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La figure du Prophète-combattant dans les textes de l’Islam classique, VIIIe-Xe siècle

Par Adrien de Jarmy
Publié le 23/04/2015 • modifié le 14/03/2018 • Durée de lecture : 14 minutes

Muhammad riding at head of disciples to Badr to meet pagan Meccan army, 1368, Turkish book painting

Photo Credit : [ The Art Archive / Topkapi Museum Istanbul / Harper Collins Publishers ] / AFP

Après avoir reçu les premières sourates transmises par l’ange Gabriel (« Jibr ?l » en arabe) Mu ?ammad prêche à La Mecque un retour à la religion d’Abraham et forme autour de lui une nouvelle communauté de « Croyants » [4] Face aux persécutions répétées des Mecquois et notamment des Quraysh, il décide en 1/622 [5] de partir avec eux à Médine, où il trouve une partie de la population prête à les accueillir, les an ??r [6]. Les Croyants quittant La Mecque sont appelés les muh ?jir ?n [7]. C’est l’Hégire, l’épisode qui sert de référence au calendrier musulman. Mu ?ammad reçoit alors l’autorisation de combattre les polythéistes, c’est le début d’une longue série d’expéditions et de batailles qui se solde par la conquête de La Mecque.

À la fois prophète et combattant, Mu ?ammad fait triompher l’Islam et met un terme à la J ?hiliyya [8] dans la péninsule une légende fondée sur l’histoire. Le Prophète devient le héros d’une véritable épopée, une figure à la fois historique et légendaire, ainsi que l’objet d’un culte qui s’intensifie avec le renversement des Omeyyades par les Abbassides [9] en 128/750. À la fois perçu dans les textes comme un guérisseur, un faiseur de miracles, un législateur et un combattant, Mu ?ammad est une figure en perpétuelle évolution jusqu’à aujourd’hui. Ce dernier attribut qui fait l’objet de polémiques récurrentes doit avant tout être compris comme une construction littéraire et anthropologique,

Guerre et prédication prophétique

La mission prophétique

La guerre et la foi forment un couple indissociable dans l’épopée de Mu ?ammad. Après l’Hégire, le Prophète reçoit la neuvième sourate qui accorde aux Croyants le droit de prendre les armes : « [Déclaration de guerre aux Non-Musulmans. Condamnation du Judaïsme et du Christianisme.] Combattez ceux qui ne croient point en All ?h ni au Dernier Jour, [qui] ne déclarent pas illicite ce qu’All ?h et son Apôtre ont déclaré illicite, [qui] ne pratiquent point la religion de Vérité, parmi ceux ayant reçu l’Écriture ! [Combattez-les] jusqu’à ce qu’ils payent la jizya [10], directement (?) et alors qu’ils sont humiliés. » [11]

On retrouve également ce type d’injonction dans les sources narratives : « Et combattez-les jusqu’à la fin des persécutions, et jusqu’à ce que la religion soit toute entière pour Dieu » ?abar ?, The History of ?abar ?. Volume VI. Mu ?ammad at Mecca, Albany, State University of New York Press, 1988, vol. 1988, p. 137.
Mu ?ammad doit prendre les armes pour défendre les Croyants des persécutions, mais aussi mettre fin au paganisme en Arabie. La religion doit être « toute entière pour Dieu », c’est-à-dire tournée vers le Dieu unique. Avec le deuxième pacte de ?Aqabah où les Croyants prêtent serment de combattre pour servir l’Islam et son prophète, la guerre devient un moyen légitime de convertir les populations et d’étendre la communauté. Les razzias, ces expéditions rapides qui existaient dans l’Antiquité et dont le but premier était de faire du butin, deviennent des entreprises religieuses. Le Croyant devient ainsi un guerrier dont le combat prolonge la mission prophétique. Les paroles du Prophète confortent cette idéologie dans les textes : « Ô Dieu, punis les incroyants parmi le peuple » [12].

