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L’action internationale au Liban mise à l’épreuve de la crise syrienne et de l’imbroglio moyen-oriental. Défis, objectifs et actions du Groupe international de soutien au Liban (GIS)

Par Mélodie Le Hay
Publié le 30/09/2014 • modifié le 14/03/2018 • Durée de lecture : 26 minutes

FRANCE, Paris : (First row, from L-R) German Foreign Minister Frank-Walkter Steinmeier, Russian Foreign Affairs Minister Sergei Lavrov, Former U.S. ambassador to Lebanon Jeffrey Feltman, Lebanese President Michel Sleimane, French President Francois Hollande, French Foreign Affairs Minister Laurent Fabius, U.S. Secretary of State John Kerry, British Foreign Affairs Secretary William Hague, Finnish Foreign Affairs Minister Erkki Tuomioja and Spanish Foreign Affairs Minister Manuel Garcia-Margallo ® pose for a group photograph alongside other European Foreign Ministers during the joint Meeting of the International Support Group for Lebanon at the Elysee presidential palace in Paris, on March 5, 2014. Dignitaries from France, the United States, Russia, the United Kingdom, and other European countries met in Paris today to discuss the impact on Lebanon of the ongoing violent conflict in Syria, as well as the current crisis in Ukraine.

AFP PHOTO / POOL / IAN LANGSDON

Cette dernière tente tant bien que mal de répondre aux appels répétés du gouvernement libanais : « Qu’avons-nous à faire pour le Liban ? Lui apporter un soutien qui ne peut pas être simplement moral, un appui qui ne peut pas être seulement politique. Nous devons donc faire en sorte que le [pays] puisse être capable d’assurer sa stabilité politique et sa sécurité […] [ainsi que] son développement économique » a déclaré François Hollande à l’occasion de l’ouverture de la réunion du Groupe international de soutien au Liban (GIS) au Palais de l’Elysée le 5 mars 2014 [2].

Dans un contexte de fragmentation, de violences et de doutes quant à l’avenir des pays du monde arabe, la création du GIS en septembre 2013 par les Nations unies vise à protéger le Liban d’une « contamination » par les violences syriennes, risque démontré par la recrudescence des attentats et des assassinats politiques ces derniers mois. Ici, considérations politiques et humanitaires se mêlent et s’entrecroisent car une crise généralisée au Liban menacerait directement l’ensemble des fragiles équilibres du Proche-Orient, région déjà au bord de l’implosion. Revenons sur les motifs, les missions et les réalisations de ce Groupe de soutien qui vient compléter le dispositif général mis en place par les Nations unies au Liban depuis son indépendance.

« La petite Suisse du Moyen-Orient », une image d’Epinal

Au vue de son histoire contemporaine tourmentée, et mis à part son système bancaire libéral et ses quelques chaînes de montagne, le Liban, « petite Suisse du Moyen-Orient » n’est plus qu’une image d’Epinal.

Une réalité complexe…

Enjeu des rivalités occidentales, « problème palestinien », occupations israélienne et syrienne… Le destin du Liban semble inexorablement lié à celui de ses voisins tant il est perméable aux vicissitudes régionales. Petit tour d’horizon…

Déjà au XIXe siècle, la poussée de l’Occident dans la région se cristallise sur le sort du Liban, la complexité de ses structures socioreligieuses, phénomène accru au siècle suivant par l’accueil sans distinction des réfugiés politiques, offrant à la rivalité des puissances européennes un terrain de prédilection [3]. Malgré la fin du mandat français en 1946, le Liban n’arrive jamais vraiment à jouir pleinement de son indépendance, tant sont nombreuses et persistantes les atteintes à sa souveraineté et à son intégrité territoriale.

Le pays du Cèdre est d’abord une victime collatérale du conflit israélo-palestinien consécutif à la création d’Israël et à la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Plus de 100.000 Palestiniens viennent s’y réfugier en 1948, puis près de 250.000 après la guerre des six jours de 1967. Terre d’accueil, le Liban est aussi la principale base d’une résistance armée palestinienne effective qui lance des opérations contre l’Etat hébreu, ce dernier n’hésitant pas à attaquer en représailles le territoire de son voisin du nord. Le « problème palestinien » se trouve également au cœur de la guerre civile que traverse le pays de 1975 à 1978, où deux camps s’affrontent, les chrétiens d’un côté, les défenseurs de l’arabisme et des Palestiniens de l’autre. La volonté implacable d’Israël de détruire l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P) - sous prétexte de lutte contre le terrorisme - explique aussi l’invasion israélienne du sud Liban au printemps 1978 et l’incursion de Tsahal en 1982 où Beyrouth est assiégée et bombardée [4].

