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Israël et l’Etat islamique sont-ils à la veille d’un conflit généralisé ? (2/2) : quels sont les dangers que l’Etat islamique fait peser sur Israël sur les différents champs de bataille israélo-arabes ?

Par Matthieu Saab
Publié le 06/07/2016 • modifié le 15/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Supporters of Hamas gather to celebrate ceasefire between Israel and Palestinian forces in Ramallah, West Bank on 30 August, 2014.

Issam Rimawi / Anadolu Agency / AFP

Lire la partie 1 : Evolution des pertes humaines depuis le début du conflit israélo-arabe ; stratégie de l’Etat islamique et d’Israël en 2016

Les zones géographiques où est présent l’Etat islamique

L’Etat islamique au Sinaï

Certains groupes islamistes au Sinaï se sont déjà alliés à L’Etat islamique. Le plus important d’entre eux est « Ansar Beit al-Maqdas » (qui a intégré les rangs de l’Etat islamique en novembre 2014). Pour le moment, ses troupes combattent principalement le gouvernement du général Abdel Fatah al-Sissi qui a renversé le régime des Frères musulmans du Président Mohamed Morsi durant l’été de l’année 2013. La présence d’islamistes au Sinaï constitue un danger réel pour l’Egypte dont la souveraineté nationale est menacée (1). Cette présence constitue également un danger pour Israël, surtout depuis la destruction d’un avion russe au Sinaï et la mort de ses 224 passagers en octobre 2015 (2). Cet acte terroriste a été revendiqué par Wilayat Sinaï, un mouvement djihadiste affilié à l’Etat islamique. Ce danger est d’autant plus alarmant pour Israël qu’« Ansar Beit al-Maqdas » veut faire appliquer la Sharia (la Loi islamique) dans les régions qu’il occupe.

L’Etat islamique constitue également un danger pour le port israélien d’Eilat et pour ses installations pétrolières. Eilat est en effet le seul port israélien qui permet de relier l’Etat d’Israël au sud et à l’est de l’Asie. Il constitue également le côté sud de la jonction entre la Méditerranée et la mer Rouge, qui représente une alternative au canal de Suez. Etant donné que l’économie israélienne réoriente ses exportations de l’Europe vers l’Asie, Eilat est devenu un port stratégique pour Israël qui, de ce fait, attire les terroristes. Un conflit pour protéger les intérêts israéliens à Eilat pourrait occasionner de lourdes pertes humaines à l’Etat hébreu.

L’Etat islamique dans la bande de Gaza

Depuis 2007, le Hamas gouverne de facto la bande de Gaza. Cependant, ce pouvoir est largement affaibli à cause du blocus général (air, mer et terre) imposé par l’Etat d’Israël. Hamas est d’obédience islamiste et son aile militaire est représentée par le mouvement al-Qassam. En 2016, l’Etat islamique estime que les membres du Hamas sont des « infidèles » et des « apostats » qui n’ont pas réussi à imposer l’application de la Loi islamique à Gaza et pour qui le combat nationaliste pour la Palestine supplante le combat pour la création d’un califat islamique (3) ce qui, d’après les islamistes, est hautement condamnable. De plus, et toujours d’après les islamistes, les négociations qui ont eu lieu entre Israël et le Hamas en 2014 pour obtenir un cessez-le-feu constituent une preuve du comportement « collaborationniste » du Hamas qu’il faut condamner.

Dans une vidéo diffusée en janvier 2016, l’Armée islamique palestinienne reproche avec véhémence au Hamas d’avoir forgé une alliance avec les musulmans chiites du Liban (Hezbollah) et d’Iran. Hassan Nasrallah y est présenté comme un « satan » qui veut affronter les musulmans sunnites (4). Cette vidéo prouve que l’Etat islamique a réussi son implantation idéologique dans la bande de Gaza, ce que le Hamas refuse d’admettre.

En attendant, l’Etat islamique tente de remettre en cause le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas en bombardant l’Etat hébreu à partir de Gaza, prenant ainsi le risque de provoquer des représailles israéliennes. Dans ces conditions, un renforcement de l’Etat islamique à Gaza constituerait une lourde menace pour l’Etat hébreu.

L’Etat islamique et les Arabes israéliens

L’Etat islamique envisage de créer des cellules clandestines au sein de la population arabe israélienne. Certains de ces Arabes israéliens se sont déjà rendus en Turquie afin d’étoffer les troupes de l’Etat islamique. Le retour de ces combattants en Israël peut constituer une lourde menace pour l’Etat hébreu qui est très vulnérable à ce niveau, d’autant plus que les Arabes israéliens détiennent une pièce d’identité émise par l’Etat d’Israël ce qui peut rendre leur arrestation beaucoup plus difficile.

