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Il y a cent ans, la bataille de Turabah (3/5)

Par Yves Brillet
Publié le 23/05/2019 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Photo de l’armée d’Ibn Saoud prise par Shakespear en 1911 près de Thaj.

In HVF Winstone, Captain Shakespear, p. 176.

Lire la partie 2

La mission de Philby

Au début du mois de juillet, l’India Office réagit aux analyses du Caire sur le conflit en cours entre Hussein et Ibn Saoud. Le 6 juin, l’Arab Bureau avait publié une note du capitaine Garland sur le différend opposant le Nedjd et le Hedjaz. Après avoir retracé l’historique de la dispute, Garland mettait l’accent sur l’incompétence des forces chérifiennes et sur les conséquences stratégiques de la déroute d’Abdallah. Il insistait sur le fait que, malgré l’aide militaire de la Grande-Bretagne, rien ne semblait prévu pour assurer la défense de La Mecque et de Médine. Il ajoutait que la menace constituée par les Ikhwan ne cesserait pas avec la fin de la crise et que l’assistance de l’aviation ne pouvait être que temporaire. Il lui semblait donc nécessaire, pour assurer la sécurité des Lieux saints, de maintenir la pression sur Ibn Saoud, de constituer une force armée régulière commandée par des officiers entrainés et qualifiés et de mettre sur pied une alliance effective entre Hussein et Ibn Rashid (4). Shuckburgh commenta ces propos en soulignant que Garland (ainsi que l’Arab Bureau au Caire), semblait envisager pour la Grande-Bretagne le rôle de gendarme de l’Arabie centrale dont la mission principale consisterait à surveiller les agissements d’Ibn Saoud. Il estimait que cela allait au-delà des compétences et des possibilités de la Grande-Bretagne et que si Hussein n’était pas capable de faire face aux wahhabites sans le recours permanent à une aide extérieure, son échec était inéluctable (et souhaitable) (5).

Le 8 juillet, Bagdad télégraphia que si la politique de la Grande-Bretagne résumée dans la communication du 19 juin à la suite de la réunion du Comité interministériel visait à éviter d’être mêlé aux affaires de l’Arabie et à réduire au maximum les engagements de Londres dans la région, il n’était pas opportun d’envoyer Philby à Riad via La Mecque. Bagdad faisait remarquer qu’avec le retour d’Ibn Saoud dans sa capitale, les hostilités avaient été suspendues et l’on pouvait espérer le dissuader d’entreprendre le pèlerinage en personne. Enfin, Bagdad rappelait qu’Hussein se montrait fermement opposé à la mission de Philby dans le Nedjd (6).

L’India Office exprima son accord avec la position de Bagdad, rappelant que l’objectif du Political Department était de dissuader Ibn Saoud d’agir contre Hussein et de l’amener à geler la progression des Ikhwan en attendant la décision de la commission d’arbitrage. Ce but semblait avoir été atteint et Ibn Saoud ne paraissant pas disposé à reprendre les hostilités contre le Hedjaz, à moins de se considérer comme victime d’une agression de la part du Chérif. La mission de Philby avait comme objectif premier de préparer le terrain pour le travail de la commission et la préparation de la procédure d’arbitrage, selon les termes du télégramme du Foreign Office n° 745 du 17 juin 1919. Shuckburgh faisait remarquer qu’Hussein entravait les efforts de la Grande-Bretagne en refusant le passage d’un représentant britannique. Dans ces conditions, l’India Office indiquait que Londres pouvait se satisfaire d’avoir atteint son objectif initial (le retrait des troupes d’Ibn Saoud) et laisser Hussein gérer les conséquences de son obstination (la perte de Khurma et de Turabah). Le Political Department considérait que l’attitude de Riad justifiait qu’Ibn Saoud continue de recevoir l’aide financière de Londres (minorée de 50%) (7).

Le 9 juillet, Allenby avait cependant fait savoir qu’il considérait que la mission de Philby était nécessaire et que ce dernier devait dissuader Ibn Saoud d’entreprendre le pèlerinage et l’interdire à ses partisans (8). L’Arab Bureau publia le 15 juillet les conclusions de Garland concernant Khurma et Turabah. Pour ce dernier, Ibn Saoud ne se contenterait pas de reprendre Turabah mais il avait suffisamment de bon sens pour comprendre qu’une offensive contre les villes du Hedjaz lui aliénerait le soutien de la Grande-Bretagne et entrainerait la perte de l’aide financière octroyée par le Trésor. Pour Garland, les ordres donnés par le gouvernement de faire procéder à l’évacuation de Turabah suffiraient à convaincre Riad. Au sujet d’Hussein, Garland considérait qu’il exigerait l’utilisation de l’aviation pour bombarder Khurma, Turabah ainsi que les campements des Ikhwan. Pour l’Arab Bureau, le recours à la force aérienne devait être limité à la défense des villes saintes contre les raids wahhabites. L’utilisation de la pression pour convaincre Ibn Saoud était par conséquent préférable à l’usage de la violence (9).