Le chaos généralisé et la désintégration de l’Etat libanais après 1975, pays qui paraissait pourtant paisible, est une porte ouverte dans laquelle les deux pays frontaliers vont s’engouffrer. Alors que la Syrie entame en 1976 sa patiente conquête du Liban en y faisant pénétrer ses armées, avec l’aval des Etats-Unis et de la Ligue arabe, pour mettre un terme à la crise libanaise, Israël empiète sur la frontière sud du pays, entraînant la création du Hezbollah en 1982, mouvement politique chiite – soutenu par l’Iran - qui cherche à mettre un terme à l’occupation israélienne.

L’Etat libanais ne jouit alors plus que d’une souveraineté nominale, tant l’élite politique est tiraillée et influencée de toutes parts par les forces en présence et tant sont prégnants le communautarisme, la corruption, et le clientélisme vis-à-vis de l’étranger. A partir du milieu des années 1970, se met ainsi en place entre le Liban et la Syrie, « le même type de relations de « fraternité » qui avaient existé entre le géant soviétique et les pays d’Europe de l’Est » [5]. Mais, sans le soutien de la communauté internationale, Etats-Unis et France en tête, la tutelle syrienne s’effrite rapidement à partir de l’invasion américaine en Irak en 2003, plongeant le Liban dans une nouvelle phase d’instabilité [6]. En réaction à la résolution 1559 de l’O.N.U (2004) réclamant un retrait unilatéral de ses armées du Liban, la Syrie fait pression sur le Parlement libanais pour étendre le mandat du Président Emile Lahoud au pouvoir et, par la même occasion, évincer du pouvoir Rafic Hariri, alors soutenu par la France. L’assassinat de ce dernier en février 2005 précipite au Liban le retrait des troupes syriennes et le passage d’une tutelle à une autre, puisque le pays tend ensuite à être instrumentalisé par la France et les Etats-Unis dans leur stratégie de confrontation avec la Syrie et l’Iran. Sur le plan interne, cela se traduit par le creusement du clivage entre pro-occidentaux et antioccidentaux - aggravant l’état des relations libano-syriennes -, clivage renforcé par l’attaque israélienne de l’été 2006 [7].

La situation libanaise reflète finalement assez bien la complexité de la géopolitique régionale marquée par le conflit israélo-arabe, les tensions entre la majorité sunnite du monde arabe et sa minorité chiite appuyée par l’Iran et, plus largement, par les confrontations entre puissances régionales et internationales rivales [8]. Dire que le terrain est miné n’est pas un euphémisme !

… aggravée par la guerre civile syrienne de 2011

Et le danger que fait peser la crise syrienne sur l’équilibre instable du Liban ne vient que trop nous le rappeler. Une récente enquête menée par la Banque mondiale, en étroite collaboration avec le gouvernement libanais, en dresse un triste panorama. Ainsi, l’afflux massif de réfugiés qui tentent de fuir les combats en se réfugiant dans les pays frontaliers, passant de 200.000 personnes en septembre 2012 à 2.4 millions en février 2014, dont plus d’un million au pays du Cèdre, mettent à rude épreuve l’économie, les finances publiques et les infrastructures libanaises ; le rapport pointe notamment la très forte pression sur les services publics se traduisant par un accroissement de la dépense budgétaire estimée à 1,1 milliard de dollars sur la période 2012-2014, creusant encore un peu plus un déficit budgétaire déjà alarmant [9].

Il n’est pourtant pas si étrange que les effets les plus destructeurs d’une crise régionale se répercutent sur son flanc le plus mou, qui se trouve être dans le cas présent le plus petit des Etats frontaliers de la Syrie (10 400km2 pour 4 millions d’habitants au Liban contre 300 000km2 pour 8 millions d’habitants en Syrie). Cependant, les incursions répétées des rebelles islamistes syriens en territoire libanais, les attentats-suicide, les assassinats, l’implication croissante des parties libanaises dans les combats syriens [10] - bafouant la politique libanaise de dissociation [11] visant à tenir le pays à l’écart du conflit syrien- nous rappellent à chaque instant que le pays, déjà vulnérable, pourrait voir sa situation se dégrader dangereusement. La priorité pour la communauté internationale est donc désormais d’éviter une contagion de la crise syrienne au Liban.

