Suite à ce télégramme, Allenby fit parvenir au Foreign Office le commentaire de C.E. Wilson sur la situation dans le Hedjaz. Celui-ci soulignait que La Mecque redoutait une invasion imminente et que le prestige d’Hussein s’était effondré. Il ajoutait que rien ne pouvait empêcher Ibn Saoud d’entrer dans la ville quand il le désirerait. L’envoi d’aéronefs lui semblait donc indispensable pour afficher la détermination de la Grande-Bretagne à soutenir Hussein (18).

Le Vice-roi, pour sa part, fit savoir à Londres qu’il n’était pas favorable à l’envoi d’une escadrille au Hedjaz (19). A ce sujet, l’India Office informa le Foreign Office le 13 juin que, selon le Government of India, les aéronefs ne seraient d’aucune utilité et que Montagu persistait dans son opposition à l’envoi de troupes indiennes (20).

La réunion du Conseil Interministériel pour les affaires du Moyen-Orient, 13 juin 1919

Le Comité se réunit le 13 juin sous la présidence de Curzon, en présence de Montagu, de Shuckburgh, de Radcliffe, Director of Military Operations au War Office, Aymler, représentant l’Amirauté, Kidstow du Foreign Office et de Gertrude Bell. Curzon ouvrit les débats par un rappel des événements et de la décision prise lors de la dernière réunion du Comité d’informer officiellement Ibn Saoud que le gouvernement britannique apportait son soutien aux prétentions d’Hussein et qu’il l’invitait à retirer ses troupes du Hedjaz. S’il persistait, Ibn Saoud devait être considéré comme ayant adopté une attitude hostile envers Londres et perdrait dans ce cas le bénéfice des avantages liés au traité de 1915 ainsi que l’aide financière versée par la Grande-Bretagne. Au moment de la décision de faire parvenir cette communication officielle à Ibn Saoud, Abdallah semblait en situation de supériorité ; l’objet du message était donc de dissuader l’émir wahhabite de continuer les hostilités. Depuis lors, Curzon constatait que le rapport de forces s’était inversé et qu’Ibn Saoud était, depuis Turabah, en situation de menacer sérieusement Taif. Il ajouta que la décision d’envoyer un soutien aérien sur place avait été accueillie positivement par Hussein mais que le Chérif considérait que si la présence d’une force aérienne et le message destiné à Ibn Saoud ne produisaient pas d’effet tangible, il lui faudrait envisager d’abdiquer. En cas d’invasion du Hedjaz, Curzon posa la question de savoir si les autorités britanniques devaient organiser la défense de Djeddah et l’évacuation des ressortissants de la Couronne. Pour sa part, il estimait que la perception de la détermination de la Grande-Bretagne à soutenir Hussein suffirait à dissuader les wahhabites. Gertrude Bell émit des doutes sur la capacité d’Ibn Saoud à contrôler ses partisans. Pour l’India Office, l’envoi de troupes indiennes et musulmanes était totalement inapproprié.

Curzon répliqua que la réaction de l’opinion publique en Inde serait différente si on expliquait qu’elles étaient envoyées au Hedjaz non pour défendre Hussein mais pour protéger les villes saintes contre le fanatisme des Ikhwan. Curzon suggéra cependant que le haut-commandement militaire en Egypte se tienne prêt à faire face à toute éventualité si la menace sur Djeddah se concrétisait. Parlant au nom du War Office, Radcliffe estima qu’il serait difficile de trouver des troupes disponibles pour le Hedjaz. Il considérait en outre que les hésitations de la Grande-Bretagne dans le conflit opposant le Nedjd et le Hedjaz pourraient avoir des conséquences négatives sur les rapports avec Feisal en Syrie. Curzon conclut le débat en insistant sur les difficultés rencontrées par Ibn Saoud pour contrôler et dissuader les éléments les plus fanatisés des Ikhwan à attaquer les forces chérifiennes. La Grande-Bretagne devait donc attendre la réaction de l’émir et envisager les différents scenarii possibles. Le Comité décida que le Foreign Office devait se concerter avec la Marine sur l’éventualité d’une évacuation de Djeddah. Le War Office devait établir avec le haut-commandement militaire au Caire un état des troupes (soudanaises, indiennes) disponibles pour couvrir une possible opération d’évacuation. L’India Office devait sonder l’Indian Council et le Government of India sur l’attitude probable des troupes indo-musulmanes dans le cadre d’une opération de défense et de protection du régime chérifien et des villes saintes contre une offensive des wahhabites (21).

Notes :
(1) Gary Troeller, The Birth of Saudi Arabia, Britain and the Rise of the House of Sa’ud, London 1976, 267 pp, p. 142.
(2) File 2128/1913/pt. 9, Copy of Telegram, Political, from Baghdad dated 29th April 1919, n°4919. A la lecture de cette lettre, J E. Shuckburgh estima qu’elle avait été rédigée avant qu’Ibn Saoud ait pu prendre connaissance du message du 12 mars dans lequel le gouvernement indiquait qu’il avait décidé de se ranger aux côtés d’Hussein dans le conflit les opposant au sujet de Khurma. Shuckburgh considérait qu’Ibn Saoud devrait s’y conformer et concluait qu’il n’était pas nécessaire de communiquer avec lui à ce sujet. (Minute signée J E Shuckburgh, 3/05/1919.)
(3) Arab Bulletin n°111, May 24, 1919, File 756/917. Pt. 2-3, Arab Bulletin n° 66-114, IOR/l/PS/10/658.
(4) Ibid., Arab Bulletin n° 112, 24 June 1919.
(5) File 2182/1913/Pt. 9, Copy of Telegram, from Baghdad, dated 16th April, received 21st April n° 5487.
(6) Ibid., minute by Shuckburgh, 22nd May 1919.
(7) Cab/24/145, Eastern Report n° CXXIL, 29th May 1919, Allenby to F.O., 28th May, n° 877.
(8) Political, Baghdad to India Office, 29th May 1919.
(9) Telegram from Allenby, Cairo, to Foreign Office, 29th May 1919, n° 880.
(10) G. O. C. in Egypt to War Office, 30th May 1919.
(11) Draft Letter, The Secretary of State to the Civil Commissioner, Bagdad, 30th May 1919.
(12) File 2182/1913 Pt. 10, Cypher Telegram to General Allenby. (Cairo). F.O. June 5th 1919, urgent n°694.
(13) Ibid., G.H.Q. Egypt to War Office, 2nd June 1919.
(14) Voir Télégramme du 26/02 au Civil Commissioner, Baghdad in La Crise de Khurma, janvier 1919.
(15) Draft Paper, Under Secretary of State to Foreign Office, 5th June 1919. Copy to Division of Military Intelligence, War office. Voir aussi Cypher Telegram to General Allenby, F.O., 6th June 1919, n° 699.
(16) Allenby to F.O., 6th June 1919, n°927.
(17) Allenby to F.O., 10th June 1919, n° 949.
(18) Allenby to F.O., 10th June 1919, n°950.
(19) Viceroy, Political Department, 11th June 1919.
(20) Draft Paper, India Office to Foreign Office, 13th June 1919.
(21) Foreign Office, Interdepartmental Conference on Middle East Affairs. Minutes of Meeting held at the Foreign Office on Friday June 13th 1919.

Publié le 30/04/2019


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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