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Mohammed bin Salman a officiellement lancé en novembre 2017 dernier la coalition islamique antiterroriste qu’il avait annoncée deux ans auparavant. Dans un contexte régional agité, sur fond de bouleversements internes majeurs, l’Arabie saoudite a fait de la lutte contre le terrorisme un instrument clé de sa politique, au croisement entre stabilité interne du régime et hégémonie régionale.
Le royaume saoudien est engagé depuis plus de trente ans dans une politique d’identification et de répression des groupes radicaux violents, aussi bien sur son propre territoire qu’à l’extérieur de ses frontières. Il a développé une collaboration étroite avec les Etats-Unis en termes d’échange de renseignements, a fortement renforcé sa législation contre le financement du terrorisme, et a ouvert un centre de déradicalisation dont les programmes ont servi de modèles pour de nombreux autres pays.
Victime depuis les années 1990 d’attaques terroristes sur son territoire, et conscient que sa population jeune et fortement touchée par le chômage constitue une cible potentielle de radicalisation, le royaume perçoit le terrorisme comme une menace sécuritaire réelle. Plusieurs milliers de Saoudiens se battraient aujourd’hui en Syrie, en Irak et au Yémen, et la question de leur retour en Arabie saoudite se pose de manière toute aussi problématique que le retour des combattants partis en Afghanistan l’avait été dans les années 90.
L’engagement de l’Arabie saoudite en termes de lutte contre le terrorisme prédate les attentats de 2001. Le royaume fut en effet le premier pays membre de l’Organisation de la Conférence Islamique à signer le Traité de Lutte contre le Terrorisme International en juillet 2000. Mais les attentats du 11 septembre 2001 – dans lesquels une majorité de Saoudiens était impliquée – et les pressions de la communauté internationale, ont poussé le royaume à renforcer son engagement dans ce domaine. La vague d’arrestations et de condamnations à mort de cadres d’Al Qaida qui suivirent le 11 septembre ne suffirent pas à empêcher l’attaque de Riyadh par le groupe djihadiste en 2003. Cet attentat, vécu comme un véritable traumatisme pour les Saoudiens, marqua un tournant dans la stratégie saoudienne de lutte contre le terrorisme.
Le royaume a en effet considérablement renforcé les moyens alloués à la lutte contre le terrorisme. Les services secrets saoudiens ont aussi enquêté ces dernières années sur plusieurs milliers de dossiers de suspects, et ont arrêtés des centaines de collaborateurs suspectés d’Al Qaida. Il a aussi renforcé sa législation visant à combattre le financement du terrorisme, et a introduit une nouvelle approche dénommée PRAC (Prevention, Rehabilitation and After-care) visant à prévenir les risques de radicalisation chez les jeunes, déradicaliser les détenus djihadistes et accompagner leur réinsertion dans la société. Si cette politique n’a rien de nouveau, l’Arabie saoudite est le premier pays à l’avoir réellement développé et financé à cette échelle. Son centre de déradicalisation a servi de modèle pour de nombreux autres pays.
A l’extérieur de ses frontières, le royaume coopère de manière bilatérale avec de nombreux pays de la région, l’Union européenne, mais aussi et surtout les Etats-Unis. Les deux pays ont en effet créé dès 2003 une « joint task force » ayant pour objectif de combattre le financement des groupes terroristes, et ont signé en 2008 un accord bilatéral de coopération dans le domaine du contre-terrorisme.
A l’échelle internationale, l’Arabie saoudite a joué un rôle majeur auprès du G20 dans l’adoption du plan d’action contre le financement terroriste, et est l’un des principaux financeurs du Centre des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme (UNCCT).
La coalition islamique de lutte contre le terrorisme, lancée officiellement par Mohammed bin Salman en décembre 2017, vise à prolonger ces efforts et à permettre une coopération renforcée entre les pays musulmans de la région. Basée à Riyad et rassemblant 34 pays musulmans, la coalition doit encore définir ses objectifs et moyens d’opération.
