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L’islamisme Tunisien d’Ennahdha : d’une mouvance révolutionnaire à un parti politique légaliste (2/3). Vers la légalisation politique d’un parti islamiste démocrate tunisien : de Ben Ali à la Révolution du Jasmin de 2011

Par Clément Guillemot
Publié le 12/07/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Rached Ghannouchi en juin 2012

FETHI BELAID/AFP

La victoire d’Ennahdha aux élections législatives tunisiennes de 1989

Le MTI affirme son soutien au président et change d’appellation, devenant Ennahdha (mouvement de la renaissance ; Nahda en arabe) car aucun parti selon l’article 3 de la Constitution de 1959 ne peut se référer à la religion. Le jour de l’aïd el Kebir, le 4 août 1987, Ghannouchi est à nouveau gracié (de la condamnation de mars 1987 le condamnant pour formation d’organisation illégale) avec 233 autres condamnés.
Reçu officiellement par le gouvernement en novembre 1988, le mouvement Ennahdha reçoit l’autorisation de participer aux élections législatives d’avril 1989, sous la bannière des indépendants, bien que sa demande de légalisation, en tant que parti politique, n’ait toujours pas abouti.
Avec un score de 14,5% au niveau national, les islamistes d’Ennahdha mettent en évidence qu’ils représentent l’opposition. Mais Ennahdha est privée de représentants à l’assemblée, le régime découvrant dans l’islamisme tunisien un facteur d’instabilité pouvant secouer le système en place. Le pouvoir et la gauche s’unissent alors pour lutter contre l’islamisme. La répression reprend. Bien que gracié le 4 août 1987 de la condamnation de la cour de sûreté qui l’avait frappé en mars 1987 et avait provoqué l’arrestation de certains de ses membres, Ennahdha s’entend donc refuser le 8 juin 1989 son visa pour le même motif que précédemment : la formation d’organisation illégale. Le Journal al Maarifa, limité à 40 000 exemplaires dans un premier temps, est interdit le 10 novembre 1989 en raison d’un communiqué appelant à renforcer la mobilisation antigouvernementale. Au mois de mai 1990, un comité interministériel élabore un plan de lutte contre les courants extrémistes religieux, alors même que les heurts avec les islamistes se multiplient. Le 15 décembre 1990, accusés de la préparation d’actes terroristes, 200 cadres du mouvement sont arrêtés.

Le 17 février 1991, l’un des bureaux du parti-Etat, le rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), successeur du parti socialiste destourien (PSD) de Bourguiba, est incendié et un gardien meurt. Cet attentat, appelé « affaire de Bab Souiqa », aurait été toléré ou commandité par les dirigeants d’Ennahdha, la question restant discutée par les spécialistes. L’événement donne le signal d’une répression sans précédent avec le plan « Tarir le mal à sa source ». Tout d’abord, le 29 mars 1991, le régime dissout la centrale syndicale étudiante contrôlée par les islamistes (UGTE) et le 18 mai, le chef d’Etat relance officiellement la thèse du complot en annonçant la découverte d’une seconde tentative pour renverser de régime. 7 000 militants d’Ennahdha seraient ainsi passés par les locaux de la police entre 1990 et 1991. Le 12 juillet 1992, s’ouvre le procès des chefs d’Ennahdha (280 accusés) entrainant 50 condamnations à mort, le chef d’accusation étant « délit d’incitation au fanatisme et à la haine ». « C’est désormais une guerre sans merci entre Ben Ali et les islamistes [1] » écrivent Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi.

L’exil d’Ennahdha et le renforcement des idéaux démocratiques du mouvement

Un tiers des dirigeants d’Ennahdha décide alors de s’exiler. Rached Ghannouchi part pour Londres, les autorités françaises n’ayant pas souhaité sa venue. Le mouvement décide alors de transférer sa direction à l’étranger, mais ne se fait pas oublier depuis son exil : un site internet trilingue, le plus consulté des sites de l’opposition tunisienne, est créé ; une chaîne de télévision satellitaire, Ezzeitouna TV, émet plusieurs heures par semaine et est regardée par des milliers de Tunisiens à l’intérieur et à l’extérieur du pays ; un réseau d’associations de bienfaisance recueille des fonds en Europe et dans les pays arabes est tissé. Le mouvement est ainsi représenté dans plus de soixante-dix pays du globe. Les islamistes, à partir de cette période, exigent l’application de la démocratie en Tunisie et disent en être les meilleurs défenseurs. Alors qu’en avril 1981, lors d’un congrès à caractère extraordinaire organisé par le mouvement islamiste, Rached Ghannouchi avait prête serment de fidélité aux Frères musulmans ; dans son exil, Ghannouchi s’en éloigne souhaitant adopter une approche plus modérée, influencé en cela par l’islamiste tunisien Ahmida Enneifer. Une commission au sein d’Ennahdha est ainsi chargée de repenser la stratégie du mouvement.
De même depuis le 11 septembre 2001, Ennahdha dénonce fermement le terrorisme. Renonçant à sa visée monopolistique, c’est-à-dire à la volonté de fonder le Parti-État islamiste comme alternative au parti unique destourien, une volonté de se fondre dans les milieux oppositionnels, en devenant un parti comme les autres, est adoptée. Ennahdha se rapproche ainsi de nombreuses personnalités d’opposition tunisienne.
Pendant son exil, Ghannouchi écrit et accorde des entretiens dans lesquels transparait notamment le caractère novateur des positions du courant tunisien sur les questions de la démocratie et des libertés individuelles. Ennahdha emprunte alors le langage de l’opposition de gauche : société civile, séparation des pouvoirs, droits de l’homme, pluralisme, alternance, place de la femme… Sur le soutien inconditionnel d’Ennahdha à la démocratie, Rached Ghannouchi s’exprime en ces termes : « Arrêtez de dire que le concept de démocratie est étranger à notre culture. Arrêter de dire qu’il n’appartient qu’à l’Occident. Vous vous trompez, la démocratie, c’est l’islam. Nous sommes prêts à respecter n’importe quelle majorité, quand bien même serait-elle communiste [2] ».
Cependant, Ennahdha reste très critique sur la sécularisation menée par Bourguiba et Ben Ali et pourfend « la volonté modernisatrice de la société (qui) ne devrait pas être limitée aux domaines de la raison et de la science… Bouguiba puis Ben Ali cherchent à imposer le contrôle complet des institutions et des symboles de religions [3] » expose Azzam Tamini.