L’action des Nations unies au pays du Cèdre

Remontons quelques années en arrière pour y apprécier l’ampleur de l’engagement international. Contrairement à la tutelle syrienne, la double tutelle franco-américaine sur le pays est moins visible à première vue, car plus indirecte ; elle passe par un activisme hors du commun de l’O.N.U, dont les prises de position n’ont pas manqué de susciter par maintes fois la controverse.

Longtemps, cette dernière a concentré ses efforts sur la frontière israélo-libanaise : suite à l’armistice de 1949, une mission internationale est mandatée pour surveiller la ligne de cessez-le-feu, qui n’est autre que la frontière fixée après la Première Guerre mondiale par les puissances mandataires française et britannique. Suite à l’incursion israélienne au sud Liban en 1978, l’O.N.U est catégorique : Israël doit retirer ses troupes dans le respect des « frontières internationalement reconnues » du Liban [12]. Pour cela, elle déploie une force de maintien de la paix (FINUL) censée d’abord accompagner le retrait des troupes de Tsahal avant d’être simplement installée le long de la frontière pour faire tampon [13]. Le discours change en 2000 lors des discussions relatives aux modalités du retrait de l’armée israélienne, l’O.N.U cherchant à faire entériner par le gouvernement libanais une nouvelle frontière consacrant les empiètements opérés par Israël depuis 1948. Le bras de fer entre le Liban et l’O.N.U aboutit à la délimitation d’une « ligne bleue », dont le tracé est différent de celui de la frontière initiale, artifice responsable, selon l’historien libanais Georges Corm, du maintien de la résistance du Hezbollah pour récupérer les territoires occupés restants [14].

« On ne connait guère de pays qui n’ait pas enfreint les règles du droit international ou constitué une menace pour la paix, qui ait jamais fait l’objet en si peu de temps d’une telle activité onusienne » ajoute ce dernier en référence à l’activisme de l’O.N.U qui redouble de vigueur au Liban après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 [15]. Car la mort de l’ancien Premier ministre intervient dans un contexte bien particulier, celui d’une recrudescence des rivalités entre le « camp occidental » et la Syrie au Liban. France et Etats-Unis agissent de concert pour faire entériner par l’O.N.U la résolution 1559 (2004) appelant au retrait des troupes étrangères, au désarmement des milices (Hezbollah en premier lieu) et à l’organisation d’une élection présidentielle hors de toute interférence étrangère au Liban, Bachar el-Assad soutenant la candidature d’Emile Lahoud, la France celle de Rafic Hariri [16]. Ne pouvant céder sur le dossier libanais, zone d’influence traditionnelle syrienne, cet acte est interprété par le président syrien comme une déclaration de guerre. Ce dernier est ensuite soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de Rafic Hariri, le Liban se trouvant alors placé sous la lumière des projecteurs.

Multiplication des enquêtes et des rapports pour faire appliquer la résolution 1559, création en juin 2007 d’un tribunal international chargé de poursuivre les responsables de l’attentat… L’Etat libanais n’a pas le choix que de se conformer aux directives internationales. Il envoie ainsi plusieurs soldats au sud du pays pour prévenir les attaques effectuées à partir de la ligne bleue [17]. Après la seconde guerre du Liban de l’été 2006, l’O.N.U renforce encore une fois son dispositif, le Bureau du Coordonnateur spécial des Nations unies pour le Liban (UNSCOL) représentant le volet politique de son activité, la FINUL le volet militaire. Le premier, basé à Beyrouth, est chargé de coordonner l’ensemble des activités des Nations unies au Liban avec le gouvernement libanais, les donateurs et les institutions financières internationales [18]. La seconde, dont l’inefficacité a été rendue patente à cette occasion, a vu s’accroitre considérablement ses effectifs – passant de 2000 à plus de 10.000 hommes –, ses moyens (dotation en armement lourd) et ses prérogatives. Sa mission n’est désormais plus seulement de former une zone-tampon entre les deux Etats, mais bien d’appuyer et d’assister les 15.000 soldats de l’armée libanaise à restaurer l’autorité effective du gouvernement mis à mal par le Hezbollah au sud Liban [19].

