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Lire la partie 1 : La Russie et Israël (1/2) : le conflit syrien et ses prolongements régionaux
Les intérêts pragmatiques de Moscou lui imposent de faire reconnaître par la Syrie du président Assad et par Israël que le principal danger dans la région réside dans le développement de l’Etat islamique et des autres forces extrémistes sunnites. En attendant, la Russie tient compte des intérêts israéliens et s’opposera à toute attaque contre l’« agresseur sioniste » (1) .
Bien que le Caucase ne soit pas une région russe, il se trouve à la frontière avec la Russie et représente donc une « zone de vulnérabilité », d’autant plus que des citoyens musulmans du Caucase sont en train de s’engager au Proche-Orient aux côtés de l’Etat islamique. C’est la raison pour laquelle les Russes ont soutenu Bachar al-Assad. Les Russes veulent en effet éviter à tout prix que l’Etat islamique et Jabhat Fateh al-Sham (le représentant de al-Qaïda en Syrie) s’imposent à Damas et créent une situation similaire à ce que si passe en Libye.
D’autre part, la Russie a une large population de confession musulmane qui représente entre 12 et 15% de sa population, soit entre 16 et 20 millions de personnes qui risquent de se radicaliser et de s’allier à l’Etat islamique (2) . Depuis la fin de l’Union soviétique en effet, les Russes estiment que la radicalisation islamique est l’un des plus graves dangers qui pourrait remettre en cause leur intégrité nationale et leur stabilité.
Un rapprochement avec les Russes est d’autant plus vital pour les Israéliens que leurs relations avec leur allié historique, les Etats-Unis, se sont dangereusement dégradées sous la présidence Obama. La modernisation de l’armée russe a conduit ce pays à passer un accord de coopération militaire avec Israël en 2010 afin d’améliorer les performances de son armée de l’air. Or, la Russie est considérée par les Etats-Unis comme un « ennemi ». Les Etats-Unis sont donc en désaccord avec Israël, leur principal allié dans la région, qui souhaite que cet accord de coopération militaire conduise la Russie à limiter son soutien à l’Iran et à la Syrie.
Tout cela conduit Israël à s’opposer aux Etats-Unis. Or, les Américains financent et arment l’armée israélienne et protègent militairement Israël. De plus, les Etats-Unis à l’ONU utilisent régulièrement leur droit de veto pour bloquer toute résolution du Conseil de Sécurité qui serait contraire aux intérêts d’Israël (3).
Pour Israël, l’alliance avec le Kremlin est nécessitée par deux facteurs : la présence militaire de plus en plus importante de la Russie et simultanément le retrait américain de la région. Israël a la conviction que la Russie devient un acteur majeur de la situation et que les Etats-Unis pourraient ne pas s’y opposer.
Dans le passé, Israël et les Etats-Unis se sont partagés les tâches au Proche-Orient : Israël s’opposait aux puissances régionales alors que les Etats-Unis s’assuraient qu’aucune puissance étrangère de premier plan ne puisse remettre en cause l’équilibre des forces dans la région qui devait être toujours favorable à l’Etat d’Israël.
Poutine a commencé à remettre en cause cette politique en 2008 lorsque la Russie a envahi la Géorgie, puis en 2014, lorsque la Russie a envahi la Crimée et enfin durant l’été 2015, lorsque la Russie a envoyé son armée en Syrie. Aussitôt, le Premier ministre israélien s’est rendu à Moscou pour discuter avec Poutine, qu’il considère comme étant le nouveau patron de la région (4). Le danger russe pour Israël existe puisque la Russie d’une part, protège le président Assad et d’autre part, envoie des avions de chasse russes à la frontière nord d’Israël (5).
L’intervention du président Poutine en Syrie et sa volonté de faire redémarrer les négociations entre Netanyahou et Abbas dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien, remettent en cause la suprématie américaine dans la région. Cette nouvelle situation sur le terrain, encourage les alliés des Etats-Unis comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et bien sûr Israël à consulter Poutine. D’autant plus que le Secrétaire d’Etat John Kerry n’a pas réussi à organiser une réunion au sommet entre Israéliens et Palestiniens.
Poutine peut prétendre vouloir faire progresser le processus de paix dans la région, cependant et comme les événements l’ont démontré ces derniers mois, une région instable lui est plus favorable. Ainsi, il peut prétendre rechercher une solution à la crise syrienne ou un rapprochement israélo-palestinien, mais ses alliés en Syrie (l’Iran et le Hezbollah) feront tout ce qui est nécessaire afin de faire échouer tout cessez-le-feu en Syrie qui ne soit pas fondé sur une victoire totale de Bachar al-Assad. De même, l’Iran et le Hezbollah feront échouer toutes négociations entre Israéliens et Palestiniens s’ils n’y trouvent pas leur propre intérêt (6).
Dans ces conditions, les dirigeants palestiniens ne sont pas favorables à une initiative russe car une population en détresse qui n’a pas de droits politiques n’intéresse pas Poutine puisqu’elle ne lui permet pas de renforcer le potentiel de la Russie dans la région.
Netanyahou de son côté n’est pas favorable à une rencontre avec Mahmoud Abbas car il ne souhaite pas s’entretenir avec le dirigeant palestinien, mais recherche des relations sérieuses avec les Russes, les Egyptiens et les Saoudiens (7) qui sont également affectés par les désillusions générées par l’administration Obama.
En attendant, un accord a été passé par les Russes et les Israéliens afin de permettre à ces derniers d’attaquer les convois d’armes destinés au Hezbollah et qui pourraient être utilisées contre l’Etat hébreu. Cet accord prévoit également qu’Israël n’interviendra pas en Syrie tant que son territoire n’est pas menacé (8).
