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L’Iran, de la Révolution constitutionnelle au règne de Reza Shah Pahlavi (1906-1941)

Par Allan Kaval
Publié le 12/01/2012 • modifié le 26/04/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Reza Shah Pahlavi, 1941

AFP

La Révolution constitutionnelle

Suite à un puissant mouvement insurrectionnel de plusieurs mois mené par les marchands du bazar et le clergé chiite, des revendications concernant la formation d’une assemblée représentative et la promulgation d’une constitution sont formulées. Le 5 août 1906, une proclamation royale annonce l’organisation d’élections devant aboutir à la formation d’une assemblée constituante. Celle-ci est réunie en octobre 1907 alors qu’entre-temps, la société civile a connu une période d’effervescence caractérisée par la multiplication des associations révolutionnaires et des journaux libres. Ses membres, essentiellement issus du bazar, des corporations, du clergé, se divisent entre modérés et libéraux. Ensemble, ils rédigent une loi fondamentale organisant le fonctionnement d’une monarchie parlementaire centrée sur une assemblée représentative dotée de pouvoir étendus, les Majles.

Les nouvelles institutions se heurtent aux idées autocratiques du souverain Mohammed-Ali, arrivé au pouvoir en 1907. Disposant d’appuis auprès de certains notables et membres du clergé ainsi qu’auprès de la légation russe, il ferme les Majles en juin 1908 et fait arrêter parlementaires et journalistes libéraux. Ce repli autoritaire déclenche une guerre civile dont les libéraux finissent par triompher. Cette guerre se solde par l’abdication de Mohamed-Ali en faveur d’Ahmad, son fils encore adolescent, en juillet 1909. La défaite des royalistes ouvre une période de libéralisation du régime. Cependant, la faiblesse des moyens financiers prive le nouveau pouvoir d’une véritable latitude d’action. Son autorité est d’autant plus précaire que le mouvement constitutionnaliste est traversé par des lignes de fractures profondes entrainant des affrontements violents.

Dirigée contre la mainmise étrangère, la révolution constitutionnelle est contraire aux intérêts des deux puissances tutélaires. La montée en puissance des tribus et le chaos qui règne dans la périphérie suite à la guerre civile permet à la Grande-Bretagne et à la Russie d’affermir leur implantation respectivement au sud et au nord du pays, régions qu’elles se sont attribuées aux termes d’un traité d’amitié en 1907. Alors que la Grande-Bretagne met en place une influence indirecte, la Russie occupe militairement sa zone, se confrontant par là même à l’hostilité de groupes locaux. Des élections au suffrage universel sont organisées en 1911 mais le contrôle du pouvoir des constitutionnalistes ne s’étend pas très loin au-delà de Téhéran. La même année, la tentative de retour au pouvoir du Shah déchu, par une campagne militaire, échoue malgré le soutien des Russes.

La Grande guerre et l’arrivée au pouvoir de Reza Shah Pahlavi

Quand la Première Guerre mondiale est déclarée, la Perse déclare officiellement sa neutralité. Frontalière de l’Empire ottoman et placée sous l’influence de la Russie impériale et de la Grande-Bretagne, elle est en fait un des grands champs de bataille du conflit. Les Allemands, qui envoient leurs agents sur le terrain iranien, ainsi que les Ottomans, s’attirent la sympathie d’une population hostile aux deux puissances dominantes. La classe politique elle-même est partagée entre les anglophiles et les nationalistes favorables à l’Allemagne, ces derniers encourageant le djihad envisagé par les Ottomans des populations musulmanes placées sous domination étrangère, du Caucase à l’Afghanistan et aux Indes. Le reflux de l’armée russe après la Révolution de 1917 fait de la Grande-Bretagne la puissance dominante d’un Iran livré au chaos, dévasté par la guerre, la famine et la maladie.