Comme l’a rappelé Alfred Morabia, les historiens orientalistes se sont demandés si la mission prophétique de Mu ?ammad était originellement limitée à l’Arabie, ou si l’expansion de l’Islam avait dès le début une portée universelle et œcuménique. S’il est impossible de connaître les intentions du Prophète, ce motif est semble-t-il invoqué bien après, à l’époque abbasside. La prophétie de l’expansion universelle de l’Islam serait venue en rétrospective, afin de justifier les conquêtes des califes. En effet, les lettres envoyées à l’empereur byzantin Héraclius, au Khusraw (roi) de Perse et au Négus d’Abyssinie sont toutes apocryphes et semblent confirmer cette hypothèse.

Le jih ?d : une conception singulière du combat et de la religion

La notion de jih ?d est régulièrement invoquée pour décrire le mouvement de conquête des débuts de l’Islam, du temps du Prophète et de ses successeurs les r ?shid ?n [13]. Le jih ?d est effectivement une idée clef dans l’épopée de Mu ?ammad, le mot est repris aujourd’hui dans les médias et souvent traduit par le terme « guerre sainte ». Cette traduction étant désormais galvaudée, certains historiens choisissent de traduire tout simplement le mot « jih ?d » par « effort » pour en respecter l’étymologie [14]. Le terme est effectivement polysémique et contient une définition spirituelle liée au combat des passions de l’âme qui existait déjà avant l’Islam. On retiendra plus généralement une idée de dépassement de soi. À l’époque médiévale, le « jih ?d » du combattant peut ainsi être associé à un effort de guerre au nom de la mission que le Prophète a confié aux Croyants. De manière plus neutre, on traduira par « combat sacré » selon l’expression d’Alfred Morabia [15], mais ce n’est qu’un aspect parmi d’autres du lien qui unit la guerre et le sacré dans l’Islam [16].

Contrairement à la définition qu’on en donne habituellement, le jih ?d n’est absolument pas un effort individuel mais collectif, encadré par la Révélation. En relisant la neuvième sourate, on peut constater que la guerre concerne ceux qui ne croient pas au « Dernier Jour », c’est-à-dire les polythéistes. Le jih ?d est d’abord dirigé contre le paganisme, les juifs et les chrétiens pour leur part sont « condamnés » à payer un impôt de capitation contre protection, la jizya [17]. Mu ?ammad semble plus clément pour ceux qu’il nomme les « gens du Livre » (les juifs et les chrétiens), leur réservant le statut de dhimm ? ou « protégé » du droit musulman [18], ce statut est dénié aux polythéistes. Le droit habituel de la guerre leur est d’ailleurs refusé [19] et ils ont l’obligation de se convertir. Le jih ?d passe ainsi par la destruction des idoles païennes et un renouvellement de l’espace sacré. Après la prise de La Mecque et la victoire contre les Qurayshs, Mu ?ammad envoie Kh ?lid ibn al-W ?lid en expédition détruire l’idole d’al-‘Uzz ? I [20], condition sine qua non de leur conversion à l’Islam. On trouve néanmoins plusieurs épisodes violents contre les « gens du Livre », les juifs sont accusés d’avoir falsifié la Révélation puis d’avoir trahi le Prophète malgré la signature du pacte de protection. Une des tribus juive de Médine, la tribu des Ban ? Qurayza est massacrée pour s’être retournée contre les musulmans à la bataille du Fossé (5/627) [21]. Les chrétiens sont également accusés d’avoir modifié la Révélation et d’associer Dieu à des images dans le dogme de la Trinité.

