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La diplomatie du sport au Qatar

Par Valentin Germain
Publié le 29/07/2013 • modifié le 07/10/2022 • Durée de lecture : 8 minutes

SWITZERLAND, Zurich : Sheikh Mohammed bin Hamad al-Thani, chairman of the Qatar 2022 bid committee, (L) raises the World Cup trophy as he stands with Qatar’s Emir Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani ©, his wife Sheikha Moza and FIFA president Joseph Blatter ® after Qatar was chosen to host the 2022 World Cup at the FIFA headquarters in Zurich on December 2, 2010. Qatar became the first Arab, Middle Eastern or Muslim country to be awarded the right to stage football’s World Cup. AFP PHOTO/KARIM JAAFAR

La politique étrangère du Qatar

Petit territoire sans défense naturelle, le Qatar est un État de la taille de l’Île de France, situé dans la péninsule arabique. Exportateur de pétrole, le pays est néanmoins spécialisé dans l’exploitation de gaz. Il dispose ainsi de la troisième réserve de gaz au monde, la poche de gaz sous-marine North Field, qui lui permet d’être le premier exportateur de Gaz naturel liquéfié au monde.

Le Qatar occupe une place géopolitique régionale qui le conduit à mener une politique étrangère particulière. Situé face à l’Iran, à proximité de l’Irak et voisin frontalier de l’Arabie saoudite, le Qatar est obligé de mener une politique d’équilibriste sur le plan diplomatique. Lorsque les Britanniques quittent la péninsule arabique dans les années 1960, dans un contexte de montée du nationalisme arabe pro-soviétique, les négociations sont actives et débouchent sur la création d’une fédération entre les émirats du Golfe. Le Qatar et Bahreïn n’y entrent toutefois pas et proclament leur indépendance en 1971. Le nouvel État veille alors à ne pas froisser les intérêts de ses deux grands voisins sunnites et chiites, l’Arabie saoudite et l’Iran. Cet équilibrisme passe donc par une posture de non-alignement, aboutissant au fait que la grande puissance de référence de la région, tant en termes territoriaux que de puissance militaire, reste l’Arabie saoudite.

L’autre caractéristique de la politique étrangère qatari est son ouverture et sa volonté de modernisation, qui passe par des liens affirmés avec l’occident. Ainsi, dans le Moyen-Orient agité du début des années 1990, un premier accord de coopération de défense est signé avec les États-Unis, après l’opération Desert Storm. Ces derniers disposent ainsi aujourd’hui de la base militaire d’al Udeid à l’est de Doha, qui leur permet d’avoir des infrastructures de logistique et de commande à proximité des terrains d’opération de la région. La politique équilibriste qatarie intervient également quand il s’agit de diminuer l’importance géostratégique du pays pour les États-Unis, dans une région marquée par un anti-américanisme virulent. D’une certaine manière, le Qatar peut sembler être le poste avancé de la modernité occidentale dans la région. En dehors des cercles diplomatiques, cela s’est vérifié sur le plan économique lorsque, après la crise de 2008, le pays a pu intensifier ses prises de participations dans de nombreux grands groupes occidentaux.

Dans un souci de reconnaissance politique et médiatique, la création de la chaîne de télévision Al Jazeera en 1996 est une avancée majeure. Outil d’influence et de rayonnement au Moyen-Orient et dans le monde musulman, la chaîne porte la voix du Qatar à travers le monde. Celle-ci joue par ailleurs un rôle important avec les événements du Printemps arabe, en favorisant (ou en occultant) la diffusion des révoltes des peuples arabes. Ces événements sont en outre l’occasion pour le Qatar de s’engager dans les conflits avec les soutiens aux insurgés de Syrie et de Libye.

Néanmoins, malgré une place de plus en plus importante, le Qatar reste un État environné de voisins puissants, dans une région belligène. Son rayonnement international doit donc passer par des moyens moins classiques qu’une politique diplomatique ou militaire de grande ampleur. Par conséquent, c’est à travers une utilisation intensive du soft power que le Qatar compte atteindre ses objectifs.

La diplomatie du sport

Le Qatar fait le choix du soft power, voire d’un certain « sport power ». En effet, mettre l’accent sur le sport permet au pays d’accentuer et de faire valoir son image de puissance moderne. Devenir la capitale mondiale du sport passe en effet par une modernisation intense et interne du pays. Grâce à un développement de ses capacités, le pays peut dès lors prétendre accueillir les grandes compétitions mondiales. Le Qatar a donc mis en place différentes politiques publiques et des stratégies économiques au service de ce sport power.

