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Jeunes-Turcs et révolution de 1908 dans l’Empire ottoman

Par Lisa Romeo
Publié le 13/10/2010 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

L’émergence des Jeunes-Turcs

Le mouvement d’opposition Jeunes-Turcs se forme à partir de 1889 lorsque quatre étudiants de l’Ecole de médecine militaire de Constantinople décident de se regrouper dans une organisation secrète. Ce mouvement se diffuse progressivement parmi les étudiants d’Istanbul, au sein de l’Académie militaire, de l’Ecole d’administration, de l’Académie navale ou encore de l’Ecole vétérinaire et attire également de nombreux officiers et oulémas. Ses membres sont issus des diverses nationalités et religions qui constituent l’Empire ottoman. On trouve majoritairement des musulmans, turcs, arabes et kurdes, mais aussi des chrétiens et des juifs, des Albanais ou encore des Arméniens. Ces Ottomans libéraux font partie de la nouvelle élite, civile et militaire, qui a baigné dans l’esprit des réformes des Tanzimat (période de réforme qui dure de 1839 à 1876). Ils reprennent le modèle des sociétés secrètes italiennes carbonari et se divisent en plusieurs cellules. Leur but est de libéraliser l’Empire et de remettre en place la Constitution de 1876 supprimée depuis 1878 par Abdul Hamid II.

Le mouvement se développe également à l’extérieur de l’Empire où de nombreux Ottomans ont fui la censure et la répression. On trouve alors des cellules jeunes-turques aussi bien au Caire ou en Roumanie, qu’en Grande-Bretagne, Paris ou Genève. Le mouvement reste alors organisé autour de quelques personnalités de manière plus ou moins isolée et ne présente aucun programme précis. S’inspirant de la Révolution française et des différents courants européens du XIXe siècle, allant des plus révolutionnaires au plus conservateurs, les moyens d’actions envisagées par les Jeunes-Turcs sont au final très peu définis et ne représentent pas encore de réelles menaces pour le régime. Jusqu’en 1907, ils se contentent d’une campagne de presse antihamidienne depuis l’extérieur de l’Empire. Toutefois, les Jeunes-Turcs commencent à soucier le sultan qui, inquiet de la dégradation de l’image de la Porte par le mouvement, cherche à affaiblir l’opposition.

Il propose aux dissidents, à partir de 1896, des postes dans son administration et dans ses ambassades. De nombreux Jeunes-Turcs acceptent son offre, décrédibilisant ainsi pour un temps le mouvement. Les Jeunes-Turcs reprennent cependant un certain dynamisme en 1899, avec le ralliement de Dâmâd Mahmoûd Pacha, beau-frère du sultan, et ses deux fils, les princes Sabâhaddîn et Lûtfullâh. Ils tentent d’unifier le mouvement en organisant un congrès de Jeunes-Turcs à Paris en 1902. Mais, si tous s’accordent sur la nécessité de mêler toujours plus étroitement l’armée à l’organisation, de profondes divisions apparaissent entre eux.

Les différents courants Jeunes-Turcs

Deux principaux courants émergent. L’Union ottomane, qui deviendra le Comité Union et Progrès (CUP), est créée à Paris en 1878 et est principalement représentée par Ahmed Riza (1859-1930). Le Comité s’inspire des idées positivistes d’Auguste Comte et de son disciple Pierre Lafitte, et prône l’ordre et le progrès sans pour autant avoir un programme politique précis. Parallèlement se forme autour du prince Sabâhaddîn, neveu du sultan, l’organisation de l’Initiative privée et de la Décentralisation. Sabâhaddîn s’inspire de la pensée de l’économiste Fréderic Le Play et d’Edmond Demolins et entend favoriser l’initiative privée et la décentralisation pour permettre la réunion des composantes religieuses et nationales de l’Empire. Il veut également faire appel aux Puissances pour aider à la bonne mise en place des réformes. Le groupe s’oppose alors au groupe d’Ahmed Riza qui prône un centralisme autoritaire et qui, ardent nationaliste, repousse toutes ingérences européennes dans les affaires ottomanes. Lors d’un nouveau congrès organisé à Paris en décembre 1907, les Jeunes-Turcs finissent par s’accorder sur le recours à la résistance armée, sur le refus de l’impôt, sur la grève et sur une intensification de la propagande au sein de l’armée pour parvenir à l’insurrection. La destitution du sultan-calife n’est à ce moment pas encore envisagée.