Pour la Grande-Bretagne, garantir la pérennité de sa domination sur l’Iran est une nécessité dans la lutte contre les bolchéviques de plus en plus influents sur le territoire persan, dans la protection de l’Empire des Indes et la garantie de ses intérêts pétroliers devenus, avec ce nouveau siècle, un élément essentiel des relations internationales. Elle établit ainsi sur l’Iran un protectorat organisé par l’Accord d’amitié anglo-persan signé le 9 aout 1919. Confrontée à la vive opposition d’une population travaillée par les idées nationalistes, opposition visible lors de mouvements insurrectionnels, et à l’hostilité de la classe politique et du gouvernement qui n’approuve pas cet accord, la Grande-Bretagne, contestée en d’autres points de sa zone d’influence, finit par retirer ses troupes au printemps 1921.

Dans l’opinion publique et parmi les élites iraniennes, l’accession au pouvoir d’un homme providentiel en mesure de faire respecter l’ordre étatique et de mener à bien les réformes nécessaires au redressement de la nation apparaît comme nécessaire. Cet homme est le colonel Reza Khan, qui prend le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire le 21 février 1921 et ce, sans rencontrer de résistance. Reza Khan devient commandant en chef des armées tandis qu’un journaliste, Seyyed Zia, est nommé chef du gouvernement. Il ne se maintient au pouvoir que quelques mois, s’étant aliéné le Shah et certains de ses alliés par des mesures jugées trop anglophiles.

Son départ permet à Reza Khan de gagner progressivement le soutien des Britanniques. Devenu ministre de la Guerre, il réforme l’armée et participe à la mise en œuvre d’une réforme fiscale. A la tête d’une force militaire plus puissante, il reconquiert le territoire iranien et y impose l’autorité de Téhéran. Ses campagnes centralisatrices réduisent l’influence des tribus et font de lui le nouvel homme fort du pays. En 1923 il est nommé Premier ministre par le shah et met en œuvre ses premières réformes modernisatrices : abolition des titres nobiliaires, introduction des noms de famille, du système métrique, projet de chemin de fer transiranien, etc. Influencé par l’exemple de Mustapha Kemal, Reza Khan souhaite fonder une république mais cette mesure semble trop radicale et suscite l’opposition des conservateurs. Il parvient à accéder au pouvoir suprême en faisant déposer les Qadjars par les Majiles en octobre 1925, puis il réunit une assemblée constituante qui vote l’institution d’une dynastie nouvelle, la sienne, celle des Pahlavi. Reza Khan devient Reza Shah, se couronnant lui-même en 1926.

Le Shah modernisateur

Comme pour l’Empire ottoman, la Première Guerre mondiale a constitué un point de rupture dans le rapport de l’Iran à l’Occident et à la modernité. La voie libérale de modernisation suivie depuis le XIXe siècle est associée à l’ingérence des puissances étrangères. En Iran comme ailleurs en Orient, de même que dans certains pays d’Europe, le modèle autoritaire de l’après-guerre paraît être le seul à même de construire un Etat fort et indépendant. Il implique un double mouvement d’importation des vecteurs de puissance de l’Occident et d’exaltation d’une identité nationale homogène. Les maîtres-mots de cette dynamique de modernisation sont le nationalisme, l’autoritarisme et la centralisation étatique.

Le renforcement de l’institution militaire, qui historiquement est la première touchée par la vague de réforme antérieure, est au centre de ce processus. Une loi sur le service militaire obligatoire est votée en 1925 et devient effective en 1930. En 1941, l’armée de l’Iran comporte 127 000 soldats. L’achat d’équipements militaires étrangers grève une large part du budget et la totalité des recettes pétrolières (entre 1921 et 1941 un tiers des revenus de l’Etat en moyenne). Une fois au pouvoir, Reza Shah limite le pouvoir des Majiles, restreint les libertés, interdit les partis politiques et ferme les journaux indépendants. Son autoritarisme s’accentue dans les années 1930, appuyant son pouvoir sur un puissant appareil policier.

La mise en place d’un ordre étatique moderne grâce à une armée réformée suppose que les autorités et les pratiques sociales traditionnelles soient combattues : le nouveau Shah organise ainsi une politique de sédentarisation forcée des tribus et des groupes nomades, s’attirant l’hostilité de leurs chefs déjà irrités par la conscription obligatoire. L’organisation administrative du territoire change, les provinces sont découpées en départements, municipalités et districts ruraux dont les représentants sont nommés par le pouvoir central. Le renforcement de l’Etat est rendu possible par une réforme du système fiscal qui en accroît l’efficacité.