L’Etat islamique et la Jordanie

L’Etat islamique pourrait s’attaquer au régime hachémite jordanien dont les dirigeants disent être des descendants du prophète Mahomet. Une conquête de la Jordanie permettrait à l’Etat islamique d’occuper des positions militaires face à l’Arabie saoudite où se trouvent les sites historiques les plus importants de l’Islam (La Mecque et Médine (5)). Or, l’armée jordanienne ne semble pas craindre une attaque venant de l’Etat islamique. Cependant, et à défaut d’attaque directe contre cette armée, l’Etat islamique pourrait déstabiliser le royaume jordanien en s’infiltrant dans le pays pour y faire régner la subversion, notamment, grâce à l’appui du mouvement islamiste jordanien et de Palestiniens, toujours présents dans ce pays.

Or, la Jordanie est un Etat tampon qui constitue un allié stratégique de l’Etat hébreu. Le triangle Jérusalem-Tel-Aviv-Haïfa au sein duquel vit la majorité de la population israélienne et où se situe l’infrastructure économique du pays se trouve prêt du Jourdain qui est situé à 20 Km de Jérusalem.

Les zones géographiques qui ne représentent pas un danger pour Israël

Situation dans le sud de la Syrie

Israël collabore avec le régime hachémite de Jordanie afin d’empêcher l’infiltration de troupes djihadistes dans le sud de la Syrie. L’enclave druze dans cette région (Jabal al-Druze) est mise à contribution pour échapper à toute infiltration djihadiste.

Situation au Golan

La vallée de Yarmouk située entre la Jordanie, la Syrie et les Territoires occupés par Israël sur les hauteurs du Golan est contrôlée par la Brigade des Martyres du Yarmouk (BMY) depuis 2013. La BMY s’est opposée à Jabhat al-Nosra, qui représente al-Qaïda en Syrie et qui détient le pouvoir dans le gouvernorat de Daraa (sud-ouest du gouvernorat de Syrie). Ce qui a conduit al-Nosra à assassiner Mohammad Al-Baridi, le fondateur de la BMY, en novembre 2015.

En attendant, la BMY a occupé une zone proche du gouvernorat de Daraa. Par la suite, la Brigade va continuer à rejeter al-Nosra tout en favorisant l’application de lois islamiques conservatrices dans les zones qu’elle contrôle. En 2015, l’application de ces lois se fera dans le cadre de la politique du « Islah » qui a permis la création d’une Cour islamique et d’une force de police. Depuis la fin de 2015, la BMY a intégré les rangs de l’Etat islamique qui, de ce fait, partage une frontière avec Israël (6).

La Brigade des Martyrs du Yarmouk est équipée d’armes légères et d’explosifs de facture artisanale qui ne lui permettent cependant pas de s’opposer militairement à Tsahal. En fait, la priorité pour l’Etat islamique dans cette région n’est pas de s’opposer à Israël, mais plutôt d’occuper la province de Deir el-Zor en Syrie.

L’Etat islamique et la paix israélo-palestinienne

Pour certains, la résolution du conflit israélo-palestinien pourrait affaiblir l’Etat islamique. Ainsi, d’après Robert Malley, conseiller spécial du Président Obama dans le cadre de la lutte contre l’Etat islamique, la fin du conflit israélo-palestinien devrait faciliter la guerre contre l’EI (7). En effet, l’absence de solution au conflit israélo-palestinien consolide les positions de l’Etat islamique, ce conflit étant un levier idéologique permettant à l’EI d’attirer de nouvelles recrues.

En revanche, certaines analyses laissent penser que la résolution du conflit israélo-palestinien n’aurait aucun impact sur la stratégie de l’Etat islamique. Ainsi, les milliers de musulmans qui ont rejoint l’Etat islamique ne l’ont pas fait à cause de l’absence d’une solution au conflit israélo-palestinien. Ils l’ont fait car l’Etat islamique leur propose l’émergence d’un califat sunnite dans lequel les non-musulmans seraient massacrés ou seraient soumis à la Loi islamique (Sharia).

Bien que les Etats sunnites de la région (notamment l’Arabie saoudite) estiment que la résolution du conflit israélo-palestinien réglerait plusieurs problèmes majeurs dans la région, ceci n’aurait aucune influence sur la politique suivie par l’Etat islamique. En effet, l’émergence de ce nouvel Etat est l’une des conséquences des « Printemps arabes » qui ont eu pour objectif initial de renverser les régimes dictatoriaux en place puis qui ont sombré dans l’anarchie, le terrorisme et les massacres. Les Tunisiens, les Libyens, les Yéménites, les Egyptiens ne se sont pas révoltés contre les dictateurs qui les gouvernaient à cause de l’absence d’une solution au conflit israélo-palestinien.

Les « Printemps arabes » ont permis l’accession au pouvoir des Frères musulmans en Egypte et l’émergence de groupes terroristes tels que al-Nosra, le Front islamique, l’Armée des Moudjahidin, Jound Al Sham, et enfin, de l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Les djihadistes ne croient pas à la solution des « deux Etats » pour résoudre le conflit israélo-palestinien. La seule solution à laquelle ils se réfèrent est la création d’un califat sunnite au Proche-Orient qui mettrait fin à l’Etat d’Israël et à l’Autorité palestinienne et qui intégrerait les populations de ces deux entités dans le califat.

