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La diplomatie culturelle marocaine

Par Oriane Huchon
Publié le 05/04/2017 • modifié le 06/05/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Fez, Imperial City, Fez El Bali, medina listed as World Heritage by UNESCO, minaret of Bouananiya (or Bou Inania) Merdersa.

RIEGER Bertrand / hemis.fr / Hemis / AFP

Les atouts de la culture marocaine

La culture marocaine est riche de sa diversité, qui est au cœur du discours officiel marocain. A cet égard, à l’exposition « Splendeurs de l’écriture au Maroc, manuscrits rares et inédits » tenue à l’Institut du monde arabe du 23 mars au 6 avril 2017, en marge du salon du livre et sous le Haut patronage du roi Mohammed VI, figure l’inscription : « Porteur de valeurs universelles, le Maroc nous invite, à travers ses trésors inédits, à mieux connaître sa particularité et son identité politique et culturelle irriguée par plusieurs affluents : arabo-islamique, amazigh, saharo-hassani, africain, andalou, hébraïque et méditerranée ». Point de passage entre l’Afrique et l’Europe, le Maroc accueille depuis des siècles des peuples de toutes origines, qui cohabitent désormais et forment la population marocaine.

Le rapport de l’IRES détaille ainsi la richesse de la culture marocaine : « Cette richesse se manifeste aussi bien dans le registre matériel que dans celui du patrimoine immatériel et intangible. Elle comprend notamment :
 Les sites, monuments et patrimoine bâti […]
 l’artisanat et le savoir-faire des métiers traditionnels dont la préservation et l’adaptation à des techniques modernes est manifeste dans diverses réalisations architecturales anciennes et plus récentes […]
 les expressions artistiques et la tradition orale (musique, danse, contes proverbes et adages, théâtre, arts plastiques…)
 la littérature […]
 l’art culinaire […]
 l’art contemporain […]. »

Pourtant, les auteurs du rapport estiment que cette richesse pourrait être davantage mise en valeur, et ce, bien que d’importants efforts ont été faits depuis l’indépendance pour promouvoir la diplomatie culturelle marocaine.

Histoire de la diplomatie culturelle marocaine

Le rapport de l’IRES donne un historique de la diplomatie culturelle et des atouts de la culture marocaine. A partir de l’indépendance du pays le 2 mars 1956, les auteurs du rapport distinguent quatre périodes d’évolution de cette diplomatie.

De 1956 à 1974, la mission principale du ministère des Affaires étrangères nouvellement créé est de développer son réseau d’ambassades et de consulats dans le monde. Peu de place est faite à la culture en raison du manque de moyens et de personnels. D’ailleurs, le ministère de la Culture n’est créé qu’à la fin de 1968.

De 1975 à 1986, le Maroc se lance dans un processus de valorisation de son histoire et de parachèvement de son unité territoriale dans le contexte de la Marche Verte. Les autorités collectent toutes les archives et documents relatifs à l’histoire du pays. Avec les pays étrangers, le Maroc signe des accords de coopération culturelle. En 1977, le roi Hassan II crée l’Académie du Royaume du Maroc, qui encourage la recherche dans les sciences sociales et les beaux-arts et devient un acteur important de la diplomatie culturelle marocaine.

De 1986 à 1999, le royaume s’efforce de mener des opérations de communication et d’action culturelle à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc. Alors que dans la période précédente les autorités privilégiaient l’organisation de semaines culturelles marocaines, les années 1990 voient plutôt la mise en place d’actions ponctuelles et sectorielles. Les efforts de la diplomatie culturelle sont concentrés sur les Etats-Unis et la France. A la fin des années 1990 est lancé en France le « Temps du Maroc en France », sous le haut patronage du roi Hassan II et du président de la République Jacques Chirac. L’IRES analyse l’objectif de cette campagne culturelle, première opération culturelle de cette ampleur en France : « La finalité ultime du Temps du Maroc était de toute évidence de mieux faire connaître le Royaume et ses réalités aux Français, aux ressortissants marocains établis dans l’Hexagone et aux touristes étrangers de passage à Paris, Bordeaux, la Rochelle, Blois, Aix-en-Provence, Marseille, Strasbourg et ailleurs. L’un des principaux enjeux du Temps du Maroc était a priori (simple déduction restant à étayer par des documents d’archives probants) le rétablissement dans leur plénitude des relations franco-marocaines et d’en souligner "l’exception". »

