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La crise de Khurma (janvier 1918-mai 1919) et la gestion par la Grande-Bretagne du conflit entre le Nedjd et le Hedjaz (5)

Par Yves Brillet
Publié le 28/01/2019 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Portrait non daté du roi Abdel Aziz ibn Séoud d’Arabie Saoudite, 1er souverain de la dynastie saoudienne.

AFP

Lire également : partie 1, partie 2, partie 3, partie 4

A.T. Wilson change d’avis

Le 2 mars, Cheetham, haut-commissaire britannique au Caire, transmit au Foreign Office la teneur du message adressé à l’India Office par le Commissaire civil à Bagdad. A.T. Wilson, faisait savoir qu’avant de quitter la Mésopotamie pour se rendre à la conférence prévue au Caire, il avait été informé que le Trésor ne sanctionnerait plus le versement automatique des fonds alloués à Ibn Saoud. Pour sa part, A.T. Wilson ne se considérait pas en mesure de justifier la continuation de ce versement. Il proposait qu’Ibn Saoud soit informé de cette décision due à la cessation de l’état de guerre. Il suggérait d’ajouter que le gouvernement britannique, préoccupé de l’état des relations entre le Nedjd et le Hedjaz, estimait qu’il incombait à Riad de tenir les Ikhwan sous contrôle. A.T. Wilson demandait que C.E. Wilson (Djeddah) soit chargé d’informer Hussein que le versement des fonds destinés à Ibn Saoud était suspendu et que le Chérif était autorisé à occuper Khurma s’il le désirait. En conclusion, A.T. Wilson demandait à ne pas donner suite aux instructions contenues dans le télégramme du 26 février (1).

Le 6 mars, Philby réagit au télégramme de Bagdad en soulignant que les différentes alternatives avaient été examinées lors de la réunion l’Interdepartmental Committee on Middle East Affairs (anciennement Eastern Committee) du 26 février 1919 : le comité s’était prononcé pour que la querelle entre Ibn Saoud et Hussein soit arbitrée par une commission ad hoc ; Londres exprimait le souhait de voir son offre de médiation acceptée et dans le cas contraire laissait aux protagonistes le soin de régler eux-mêmes leur différend, à la condition qu’Ibn Saoud s’engage à ne pas envahir un territoire reconnu comme faisant partie du Hedjaz. Le comité avait par ailleurs écarté les propositions de D.G. Hogarth d’intervenir aux côtés d’Hussein et de suspendre l’allocation versée à Ibn Saoud. Philby dans sa note réfutait l’argumentaire d’A.T. Wilson sur la nécessité de suspendre les financements destinés à Riad. Il estimait que dans ce cas Ibn Saoud dénoncerait le traité de 1915 qui accordait à la Grande-Bretagne une place spéciale dans la péninsule arabique (2). Dans la minute accompagnant la transmission de cette note, Shuckburgh exprimait son accord avec l’analyse de Philby, estimant que les propositions d’A.T. Wilson auraient pour effet de monter Ibn Saoud contre la Grande-Bretagne et pourrait déclencher, in fine, une attaque wahhabite sur le Hedjaz. De concert avec Philby, il considérait qu’il n’était pas opportun de prendre position au sujet des Ikhwan et qu’un soutien explicite à Hussein serait contraire à la tradition diplomatique de la Grande-Bretagne. Au sujet de la subvention mentionnée par A.T. Wilson, il estimait que la suspension du paiement mensuel de 5 ooo livres ne se justifiait pas. En conclusion, Shuckburgh rappelait que le but de la Grande-Bretagne était d’empêcher Ibn Saoud de lancer un raid contre le Hedjaz et que Riad ne semblait pas avoir l’intention d’attaquer tant que l’émir wahhabite estimerait possible de parvenir à une solution négociée. Pour l’India Office, le télégramme du 26 février devait laisser la porte ouverte à une configuration de ce type sans que Londres ne se lie les mains (3).

Le 4 mars 1919, Clayton (4) avait réagi au projet de message à l’intention d’Hussein et d’Ibn Saoud. Il estimait que la politique adoptée vis-à-vis des deux protagonistes n’était pas clairement définie et que l’offre de médiation n’était pas suffisamment incitative. Il considérait en outre que cela engageait la responsabilité de la Grande-Bretagne et que la zone concernée par la procédure d’arbitrage n’était établie avec assez de précision. Clayton présumait que cette zone incluait Khurma, ce qu’Hussein refuserait d’admettre. Clayton s’interrogeait sur la nature de l’aide apportée au Hedjaz en cas d’attaque et estimait que le moment était venu de prendre clairement parti et de montrer à Ibn Saoud que la Grande-Bretagne avait choisi de soutenir Hussein. Il se déclarait d’accord avec Cheetham (tel. N°252 du 17 février) et avec A.T. Wilson. Selon lui, le message destiné à Hussein et Ibn Saoud serait compris comme un signe de faiblesse et il préférait dans ce cas que les choses soient laissées en l’état (5).

