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L’alliance Iran-Syrie

Par Pierre-Yves Baillet
Publié le 10/09/2021 • modifié le 10/09/2021 • Durée de lecture : 5 minutes

Hafez al-Assad en 1970.

AFP

Les Alaouites

Lorsqu’Hafez el-Assad arrive au pouvoir en Syrie en 1973, il cherche une légitimité religieuse. Il a besoin de cette reconnaissance pour asseoir son pouvoir et faire face à ses ennemis intérieurs, notamment les Frères musulmans qui le considèrent, lui et sa communauté, comme hérétique. En effet, le nouvel homme fort de Syrie est issu d’une minorité religieuse, les Alaouites, également connus sous les appellations noseïris ou nusayris. Le mot nusayris provient d’un conflit de succession. En effet, en 874, à la mort du XI° Imam chiite Abulhassan Al Askari, son fils Mohammad al-Mahdi souhaite se porter à la suite de son père, mais il doit faire face à Mohammed Ibn Nusayrqui qui se proclame lui aussi XII° Imam. C’est de lui qu’est tiré le mot nusayris. Ce n’est que depuis 1922 que l’on parle d’Alaouites.

Il s’agit d’une communauté ethnico religieuse vivant principalement dans le nord-ouest de la Syrie, plus précisément dans les centres urbains, les côtes et les montagnes de la région de Lattaquié, mais il y a aussi quelques communautés au Liban et en Turquie. La communauté représenterait entre 10 % et 12 % de la population syrienne. Les Alaouites sont considérés comme une secte (dans le sens accordé aux minorités religieuses, comme les Yézidis ou les ismaéliens), et à l’instar des chiites, ils vénèrent Ali, le gendre du Prophète. C’est une religion considérée comme flexible en ce qui concerne ses rites, son organisation et sa pratique. « Leur religion est un mélange d’éléments venus du chiisme, du christianisme byzantin et de cultes hellénistiques. Ils célèbrent des fêtes aussi bien musulmanes que chrétiennes » [1]. Ce sont les hommes qui possèdent le savoir et les secrets de la religion. L’alcool est autorisé et le voile n’est pas une obligation pour les femmes. Ils fêtent la grande fête chiite de l’Achoura pour se remémorer le massacre d’Hussein et de ses fidèles à Karbala, mais ils célèbrent aussi Noël, L’Épiphanie, Pâques et notamment Newroz, une fête zoroastrienne aux origines kurdo-perses.

Le lion de Damas s’était d’abord tourné vers Moussa Sadr, un imam chiite libanais, pour que les Alaouites soient reconnues comme faisant partie de la communauté chiite. Il trouvera finalement cette légitimité en 1979 avec l’Iran révolutionnaire de l’Ayatollah Khomeiny. Cependant, l’alliance formée par la Syrie d’Assad et l’Iran khomeyniste est plus profonde qu’une entente religieuse.

Au-delà du religieux

Ce rapprochement entre les deux États, au nom de l’islam chiite, est en réalité une démarche pragmatique. L’Iran révolutionnaire est isolé et recherche des soutiens. Quant à la Syrie, il s’agit de trouver un allié face à Israël et au frère ennemi baasiste en Irak. Cette alliance s’inscrit dans le contexte géopolitique de l’époque. C’est l’année précédente (1978) que l’accord de Camp David a été ratifié. La paix signée avec l’Égypte et le rapprochement israélo-jordanien a laissé la Syrie seule dans le « camp de la résistance ». De ce point de vue, l’arrivée de l’Iran révolutionnaire dans la lutte contre le sionisme est vue d’un bon œil à Damas. Cette position s’inscrit dans la révolution islamique. L’Iran qui n’est ni arabe ni sunnite, devait se légitimer vis-à-vis de la oumma sunnite afin que son projet révolutionnaire khomeyniste ne soit pas perçu comme uniquement chiite et/ou perse. « D’une manière générale, la révolution islamique en Iran, loin d’être perçue comme un phénomène exclusivement chiite et “persan”, a été accueillie dans l’opinion arabe et sunnite comme un mouvement dirigé contre la domination étrangère et l’oppression sociale » [2]. L’Iran se veut le champion du panislamisme, ce qui est mal perçu par Saddam Hussein. L’homme fort de l’Irak se veut le leader du panarabisme. Alors encore fragile, le pouvoir islamiste à Téhéran va être renforcé par « l’agression » militaire irakienne de 1980 ainsi que l’alliance avec la Syrie.