Cela se traduit par des investissements massifs dans les compétitions sportives et les championnats tant étrangers que locaux. On note également une volonté de diversification et de rentabilité économique via le rachat des droits de retransmission qui permettent de diffuser ces investissements et de les mettre en valeur. Loin d’être de simples « caprices », ces dépenses font partie d’un projet à long terme portant sur des variables économiques, des constructions d’infrastructures et sur un volet audiovisuel. Tout cela permet de positionner le Qatar mais également de préparer un après-hydrocarbure, en se diversifiant, en ne dépendant plus exclusivement de la manne gazière.

Il est à noter que ce type de projet n’est pas le premier dans la région. En effet, dans la Péninsule arabique, les Koweitiens et le Saoudiens avaient déjà mené des expériences équivalentes à partir des années 1980 [1]. Mais ce qu’accomplit le Qatar relève d’une logique plus ambitieuse, à une plus vaste échelle et d’une manière plus méthodique. L’efficacité du Qatar dépend également du fait que toute cette politique dépend et est mise en œuvre par un cercle restreint de la famille régnante. Ainsi, par exemple, le nouvel émir, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, est à la fois le président du Comité olympique national qatari, le président du Comité d’organisation de la Coupe du monde 2022, le propriétaire et président du fonds d’investissement souverain, Qatar Investment Authority (QIA). De la même manière que ses voisins, le Qatar a donc commencé par organiser des compétitions sportives comme la Coupe d’Asie des nations de football en 1988, l’Open de Doha de tennis depuis 1993, les Masters du Qatar de golf depuis 1998 ou le Tour du Qatar de cyclisme depuis 2002. L’exposition médiatique des grands événements internationaux comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du monde de football représente un moyen incontournable d’être reconnu sur la scène internationale. Ainsi, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) compte plus de membres que l’ONU : 209 États membres contre 192. La FIFA regroupe en effet des associations qui ne représentent pas de véritables nations étatiques comme les Îles Féroé.

Les grands projets à venir du Qatar sont l’organisation du Championnat du monde de handball en 2015 et de la Coupe du monde de football en 2022. Mais les Qataris travaillent également à l’organisation d’un grand prix de F1 à l’instar du Bahreïn. Toutefois, l’objectif ultime et avoué du pays serait l’organisation de Jeux Olympiques. Le pays était en lice pour les Jeux de 2020 mais a appris en mai 2012 qu’il n’était pas dans la liste des trois villes restant en course.

La place du football

Le ballon rond occupe en effet une place à part dans le projet qatari. En effet, le football, de par l’engouement mondial qu’il suscite et de par son accessibilité, est un sport aux dimensions véritablement internationales avec des caractéristiques financière, culturelle et médiatique extrêmement intéressantes pour la diplomatie sportive du Qatar.

L’organisation de la Coupe du monde 2022 sur le sol du Qatar va permettre d’offrir au pays une très grande visibilité. Avec des rencontres suivies par plusieurs millions de personnes sur la planète, des équipes et des stars à l’impact médiatique très élevé, cette compétition va faire du Qatar le pays le plus suivi du monde pendant un mois. Cependant, certains s’interrogent sur les capacités d’accueil de l’État ; sur le fait de jouer durant l’été sous des températures de plomb (le Qatar a assuré que tous les stades seraient climatisés) ; sur le devenir des dizaines de stades ultra-modernes construits (le pays a annoncé que les stades seraient par la suite délocalisés et gracieusement offert à plusieurs villes d’Afrique).

Si le grand événement est prévu pour 2022, cela fait depuis le début du siècle que le Qatar s’est positionné sur le football. En effet, depuis les années 2000, le Qatar accueille les stars du ballon rond en fin de carrière. Citons ainsi le Brésilien Romario, l’Argentin Gabriel Batistuta, le Néerlandais Frank de Boer ou les Français Marcel Dessailly et Frank Lebœuf. Ces joueurs, ainsi que bien d’autres, ont fait du Qatar un pays connu sur la scène footballistique et ont contribué à amplifier la visibilité du pays. Mais c’est depuis quelques années que le Qatar occupe la première place des pays influents dans le monde du football, notamment depuis le rachat du club du Paris Saint-Germain (PSG). Le pays est en effet propriétaire à 100% du club de football (mais également de la structure handball), via la branche sportive de QIA, Qatar Sports Investments. L’achat du club de la ville de Paris a été pensé comme un moyen de se positionner dans le football européen à travers la vitrine sur le monde que représente la capitale française. La volonté est désormais de placer le PSG au sein de l’élite du football européen et de remporter un maximum de trophées. L’attrait pour la ville de Paris permet au Qatar de communiquer à une échelle planétaire : en cumulant les symboles comme la tour Eiffel (présente sur le logo du club) et des stars mondiales comme le Suédois Zlatan Ibrahimovi ? ou le Britannique David Beckham, le Qatar fait parler de lui et fait briller son nom en France, en Europe et dans le monde.