L’affirmation de l’autorité de l’Etat passe également par une amélioration des infrastructures, notamment dans le domaine des transports et des communications. Entre 1927 et 1938, le kilométrage des voies carrossables passe de 85 00 à 24 000. Le chemin de fer transiranien, construit dans le même intervalle, relie en 1938 la Mer Caspienne au Golfe persique. Le téléphone se développe dans les années 1930 et en 1939, une radio d’Etat est créée. Combinées à la création d’une armée plus puissante et moderne, ces évolutions participent de l’accroissement de l’autorité de l’Etat sur son territoire, accélérant l’intégration économique du pays en même temps que l’unification des poids et des mesures, l’adoption du système métrique et d’un temps standard.

L’économie elle-même est industrialisée à l’initiative de l’Etat suivant une stratégie de substitution aux importations. Dans le secteur primaire, l’exploitation des ressources pétrolières prend une importance majeure et montre les signes d’une volonté croissante d’autonomie à l’égard des compagnies britanniques. Cependant, malgré les tentatives de Reza Shah, elles maintiennent leur position dominante. L’accent est également mis sur l’exploitation des ressources minières mais l’agriculture est négligée. Le monde rural et traditionnel fait dans son ensemble les frais des transformations sociales volontaristes voulues par le pouvoir. Ainsi, une loi vestimentaire de 1928 impose le costume occidental aux hommes et le voile est interdit aux femmes en 1936.

L’éducation nationale est aussi réformée sur le modèle occidental, afin de servir un processus d’homogénéisation culturelle conforme aux vues nationalistes de Reza Shah : l’histoire longue de l’Iran est glorifiée à l’école ; les langues locales sont combattues au profit de la langue persane dont les mots arabes sont retirés ; une Académie, créée sur le modèle de l’Académie française, veille à la conservation de sa pureté. L’expansion du persan est également permise par le service militaire obligatoire. Sur le plan juridique, de nouvelles normes sont introduites et un nouveau système juridique tend à écarter les oulémas des tribunaux. Un nouveau code civil est adopté en 1928 et un nouveau code pénal en 1939.

La diplomatie en revanche est marquée par la constance de ses positions. Même si l’indépendance nationale est un des principes de son règne, Reza Shah doit ménager ses puissants voisins, La Grande-Bretagne et l’URSS. Plus largement, sa politique étrangère vise à mettre l’Iran sur un pied d’égalité avec les autres membres d’une communauté internationale encore embryonnaire. Cela se traduit notamment par sa participation régulière aux travaux de la Société de Nations (SDN). Alors que les périls montent en Europe, les relations, nouées anciennement entre l’Allemagne et les nationalistes iraniens, se poursuivent sous le règne de Reza Shah. En effet, l’enjeu diplomatique essentiel de l’Iran depuis le début du XX ème siècle est de trouver un allié qui soit une « troisième puissance », capable de contrebalancer le poids de la Grande-Bretagne et de la Russie puis de l’URSS. Ainsi, dans les années 1930, les relations économiques entre l’Allemagne et l’Iran se développent, de même qu’un rapprochement idéologique s’opère, l’idéologie allemande convergeant dans une certaine mesure avec la promotion par Reza Shah de l’identité « aryenne » de la Perse dont il change en 1935 le nom officiel pour « Iran » (le pays des Aryens).

Reza Shah déclare la neutralité de l’Iran en 1939 mais cette proximité lui vaut, après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne en 1941, de voir son pays occupé par les forces anglo-soviétiques. Reza Shah est déposé à l’été 1941 puis exilé. Il meurt en juillet 1944 en Afrique du Sud.

Lire également :
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Bibliographie :
 Thierry Kellner et Mohammed-Reza Djalili, Histoire de l’Iran contemporain, Paris, La Découverte, 2010.
 Jean-Paul Roux, Histoire de l’Iran et des Iraniens, Paris, Fayard, 2006.

Publié le 12/01/2012


Journaliste, Allan Kaval travaille sur les politiques intérieures et extérieures de la Turquie et de l’Iran ainsi que sur l’histoire du nationalisme et des identités minoritaires au Moyen-Orient.


 


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