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Moins de 48 heures après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, les tensions entre Israël et l’Iran ont connu une escalade sans précédent. Dans la nuit du 9 au 10 mai, Israël a lancé des raids meurtriers sur des positions iraniennes en Syrie, en représailles à des tirs attribués à Téhéran, qui visaient le Golan.
Le temps d’une nuit, les hauteurs du plateau du Golan ont été le théâtre de crispations inédites entre Tel Aviv et Téhéran. Ce territoire stratégique, annexé par Israël en 1981, a été visé par une vingtaine de roquettes en provenance de Syrie. Lancée depuis Al-Kiswah, au sud de Damas, l’attaque visait des positions militaires israéliennes proches de la frontière avec le territoire syrien, sans succès. Israël s’était préparé à une attaque imminente ; bon nombre d’habitants du Golan avaient trouvé refuge dans des abris anti-missiles, et des réservistes avaient été appelés en renfort la veille. Mais au final, aucune roquette n’a foulé le sol du Golan annexé par Israël et aucune victime n’est à déplorer, car l’ensemble des missiles a été intercepté par le Dôme de fer, le système israélien de défense anti-missiles. Cependant, cette attaque a pris une dimension inédite car elle est attribuée aux forces iraniennes Al-Quds, en charge des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution (1). Or, les Iraniens n’avaient jamais directement attaqué le territoire israélien par le passé. La réponse de l’Etat hébreu a été immédiate. Dans l’heure qui a suivi, Israël a lancé des raids aériens d’une intensité inégalée depuis la guerre du Kippour (1973). L’offensive israélienne visait des entrepôts logistiques, des dépôts de munition à l’aéroport de Damas, des bases militaires, des sites utilisés pour le renseignement et des postes d’observation, mais aussi le véhicule d’où les roquettes iraniennes ont été tirées, selon le Porte-Parole de l’armée israélienne, Jonathan Conricus. Au total, 28 avions israéliens ont tiré 70 missiles, selon le ministère russe de la Défense. Le bilan humain s’élève à 23 personnes, d’après l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, dont 5 soldats Syriens et 18 membres des forces alliées du régime de Damas.
Ces échanges interviennent à peine deux jours après le retrait des Etats-Unis de l’Accord sur le nucléaire iranien. Déjà, dans la soirée du 8 mai, quelques heures après la décision de Donald Trump, Israël avait mené une attaque contre des positions iraniennes en Syrie, suite à laquelle 9 combattants pro-régimes avaient été tués.
Ce pic de tensions entre Tel Aviv et Téhéran est inédit. Cependant, depuis le début de la guerre civile, la Syrie a constitué un territoire d’affrontement indirect entre Israël et diverses forces pro-régime, parmi lesquelles le Hezbollah, les Iraniens, mais aussi le régime syrien lui-même.
Dès 2012, des échanges de tirs entre l’armée israélienne et le régime syrien sont recensés, à la frontière entre le Golan syrien et le Golan annexé par Israël. Concentrés sur le mois de novembre de cette année, les incidents se répètent avec des scénarios similaires ; des rebelles syriens postés dans le Golan syrien sont visés par des tirs du régime de Damas, les tirs mal préparés atterrissent sur le Golan israélien, ce qui entraine presque à chaque fois une riposte israélienne sur des positions de l’armée syrienne. En septembre 2014, Israël abat également un bombardier Soukhoï Su-24 syrien, qui aurait pénétré 800 mètres à l’intérieur du Golan contrôlé par Israël. Cependant, c’est en 2013, année du début de l’engagement du Hezbollah au côté du régime syrien, que les tensions s’intensifient, et que l’engagement de l’Etat hébreu en Syrie évolue. Bien que Tel Aviv démente toute implication dans le conflit syrien, des raids sont régulièrement menés contre des positions du Hezbollah, ou sur des infrastructures iraniennes destinées à être utilisées par le parti chiite libanais (2), selon Natan Sachs, Directeur du Centre de politiques Moyen-orientales auprès de Bookings institution. Au total, jusqu’à aujourd’hui, Israël a mené une centaine de raids aériens en Syrie. Ces tensions entre Israël et le groupe libanais atteignent leur paroxysme en 2015. Les craintes d’une nouvelle guerre entre Israël et le Hezbollah apparaissent alors, au moment où deux soldats israéliens sont tués suite à une série d’attaques menées par le parti chiite sur les fermes de Chebaa, un territoire contrôlé par Israël mais revendiqué par le Liban. Les deux protagonistes n’ayant aucun intérêt à réitérer une guerre similaire à celle de 2006, les violences finissent par être contenues.