L’État saoudien continue cependant d’apparaître aux yeux de certains comme la source du problème qu’il prétend combattre. Suite aux attaques du 11 septembre 2001, les pays occidentaux ont en effet pointé du doigt le fait que 11 des 19 djihadistes impliqués étaient d’origine saoudienne. Le soutien financier à certains groupes radicaux dans la région, mais aussi l’exportation même de la doctrine ultra-conservatrice wahhabite dans le monde, ont été pointés du doigt comme ayant joué un rôle dans le développement de certains réseaux terroristes.
Cette relation pour le moins ambiguë du pouvoir saoudien avec certaines mouvances radicales tient au fait que celles-ci jouent un rôle clé dans la politique étrangère du royaume et la préservation de ses intérêts dans la région. A partir des années 1950-60, le royaume a utilisé l’aide aux musulmans en détresse à travers le monde et la rhétorique panislamique pour consolider sa légitimité en tant que leader du monde musulman, par opposition notamment au nationalisme arabe de l’Egypte. Lors de la persécution des Frères musulmans en Egypte par Nasser, le royaume a accueilli plusieurs milliers d’entre eux et leur a fourni une plateforme d’expression, avec pour objectif principal de déstabiliser l’Egypte qui constituait alors son principal rival dans la région.
Le royaume a aussi fourni une aide humanitaire importante dans les principaux conflits de la région. Bien qu’il soit difficile de connaître avec précision la nature et l’ampleur de ces soutiens, de nombreux rapports déclarent que cette aide s’est parfois convertie en aide logistique et militaire envers des groupes impliqués dans les combats, avec pour objectif de faire peser la balance dans le sens des intérêts saoudiens. Le royaume aurait ainsi soutenu financièrement des groupes armés et mouvements de résistance en Palestine, Bosnie Herzégovine ou Tchétchénie dès les années 1980, ou encore aux Talibans en Afghanistan, avec la complicité des Etats-Unis dont l’objectif était de contrer l’expansion Russe. Ce soutien à la communauté musulmane étrangère s’est d’autant plus renforcé dans les années 1980 que le pays était confronté à une première baisse des prix du pétrole et à une crise économique interne qui remettait en cause sa capacité à subvenir aux besoins de sa population et menaçait ainsi la légitimité du régime.
Outre la solidarité panislamique, l’Arabie saoudite aurait utilisé ce soutien à des groupes armés pour contrecarrer les intérêts de l’Iran, son principal rival. En Irak en 2005, alors que les Etats-Unis encourageaient l’élection d’un gouvernement chiite à la tête du pays, l’Arabie saoudite a soutenu des groupes de l’opposition sunnite, dont certains auraient par la suite contribué à la création de Daech. De la même manière, en Syrie, l’Arabie saoudite a soutenu pendant les Printemps arabes l’opposition au régime de Bachar al-Assad, parfois sans distinguer l’opposition modérée aux groupes djihadistes. Le soutien aux groupes radicaux en Syrie avait avant tout pour objectif de faire tomber Bachar al-Assad, allié clé de l’Iran dans la région, qui permettait le transit d’armements destinés au Hezbollah sur son territoire et accueillait le quartier général du Hamas palestinien. Plus récemment, l’implication de l’Arabie saoudite dans le conflit yéménite a pour principal objectif de bloquer l’avancée des Houthis, groupe chiite proche de l’Iran, au risque de favoriser la montée de mouvances radicales telles qu’Al Qaida ou Daesh.
Cette stratégie de soutien à certains groupes armés s’est cependant rapidement retournée contre le royaume. Le retour au pays de près de 12 000 djihadistes partis se battre en Afghanistan dans les années 90, et aujourd’hui la question du retour des combattants saoudiens partis en Syrie ou au Yémen, posent des problèmes sécuritaires majeurs pour le royaume. De plus, certains groupes salafistes, qui n’ont pas pardonné à l’Arabie saoudite d’avoir accueilli les troupes américaines sur son sol pendant la guerre du Golfe, considèrent désormais le royaume comme leur ennemi numéro un. Celui-ci est ainsi devenu la cible d’attaques sur son propre territoire dès les années 1970-80, avec notamment la prise de la mosquée de La Mecque par un groupe d’extrémistes en 1979, puis les attaques à la bombe de Riyadh en 1995 puis de Khodar en 1996. L’attaque de Riyadh par Al Qaida en 2003, qui fit 27 victimes, marque cependant une réelle prise de conscience au sein de la sphère politique saoudienne.
