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L’Irak menacé par la lutte Israël-Iran

Par Samuel Forey
Publié le 09/09/2019 • modifié le 23/07/2021 • Durée de lecture : 5 minutes

A picture taken on August 30, 2019 shows a billboard, installed by a militant faction belonging to Iraq’s Hashed al-Shaabi (Popular Mobilisation Forces) on a main road in Baghdad bearing the slogan : "Death to America and Israel" next to a picture of a helicopter carrying a coffin draped with the US flag. Iraq’s top government officials met with leading members of the Hashed al-Shaabi earlier this week after a purported Israeli strike on the Shiite Muslim paramilitary force that risks throwing the country into a proxy war. A string of suspicious incidents at Hashed bases over the last month have sparked concern of a possible confrontation between Iran, the US, and Israel on Iraqi soil — or in its airspace.

AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Encore un entrepôt qui part en fumée. Au début, ça ressemblait à l’un de ces incendies accidentels de dépôts de munitions, courants en Irak quand la température dépasse les 50 degrés. La veille, l’un d’entre avait brûlé à Erbil. Ni isolés, ni sécurisés, les explosifs stockés s’embrasent spontanément dans la chaleur de l’été irakien.

Mais ce vendredi 19 juillet, c’est différent. La base al-Shuhada, entre Bagdad et Erbil, au cœur de ces territoires contestés que se disputent Kurdes et Arabes, est attaquée dans la nuit par un drone. Elle abrite la 16e brigade de la Mobilisation populaire, une coalition de forces paramilitaires chiites créées à l’occasion de la guerre contre l’Etat islamique. La 16e est affiliée à la milice Badr, l’un des bras armés de l’Iran en Irak. Al-Arabiya, une chaîne saoudienne, assure que la base a reçu récemment des missiles balistiques iraniens.

Les explosions en Irak

L’explosion détruit un dépôt de munitions et fait au moins une victime, un certain Abozfazl Sarabian - de nationalité iranienne. Un coup de l’Etat islamique, toujours menaçant dans cette zone ? Aucune revendication ne vient. Une frappe l’armée américaine ? L’une de leurs positions à Mossoul avait été visée, tout juste un mois plus tôt, par des roquettes. Les milices chiites étaient fortement soupçonnées. Mais le Pentagone nie fermement. Puis c’est au tour d’un porte-parole de la Mobilisation populaire de démentir l’attaque de drone, affirmant qu’il s’agit d’un incendie accidentel.

Les munitions brûlent, le doute reste. Quelques jours plus tard, se tiennent les funérailles d’Abolfazl Sarabian en Iran. Les autorités rendent un hommage national à l’homme tué dans l’explosion sur la base al-Shuhada et montrent les photos d’un homme solide, en treillis, aux allures de Gardien de la révolution islamique. Ce corps paramilitaire d’élite est de tous les coups de main menés par l’Iran au Moyen-Orient. Les médias du pays annoncent que Abolfazl Sarabian a été tué dans « une indigne attaque de drones américano-israéliens ».

Le 12 août, nouvel incendie, cette fois-ci à Bagdad. Encore une base de la mobilisation populaire. Le complexe abritait des missiles courte et moyenne portée. Là encore, les autorités minimisent l’incident, l’imputant à une négligence.

Mais plutôt que de décréter une mise aux normes des dépôts de munitions, le Premier ministre irakien prend un décret inattendu, ordonnant l’interdiction de tous les vols non autorisés, appareils de reconnaissance, avions de chasse et drones. A tel point que la coalition anti-EI menée par les Etats-Unis, dont les aéronefs survolent en permanence le territoire irakien, se sent obligée de préciser qu’elle obéit à toutes les règles dans le cadre de la lutte contre l’organisation djihadiste. Celle-ci, repassée à l’insurrection, donne du fil à retordre à des forces locales loin d’être totalement maîtresses du terrain. L’appui aérien reste souvent décisif et ne saurait être empêché par le nouveau décret.