Au nom du jih ?d contre les ennemis de la foi, Mu ?ammad lance ainsi des appels au martyre. Le martyre est présenté comme un honneur et même dans certains cas comme un devoir, et le martyr est perçu comme un véritable héros. La martyrologie tient d’ailleurs une part importante dans la construction politique de la société de l’Islam classique et fournit un recueil d’exemple aux musulmans, sur le modèle des bioi grecques ou des vitae plus tardives. Chez Bukh ?r ?, célèbre compilateurs de ?ad ?th-s, le Prophète prétend désirer lui-même le martyre au combat : « Chapitre VII. — Du fait de souhaiter le martyre. 1. Abu-Huraïra a dit : « J’ai entendu le Prophète dire : ’’(…) J’aimerais à être tué au jih ?d, puis à être rappelé à la vie, et tué encore, puis encore rappelé à la vie, et encore tué.’’ » [22]

Le ?ad ?th de Bukh ?r ? est typique de la littérature exemplaire musulmane, le Prophète se présente comme un éventuel martyr, ses paroles montrant aux combattants le chemin à suivre. La douleur physique et le sacrifice du corps, des thèmes déjà présents dans l’herméneutique chrétienne, sont réactualisés par l’Islam et garantissent l’accès au Paradis. Le jardin céleste est une puissante motivation pour le combattant, et le martyre est perçu comme un cadeau de Dieu. Le Coran promet d’ailleurs le paradis comme récompense au martyr [23], et Mu ?ammad l’encourage à plusieurs reprises dans les textes. À U ?ud, al-Muzann ? répond à l’appel du Prophète pour repousser les ennemis qui les encerclent. Mu ?ammad lui dit alors : « Lève-toi et réjouis-toi du Paradis » [24].

Après s’être jeté dans la mêlée, al-Muzann ? repousse l’avancée ennemie et meurt de vingt coups de lances. Ainsi All ?h « honore » du martyre les combattants [25], la récompense reçue étant plus grande que le sacrifice. Si les textes donnent à voir une conception radicale de la guerre, on se rappellera que ce sont avant tout des représentations mentales et non des faits historiquement avérés.

Une figure de combattant épique

Le Prophète sur le champ de bataille

Dans l’épopée, le héros est le personnage principal qui par ses exploits parvient à réaliser la quête lui a été assignée. De ce point de vue, il est assez aisé d’identifier Mu ?ammad comme le héros des magh ?z ?. La s ?ra d’Ibn Is ??q a longtemps été perçue par les orientalistes comme une œuvre biographique, ce qui a été partiellement réfuté par Abdesselam Cheddadi [26]. Néanmoins, la narration reste centrée sur le Prophète et ses expéditions, il est sans aucun doute le personnage principal du récit. Lors des grandes batailles de l’Islam, son action détermine la tournure des événements et de la narration chez Ibn Is ??q, mais aussi chez ses successeurs comme W ?qid ?, ?abar ? ou Bal ?dhur ?. À Badr (2/624) [27], à U ?ud (3/625) [28] ou lors du siège de La Mecque (8/630) [29], Mu ?ammad est systématiquement au centre du combat, donnant des ordres, encourageant les troupes et commentant le déroulement de l’action. Lors de ces grands moments, le Prophète est soutenu par ses Compagnons qui l’épaulent au combat. On citera à ce titre ?Al ?, un personnage tout aussi important que le Prophète pour les musulmans sh ??ites, mais aussi Khal ?d ou le futur calife ?Umar, tous de grandes figures des débuts de l’Islam. Les batailles sont marquées par des temps forts : les duels. En effet à l’époque médiévale, la bataille est représentée par une succession de combats en face à face, ce qui intensifie le caractère épique des récits. Le duel est l’occasion de mettre en lumière les qualités individuelles du personnage : l’honneur, le courage et l’habilité au combat. Ces qualités constituent un héritage universel de l’Antiquité, Achille dans L’Illiade ou Rustam, héros de l’épopée antique perse, se battent en duel et sont décrits de manière similaire. On en trouve les traces dans les Poèmes suspendus [30], attribués aux chevaliers-poètes de la J ?hiliyya. On peut prendre comme exemple le duel de U ?ud Mu ?ammad à U ?ud contre Ubay ibn Khalaf, qu’il tue d’un geste exceptionnellement rapide [abar ?, Op. cit., p.123.]. L’image du Prophète comme combattant idéal parcourt ainsi toute la littérature des débuts de l’Islam et on peut apercevoir les prémices d’un culte voué à sa personne et à ses reliques.