Les nouvelles orientations de la diplomatie culturelle marocaine

La dernière phase de la diplomatie culturelle marocaine débute en 2000 et se poursuit jusqu’à nos jours. La diplomatie culturelle connaît alors une importante dynamisation, notamment en raison de l’implication d’acteurs non étatiques : parlementaires, partis politiques, associations et organisations non gouvernementales…

La Lettre Royale adressée à la conférence des Ambassadeurs le 30 août 2013 marque une nouvelle étape dans le développement de la diplomatie culturelle marocaine : « Selon la Lettre Royale, la diplomatie culturelle devait se concrétiser notamment par la création à l’étranger de Maisons du Maroc (effectivement mises en place à Montréal et Amsterdam) et de centres culturels ainsi que par l’intensification des activités artistiques, l’organisation de foires et d’expositions, et, de manière générale, la mise en valeur de la civilisation et de la culture du Maroc. Depuis quelques années, le Maroc redéfinit son rôle régional et international, notamment à travers sa politique africaine par les visites africaines de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI qui interviennent dans la dynamisation des rapports économiques et culturels avec les pays concernés avec cet atout majeur (l’autorité symbolique et spirituelle de l’islam marocain). »

Dans un article publié sur le site internet Maghress en décembre 2015, l’orientation de la diplomatie culturelle marocaine est expliquée conformément à la volonté d’« utiliser la diplomatie culturelle comme un levier de rayonnement pour un Maroc stable, solidaire et ouvert sur l’autre » (2). « Au plan international, il s’agit également de la mise en place d’une vision diplomatique plus professionnelle et moins traditionnelle, en promouvant la culture marocaine d’origine à l’étranger comme un levier de changement dans la définition d’un nouveau projet sociétal. Mais sur le plan national, la diplomatie culturelle, en encourageant les réflexions sur l’importance du dialogue interculturel, favoriserait la cohésion sociale. En somme, la diplomatie culturelle marocaine, tout en réalisant un objectif de dialogue entre les cultures et de promotion de la diversité culturelle, elle doit être associée à une stratégie globale de développement. »

De nouveaux objectifs illustrés par la présence marocaine en France en 2017

Ces nouveaux objectifs sont visibles en France cette année avec quelques grands événements se déroulant à Paris. Invité d’honneur du Salon du Livre Paris, le Maroc a assuré le succès de sa présence Porte de Versailles. Le pavillon du Maroc a mis en scène de façon élégante et originale la culture et le patrimoine nationaux. Le magazine marocain Challenge décrit ainsi le pavillon : « Tarik Oualalou [et son épouse Lina Choi], qui avait déjà conçu la tente sur le parvis de l’IMA pour le Maroc moderne, des biennales dont celles de Venise, nous convie à l’appréciation d’un pavillon de 450 m² tout en bois naturel, modulable, respectant l’écologie et l’esprit de la lettre et de l’écrit. Le visiteur y découvre plusieurs espaces, publics et privés, dont la grande librairie et amphithéâtre, conçus dans l’esprit de l’agora et de la Halka (3), longtemps emblème de nos places publiques, de la fête, du conte et du débat. Qui dit bois dit pâte à papier ! Sur les façades, le public peut détacher des feuilles volantes et constituer son petit livre, souvenir qu’il gardera et du salon et du Maroc. » (4) Au total, 3000 ouvrages étaient proposés, une centaine d’auteurs ont participé et de nombreux débats, récitations et projections ont animé le salon.

En marge du Salon du Livre 2017, de nombreuses manifestations ont été organisées. Plusieurs concerts de musique marocaine dans toute sa diversité ont été donnés dans de prestigieux lieux parisiens : 17 mars concert de l’Orchestre philarmonique du Maroc, « Les religions à l’unisson » à l’Eglise Saint-Germain-des-Prés ; 24 mars concert de musiques juives marocaines salle Gaveau ; clôture du Salon du livre avec un concert au Bataclan pour le Gnaoua Festival Tour 2017.