Confronté au refus obstiné d’Hussein, Curzon informa le 14 juillet Allenby de la décision de suspendre la mission de Philby. Curzon rappelait que l’objet principal de cette mission était d’inciter Ibn Saoud à arrêter la progression de ses troupes vers l’intérieur du Hedjaz et que cet objectif avait été atteint. A moins de nouvelles provocations de la part d’Hussein, il était peu probable qu’Ibn Saoud reprenne les hostilités. D’autre part, dans la mesure où Hussein refusait de collaborer à l’offre de bons offices de la Grande-Bretagne, la seule option politique possible était de retirer l’offre de médiation et d’informer le Chérif qu’en raison de son attitude négative, les aéronefs stationnés à Djeddah seraient retirés (10).

L’India Office transmit la teneur de cette communication à Bagdad le 16 juillet, ajoutant qu’Hussein ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même si les décisions du gouvernement britannique ne lui donnaient pas satisfaction (11). A. T. Wilson télégraphia le lendemain au Résident à Bahreïn qu’il devait répéter à Ibn Saoud que le gouvernement lui apportait une garantie contre les agissements d’Hussein et lui demandait en contrepartie de ne rien entreprendre. De plus, pour marquer sa satisfaction, Londres annonçait le rétablissement du versement de l’aide financière. A. T. Wilson réaffirmait en outre qu’il ne devait pas faciliter le déroulement du pèlerinage et faisait référence à la visite prochaine de son fils Feisal à Londres (12).

Allenby avisa le Foreign Office le 19 juillet, en réponse au télégramme n° 841 du 14 juillet qu’Hussein avait été mis au fait des décisions concernant Khurma et Turabah. C. E. Wilson rapportait qu’Hussein considérait qu’il avait été abandonné par Londres et demandait si une action ultérieure était envisagée. C.E. Wilson lui avait fait savoir que l’offre de médiation et d’arbitrage proposée par le gouvernement avait été retirée (13).

Le 21 juillet, Bagdad informa Riad des engagements pris par Abdallah de ne pas provoquer d’incidents avec les forces wahhabites et précisa à l’intention d’Ibn Saoud la position du gouvernement britannique concernant la mise en place de la commission de démarcation et d’arbitrage. Dans cette communication, A.T. Wilson réitérait les assurances données au sujet de Khurma et Turabah ; Ibn Saoud pour sa part devait s’engager à ne pas chercher à récupérer ces deux localités qui resteraient neutralisées tant que la commission n’aurait pas rendu sa décision (14). Le 5 août Bagdad fit savoir à Londres que le message du 21 juillet n° 8144 rédigé suivant les instructions du 16 juillet avait été reçu le 28 juillet par Ibn Saoud et que ce dernier promettait de ne pas avancer vers Khurma et Turabah. Concernant le pèlerinage, il s’engageait, pour lui et ses sujets à ne pas l’entreprendre (15).

Dans une minute datée du 11 août 1919, Shuckburgh estima que la situation ne nécessitait pas une intervention de la part des autorités britanniques. Il rappela qu’à la demande d’assistance exprimée par Hussein, le gouvernement avait répondu qu’il était disposé à dépêcher un émissaire pour intercéder auprès d’Ibn Saoud et pour préparer les conditions d’un arbitrage. Par contre, Hussein avait refusé de coopérer en interdisant à Philby de se rendre dans le Nedjd depuis Taif alors que Riad avait obtempéré aux demandes britanniques concernant l’arrêt des opérations contre le Hedjaz (16).

Notes :
(1) Political, Cairo, Colonel French, 28th June 1919, n° 365.
(2) Colonel French to F.O., 28th June 1919, n°367.
(3) Ibid.
(4) Note on Khurma Dispute. By Captain Garland, Arab Bulletin, 4th June 1919.
(5) Minute par John E. Shuckburgh, 8th July 1919.
(6) Telegram from Political, Bagdad, 8th July 1919, n° 7582.
(7) Minutes Shuckburgh / Hirtzel, 9 Juillet 1919.
(8) Allenby to F.O., 9th July 1919, n°1088.
(9) Note on the Khurma Dispute. By Captain Garland, Arab Bulletin, 15th July 1919.
(10) CAB/24/145/09 Eastern Report CXXIX, 17th July 1919. Telegram F.O., 14th July 1919, n°841.
(11) Secretary of State to Civil Commissioner, Baghdad, 12th July 1919.
(12) Political Baghdad to Political Bahrein, Text of message to Ibn Saud, 17th July 1919, n° 8015.
(13) Allenby to F.O., 19th July 1919, n°1126 ; F.O. to Allenby, 25th July 1919, n°880.
(14) Political, Bagdad, to Political, Bahrein, 21st July 1919 n° 8144.
(15) Civil Commissioner, Baghdad, to India Office, 5th Aug. 1919.
(16) Minute Shuckburgh, 11 août 1919.

Publié le 23/05/2019


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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