Après avoir pris en compte les arguments du Caire et de Bagdad, l’Interdepartmental Committee on Middle East Affairs fit connaitre ses conclusions et informa les acteurs concernés des dispositions prises lors de sa réunion. Il rappelait que les objectifs du gouvernement exposés dans le télégramme du 26 février étaient de trouver une solution aux difficultés les plus immédiates avant de travailler à l’établissement d’une procédure d’arbitrage à un moment plus opportun. Le 12 mars, Londres annonçait qu’il était disposé à manifester de manière plus définitive son soutien à Hussein contre les agressions wahhabites. Le gouvernement n’était cependant pas prêt à suspendre tout versement à Ibn Saoud. Bagdad était donc autorisé à faire savoir à Riad qu’en raison des circonstances (fin des hostilités), la Grande-Bretagne était amenée à diminuer ses dépenses et avait décidé de réduire sa subvention de moitié. Londres exprimait ses craintes au sujet du regain de tension entre Ibn Saoud et Hussein et rappelait l’importance des liens unissant ce dernier avec la Grande-Bretagne. Il n’était donc pas possible de considérer avec bienveillance les tentatives d’agrandissement d’Ibn Saoud à l’ouest de Khurma. Le gouvernement britannique conseillait donc à Ibn Saoud de renoncer à ses entreprises agressives vis-à-vis du Hedjaz et de dissuader ses partisans de s’opposer aux mesures administratives prises par les autorités chérifiennes à Khurma. Le Foreign Office ajoutait que la bonne volonté de Londres envers Ibn Saoud reposait sur la détermination de ce dernier à suivre ces avis (6).

Les autorités au Caire demandèrent cependant à Londres de durcir les termes de cette décision conformément aux propositions faites dans les télégrammes 327 du 2 mars et 61 A de Clayton (7). L’India Office réagit en insistant sur le fait que le télégramme du 12 mars (FO n°323), aux autorités de Bagdad à l’intention d’Ibn Saoud reflétaient les décisions prises par le Comité interministériel en présence de Wingate et Philby. Shuckburgh soulignait que les positions exprimées dans les télégrammes 327 et 61 A avaient été prises en compte et que l’India Office considérait qu’il n’était pas souhaitable d’apporter des modifications à la ligne de conduite adoptée (8).

Allenby informa Londres le 2 avril qu’Hussein avait pris connaissance du message adressé à Ibn Saoud et qu’il s’en était montré satisfait. Il ajoutait que d’après C.E. Wilson la situation à Khurma s’était améliorée et que l’émir de Riad avait fait porter une lettre rédigée sur un ton amical au Cherif ainsi qu’à ses fils Ali et Abdallah (9).

Conclusion

En conclusion, cet apaisement relatif ne doit pas masquer la volatilité de la situation. La gestion de cette crise par la Grande-Bretagne permet cependant de mieux cerner les lignes de force et les limites de la politique de Londres vis-à-vis d’Hussein et d’Ibn Saoud. Malgré la mauvaise volonté dont fait preuve le roi du Hedjaz, les autorités britanniques considèrent qu’il est nécessaire d’honorer les engagements pris envers lui. Les événements ont cependant montré la fragilité d’un régime dont Londres admet qu’il ne pourra résister à une opération militaire d’envergure montée par Ibn Saoud. En limitant ses interventions à la pression diplomatique, Londres entend préserver le statu quo et éviter de se trouver directement impliqué dans les affaires de la péninsule. En dernier lieu, si Bagdad et Le Caire adoptent parfois des points de vue différents, il n’en demeure pas moins que les décisions finales résultent des arbitrages entre le Foreign Office et l’India Office.

Notes :
(1) Telegram from Sir M. Cheetham n°327, 2nd Mar. 1919.
(2) Note by Captain Philby, 6th Mar. 1919.
(3) Minute by Shuckburgh, 7th Mar. 1919.
(4) Clayton, (Sir Gilbert Falkingham), 1869-1938. Affecté au service de renseignement des armées au Caire, puis Directeur du renseignement. Promu Général de Brigade.
(5) General Clayton n°61-A, Cairo, 4th Mar. 1919.
(6) Egypt, Political. Cypher Telegram n°323 to Sir M. Cheetham, Cairo, Foreign Office, 12th Mar. 1919. Voir aussi CAB/24/145/152/Eastern Report n° CXII, 30th Mar. 1919.
(7) Egypt, Political, General Allenby n°464, Cairo, 31st Mar. 1919.
(8) Minute by Shuckburgh, 4th Apr. 1919.
(9) Telegram from Allenby n°616, Cairo, 21st Apr. 1919.

Publié le 28/01/2019


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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