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Jérusalem au XIX ème siècle

Par Clémentine Kruse
Publié le 20/04/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Jérusalem, enjeu politique

Au XIXème siècle, Jérusalem devient un enjeu politique aussi bien entre les grandes puissances européennes qu’entre celles-ci et l’Empire ottoman. Entre les grandes puissances européennes tout d’abord, la question qui se pose est celle du statut de la ville et de la protection des lieux saints. Le partage de l’Empire ottoman étant à cette époque contraire aux souhaits des grandes puissances, et notamment de la Grande-Bretagne, les luttes de pouvoir se font en terme d’influence. La France détient ainsi depuis le XVIIIème siècle l’exclusivité de la protection des religieux envoyés dans l’Empire ottoman, protection qui s’est élargie et englobe de fait l’ensemble des communautés catholiques de l’Empire ottoman. Elle a obtenu, en 1831, de nombreux droits pour les catholiques orientaux : celui de posséder des lieux de culte spécifiques et d’avoir un représentant direct auprès du Sultan. On compte à la fin du XIXème siècle près de 120 000 catholiques dans l’Empire ottoman ainsi que 32 000 maronites et en 1900, deux tiers des missionnaires présents au Proche-Orient sont français. Ce contexte lui laisse penser qu’elle peut être reconnue comme la protectrice des lieux saints. Mais ce souhait n’est pas concrétisé, en raison notamment des rivalités qui l’opposent à la Russie, cette dernière souhaitant également étendre son influence à Jérusalem. En effet, la Russie a signé avec la sublime Porte en 1774 le traité de Kütchük-Kaynardja, lui octroyant un droit de protection sur les orthodoxes résidant à Constantinople. La Russie a, elle aussi, étendu ce droit à l’ensemble des communautés orthodoxes des grandes villes ottomanes, dont Jérusalem.

Entre 1830 et 1840, lorsque la région et Jérusalem sont gouvernées par l’Egypte, se pose la « question de Jérusalem » : différents plans sont élaborés par les grandes puissances européennes afin de mieux définir le statut de la ville. Parmi ceux-ci, le plan prussien de janvier 1841 vise à faire de Jérusalem une ville internationale où les chrétiens seraient divisés en trois grandes communautés : catholique, russe et protestante. Les lieux saints seraient quant eux la propriété des cinq grandes puissances européennes. Face à ces différents plans, dont tous prévoyaient une extension de l’influence européenne sur la ville, la sublime Porte réagit : un gouverneur est nommé par un firman de juin 1841, dont les pouvoirs spécifiques lui permettent de régler lui-même les conflits intercommunautaires, ôtant ainsi aux puissances européennes leur rôle de médiation. De la même façon, la ville acquiert très tôt un conseil municipal qui va beaucoup œuvrer à sa modernisation.

Jérusalem, capitale administrative de la Palestine

Durant la décennie 1830, l’administration égyptienne en Palestine a permis à celle-ci de s’internationaliser et les Ottomans, revenus au pouvoir en 1841, n’ont d’autre choix que de maintenir cette politique d’ouverture. Elle se traduit par l’installation de consulats étrangers à Jérusalem, dont le premier, celui de Grande-Bretagne, s’installe en 1838. De la même façon, les pèlerins, dont le nombre est en augmentation, sont autorisés à séjourner plus longtemps dans la ville sainte.

Les décennies 1850 et 1860 marquent véritablement un tournant dans l’histoire de Jérusalem. Celle-ci devient en effet une capitale administrative, ôtant à St Jean d’Acre ce rôle qu’elle occupait jusqu’alors. Les causes de ce changement proviennent de la volonté du pouvoir ottoman de réduire l’influence européenne sur la ville. Ainsi en 1874, le sandjak de Jérusalem devient « indépendant », étant désormais administré par un gouverneur placé sous l’autorité directe de la sublime Porte et directement responsable devant elle. Plusieurs conseils sont également établis : un conseil municipal, un conseil administratif et un conseil général du sandjak. De ces trois institutions, le conseil municipal, composé de six musulmans, deux chrétiens et deux juifs, est celui qui œuvre le plus en faveur de la ville. A son initiative, les rues sont pavées et un dispositif d’égouts est mis en place en 1870, ainsi qu’un système d’éclairage au kérosène. A la veille de la Première Guerre mondiale, il est prévu d’installer l’électricité, un système téléphonique et de construire des lignes de tramway. En 1886, une police municipale est instaurée et des bâtiments municipaux sont construits, dont en 1891 un hôpital. Jusqu’alors, les hôpitaux étaient l’œuvre d’initiatives privées et plus particulièrement des congrégations religieuses. Le conseil municipal met également en place des institutions culturelles, avec la création d’un musée d’antiquités et l’ouverture d’un théâtre en 1901. Concernant le conseil administratif et le conseil général du sandjak, leurs rôles s’étendent à l’ensemble du sandjak, dans le domaine de la finance et des taxes.