L’Institut du Monde arabe a pour sa part accueilli une exposition sur les manuscrits marocains. Certaines pièces exposées étaient d’une grande richesse et n’avaient jamais été exposées (voire n’avaient jamais quitté le Maroc). Les pièces maîtresses de l’exposition étaient trois livres religieux anciens : un Coran du IXe siècle, une Torah (date inconnue) et un Evangile en arabe datant du XIIe. L’exposition retraçait également les grandes étapes de la construction de l’Etat marocain, exposait des ouvrages scientifiques et littéraires marocains afin de souligner la prégnance de l’écrit dans la tradition marocaine. Les cartels et descriptions de l’exposition étaient rédigés par un membre du ministère marocain de la Culture et reflétaient le discours officiel du gouvernement en s’inscrivant dans les nouveaux objectifs de la diplomatie culturelle marocaine.

En outre, en dehors du Salon du Livre, un autre grand projet a été lancé en 2016 : l’ouverture boulevard Saint Michel du futur Centre culturel du Maroc à Paris, par les mêmes architectes que le pavillon du Maroc au Salon du Livre (Oualalou+Choi). Projet entièrement financé par le royaume du Maroc, le centre aura pour objectif de faire rayonner la culture marocaine en France après son ouverture prévue en 2018.

Conclusion

Malgré la qualité de ces grands événements et la volonté politique affichée du gouvernement marocain de diffuser la culture marocaine dans le monde, il faut souligner les limites de ce modèle. Deux limites nécessitent d’être relevées. D’une part, les chercheurs de l’IRES indiquent dans leur rapport que les moyens humains et financiers déployés par le royaume dans la promotion de la culture sont insuffisants pour mener à bien de si grandes ambitions. Ainsi, une étude des budgets de la culture sur quatre pays d’Afrique du Nord montre le Maroc dernier dans les dépenses culturelles. D’autre part, il faut remarquer le décalage entre le discours officiel sur la lecture comme composante essentielle de la vie des Marocains et le fait que près d’un tiers de la population marocaine est toujours analphabète en 2015 (chiffres de l’Agence nationale de lutte contre l’analphabétisme). Conscient du problème, le gouvernement a annoncé une série de mesures afin d’alphabétiser sa population. De tous les pays arabes à l’exception de la Mauritanie, le Maroc est le pays qui concentre le plus d’analphabètes proportionnellement à sa population totale. Les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène.

De nombreuses initiatives locales sont mises en place au Maroc : ouverture de musées d’art contemporain, organisation de festivals de musique et de théâtre… Ces initiatives font partie du programme de diffusion de la culture marocaine sur le territoire national, et nécessitent d’être encouragées au même titre que les mesures d’alphabétisation de la population.

Notes :
(1) http://www.ires.ma/documents_reviews/diplomatie-culturelle-marocaine-proposition-dun-modele-renove/
(2) http://www.maghress.com/fr/lopinion/48537
(3) La halka est la forme de théâtre traditionnel la plus ancienne du Maroc.
(4) http://www.challenge.ma/salon-du-livre-de-paris-le-maroc-a-livre-ouvert-79740/

Source :
Rapport de l’IRES : http://www.ires.ma/documents_reviews/diplomatie-culturelle-marocaine-proposition-dun-modele-renove/

Exposition :
« Splendeurs de l’écriture au Maroc, Manuscrits rares et inédits » à l’Institut du Monde arabe du 23 mars au 6 avril 2017

Sitographie :
 http://www.medias24.com/MAROC/CULTURE/171322-Quelle-diplomatie-culturelle-pour-le-Maroc-Une-etude-de-l-IRES.html
 https://www.opinion-internationale.com/2017/03/22/le-maroc-a-livre-ouvert-invite-dhonneur-du-salon-du-livre-de-paris-2017_50016.html
 https://www.imarabe.org/sites/default/files/documents/CP%20Splendeurs%20de%20lecriture%20au%20Maroc%20-%20Manuscrits%20rares%20et%20inedits%2015032017_1.pdf
 http://www.huffpostmaghreb.com/2016/06/28/architecture-centre-culturel-maroc-paris_n_10718074.html
 http://www.challenge.ma/salon-du-livre-de-paris-le-maroc-a-livre-ouvert-79740/
 http://www.maghress.com/fr/lopinion/48537
 http://www.huffpostmaghreb.com/2013/09/09/analphabete-maghreb_n_3893221.html
 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/08/maroc-pres-d-un-tiers-de-la-population-toujours-analphabete_4748519_3212.html

Publié le 05/04/2017


Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.


 


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