Dans ce contexte tendu où puissances régionales et internationales sont en lutte pour l’hégémonie régionale, l’activité onusienne ne peut qu’être controversée, une armée de « pacification » pouvant facilement être perçue à la longue comme une armée « d’occupation » et être accusée, au même titre que les résolutions votées depuis New York par le Conseil de sécurité, d’ingérence illégitime.

Que vient faire le Groupe international de soutien au Liban (GIS) dans cette nébuleuse ? Il s’insère et complète bien sûr l’ensemble déjà bien rodé du dispositif onusien présent au Liban. Mais il vient surtout répondre à un constat - résumé ainsi par António Guterres, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés : « L’afflux d’un million de réfugiés serait massif dans n’importe quel pays. Pour le Liban, une petite nation engluée dans des difficultés internes, l’impact est stupéfiant […]. Les Libanais manifestent une générosité remarquable, mais ils luttent pour faire face […]. Nous ne pouvons pas le[s] laisser porter seul cette charge » [20] - et à l’appel à la solidarité internationale lancé en juin 2013 par le président Sleiman [21], inquiet pour l’avenir de son pays qui peine - mais à malgré tout réussi jusqu’ici - à maintenir les fragiles équilibres qui le préserve du chaos.

Coordonner l’action internationale : la création du groupe international de soutien au Liban (GIS)

C’est à la France, aujourd’hui encore souvent perçue comme la protectrice séculaire des Libanais, que l’on doit l’initiative de sa création en 2013 [22]. Placé sous le patronage de l’O.N.U [23], et composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, de l’Union européenne, de la Ligue arabe, du Haut-commissariat pour les réfugiés, de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour le développement (P.N.U.D), le GIS est en fait un comité de contact international qui vise à coordonner l’aide apportée au Liban dans le contexte de crise syrienne.

Après la réunion inaugurale du 25 septembre 2013 à New York [24], le groupe s’est réuni à plusieurs reprises à grand renfort de caméras au Palais de l’Elysée à Paris en mars 2014 [25], à Rome en juin, puis à New York le 26 septembre dernier [26], soit exactement un an après sa formation, pour faire le point sur les trois objectifs qu’il s’est fixé : renforcer les piliers de l’économie libanaise, les capacités de ses forces armées et l’aider à relever le défi des réfugiés syriens.

Quels progrès ont été réalisés dans la mise en œuvre des conclusions adoptées par le GIS à New-York il y a un an déjà ?

Premier objectif : aider les réfugiés syriens et les communautés les plus vulnérables affectés par la crise humanitaire.
La présence de plus d’un million de réfugiés syriens, soit près du quart de la population totale du Liban, représente, plus qu’un fardeau, « un danger existentiel qui menace l’unité libanaise » (Michel Sleiman) [27]. Surtout que l’afflux s’accélère. 18 000 réfugiés en avril 2012, 356.000 en avril 2013, plus d’un million aujourd’hui, avec plus de 2500 nouveaux chaque jour, soit plus d’une personne par minute selon le HCR [28]. L’analogie faite par l’ancien Premier ministre Najib Mikati se passe de tout commentaire : « Si le Royaume-Uni faisait face à la même crise humanitaire, cela représenterait l’équivalent de trois fois la population de l’Ecosse venant se réfugier en Angleterre et campant dans les vallons du Yorkshire » [29]. En proportion de sa population, le Liban arrive ainsi en tête des pays qui accueillent le plus de réfugiés au monde, soit 178 réfugiés pour 1000 habitants en 2013, si bien qu’aujourd’hui de nombreux villages accueilleraient davantage de réfugiés que de Libanais [30]. A côté, la Jordanie, qui paye également un lourd tribut, accueille environ 640.000 réfugiés, soit 88 pour 1000 habitants. Manque de logements, pression à la hausse sur les prix des loyers et de l’énergie, épuisement des ressources, affaiblissement des installations d’assainissement et des services de traitement des déchets, une société hôte proche du point de rupture, services sociaux et de santé saturés, écoles surchargées, concurrence pour l’emploi et chômage (hausse de 30 à 50% de la main d’œuvre disponible) [31]… en sont les maux les plus visibles ; l’insécurité, l’exacerbation des tensions sociales et communautaires [32]… les répercussions les plus probables à court et moyen terme.