La révolution de 1908 et l’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs

Les événements vont se précipiter à partir de 1907. Ne supportant plus les humiliations infligées à l’Empire par les puissances européennes, l’armée ottomane en Macédoine, portée par un ardent nationaliste, commence à s’insurger. Mais cette insurrection ne dépasse pas le niveau local. L’entrevue de Reval entre le roi d’Angleterre et le tsar en juin 1908 laisse entendre que l’autonomie et la démilitarisation de la région ont été décidées. Cette entrevue intensifie les soulèvements des Jeunes-Turcs qui cherchent à empêcher le démembrement de l’Empire.

Des militaires tels qu’Enver et le commandant Niyazi, membre du comité de Salonique, prennent alors le maquis et tuent des émissaires envoyés par le sultan pour rendre compte de la situation sur place. Les actes de mutinerie s’étendent alors dans toute la Macédoine, en Thrace et en Anatolie, des émeutes éclatent dans le Kosovo. Le Palais envoie sur place dix-huit mille hommes pour mater l’insurrection mais ces derniers finissent par se rallier aux rebelles. Devant l’exacerbation des tensions, Abdul Hamid II se résigne à autoriser le retour des Jeunes-Turcs le 23 juillet 1908 et accède à leur demande le lendemain : la Constitution est alors rétablie et des élections sont organisées. La révolution des Jeunes-Turcs est suivie d’une vague de liberté, des mouvements d’émancipation de la femme et des ouvriers manifestent dans la rue. On croit en la possibilité d’une réconciliation nationale et d’une régénération de l’empire. La liberté de la presse est restaurée. Des travaux de modernisation débutent. L’opinion internationale salue l’action des Jeunes-Turcs. Le prestige du Comité d’Union et Progrès s’accroit et ses membres augmentent, passant de 300 membres en juillet à 350 000 en quelques mois.

Mais l’effervescence est de courte durée. La révolution réveille également l’irrédentisme des Balkans. Le prince Ferdinand de Bulgarie proclame son indépendance. L’Autriche-Hongrie en profite pour annexer la Bosnie-Herzégovine qu’elle occupait et administrait jusqu’à présent et la Crête demande à être rattachée à la Grèce. L’Empire perd ensuite l’Albanie, puis la Libye devient italienne en 1912. Les Jeunes Turcs ne parviennent pas à empêcher le démembrement de l’Empire.

En outre, les élections de novembre 1908 donnent la majorité des sièges du parlement au Comité d’Union et Progrès. Les Turcs, minoritaires dans l’Empire restent ainsi les plus représentés au Parlement. Une rupture se fait alors entre les Jeunes-Turcs d’origine turque et les autres nationalités du mouvement. L’opposition s’organise alors contre le Comité Union et Progrès qui arrive cependant à écraser la contre-révolution d’avril 1909. Le sultan est destitué et remplacé par Mehmed V qui n’a aucun réel pouvoir. Le Comité Union et Progrès impose peu à peu un parti unique et en janvier 1913, un coup d’Etat assoit véritablement leur pouvoir jusqu’à l’éclatement de l’Empire ottoman en 1918.

Le nationalisme du Comité Union et Progrès

Rapidement, de multiples lois sont votées. Les associations politiques qui maintiennent la dénomination de nationalité sont interdites et les communautés religieuses sont de plus en plus contrôlées. Le Comité cherche à unifier les différentes populations : il ne doit plus exister de distinction entre les citoyens ottomans qui doivent tous avoir les mêmes droits et devoirs. Ils abolissent le vieux système de privilèges des minorités. Le Comité met ainsi en place un programme de turquification dans l’ensemble de l’Empire. L’élément turc est toujours plus favorisé au détriment des autres nationalités. Ce nationalisme turc est très mal perçu par les notables arabes et réformistes musulmans. Ces mesures accentuent le nationalisme arabe et la volonté d’autonomie des nationalistes arabes et les poussent à se tourner vers les puissances européennes afin de se libérer du joug turc et de réaffirmer leur identité.

Bibliographie :
Hamit Bozarslan, Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, Editions La Découverte, 2004
Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989
Ibrahim Tabet, Histoire de la Turquie de l’Altaï à l’Europe, Paris, L’Archipel, 2007
Yves Ternon, Empire ottoman, le déclin, la chute, l’effacement, Paris, Editions du Félin/Editions Michel de Maule, 2002

Publié le 13/10/2010


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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