Les sept épées légendaires

Les listes détaillées des armes et des possessions du Prophète sont des éléments constants des magh ?z ?, elles nous révèlent l’aspect princier du personnage visuellement proche des califes abbassides. À U ?ud toujours, il porte ainsi deux cottes de mailles l’une sur l’autre ainsi que deux épées à la ceinture. Une fois armé, la bataille ne peut être évitée : « Il n’est pas correct pour un prophète qui a mis son armure de la retirer avant d’avoir combattu. » [31]

L’image du Prophète en armure est particulièrement forte, Mu ?ammad apparaît comme un homme sans compromis, associant le combat et la guerre à sa mission prophétique. Dans son histoire universelle, ?abar ? consacre également tout un chapitre aux sept épées légendaires de Mu ?ammad [abar ?, The History of al- ?abar ?. Volume IX. The Last Years of the Prophet, Albany, State University of New York Press, 1990, p. 153-154.]. Certaines sont récupérées par ses Compagnons à l’occasion des grandes batailles de l’Islam ou après sa mort. L’épée la plus célèbre du Prophète est sans aucun doute ?h ? al-Faq ?r [32], obtenue en butin à la bataille de Badr. Celle-ci est communément représentée à deux dents, et perçue comme la plus meurtrière de ses armes. Mu ?ammad la confie à ?Al ? sur le champ de bataille de U ?ud, où l’épée lui prodigue une force surhumaine et le fait entrer dans une transe guerrière. ?h ? al-Faq ?r est effectivement connue pour ses propriétés magiques et eschatologiques. À la mort de Mu ?ammad, ?Al ? la reçoit en héritage et est censé la brandir lors du Jugement Dernier. La légende veut que plusieurs montagnes nommées ?h ? al-Faq ?r au Moyen-Orient et en Iran aient été découpées par ?Al ? [33]. Les autres épées sont tirées de l’armurerie des Ban ? Qaynuq ?, une des trois tribus juives de Yathrib soumise après un siège. On en compte trois : Qala ?? [34], Batt ?r [35] et al- ?atf [36]. À celles-ci s’ajoutent trois autres épées : al-Mikhdham [37], al- ?Adhb [38]. et Ras ?b [39]. Les propriétés magiques des armes et des équipements du Prophète sont suggérés par les noms qui leur sont donnés, ce qui en fait des objets légendaires uniques. Le surnaturel et le merveilleux ont par conséquent une grande place dans la construction de la figure du Prophète-combattant, comme le prouvent ses miracles.

Le miracle et la guerre

La force miraculeuse du Prophète

Les miracles guerriers sont une particularité de Mu ?ammad et consolident le culte rendu au personnage. Ces événements viennent considérablement renforcer la dimension épique de son épopée et apposent un cachet sacré aux victoires des Croyants. On citera à nouveau le combat du Prophète contre Ubayy Ibn Khalaf, le champion polythéiste qui tombe à la première attaque portée par Mu ?ammad et déclare : « Même s’il m’avait craché dessus il m’aurait tué ! » [abar ?, The History of ?abar ?. Volume VII. The Foundation of the Community ? : Mu ?ammad at al-Madina, Albany, State University of New York Press, 1987, p. 123.] Cette anecdote est à rapprocher du combat très similaire de David contre Goliath dans le premier livre de Samuel, et montre l’influence de la culture biblique sur l’écriture des magh ?z ?. La liste des miracles est longue, à Badr par exemple, le Prophète jette des graviers aux yeux des cavaliers Qurayshs en pleine charge. L’armée est alors mise en déroute, rendue aveugle et inapte au combat [40]. Le phénomène se répète au siège de la forteresse de al-Niz ?r à Khaybar, où Mu ?ammad prend des galets et les lance sur la forteresse, ce qui a pour effet de créer un tremblement de terre et de faire s’effondrer celle-ci [41].