« Il est remarquable qu’un conflit n’est pas encore éclaté entre les réfugiés syriens et le peuple libanais mais, je vous le dis, nous pouvons déjà entendre certains propos furieux émanant de la population libanaise se demandant pourquoi ils ont été laissés de côté ». Ces paroles du président de la Banque mondiale Jim Yong Kim, de passage au Liban début juin 2014, sonnent comme un avertissement. A terme, le risque est de voir éclater les tensions entre Libanais et réfugiés syriens si les autorités n’agissent pas rapidement pour lutter contre le chômage et les disparités en matière d’assistance, les réfugiés recevant souvent un soutien plus important des organismes d’aide internationaux que les Libanais reçoivent de leur propre gouvernement [33]. Un dernier risque, et non des moindres, serait que les 400.000 enfants syriens réfugiés au Liban, ne pouvant plus fréquenter l’école [34], ne forment une « génération sacrifiée ». Or, comme l’a rappelé Ninette Kelley, la Représentante du HCR au Liban, « les enfants syriens d’aujourd’hui construiront la Syrie de demain. Nous devons veiller à ce qu’ils aient les compétences nécessaires pour relever les immenses défis qu’ils sont certains de rencontrer dans les années qui viennent » [35].

Un travail de fond est déjà accompli par le HCR, en collaboration avec le gouvernement libanais, l’équipe des Nations unies, les ONG présentes sur place et les partenaires locaux pour pallier à ces difficultés [36]. Les membres du GIS se sont engagés à compléter les montants financiers déjà dégagés pour soulager le pays de l’effort consenti. Deux conférences de donateurs se sont tenues au Koweït pour en copartager les charges financières, complétées par une troisième à Genève qui a adopté le principe de copartage du nombre des réfugiés et leur réinstallation dans les pays en mesure de les accueillir, s’appuyant sur le principe de la responsabilité internationale commune. Berlin devrait également accueillir une conférence internationale sur les réfugiés syriens le 28 octobre 2014 [37].

Deuxième objectif : renforcer les capacités des forces de l’ordre.
Un soutien massif à l’armée libanaise, l’une des rares institutions multiconfessionnelles du pays, pourrait apporter une aide décisive au Liban en lui donnant enfin les moyens d’accomplir l’ampleur des tâches qui lui sont assignées, à savoir désarmer le Hezbollah -contre lequel elle peine aujourd’hui à faire le poids avec un budget annuel d’environ 1,6 milliard de dollars [38] -, prévenir les ingérences extérieures et, au-delà des seules considérations sécuritaires, renforcer la cohésion nationale et l’Etat libanais. Car, bien que la situation le long de la ligne bleue se soit quelque peu apaisée depuis le renforcement de la FINUL en 2006, le sud Liban reste une zone instable, base du Hezbollah, où la contrebande d’armes est active et la souveraineté libanaise régulièrement mise à mal, tant par les acteurs non étatiques que par Israël qui contourne la frontière en envoyant survoler ses avions militaires dans son espace aérien. Effectifs trop restreints (15.000 soldats) faiblement équipés en armement moderne, casernes en mauvais état, manque d’entraînement… le chantier est immense, comme en témoigne une source proche de l’armée, sous couvert d’anonymat : « l’armée libanaise n’est pas équipée pour surveiller efficacement les frontières. La nuit, les forces régulières libanaises sont complètement aveugles » [39]. L’ouverture d’un nouveau front de conflits à la frontière syrienne a fini de rendre la faiblesse de l’institution criante, d’où l’engagement du GIS à renforcer les moyens mis à sa disposition.

Elle a déjà reçu de nombreuses aides de pays tels que la France [40] ou les Etats-Unis ces dernières années, mais jamais d’armes lourdes. Et des signaux forts sont envoyés par Londres, Paris et Washington depuis un an : les visites de responsables militaires se sont multipliées et ont abouti à un envoi conséquent de matériel militaire [41]. Le roi d’Arabie saoudite Abdallah Ben Abdelaziz s’est également engagé en décembre 2013 à octroyer une aide exceptionnelle de trois milliards de dollars à l’armée libanaise, pour qu’elle puisse se procurer des armes françaises [42]. Depuis cependant, les discussions se sont enlisées sur l’établissement de la liste du matériel ; peu de détails ont filtré mais il est très probable qu’elle exclue tout appareil sensible, tel des missiles mobiles ou des avions de chasse, pouvant être mal perçu par Israël redoutant que de telles armes ne tombent entre les mains du Hezbollah. A la mi-juin 2014, lors d’une conférence à Rome, la communauté internationale a également promis la construction d’un centre de formation à proximité de la FINUL au sud Liban.