Cependant, c’est récemment, au début de l’année 2018, que des événements plus sérieux commencent à être recensés. Selon l’armée israélienne, un drone syrien aurait pénétré dans le Golan israélien, en février. En représailles, Tsahal mène une série d’attaque sur son site de lancement, la base aérienne T4. La défense antiaérienne syrienne réplique et touche un F-16 israélien, qui finit sa course dans la région de Haïfa, en Israël. Les pilotes sont parvenus à s’extirper à temps, mais cet événement rare est un choc pour l’armée israélienne, qui considère sa force aérienne comme presque invincible. Deux mois plus tard, l’armée israélienne attaque la base T4, appelée base aérienne de Tiyas, dans le centre de la Syrie. Ces frappes font au moins 14 morts, dont des Syriens et des Iraniens. A la fin du même mois, des explosions retentissent à Hama, dans le nord du territoire syrien. Selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, des entrepôts de missiles auraient été visés par des frappes. L’offensive n’est pas revendiquée, mais Israël est pointé du doigt, notamment par la Russie. C’est seulement pour les événements du 9 au 10 mai, qu’Israël, fait extrêmement rare, revendique la responsabilité des frappes sur les installations iraniennes. Cette prise de responsabilité officielle ajoute au caractère inédit des frappes de ces derniers jours.
Côté israélien, aux prémices du conflit syrien, les offensives de Tsahal visent avant tout à éviter tout débordement du conflit sur le territoire qu’elle contrôle, tout en frappant sporadiquement le régime syrien, avec qui Tel Aviv est toujours officiellement en guerre. Mais au fur et à mesure des engagements militaires grandissant de l’Iran et du Hezbollah dans le conflit, Israël multiplie les incursions, car l’Etat hébreu refuse toute implantation de ces deux acteurs aux portes de son territoire.
Les frappes israéliennes du 8 mai, et celles, d’une force inouïe, réalisées dans la nuit du 9 au 10 mai ont été facilitées par la politique étrangère des Etats-Unis. En se retirant de l’accord du nucléaire iranien, Donald Trump a prouvé une nouvelle fois être sur la même ligne que Benyamin Netanyahou. D’ailleurs, durant sa déclaration du 8 mai dernier, il a réaffirmé la confiance qu’il porte en le Premier ministre israélien, en justifiant sa sortie de l’accord par les récentes « révélations » du Mossad israélien (3)3 portant sur les dangers d’un programme nucléaire iranien. Au lendemain des frappes du 9 au 10 mai, le Président américain est le seul dirigeant occidental à encourager les Israéliens, affirmant le droit de l’Etat hébreu à se défendre. Le feu vert américain a donc fortement encouragé les Israéliens à mener de telles frappes.
Côté iranien, le lancement d’une vingtaine de roquettes en direction de positions israéliennes semble plus difficile à expliquer. L’Iran n’a jamais attaqué directement l’Etat hébreu depuis le début de son engagement en Syrie, car Téhéran a toujours justifié sa présence en Syrie à travers la lutte contre les groupes takfiristes. Cependant, l’Etat iranien a probablement souhaité répondre à Israël suite aux très nombreuses pertes subies dans les frappes attribuées à l’Etat hébreu, survenues les dernières semaines. Par ailleurs, la sortie des Américains de l’accord sur le nucléaire a créé un véritable choc parmi les Iraniens. L’envoi de roquettes sur Israël constituerait donc aussi une démonstration de force du régime iranien, alors que le pays sort affaibli de la décision de Donald Trump.
Au lendemain des échanges entre Iraniens et Israéliens, la communauté internationale, dans sa quasi-unanimité, a appelé les belligérants au calme et à la retenue. La Russie, qui dispose d’une position privilégiée en tant qu’alliée du régime syrien et donc de l’Iran, et partenaire incontournable de l’Etat hébreu, a joué un rôle actif pour appeler Téhéran et Tel Aviv à trouver une solution diplomatique à leurs différends. Les événements du 9 au 10 mai ont en effet été embarrassants pour Moscou. Si la Russie a parfois montré une certaine lassitude face à l’ingérence d’Israël en Syrie - notamment lors des incidents survenus à Hama - le régime russe est resté prudent, afin de ménager Israël et ses partenaires iraniens. Russes et Israéliens n’ont cessé de raffermir leurs liens économiques ces dernières années, et la Russie est liée à l’Etat hébreu par l’existence d’une importante communauté russe en Israël. Moscou avait donc tout intérêt à contenir les échanges entre ces deux pays partenaires (4)4.