En fait, l’Etat islamique a d’autres priorités par rapport à la solution du conflit israélo-palestinien (8), la libération de Jérusalem étant le dernier de ses objectifs, qui sont les suivants (9) :

 La généralisation du chaos dans les pays arabes et musulmans
 La suppression des Etats dans ces pays
 La création d’un califat islamique dans ces pays
 L’expansion du Califat Islamique dans les Etats limitrophes
 La libération de Jérusalem

L’Etat islamique, Israël, l’Iran et le Hezbollah

Comme nous l’avons déjà indiqué, Israël considère que le vrai danger n’est pas l’Etat islamique et les autres groupes sunnites, mais les chiites (l’Iran et le Hezbollah). Si le régime de Bachar al-Assad s’effondrait, l’Iran perdrait son précieux allié au Proche-Orient.

Le paradoxe est que si Israël est entrainé dans une guerre contre l’Etat islamique (en Jordanie par exemple), l’Etat hébreu deviendrait de facto un allié de l’Iran. La priorité du gouvernement israélien consiste à stopper l’émergence de l’Iran comme superpuissance régionale, surtout après l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015 et qui a permis la levée des sanctions internationales contre Téhéran. Cette approche a depuis longtemps favorisé un rapprochement entre Israël et les Etats arabes sunnites (principalement l’Arabie saoudite).
En cas de fin de la guerre en Syrie, il est essentiel pour l’Etat hébreu que le nouveau régime syrien ne soit pas un Etat satellite de l’Iran intégré dans son système stratégique (10).

Conclusion

Comme nous l’avons indiqué, les quatre premiers conflits israélo-arabes ont occasionné à Israël de lourdes pertes humaines (en moyenne 403 morts entre 1948 et 1973). La période suivante, de 1973 à 2014, s’est caractérisée par un nombre de morts beaucoup moins important (en moyenne 72 morts). L’apparition et la consolidation de l’Etat islamique ne semble pas avoir modifié cette situation : un conflit généralisé entre Israël et l’Etat islamique (notamment au Golan, en Jordanie, à Gaza et au Sinaï) ne constitue pas, pour le moment, un risque qui imposerait à Israël des pertes humaines de l’ordre de celles connues lors des conflits de 1948 à 1973.

Le vrai danger pour Israël est une nouvelle guerre contre le Hezbollah et son allié iranien. Le Hezbollah, qui possède des armes lourdes lui permettant de bombarder les zones israéliennes où se trouve la population civile, pourrait occasionner de lourdes pertes à Israël.

Notes :
(1) Zack Gold, « One Year of the Islamic State in the Sinaï Peninsula » Institute for National Strategic Studies INSS Insight N°. 758, http://www.inss.org.il/index.aspx?id=4538&articleid=10852 le 25 octobre 2015
(2) « Israel Patrols its Southern Border as ISIS Lurks in the Sinai Peninsula » Time, http://time.com/4322544/israel-patrols-its-southern-border-as-isis-lurk-in-the-sinai-peninsula/ le 10 mai 2016
(3) Khaled Abou Toameh, « ISIS Followers Plan to Take over Gaza Strip » Gatestone Institute, http://www.gatestoneinstitute.org/7209/isis-gaza-takeover le 12 janvier 2016
(4) Ibid.
(5) Efraim Inbar, « ISIS : The Danger for Israël » The Journal of International Security Affairs, janvier 2016.
(6) Sam Brennan, « ISIS and Israël on the Golan Heights » Open Democracy https://www.opendemocracy.net/arab-awakening/sam-brennan/isis-and-israel-on-golan-heights le 28 mai 2016
(7) Rami G. Khouri, « To defeat ISIL, the Israeli-Palestinian conflict must be resolved » http://america.aljazeera.com/opinions/2015/12/to-defeat-isil-the-israeli-palestinian-conflict-must-be-resolved.html le 27 décembre 2015.
(8) A signaler que l’Etat islamique n’a pas exprimé sa solidarité avec les Palestiniens lors du conflit entre le Hamas et l’Etat d’Israël en 2014 dans la bande de Gaza.
(9) Khaled Abu Toameh, « What the ‘Two state solution’ has to do with the rise of Islamic extremism : Zero », Gestone Institute http://www.gatestoneinstitute.org/4801/two-state-solution-isis le 20 Octobre 2014.
(10) Yaroslav Trofimov, « Israel’s Main concern in Syria : Iran, not ISIS » Wall Street Journal, http://www.wsj.com/articles/israels-main-concern-in-syria-iran-not-isis-1458207000 le 17 mars 2016.

Publié le 06/07/2016


Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).


 


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