Troisième objectif : redresser l’économie libanaise.
Depuis le début du conflit syrien il y a trois ans, l’économie libanaise est sur le déclin alors que les dépenses publiques ne cessent d’augmenter et la pauvreté gagner du terrain. En 2013, la crise syrienne aura ainsi coûté au Liban 2.5 milliards de dollars d’après la Banque mondiale, et probablement 7,5 milliards d’ici la fin de l’année. De 2012 à 2014, le taux de chômage a doublé, passant au-dessus de la barre des 20%, 170.000 Libanais sont tombés dans la pauvreté et le PIB a chuté de 2.9% par an.

Face à ce constat alarmant, le GIS a créé un fonds fiduciaire multi-donateurs pour le Liban (trust fund) administré par la Banque mondiale, mécanisme dont le but est de répondre plus efficacement aux besoins de développement structurels immédiats et à long terme du pays du Cèdre [43]. Les souscriptions au fonds sont ouvertes, amorcées par les contributions de la Banque mondiale, de la Norvège, de la Finlande et de la France qui devraient « permettre d’amorcer la pompe » estime un diplomate français qui espère voir d’autres donateurs suivre l’exemple [44]. En date de juin 2014, seulement 28 millions de dollars avaient déjà été récoltés, bien loin des besoins exprimés par les autorités libanaises [45].

Une aide insuffisante mais indispensable

S’ajoute à ces trois domaines d’intervention un quatrième volet, qui est à la fois l’objectif général à atteindre et la condition sine qua none à la poursuite des trois autres : le maintien d’une relative stabilité. Car, depuis la création du GIS, la situation a connu de sérieux revers sur le plan sécuritaire comme en attestent l’aggravation des tensions politiques et confessionnelles, la recrudescence des dangers terroristes manifestés par une série d’attentats sporadiques contre les civils, les lieux de cultes, l’ambassade iranienne et des personnalités politiques. Or, jusqu’ici, les conférences de soutien n’ont pas manqué mais les promesses n’ont pas été toutes tenues et les sommes récoltées sont loin de pourvoir aux besoins réels exprimés par le Liban…

… qui a encore été récemment frappé par un regain de violences. Des combats ont éclaté début août 2014 dans la Bekaa, au nord-est du pays, les combattants jihadistes syriens du Front al-Nosra - branche syrienne d’al-Qaida - et de l’Etat islamique attaquant des positions de l’armée libanaise et s’emparant du village d’Ersal, laissant derrière eux plusieurs morts. Ces incursions répétées, les pressions que les jihadistes font peser sur le gouvernement libanais [46] et les risques d’une extension du champ d’action de l’Etat islamique au pays du Cèdre, s’il progresse en Syrie et en Irak, ont frappé l’opinion publique. La classe politique libanaise, généralement très divisée, fait depuis front commun derrière l’armée, certains allant jusqu’à exprimer leur exaspération devant les lenteurs de la France à livrer les armes promises [47]. Bien qu’aucune date n’ait été fixée pour l’instant [48], de grands espoirs sont placés dans ce plan stratégique car, comme le confirme au journal Le Monde une source militaire de haut niveau à Paris, il devrait « chang[er] complètement la physionomie de l’armée libanaise », lui permettant de jouer un rôle stabilisateur aussi bien au Liban que dans l’ensemble de la région proche-orientale. En attendant, et pour parer aux besoins immédiats, les Etats-Unis ont fourni au Liban des armes légères, l’ambassadeur David Hale soulignant que d’autres mortiers, lance-grenades, mitrailleuses et roquettes antichars arriveront « prochainement », en plus d’armes plus lourdes qui seraient a priori financées par l’armée libanaise grâce à une aide saoudienne supplémentaire d’un milliard de dollars [49].