Il est aujourd’hui difficile de savoir dans quelle mesure l’Arabie saoudite continue de financer ou non certains groupes, dans la mesure où ces financements se font souvent de manière privée et non officielle. Certains observateurs considèrent que le financement saoudien de l’expansion à l’international de la doctrine wahabbite, contribuerait à nourrir l’idéologie djihadiste. Cependant, le lien direct entre conservatisme religieux et djihadisme est largement questionnable.
Les pressions de la communauté internationale et les risques sécuritaires internes posés par la menace terroriste ont fortement encouragé le royaume à encadrer l’aide envoyée à certains groupes armés et à ainsi décroître le risque de financement du terrorisme. Mais c’est paradoxalement aujourd’hui la lutte contre le terrorisme elle-même qui constitue un outil de politique étrangère et intérieure pour le royaume.
Depuis les attaques du 11 septembre 2001, la notion de « terrorisme » s’est chargée d’une dimension émotionnelle forte, sans avoir jamais pour autant été définie par la communauté internationale de manière claire et consensuelle. Elle a ainsi été l’objet de toutes formes d’instrumentalisation politique par divers pays et pour divers intérêts. L’Arabie saoudite s’en est largement servie dans ses discours visant à justifier son opposition à l’Iran ou au Qatar, qu’elle accuse de financer le terrorisme, légitimant ainsi ce qui constitue avant tout une lutte de pouvoir.
La logique est la même dans sa politique intérieure. La frontière est fine entre la lutte contre le terrorisme et la répression des opposants politiques, et celle-là inclut souvent la répression de groupes armés violents, que de réseaux islamistes modérés et d’opposants politiques non-islamistes, comme le montre la purge effectuée par Mohammed ben Salman en septembre 2017. Les lois antiterroristes de 2014 et 2017 maintiennent un flou volontaire autour des crimes terroristes, incluant notamment le fait de critiquer ouvertement le régime ou de menacer la paix sociale. De nombreux activistes des droits de l’homme ont été arrêtés sous ces lois, dont notamment Waleed Abu Al Khair, Mohammed al Bajadi ou encore Abdulaziz al Shubaily. Ce lien entre stabilité du régime et lutte anti-terroriste s’est encore renforcé avec la création par Mohammed Ben Salman de la Sécurité de l’Etat, un nouvel organe en charge du renseignement antiterroriste et national, directement dépendant du roi.
L’Arabie saoudite fait face à de nombreux défis, aussi bien internes, avec la chute du prix du pétrole et les profondes réformes économiques et sociales entamées par Mohammed Ben Salman, qu’extérieures, avec le retrait relatif des Etats-Unis de la région, la montée en puissance de l’Iran et les rivalités intra-CCG. La crise du CCG laisse présager une possible redéfinition des alliances et de l’architecture sécuritaire du Golfe dont l’impact reste encore à définir. La question de la lutte contre le terrorisme se retrouve à nouveau au cœur de ces enjeux. A l’heure où les pays européens s’interrogent sur la façon d’améliorer leur coopération dans ce domaine avec les pays de la région, et notamment l’Arabie saoudite, comprendre en profondeur les enjeux que cette notion englobe est essentiel.
Camille Lons
Camille Lons est programme officer Moyen-Orient et Afrique du Nord du European Council on Foreign Relations (ECFR). Elle y coordonne le travail du think tank sur la région du Golfe Persique.
Elle a travaillé auparavant aux Emirats arabes unis, au Liban et en Jordanie, où elle a notamment publié des recherches de terrain pour les centres Lebanon Support-Daleel Madani et Tamkeen for Legal Aid, sur les conséquences du conflit syrien dans les pays de la région.
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