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Ethnie non-arabe minoritaire en Libye (1), les Toubous ont été considérés par le régime, et par la population libyenne en général, comme des étrangers pendant plus de quarante ans (2). Ils ont à ce titre fait l’objet de discriminations dans plusieurs domaines. C’est ce qui explique notamment qu’au delà du sentiment fort d’appartenance à l’ethnie Toubou qui prévaut au sein de cette communauté soudée, ces derniers se définissent bien souvent comme Toubous avant d’être Libyens (3).
Sous Kadhafi, les Toubous ont régulièrement fait l’objet d’expulsions organisées par le régime et de violences orchestrées par la population avec la complicité de ce dernier. Ainsi, en 2000, les populations noires, immigrés d’Afrique subsaharienne, et notamment les Tchadiens et les Nigériens, accusés d’être des délinquants, ont été la cible de pogroms. Cela a conduit des milliers de Tchadiens et de Nigériens à rentrer dans leur pays, de leur propre chef ou expulsés par les autorités (4). Les Toubous, associés aux Tchadiens, seront également ciblés dans ce contexte.
Quelques années plus tard, entre 2008 et 2009, à la suite de la révolte Toubou ayant pour origine la décision de Kadhafi de leur retirer leur nationalité libyenne, se sont succédées plusieurs vagues d’expulsions. Plusieurs dizaines de Toubous ont été arrêtés et des centaines de leurs habitations détruites.
Nombreux sont les rapports qui relèvent les violations des droits de l’Homme et les discriminations dont cette ethnie a fait l’objet en Libye. Au delà des violences physiques, dans la foulée de leurs retraits successifs de nationalité, les Toubous se voyaient entravés dans leur accès aux services publics gratuits comme l’éducation et à la santé, et privés des tickets de rationnement dont ils bénéficiaient jusque-là. Dans les villes où les minorités non-arabes et les Arabes cohabitent, le taux de pauvreté des premiers est très marqué dans les quartiers où ils sont regroupés, qu’il s’agisse de la vétusté des habitations ou de la malnutrition des populations. Ainsi à Koufra, les Toubous vivent dans les ghettos pauvres de Gadarfai et de Choura dans des cabanes délabrées au milieux des détritus (5).
A l’exception de la localité de Mourzouq, le fief libyen des Toubous, où ces derniers, majoritaires et considérés comme Libyens, sont intégrés et parviennent à se procurer des papiers et accéder à des services, leur survie socio-administrative apparaît relativement laborieuse en Libye et plus particulièrement dans les villes où les institutions sont exclusivement entre les mains de la majorité arabe (6).
Sur les plans économique, politique, administratif et social, les populations arabes ont historiquement été privilégiées au détriment des minorités noires ou berbères (les Touaregs) : des décisions ont été adoptées dans les années 1980-1990, comme par exemple celles consacrant des droits aux Arabes dans la participation aux comités populaires et leur accès à de hautes fonctions administratives ou la priorité qui leur est donnée sur les autres étrangers dans l’accès à l’emploi (7). Les minorités non-arabes apparaissent comme les laissées pour compte des décisions gouvernementales visant à favoriser l’accès à certaines professions et à la fonction publique, au même titre qu’elles se sont vues entravées dans l’accès à la propriété, aux services publics gratuits et à la conscription (8).
Sur le marché du travail, les Arabes, de facto privilégiés par leur statut de citoyen libyen et de jure par une législation qui leur était ouvertement favorable dans ce domaine, étaient donc favorisés. Ainsi, les Arabes, qui ont accès au système d’éducation et sont en mesure de mener des études, pouvaient prétendre à des emplois qualifiés. Comme le soulignent des membres de minorités non-arabes « en Libye, l’ouvrier, c’est l’Africain » (9). Pour leur part, si les minorités non-arabes parvenaient à accéder à des études universitaires, leur chance de décrocher un emploi qualifié était impactée par les dispositions légales en vigueur vis-à-vis de certaines professions qui imposaient la production de papiers qu’ils ne possédaient pas.
Au niveau des droits politiques, les mêmes discriminations pouvaient être relevées et se manifestent aujourd’hui encore bien que la redistribution des cartes à l’œuvre dans le conflit libyen soit l’occasion pour les minorités de négocier leur statut et leur place dans la société. Si les Toubous disposent de leurs propres représentants, ils demeurent encore, en plusieurs endroits, en marge voire exclus des cercles de décision qu’il s’agisse des assemblées locales ou de l’assemblée constituante mise en place après la révolution de 2011. A l’instar des deux autres grandes minorités (les Amazighs et les Touaregs), les Toubous ont entrepris de multiplier ces dernières années des mouvements de protestations pour dénoncer leur exclusion ou leur sous-représentation dans certains systèmes politiques (10).
Depuis la chute du régime en 2011, leurs représentants se battent plus ouvertement sur l’échiquier politique et de nombreuses associations visant à défendre les droits des minorités ont vu le jour. Et si l’article 1er du projet constitutionnel du Conseil National de Transition (CNT) du 3 août 2011 mentionnait expressément les droits culturels et linguistiques des minorités en Libye (11), celle-ci, dans un texte au demeurant provisoire, n’a pas suffi à apaiser leurs craintes.