Moins que de la mauvaise volonté, les lenteurs et les déclarations publiques hautes en couleur qui se sont succédées s’expliquent surtout – comme partout, mais encore plus dans cette région du monde stratégique – par des logiques politiques complexes dans lesquelles le processus d’aide s’insère inévitablement. C’est ainsi que les plus importants donateurs sont aussi ceux qui veulent avoir leur mot à dire dans les décisions prises à l’échelle nationale et régionale, et que le Liban ne pourrait que difficilement accepter l’aide de n’importe qui, tout comme les pourvoyeurs d’aide ne pourraient lui fournir n’importe quoi. Le Liban pourrait ainsi difficilement faire appel à l’aide proposée par l’Iran, au risque de froisser Washington en froid avec Téhéran sur la question du nucléaire. De même, la France ne pourrait fournir n’importe quel matériel militaire à Beyrouth pour ne pas indisposer Israël, en conflit avec le Hezbollah. Notons enfin que le montant faramineux de plusieurs milliards de dollars proposé par l’Arabie saoudite rentre dans sa stratégie visant à regagner du terrain au Liban. « Sur l’échiquier du Proche-Orient, les couples se font et se défont, explique une source proche de l’armée. Aujourd’hui, la France et l’Arabie saoudite parlent le même langage, tandis que nous assistons à une réelle détente entre Américains et Iraniens. Avec les contrats d’armement à venir, la France revient un peu sur le devant de la scène grâce aux Saoudiens qui veulent regagner le terrain perdu au Liban, ce qui ne plaît pas au Hezbollah qui perdrait l’un de ses arguments favoris, à savoir la faiblesse de l’armée face à Israël » [50].

Il ne faut pas non plus négliger la responsabilité portée par les responsables politiques libanais, embourbés dans une crise institutionnelle qui peine à trouver une issue. Car, pour aider le pays à se maintenir à flots, la communauté internationale a besoin d’un interlocuteur fiable, légitime et fort, tout comme les institutions de l’Etat doivent pouvoir s’appuyer sur un large appui politique pour adopter les mesures nécessaires au redressement du pays. Or, le compromis trouvé à travers la formation en février dernier d’un gouvernement d’unité nationale autour du Premier ministre Tamam Salam et du président Sleiman reste fragile, comme le démontre les ajournements successifs des élections présidentielles et législatives, prévues respectivement pour mai et novembre 2014. L’incapacité des deux blocs du Parlement - celui du « 14 mars » mené par le sunnite Saad Hariri et celui du « 8 mars » dirigé par le Hezbollah, respectivement détracteurs et partisans du régime syrien de Bachar al-Assad - à s’entendre sur un potentiel président de la République, alors que Sleiman a quitté ses fonctions depuis le 25 mai 2014, explique en grande partie cette impasse politique [51] : « Leur excuse, c’est la détérioration de la sécurité dans la Bekaa. L’année dernière, ils ont dit la même chose pour ne pas organiser les élections. Ils veulent prolonger leur mandat pour maintenir le statu quo et rester au pouvoir sans faire de compromis et sans répondre aux besoins des gens ni aux urgences du moment », s’insurge Samer Abdallah, militant libanais cité par RFI [52]. Car cette impasse est d’autant plus grave qu’elle contraint à la passivité ; le Parlement ne peut aujourd’hui plus légiférer et a l’obligation de ne tenir que des sessions présidentielles. Cet imbroglio politique intenable a encore récemment déclenché les foudres des organismes économiques, qui ont exprimé haut et fort leur colère et leur dégoût face à l’inaction coupable des responsables politiques libanais à l’occasion d’une conférence de presse organisée à la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth et du Mont-Liban (CCIAB) : « Quel homme d’affaires voudrait investir dans un Liban sans président ? Quel touriste voudrait s’y aventurer sans président ? Quel État voudrait nous aider financièrement sans président ? Les seuls qui se sentent bien dans ce vide institutionnel qu’est devenu le pays sont les terroristes et les voleurs » s’est indigné le président de la CCIAB Mohammad Choucair [53].

A ce stade donc, tout reste à faire. En reprenant les mots de François Hollande et de Michel Sleiman, le GIS représente ainsi surtout un espoir, « l’espoir de voir la communauté internationale prendre la dimension de ce que subit et vit le Liban, l’espoir de trouver une issue politique », et l’effort de solidarité « exigera de faire de longues années d’accompagnement et de suivi » [54]. A moyen terme, les différents protagonistes devront chercher à se coordonner plus étroitement pour tenter d’apporter une aide substantielle au Liban, mais aussi à accélérer la fourniture de l’aide promise. De leur côté, les responsables politiques libanais devront assumer les responsabilités qui leur incombent. Pour finir avec une note d’optimisme, nous pouvons espérer, qu’à long terme, la crise syrienne soit le déclic permettant enfin d’adopter les réformes nécessaires à la modernisation de l’appareil politique et du système économique et social dont le pays a bien besoin.

Publié le 30/09/2014


Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.


 


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