Le 20 août, encore une frappe, cette fois-ci sur la base de Balad. Les installations, partagées dans une curieuse mais très irakienne cohabitation entre forces américaines, compagnies de sécurité privées et milices chiites, se trouvent au nord de Bagdad. A nouveau, un dépôt de munitions est visé. L’attaque annonce une série d’offensives menée à travers trois pays du Moyen-Orient : dans les jours qui suivent, un centre médiatique du Hezbollah, au Liban, une base au sud de Damas, en Syrie, sans compter l’élimination ciblée du commandant d’une milice chiite, à al-Qaim, à la frontière irako-syrienne.

Israël et le terrain irakien

L’origine des frappes mystérieuses se précise. Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, annonce lui-même le tournant sur Twitter, le 24 août : « Dans un effort opérationnel majeur, nous avons déjoué une attaque contre Israël par les Gardiens la révolution et les milices chiites. Je répète : l’Iran n’a d’immunité nulle part. Nos forces opèrent dans tous les secteurs. Si quelqu’un se dresse pour vous tuer, tuez-le d’abord. » Les professionnels du renseignement reconnaissent à présent que la série d’attaques en juillet et en août en Irak est du fait des forces israéliennes.

Israël vient de franchir une ligne rouge. Il n’avait pas mené d’opérations sur le sol irakien depuis 1981. L’opération Opera visait alors à enrayer un programme… nucléaire, mené à l’époque par Bagdad. Le terrain d’affrontement habituel entre l’Iran et Israël était la Syrie, plus particulièrement depuis que ce pays s’est enfoncé dans la guerre civile depuis 2012, permettant à Téhéran de devenir le premier sponsor de Bachar el-Assad. Les opérations clandestines étaient devenues de véritables campagnes de bombardements sur les milices chiites. Gadi Eisenkot, chef d’état-major de l’armée israélienne jusqu’en janvier 2019, a estimé dans une interview au New York Times qu’il y avait eu quelques 2 000 frappes sur le territoire syrien pour la seule année 2018 - soit trois par jour, en moyenne.

Bombarder l’Irak fait passer cet affrontement indirect dans une toute autre dimension. Premièrement, parce que le pays est un allié des Etats-Unis, engagé dans la lutte contre l’Etat islamique avec l’aide de nombreuses armées occidentales. Deuxièmement, parce que l’Irak est le dernier terrain d’affrontement indirect dans un environnement proche. La prochaine étape, pour Israël, ne pourrait être que l’affrontement direct.

Pour l’instant, la montée des tensions semble sous contrôle. Mais le sujet préoccupe profondément l’Irak, pays fragile mais qui reste un Etat souverain. Le 19 mai dernier, une réunion entre les leaders politiques et militaires de premier plan s’est tenue à Bagdad. L’objet de la discussion : éviter de se laisser entraîner dans une nouvelle guerre. « L’Irak est un succès qui émerge de quarante ans de conflit. Nous n’avons ni l’endurance, ni l’énergie, ni les ressources, ou même la volonté, de devenir la victime d’un conflit indirect », a confié le président irakien, Barham Salih, au Financial Times.

Gadi Eisenkot, l’ancien chef d’état-major des forces armées israéliennes, semble n’en avoir cure. Il avait annoncé, à mots voilés, l’extension de la lutte que Tel Aviv mène contre Téhéran en janvier dernier : « Alors que nous pressons [l’Iran] en Syrie, ils transfèrent leurs efforts en Irak. » L’homme est l’inventeur d’une nouvelle doctrine : « La campagne militaire entre les guerres », pour sans cesse diminuer les capacités d’action de l’ennemi. En d’autres termes, cela signifie un état de conflit permanent.

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Publié le 09/09/2019


Né en 1981, Samuel Forey a étudié le journalisme au CELSA. Après avoir appris l’arabe en 2006-2007 à Damas, il s’installe en Egypte en 2011 pour suivre les tumultueux chemins des révolutions arabes.
Il couvre la guerre contre l’Etat islamique à partir de 2014, et s’établit en 2016 en Irak pour documenter au plus près la bataille de Mossoul, pour la couverture de laquelle il reçoit les prix Albert Londres et Bayeux-Calvados des correspondants de guerre en 2017. Après avoir travaillé pour la revue XXI, il revient au Moyen-Orient en journaliste indépendant.


 


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