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Israël : la démocratie en péril ? Partie 2 : l’ère Netanyahou

Par Ines Gil
Publié le 29/10/2019 • modifié le 26/02/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

This picture taken on October 3, 2019 shows Israeli flags flying outside the Knesset (Israeli parliament) headquarters in Jerusalem.

EMMANUEL DUNAND / AFP

Lire la partie 1

Benyamin Netanyahou : vers l’érosion de la démocratie israélienne ?

Ces dernières années, les discours du Premier ministre ont visé à marginaliser la gauche, les médias, la société civile et la justice (1), la police israélienne, supposés soutiens de la population arabe et souvent identifiés comme « traîtres » à la nation, alimentant la méfiance contre ces composantes de la société israélienne pourtant essentielles au bon fonctionnement d’une démocratie moderne (2). La justice et la police ont été particulièrement visées, alors même que Benyamin Netanyahou est inquiété par ces organes dans plusieurs affaires de corruption, fraude et abus de confiance. En décembre 2018, la police israélienne recommandait son inculpation (3). Début octobre, l’audition du Premier ministre dans les affaires dites 1000, 2000 et 4000 a été ouverte par la justice (4). Cette audition doit permettre au procureur général d’Israël de décider s’il inculpe Benyamin Netanyahou d’ici la fin de l’année.

Fortement inquiété, Benyamin Netanyahou cherche à se maintenir au poste de Premier ministre pour échapper à la justice. En mai dernier, suite au scrutin législatif, il a demandé la dissolution de la Knesset après avoir échoué à former un gouvernement, entraînant Israël vers de nouvelles élections. En parallèle, deux projets de loi controversés ont été présentés à la Knesset. Une loi sur l’immunité, surnommée « loi française » en référence à l’immunité des présidents français, « protégeant les députés en exercice de toutes poursuites judiciaires » (5). L’autre projet de loi vise à diminuer les pouvoirs de la Cour Suprême - plus haute institution juridique en Israël - qui ne pourrait plus contester les décisions du Parlement israélien. S’il parvient à reformer un gouvernement, Benyamin Netanyahou pourrait faire voter ces projets qui changeraient la nature du système politique israélien, et lui permettrait d’échapper à la justice. Même si le Premier ministre a agi en accord avec l’Etat de droit en poussant Israël vers de nouvelles élections pour espérer se maintenir à son poste, ces manoeuvres politiques ont été perçues comme un danger pour l’avenir de la démocratie israélienne. Une partie des Israéliens commence elle aussi à se questionner : Israël est-il encore la « seule démocratie du Moyen-Orient » ? D’autant plus qu’à l’été 2018, la loi sur l’Etat-nation des juifs a été votée au Parlement israélien, questionnant la place des minorités non-juives dans le pays, et donc le caractère démocratique d’Israël.

La loi sur l’Etat-nation des juifs : les minorités non juives marginalisées

Dans l’hémicycle de la Knesset, la révolte gronde parmi les députés arabes israéliens, ce 19 juillet 2018. Votée à 62 voix contre 55 à la Knesset, la loi sur l’Etat-nation du peuple juif a été adoptée comme loi fondamentale d’Israël. Ahmad Tibi, l’un des représentant historique des Arabes israéliens (6), c’est-à-dire les Palestiniens d’Israël, ne mâche pas ses mots : « J’annonce avec stupéfaction et tristesse la mort de la démocratie ». En cause, ce texte controversé ne reconnaît le droit à l’auto-détermination qu’aux juifs : « Israël est l’Etat-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination » (7). Le texte a également relayé la langue arabe au rang de « statut spécial », alors qu’elle était jusqu’ici une langue officielle, aux côtés de l’hébreu (8).

Les réactions se sont enchaînées en Israël, parmi quelques Israéliens de confession juive, mais surtout au sein des minorités non juives. Pour ses partisans, cette loi vient légitimement affirmer le caractère juif de l’Etat d’Israël. Mais ses détracteurs assurent qu’elle fait des non-juifs des citoyens de seconde-zone. Dans les semaines qui suivent, des manifestations ont réuni des dizaines de milliers d’opposants à la loi. Les plus déterminés à rayer ce texte des lois fondamentales ont été les druzes israéliens. Arabophones connus pour leur attachement à l’Etat d’Israël, ils - uniquement les hommes - sont appelés sous les drapeaux pour effectuer leur service militaire, contrairement aux autres Arabes israéliens, qui n’ont pas d’obligation militaire. Fervents sionistes, ils se sont dit trahis (9). Nombreux ont été les réservistes druzes de l’armée israélienne à protester. Plusieurs hauts gradés militaires druzes ont également quitté leur poste en signe de mécontentement et les représentants de la communauté ont formulé une plainte auprès de la Cour suprême israélienne (10). Pour l’intellectuelle franco-israélienne Eva Ilouz, la loi Etat-nation du peuple juif a pour but de « changer les règles du jeu démocratique en en conservant l’appellation ». Un avis partagé par de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme israéliennes, pour qui cette loi représente un danger pour la démocratie. Les partisans de cette nouvelle législation ont affirmé qu’elle ne visait que symboliquement à réaffirmer le caractère juif de l’Etat hébreu. Cependant, la loi Etat-nation pourrait avoir de réelles conséquences sur le caractère démocratique d’Israël. Selon chercheur Samy Cohen, « les juges devront dorénavant privilégier les droits des Juifs sur ceux des Arabes » (11).