Du retour triomphal de Rached Ghannouchi en Tunisie au parti majoritaire de Tunisie

La révolution du Jasmin renverse le régime et Ben Ali quitte la Tunisie le 14 janvier 2011. Les islamistes sortent gagnants de cette nouvelle configuration. Le 29 janvier 2011, après 22 ans d’exil, Rached Ghannouchi est accueilli en héros par le peuple Tunisien. Légalisé le 1er mars 2011, le parti Ennahdha obtient 89 députés aux élections de la Constituante du 23 octobre 2011 (assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution tunisienne) et devient la première force politique du pays.
Avec 16 ministres sur 32 membres d’Ennahdha, le parti, par le gouvernement dirigé par Hamadi Jebali (Ennahdha), est au cœur du processus de transition politique avec le soutien de 37% des citoyens tunisiens [4]. Rached Ghannouchi prône le consensus national, c’est-à-dire l’alliance de toutes les forces politiques du pays, au-dessus des clivages partisans, visant à l’établissement d’une république tunisienne démocratique. Dirigeant le gouvernement avec les deux autres partis majoritaires de Tunisie, le congrès pour la République (CPR) de Mohammed Abou et Ettakaol dirigé par Mustapha Ben Jaafar, deux partis se réclamant de la social-démocratie, Ennahdha se défend d’être un parti islamiste. Son but clairement affiché est de concilier Islam et démocratie tel que l’a dit Ghannouchi lors du forum économique de Davos le 27 et 28 janvier 2012 évoquant le fait que la révolution tunisienne va dans ce sens. Ainsi, Ennahda ne revendique pas l’établissement d’une théocratie mais les préférences semblent aller au modèle de l’AKP turc, c’est-à-dire une laïcité ouverte semblable au modèle anglo-saxon ou la religion puisse inspirer le politique.
En outre, sur le plan économique, bien qu’Ennahdha souhaite moraliser l’économie par le développement de la finance islamique, le parti accepte l’économie de marché et ne semble pas vouloir entraver son fonctionnement. « Nous n’allons pas toucher au secteur vinicole qui fait travailler 50 000 personnes. Nous ne comptons pas refaire les choix des Tunisiens. Il n’est guère question d’appliquer la charia et encore moins de donner à notre économie une tendance religieuse et idéologique. On ne touchera pas aux secteurs bancaire, agricole ou autre (tourisme…) [5] » se défend Houcine Jaziri, secrétaire d’Etat chargé de l’immigration et membre d’Ennahdha.

A lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 L’islamisme Tunisien d’Ennahdha : d’une mouvance révolutionnaire à un parti politique légaliste (1/3). La naissance de l’islamisme politique sous Habib Bourguiba
 L’islamisme tunisien d’Ennahdha : d’une mouvance révolutionnaire à un parti politique légaliste (3/3). Ennahdha à l’exercice du pouvoir depuis 2011

Bibliographie :
 Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, Notre ami Ben Ali, la découverte/poche, 2011. 245pages.
 François Burgat, L’islamisme au Maghreb, Paris, Payot, 2008, 416 pages.
 Michel Camau, Tunisie au présent : une modernité au-dessus de tout soupçon ? Paris, Editions du CNRS, 1987, 420 pages.
 Michel Camau et Vincent Geisser, Le syndrome autoritaire : politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 372 pages.
 Michel Camau et Vincent Geisser, Habib Bourguiba, la trace et l’héritage, centre de Science Politique, IEP d’Aix en Provence, karthala, 2004, 664 pages.
 Sadri Khiari, Tunisie, le délitement de la cité, Paris, Karthala, 2003, 202 pages.
 Azzam Tamimi, Rachid Ghannouchi : a democrat within Islamism, Oxford, Editions Oxford University Press, 2001, 268 pages.
 http://www.newsoftunisia.com/
 Revue Opinion magazine, Numéro 3 décembre 2011.

Publié le 12/07/2012


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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