Ce sont donc en partie les réformes administratives ottomanes qui ont permis à Jérusalem de s’imposer comme la capitale administrative de la Palestine.

Une croissance spécifique

La croissance de Jérusalem au XIXème siècle est spécifique : alors que les autres grandes villes de l’Empire ottoman se développent grâce au commerce et à l’industrie, celle de Jérusalem est au contraire étroitement liée à son statut de ville « trois fois sainte » et par l’importance qu’elle occupe dans l’imaginaire européen.
Sur le plan démographique, de 1800 à 1910, la population passe de 8 750 habitants à plus de 70 000 [1]. Dans les décennies 1840 et 1850, une importante communauté protestante, composée principalement d’Anglais et d’Allemands, s’établit dans la ville et participe à la construction de nouveaux édifices, comme celle d’une cathédrale protestante en 1849.
Dans le domaine architectural, la ville connaît à la suite à la guerre de Crimée (1853-1856), un véritable essor de la construction immobilière et des infrastructures. Des édifices religieux sont bâtis (églises, monastères, synagogues mosquées), mais également des écoles, des hôpitaux, des hôtels etc. En 1860, le missionnaire allemand Schneller fait bâtir un orphelinat syrien pour les garçons et en 1881 est créée l’école de l’Alliance israélite universelle. Au nord-ouest de la ville se construit un quartier résidentiel juif, tandis qu’au sud et au nord de nouveaux quartiers arabes apparaissent. La construction de la route entre Jaffa et Jérusalem permet d’importer plus aisément les matériaux destinés à la construction et, à côté de la ville historique de Jérusalem, une ville européenne prend forme. Dans les villes et villages entourant Jérusalem, une spécialisation dans le bâtiment crée ainsi que de nombreux emplois.
L’économie de Jérusalem dépend fortement de son statut de ville sainte. Des institutions sont notamment mises en place pour protéger les lieux saints, accueillir les pèlerins et les visiteurs. En revanche, peu d’industries réussissent à s’installer à Jérusalem. L’industrie du savon, présente durant le premier XIXème siècle, connaît un fort déclin dès les années 1850. Une tentative est faite pour implanter une industrie de la soie aux alentours de 1840 mais le projet est abandonné dès 1860.
Des initiatives sont également prises pour moderniser la ville, le système de communication et les réseaux de transport sont notamment améliorés : en 1865, Jérusalem est reliée au télégraphe, c’est-à-dire à des villes comme Constantinople ou le Caire ; en 1867, une route pavée est construite entre Jérusalem et Jaffa, puis en 1892 une ligne de chemin de fer est construite par une compagnie française. Cette amélioration du réseau de transport permet une augmentation significative du nombre de pèlerins européens, qui passe de 10 000 (1870) à 40 000 (1910).

L’histoire de Jérusalem au XIXème siècle diffère considérablement de celle des autres grandes villes ottomanes. Sa particularité historique fait d’elle une ville convoitée mais aussi un lieu important de pèlerinage, et à la fin du XIXème siècle un lieu d’immigration avec l’arrivée des premiers sionistes. Dans son article sur Jérusalem au XIXème siècle [2], Alexander Schölch estime que l’on peut considérer 1882 comme une année essentielle dans l’histoire de Jérusalem. Celle-ci marque en effet le début de l’occupation britannique en Egypte ainsi que le début des premières vagues d’immigration juive en Terre sainte. La conjonction de ces deux tendances, celle de l’impérialisme britannique et celle du sionisme, s’opère durant la Première Guerre mondiale, avec d’une part la déclaration Balfour le 2 novembre 1917 et d’autre part l’entrée du général Allenby dans Jérusalem le 11 décembre 1917, influençant en partie le destin de Jérusalem au XXème siècle.

A lire sur Les clés du Moyen-Orient :

 Constantinople

 Alexandrie

Bibliographie :
 Dir. Kamil Asali, Jerusalem in History, Scorpion Publishing Ltd, 1989, 295 pages.
 Jacques Lafont, Jérusalem, Paris, Montchrestien, 1998, 158 pages.
 Dir. Catherine Nicault, Jérusalem 1850-1948 : des Ottomans aux Anglais : entre coexistance spirituelle et déchirure politique, Paris, Autrement, 1999, 229 pages.

Publié le 20/04/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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