D’après l’armée israélienne, les Russes empêcheront le Hezbollah de déclencher une guerre contre Israël car ils ne souhaitent pas, dans les conditions actuelles, provoquer une escalade généralisée sur le champ de bataille au Proche-Orient. Or, les pièges auxquels doivent faire face les Russes pour éviter cette escalade sont nombreux. Ainsi, en décembre 2015, le Hezbollah a provoqué une embuscade contre une patrouille de l’armée israélienne sur la frontière israélo-libanaise (9). Cette attaque faisait suite à l’assassinat en décembre 2015 de Samir Kantar, un officier supérieur du Hezbollah qui avait passé 29 ans dans les prisons israéliennes après avoir abattu en 1979 les membres d’une famille israélienne. Il fut libéré en 2008 dans le cadre d’une négociation entre le Hezbollah et l’armée israélienne. Depuis le début de la guerre en Syrie, Kantar est l’un des principaux dirigeants militaires du Hezbollah et à ce titre, a fortifié l’infrastructure du parti chiite au Golan. Son assassinat en 2015 n’a pas conduit à une attaque généralisée du Hezbollah contre l’armée israélienne, comme certains pouvaient le craindre.
Un Comité regroupant Israéliens et Russes coordonne les opérations des deux armées en Syrie et collabore notamment, afin de limiter toute agression du Hezbollah contre l’Etat hébreu. Or, la situation sur le terrain pourrait se dégrader dangereusement. Ainsi, si Israël a des renseignements sur une livraison d’armes « destinée au Hezbollah », il notifiera le Comité sans lui transmettre la source de ces informations qu’il veut protéger d’autant plus que l’Etat hébreu craint que la Russie ne transmette ces informations à ses alliés au sein des armées syrienne et iranienne et au sein du Hezbollah. Dans ces conditions, la Russie, n’ayant pas d’informations précises sur la livraison de ces armes, ne permettra pas aux Israéliens de s’attaquer au convoi destiné au Hezbollah.
Israël se trouvera alors dans une impasse qui le conduira, pour empêcher la livraison d’armes au Hezbollah, à s’opposer frontalement à l’armée russe (10) ou à détruire le convoi destiné au Hezbollah au moment même où il traverse la frontière libanaise. Cette option est dangereuse car elle pourrait provoquer une riposte du Hezbollah et donc une guerre totale entre le Hezbollah et Israël.
La Russie et Israël, bien qu’ils aient une vision différente de la situation qui va prévaloir après la fin du conflit syrien, ont cependant un objectif en commun : éviter que d’autres gouvernements ne soient déstabilisés au Proche-Orient car cette déstabilisation remettrait en cause leur propre pouvoir dans la région.
D’autre part, et mis à part la Syrie, l’influence des Russes au Proche-Orient est limitée. Une défaite en Syrie pour la Russie conduirait à un échec géopolitique de Poutine. Dans ces conditions, la Russie recherche d’autres situations au Proche-Orient qui pourraient lui permettre de s’imposer. Comme nous l’avons déjà indiqué, le conflit israélo-palestinien pourrait constituer une opportunité pour les Russes. Or, la Russie n’est pas à même de briser l’impasse dans les négociations entre les Israéliens et les Palestiniens. Les conflits syrien et israélo-palestinien ont conduit les Etats-Unis à se retirer de la région, ce qui veut dire que leurs ex-partenaires (surtout l’Arabie saoudite et les pays du Golfe) pourraient rechercher d’autres alliances.
Notes :
(1) Maxim A. Suchkov, « Russia, Israel navigate narrow straits in potentially turbulent waters », Al-Monitor http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/04/russia-israel-putin-netanyahu-visit-intrigue.html le 28 avril 2016.
(2) Zach Battat, « Russian-Israeli ties are Complicating US Hostility to Moscow », Russia Insider http://russia-insider.com/en/russian-israeli-ties-are-complicating-us-hostility-moscow/ri16297 le 6 septembre 2016.
(3) cf. « Israel Shows How to Get Along With Russia, But Will Neocons Pay Attention ? », Russia Insider http://russia-insider.com/en/russia-israel/ri16337 le 8 septembre 2016.
(4) Shmuel Rosner, « Israel knows that Putin Is the Middle East’s New Sheriff », The New York Times http://www.nytimes.com/2016/10/18/opinion/israel-knows-that-putin-is-the-middle-easts-new-sheriff.html?_r=0 le 17 octobre 2016.
(5) cf. Shmuel Rosner, « Israel knows that Putin Is the Middle East’s New Sheriff », The New York Times.
(6) cf. Shmuel Rosner, « Israel knows that Putin Is the Middle East’s New Sheriff », The New York Times.
(7) cf. Shmuel Rosner, « Israel knows that Putin Is the Middle East’s New Sheriff », The New York Times.
(8) cf. Shmuel Rosner, « Israel knows that Putin Is the Middle East’s New Sheriff », The New York Times.
(9) « Israel : war with Hezbollah less likely after Russia’s Syria Intervention », Veterans Today http://www.veteranstoday.com/2016/01/27/israel-war-with-hezbollah-less-likely-after-russias-syria-intervention/ le 27 janvier 2016.
(10) Nadav Pollak, « Why Israel Should Be Worried About Russia’s Role in Syria », War on the Rocks http://warontherocks.com/2015/10/why-israel-should-be-worried-about-russias-role-in-syria/ le 8 octobre 2015.
Matthieu Saab
Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).
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