Ainsi, dès le lendemain du pic de tension, Israéliens comme Iraniens ont souhaité montrer des signes d’apaisement.
Le 11 mai, le ministre israélien de la Défense Avidgor Lieberman se rend dans le Golan, afin d’envoyer un message ferme aux Iraniens, tout en affirmant que les Israéliens ne cherchent pas la guerre avec l’Iran : « J’espère que nous avons bouclé ce chapitre et que tout le monde a compris le message ». Le Ministre a également exigé le départ des Iraniens du territoire syrien. De son côté, le Président iranien Hassan Rohani a affirmé que l’Iran « ne veut pas de nouvelles tensions » avec Israël. Le pouvoir iranien, en difficulté après la décision américaine de sortir de l’accord, ne cherche pas à déclencher une guerre avec Israël en Syrie. Il a pour le moment les yeux rivés vers ses partenaires européens, en vue de sauver l’accord sur le nucléaire. Cependant, Téhéran a fait la sourde oreille face aux exigences israéliennes de quitter le territoire syrien car Hassan Rohani a affirmé que l’Iran n’était pas militairement présent dans le pays, malgré le transfert d’armes connus vers des milices chiites locales et vers le Hezbollah, mais aussi malgré la présence de conseillers iraniens sur le territoire syrien. Il serait difficile d’obtenir le départ de Téhéran du territoire syrien. L’Iran tient en effet à maintenir ses cercles d’influence dans les pays limitrophes, que ce soit au Liban, au Yémen, en Irak ou encore, bien entendu, en Syrie. Le pays cherche d’autant plus à maintenir cette influence dans un contexte régional qui lui est de plus en plus défavorable depuis l’accession au pouvoir de Donald Trump. Le président américain a contribué à l’affirmation d’un axe israélo-saoudien, au détriment de Téhéran.
Le pic de violences observé entre l’Iran et Israël dans la nuit du 9 au 10 mai pourrait à la fois constituer le point d’orgue des tensions qui animent les deux Etats, et qui se sont déjà matérialisées par de nombreuses frappes israéliennes et des représailles de groupes alliés de l’Iran par le passé, mais aussi l’ouverture d’une « nouvelle phase » en Syrie, comme l’a récemment affirmé le régime syrien. Cependant, au lendemain de ces échanges d’une extrême intensité, on note le retour d’un certain calme au sud de la Syrie, et dans le Golan. Les préoccupations de l’Iran concernant l’accord sur le nucléaire font baisser le conflit avec Israël dans l’ordre de ses priorités. De son côté, Israël a affirmé vouloir tourner la page de ces extrêmes tensions, tout en surveillant avec méfiance les agissements de l’Iran et de ses alliés en Syrie et en multipliant les avertissements envers Téhéran. Cependant, son regard reste aussi braqué sur le voisin libanais, au lendemain de la victoire du Hezbollah aux élections législatives libanaises.
Lire également :
– Entretien avec Joseph Bahout - « L’Environnement stratégique d’Israël est bouleversé par la guerre civile syrienne »
– Le Golan, théâtre de l’investissement grandissant d’Israël dans la guerre syrienne et de la force croissante du régime syrien et de ses alliés
– Le plateau du Golan, un territoire historiquement disputé devenu le théâtre d’affrontements depuis le début du conflit syrien
Notes :
(1) SMOLAR Piotr, « Escalade militaire sans précédent entre Israël et Téhéran en Syrie », Le Monde, Le 10 mai 2018, Consulté le 11 mai 2018 (en ligne), URL : http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/10/tirs-de-roquettes-iraniennes-sur-des-positions-israeliennes_5296876_3218.html
(2) https://www.nytimes.com/2018/05/10/world/middleeast/israel-iran-syria-explainer.html
(3) En 2016, le Mossad mène une opération en Iran, au cours de laquelle ses agents auraient découvert l’emplacement top secret d’un entrepôt utilisés dans le but de stocker des dossiers d’armes nucléaires de l’Iran. Le 30 avril 2018, le Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou organise une conférence pour présenter cette opération.
(4) DELANOE Igor, « Russie-Israël : Les défis d’une relations ambivalente », Politique étrangère, 2013/1 (Printemps), p. 236.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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(Article initialement publié le 18 septembre 2012)
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