En outre, la manne gazière du pays lui permet de jouer un rôle de premier plan dans un sport où l’importance de l’argent et des pouvoirs politico-économiques sont majeurs. Ainsi, l’actuel président du PSG, Nasser al-Khelaifi, ancien joueur de tennis de haut niveau, est le Directeur Général d’Al Jazeera Sport mais aussi le Président Directeur Général de beIN Sport, soit l’antenne française d’Al Jazeera. BeIN Sport a notamment dépensé 150 millions d’euros pour obtenir la retransmission du championnat français de football, la Ligue 1. Ainsi, le projet s’auto-alimente : investir dans le football rend le championnat attractif, ce qui fait monter les droits télévisuels de retransmission qui sont détenus par les mêmes individus. Le Qatar est également présent en Espagne, où depuis l’été 2010, un cousin de l’émir du Qatar, Abdulah bin Nasser al-Thani, possède le club de Malaga. Toutefois, c’est au FC Barcelone que le pays a atteint son plus grand succès. L’actuel meilleur club du monde dispose désormais d’un sponsor maillot au nom de la Qatar Foundation, think tank présidé par cheikha Mozah bint Nasser al-Missned, épouse de l’ancien émir et mère de l’émir actuel. En réalisant cet accord, le pays s’est de nouveau trouvé une vitrine de choix pour la planète. Maillot vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et porté par le meilleur footballeur du globe, l’Argentin Lionel Messi, il représente peut-être le meilleur atout de la diplomatie sportive du Qatar.

Dernier aspect intéressant dans cette approche du football comme objet de soft power, la construction de l’académie sportive Aspire Academy for Sports Excellence au Qatar spécialisée dans la formation de jeunes joueurs. Avec pour objectif la qualification d’office du pays à la Coupe du monde 2022, l’académie créée en 2004 vise à débusquer les meilleurs jeunes talents du globe dans de nombreuses disciplines, dont le football, afin de leur proposer à terme la nationalité qatarie. Très attractive, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, l’académie pourrait permettre au pays de disposer d’une équipe compétitive en 2022.

Le choix du sport power pour le Qatar est donc motivé par l’absence de moyens traditionnels de hard power. Ce projet s’inscrit dans la ligne de la politique étrangère du pays, caractérisée par son équilibre et sa volonté de modernisation. En effet, l’apparente neutralité du sport souligne le caractère « non-aligné » du pays, ce qui lui permet de se positionner comme spécialiste dans les médiations internationales et dans la résolution de crises. Ainsi, c’est au Qatar que l’on doit l’accord entre le Hamas et le Fatah de février 2012, ou la résolution de la crise politique libanaise avec les accords de Doha en mai 2008, ou encore la fin de la rébellion yéménite en juillet 2008.

Bibliographie :
 BONIFACE Pascal, VERSCHUUREN Pim, BILLION Didier, ABY Romain, « La diplomatie sportive qatarie, Le ‘’sport power’’ : le sport au service de la reconnaissance internationale du Qatar », Diplosport, IRIS/CSFRS, 2012.
 CHAMPAGNE Jérôme, « La diplomatie sportive du Qatar, instrument d’une nouvelle notoriété internationale », Géoéconomie, 2012/3 n° 62, p. 67-80.
 MONGRENIER Jean-Sylvestre, « La politique étrangère du Qatar : de l’intermédiation à l’engagement », Géoéconomie, 2012/3 n° 62, p. 31-39.
 ABIS Sébastien, « Sports et relations internationales : l’offensive du Qatar », Confluences Méditerranée, 2013/1 N° 84, p. 117-130.
 VERSCHUUREN Pim, « Les multiples visages du ‘’sport power’’ », Revue internationale et stratégique, 2013/1 n° 89, p. 131-136.

Publié le 29/07/2013


Valentin Germain est actuellement étudiant au Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’université Paris 1. Après avoir grandi au Maroc, il a étudié à Paris, notamment avec Nadine Picaudou, Pierre Vermeren et Khadija Mohsen-Finan. Passionné par le monde arabe et la Méditerranée, il a voyagé et vécu en Egypte, en Turquie et au Liban.


 


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