La guerre Iran-Irak

Saddam Hussein lance le 22 septembre 1980 une offensive militaire d’envergure contre l’Iran. Il remet en cause le tracé des frontières et considère la révolution islamique comme une menace, alors qu’il est opposé aux chiites de son pays. Il est important de souligner que la révolution contre le Shah n’était pas le seul fait de Khomeiny et des religieux. Des libéraux, des démocrates, des communistes ainsi que d’autres groupes politiques ont pris part à cet événement. Mais c’est la guerre déclarée par l’Irak en 1980 qui va permettre aux khomeynistes de prendre le contrôle de l’appareil d’état et d’étouffer toutes oppositions. En effet, cette guerre, qui a duré huit longues années, a fédéré une large majorité de la population iranienne derrière le régime qui a assuré la défense du pays. Pour comprendre au mieux les représentations iraniennes actuelles, il est nécessaire de comprendre l’impact qu’a eu la guerre Iran-Irak et ses 800 000 morts sur la société et l’État iranien.

Aujourd’hui, l’économie et l’État iraniens sont surtout contrôlés par les Gardiens de la révolution. Ce corps militaire créé en 1979 était sous les ordres du Guide suprême. Il est le bras armé de la révolution islamique et le garant de son idéologie. Après son rôle durant la guerre, on assiste à un phénomène comparable à la France au lendemain de la Première Guerre mondiale avec la prise du pouvoir par les anciens combattants, la fameuse chambre « bleu horizon ». Cependant, cette prédominance politique va dériver et les Gardiens de la révolution (Sepâh-e Pâsdârân, en persan) vont maintenir leur mainmise sur le pouvoir et ainsi que sur une importante part de l’économie nationale. En effet aujourd’hui, cette organisation s’est emparée d’importantes ressources économiques du pays et elle est décriée même à l’intérieur de l’Iran, notamment en raison de la corruption qu’elle engendre.

L’alliance avec la Syrie est d’autant plus profonde que durant le conflit irako-iranien, Damas est un des seuls pays du globe à avoir soutenu l’Iran alors que la majorité des États soutenaient l’Irak. Un état de fait que n’oubliera jamais Téhéran. Les Iraniens ont le sentiment, si ce n’est d’avoir eu le monde entier contre eux, d’avoir souffert dans l’indifférence internationale. En effet, les principales puissances vendaient des armes à Saddam Hussein et il n’y avait aucune protestation ou condamnation pour les attaques chimiques lancées sur l’Iran. Le conflit entre Téhéran et Bagdad va donner à la Syrie une position importante. Hafez el-Assad va donc jouer sur tous les fronts. Il met en garde son allié iranien, il ne souhaite pas voir son voisin irakien démantelé ou être dirigé par des islamistes inféodés à Téhéran. Mais alors impliquée au Liban, la Syrie a besoin du soutien de l’Iran pour se maintenir dans la région. Même s’il y a une compétition entre les deux pays, les deux forces tirent avantage de la présence de l’autre. La Syrie a besoin du soutien financier iranien et Téhéran tire avantage de la création du Hezbollah. Grâce à ses contacts avec tous les protagonistes du conflit, Damas devient le canal de communication entre le monde arabe et le monde perse, entre l’occident et l’Iran. « Grâce à ses relations privilégiées avec Téhéran, elle devient l’interlocutrice obligée, voire le seul recours des pays arabes du Golfe qui, à l’occasion, lui demandent de modérer l’ardeur belliqueuse de la République islamique. De même, les États-Unis, la France, l’URSS l’utilisent comme courroie de transmission pour favoriser, entre autres, la libération d’otages détenus par des militants prokhomeinistes. En échange, Damas s’assure la “compréhension” des uns, l’assistance multiforme des autres » [3]. La coopération Syrie-Iran va perdurer après la guerre notamment au Liban et dans la lutte face à Israël. Mais en 2011, cette alliance va être mobilisée sur un nouveau front.

Publié le 10/09/2021


Pierre-Yves Baillet est journaliste indépendant, spécialisé dans la géopolitique du Proche-Orient.


 


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