Le 17 juillet 2013, l’adoption de la nouvelle loi électorale suscita l’opposition de l’ensemble des représentants des trois plus grandes minorités du pays. Ils dénonçaient notamment l’attribution de deux sièges seulement pour chacune d’elles sur un total de soixante sièges que compte l’Assemblée constituante. Ils s’élevaient par ailleurs contre la remise en cause du principe jusque-là institué du consensus présidant à l’adoption d’une décision au profit de la règle de la majorité (12) qui leur est nettement moins favorable.
Entre début 2014 et l’été 2015, les Toubous, dans leur combat pour défendre leur droit à une meilleure représentation, sont allés jusqu’à s’allier avec les Touareg alors même que les deux minorités s’opposaient ponctuellement lors d’affrontements sanglants dans cette même période. Ils réclamaient de concert que soient également reconnus et garantis, dans la future constitution, leur statut et leurs droits culturels et linguistiques (13).
Notes :
(1) Il est très difficile d’estimer leur population en Libye, les estimations vont de plusieurs dizaines de milliers à plusieurs centaines de millier. Mohammed A’Sunoussy, un représentant toubou indiquait en 2014 qu’ils étaient autour de 50 000 en Libye. La note de Minority Rights Group International de juillet 2018 « World Directory of Minorities and Indigenous peoples-Libya : Tebu » estimait leur nombre à au moins 12 ou 15 000 tout en admettant qu’ils pourraient être bien plus élevé, jusqu’à plusieurs centaines de milliers. D’autres estimations font état de 300 000 (Journal Le Point, février 2014) ou de 800 000 (Al Jazeera, février 2013 ; Le Monde, septembre 2011 ; Courrier international, juillet 2015).
(2) Rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme sur la République arabe libyenne en date du 15 juillet 2010 « Summary prepared by the Office of the High Commissioner for Human Rights in accordance with paragraph 15 © of the annex to Human rights Council resolution 5/1 - Libyan Arab Jamahiriya » (A/HCR/WG.6/9/LBY/3).
(3) Cairn info « Nomades d’hier, nomades d’aujourd’hui » Annales de géographie 2006/6 (n°652) https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2006-6-page-688.htm#
(4) Libération « Vague de violences racistes en Libye » 3 novembre 2000.
(5) Courrier International « Libye. Les Toubous étrangers dans leur pays » 7 février 2013.
(6) Note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada du 3 novembre 2014 « Libye : information sur la situation du groupe ethnique des Toubous et de leurs défenseurs, y compris sur le traitement que leur réservent la société et les autorités ; relation avec les autres groupes ethniques (2012-octobre 2014) » du 3 novembre 2014.
(7) Décision n°49 de 1990 (droits politiques) ; Décisions n°602 de 1988 et 238 de 1989 (droits en termes d’accès au marché du travail).
Revue Open Edition, l’Année du Maghreb, « Fin de régime et migration en Libye. Les enseignements juridiques d’un pays en feu » de Delphine Perrin.
(8) Décision n°456 de 1988 sur les droits des citoyens arabes.
Revue Open Edition, l’Année du Maghreb, « Fin de régime et migration en Libye. Les enseignements juridiques d’un pays en feu » de Delphine Perrin.
(9) Ouvrage « Les relations transsahariennes à l’époque contemporaine : un espace en constante mutation » de Laurence Marfaing et Steffen Wippel, 2004.
(10) Libération « Libye : des bureaux de vote attaqués peu avant les élections » 20 février 2014.
(11) Article 1er de la Déclaration constitutionnelle du Conseil National de Transition (CNT) « La Libye est un Etat démocratique indépendant où tous les pouvoirs dépendent du peuple. Tripoli est la capitale, l’islam est la religion, la charia islamique est la source principale de la législation. L’Etat garantit aux non-musulmans la liberté d’entreprendre leurs rituels religieux. L’arabe est la langue officielle, en garantissant les droits culturels des composantes de la société libyenne et les langues de celles-ci sont considérées comme des langues nationales ». D’après la Digithèque de Matériaux Juridiques et Politiques (MJP) développée par l’université de Perpignan, cette dernière mention renvoie aux minorités Amazighs, Toubous et Touaregs, bien que ces composantes en question ne soient pas mentionnées dans le texte arabe ni dans la traduction en anglais.
(12) Essai « Le surgissement de la cause amazighe en Libye : des espoirs de reconnaissance aux déconvenues de la realpolitik » de Thierry Desrues.
(13) RFI « Touaregs et Toubous veulent être reconnus par la future Constitution » 23 août 2015.
Asma Saïd
Asma Saïd est étudiante à l’université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) où elle prépare le concours du Quai d’Orsay. A l’issue de son Master II en Droit et en Relations Internationales, elle a effectué des stages et des missions auprès d’instances onusiennes d’abord en Asie puis au Moyen-Orient, avant de travailler pour des instituts de recherche ou l’administration française au Moyen-Orient puis en France.
Animée d’un réel intérêt pour cette zone géographique où elle a vécu, travaillé et voyagé, elle a étudié plusieurs des conflits qui touchent cette région, avec entre autres un focus sur le conflit libyen, la situation en Egypte après la chute de Moubarak, le conflit dans le Sinaï où elle s’est rendue à de nombreuses reprises, et les relations de ce pays avec ses voisins ou avec la Russie.
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