Cette loi n’est pas la première à créer la polémique dans le pays. Ces dernières années, principalement sous les gouvernements Netanyahou, divers projets de lois ont été pointés du doigt comme des menaces pour la démocratie.

Une législation controversée sur la liberté d’expression

Israël jouit d’un pluralisme important dans le domaine des médias. Selon le Sustainable Governance Indicators, « la liberté de la presse est généralement respectée » (12). Cependant, la censure militaire restreint parfois l’accès à l’information : « La loi donne en outre un pouvoir immense à un censeur militaire. En vertu d’un accord de censure conclu en 1996 entre les médias et l’armée, le censeur a le pouvoir - pour des raisons de sécurité nationale - de sanctionner, de fermer ou d’arrêter l’impression d’un journal ou de confisquer ses machines à imprimer » (13). En décembre 2011, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à la liberté d’opinion et d’expression, Franck La Rue, s’est dit « préoccupé par l’existence d’une censure officielle en Israël rappelant qu’un tel organe ne devrait exister dans aucun pays » (14).

Outre la liberté de la presse, divers projets de lois, votés ou encore en discussion, ont visé à limiter, dans une certaine mesure, la liberté d’expression. En octobre 2018, un projet de loi permettant de stopper les financements étatiques de toutes « organisations culturelles oeuvrant contre les principes de l’Etat » (15) a été voté par le comité ministériel. Porté par la ministre de la Culture Miri Regev, ce projet permettrait au gouvernement de couper les financements à destination des événements ou des organismes qui nieraient « le caractère juif et démocratique de l’Etat d’Israël », qui célèbreraient « la Journée de l’Indépendance appréhendée sous l’angle du deuil » (16), ou qui afficheraient « tout acte de destruction ou de dégradation physique du drapeau de l’Etat ou de tout symbole l’incarnant » (17). Ce projet a suscité l’inquiétude chez les artistes israéliens comme parmi une large partie de l’opposition et de la société civile, qui craignent des atteintes à la liberté d’expression. La député de l’opposition Tzipi Livni avait alors estimé qu’avec ce texte, la culture deviendrait « le porte-parole du gouvernement ».

L’année précédente, en mars 2017, la Knesset a voté un autre projet de loi controversé, « interdisant l’entrée en Israël des partisans du mouvement BDS, qui militent en faveur d’un boycott économique, culturel et scientifique d’Israël » (18). Suite au vote de cette loi, une vingtaine d’organisations, dont 11 européennes, ont été interdites d’entrer sur le territoire israélien. Et première historique, en août dernier, deux membres du Congrès américain - Ilhan Omar et Rachida Tlaib - ont été interdites d’entrée dans l’Etat hébreu, sur les bases de cette loi, accusées de soutenir le mouvement de boycott BDS contre Israël (19). Les deux membres du Congrès dénoncent régulièrement la politique israélienne dans les Territoires palestiniens.

Israël dans les Territoires palestiniens : quand le conflit se mêle à la démocratie israélienne

En avril dernier, à quelques jours du scrutin pour les législatives, Benyamin Netanyahou promettait d’annexer les colonies israéliennes de Cisjordanie si son mandat de Premier ministre était renouvelé (20). Quelques semaines plus tard, il échouait à former un gouvernement, menant Israël vers de nouvelles élections. En septembre dernier, à une semaine du nouveau scrutin, il élargissait sa promesse de campagne, promettant, s’il était reconduit, d’annexer la Vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte, c’est-à-dire 30% de la Cisjordanie (21).

Après plus de 50 ans de présence israélienne en Cisjordanie, et avec l’intensification de la politique de colonisation, la solution à deux États s’éloigne doucement. L’avenir de la Cisjordanie est aujourd’hui incertain. Ces dernières années, l’annexion partielle de la Cisjordanie (22) convainc de plus en plus d’Israéliens. Et certains, chez les partisans les plus radicaux du sionisme religieux, appellent à annexer l’ensemble de la Cisjordanie, grandes villes palestiniennes incluses. Mais ils devront se confronter à la réalité démographique. Si Israël annexe l’ensemble de ce territoire, il devra intégrer les 2 700 000 de Palestiniens qui y vivent, inversant alors le rapport démographique avec la population juive, et mettant en cause le caractère juif d’Israël. En août dernier, des anciens hauts responsables de la sécurité en Israël se sont opposés à l’annexion de la Cisjordanie, affirmant qu’un tel scénario serait « une menace pour (…) l’avenir juif et démocratique d’Israël ». Un mois plus tôt, dans un entretien accordé à Libération, le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nivolaï Mladenov, affirmait qu’il « n’y a pas d’alternative » à la solution à deux États. Ou bien celle d’une « réalité à un État (…), soit non démocratique, soit non juif » (23). Si Israël décide d’annexer la Cisjordanie, il devra choisir entre deux solutions : le maintien de la démocratie au risque de “menacer” le caractère juif d’Israël, en intégrant plus de 2 700 000 Palestiniens et en leur donnant les droits civiques (24). Ou bien la privation des droits civiques pour les Palestiniens - comme le droit de vote et le droit à participer à des élections - pour maintenir une majorité juive, mais mettre fin à la démocratie (25).

Notes :
(1) https://www.liberation.fr/planete/2018/04/18/israel-la-democratie-etiolee_1644376
(2) “Un nombre stupéfiant d’Israéliens, 42 % (…) croit l’affirmation du Premier ministre selon laquelle Avichai Mandelblit, le procureur général nommé par Netanyahu et le principal juriste d’Israël, a effectivement capitulé devant les pressions de la gauche et les médias” : https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-un-escroc-peut-etre-une-menace-pour-la-democratie-helas-oui/
(3) https://www.lepoint.fr/monde/la-police-israelienne-recommande-l-inculpation-de-netanyahu-pour-corruption-02-12-2018-2275916_24.php
(4) https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/03/audition-en-justice-et-blocage-politique-netanyahou-face-a-un-double-defi-en-israel_6014005_3210.html
(5) https://www.liberation.fr/planete/2019/05/26/on-ne-te-laissera-pas-devenir-erdogan-l-opposition-israelienne-unie-contre-l-immunite-de-netanyahou_1729620
(6) (Aussi appelés Palestiniens citoyens d’Israël ou Palestiniens de 48)
(7) https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-la-loi-sur-l-etat-nation-adoptee-a-la-knesset_5333366_3218.html
(8) https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-la-loi-sur-l-etat-nation-adoptee-a-la-knesset_5333366_3218.html
(9) https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Israel-mobilisation-contre-loi-lEtat-nation-peuple-juif-2018-08-08-1200960576
(10) https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5316576,00.html
(11) https://ccfd-terresolidaire.org/mob/agenda/conference-loi-etat-nation-israel-6293
(12) https://www.sgi-network.org/docs/2018/country/SGI2018_Israel.pdf
(13) https://www.sgi-network.org/docs/2018/country/SGI2018_Israel.pdf
(14) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20111218-liberte-expression-opinion-onu-israel-territoires-occupes
(15) https://fr.timesofisrael.com/un-projet-de-loi-israelien-conditionne-le-financement-des-arts-a-la-loyaute/
(16) La journée d’indépendance d’Israël correspond à la Nakba (exode de 1948), considérée comme un jour de deuil pour les Palestiniens.
(17) https://fr.timesofisrael.com/un-projet-de-loi-israelien-conditionne-le-financement-des-arts-a-la-loyaute/
(18) https://www.france24.com/fr/20180108-israel-france-palestine-interdit-organisations-boycott-bds-visa
(19) https://www.lefigaro.fr/international/israel-interdit-l-entree-sur-son-territoire-a-deux-elues-americaines-20190815
(20) https://www.la-croix.com/Monde/Netanyahu-dit-vouloir-annexer-colonies-Cisjordanie-rival-condamne-2019-04-08-1301014040
(21) https://www.france24.com/fr/20190911-israel-benjamin-netanyahu-plan-annexion-partie-cisjordanie-vives-reactions
(22) Uniquement les colonies israéliennes.
(23) https://www.liberation.fr/planete/2019/07/19/nikolai-mladenov-le-refroidisseur-de-gaza_1740958
(24) https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/24/01003-20190224ARTFIG00155-israel-va-t-il-annexer-la-cisjordanie.php
(25) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-gay-conversion-therapy-is-possible-and-i-did-it-israel-s-education-minister-says-1.74975780

Publié le 29/10/2019


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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