Ces miracles sont également l’occasion de prémonition des conquêtes. À la bataille du Fossé, alors que les combattants creusent la tranchée en préparation du combat, ‘Umar ibn al-Kha ???b tombe sur une pierre si dure qu’aucune pioche ne peut la briser. Le Prophète prend un sarcloir et tape trois fois. À chaque coup correspond un éclair et une vision, et la pierre s’effrite pour ne laisser que du sable. Le premier éclair lui fait voir les châteaux de Syrie, le second ceux du Yémen, puis ceux de Khusraw en Perse. Le miracle est confirmé dans le récit par Salm ?n, un Perse converti qui a voyagé et vu de ses yeux les châteaux. Le Prophète interprète ses visions en prédisant les conquêtes de ces régions à ses Compagnons : « Ces conquêtes voulues par Dieu vous seront ouvertes après moi, Ô Salmân, car le Nord vous sera ouvert. Heraclius fuira jusqu’au royaume le plus lointain, et vous serez victorieux sur le Nord et personne ne pourra vous contester. Le Yémen vous sera ouvert. L’Est sera conquis et Kisr ? tué aussitôt. » [42]

On retrouve ce miracle chez ?abar ?, où à chaque coup de pioche, le Prophète voit des palais qu’il soulève « tels des dents de chien ». J ?bril lui annonce que son peuple sera victorieux et conquerra les palais des bords du Tigre al-Mad ??in (Ctesiphon) et de l’Euphrate (al- ??rah) [abar ?, The History of al- ?abar ?. Volume VIII. The Victory of Islam ? : Mu ?ammad at Medina, Albany, State University of New York Press, 1997, pp. 11-12.]. La prophétie est ainsi liée à un discours politique sur les conquêtes qui vient une nouvelle fois justifier l’expansion de l’Islam.

Les invocations : la figure de l’ange-combattant

Les invocations sont à classer parmi les miracles guerriers du Prophète. À la bataille de Badr, Mu ?ammad invoque le secours des anges [43], c’est le seul miracle que l’on retrouve dans le Coran : (Rappelez-vous) quand vous demandiez secours à votre Seigneur et qu’Il vous exauça, vous disant : « Je vais vous donner en renfort mille Anges ayant compagnon en croupe. » [44]

Comme les combattants sur le champ de bataille, les anges se battent et décapitent les ennemis, ils sont cependant invisibles et seul le Prophète peut les voir. Les anges sont aussi présents à U ?ud où ils ne combattent pas, mais observent la bataille et encouragent les musulmans. Les païens sollicitaient déjà des miracles de ce type du ciel au combat selon l’historien Glen W. Bowersock [45] ; plusieurs inscriptions et ex-voto ont été retrouvés dans des lieux de culte arabes nabatéens, notamment à Petra. Les inscriptions et les ex-voto agissent comme des invocations, dans le but de demander la protection des anges. Les miracles de Mu ?ammad sont donc hérités d’une tradition invocatoire qui remonte à l’Antiquité, et qui s’est poursuivie chez les peuples arabes de la péninsule. Les anges guerriers sont déjà présents dans la Bible où ils agissent comme des protecteurs du peuple élu de Dieu. Dans l’Ancien Testament, Gabriel s’adresse à Daniel et affirme avoir combattu avec l’archange Michel le Prince du royaume de Perse pendant vingt et un jours [46]. Dans la tradition biblique, Michel est perçu comme l’ange guerrier par excellence, il est considéré comme le chef des armées célestes. La rencontre avec les chrétiens de Syrie lors de la conquête du Proche-Orient sous le califat de ?Umar a pu favoriser le passage de ce type de littérature chez les musulmans. Dans la tradition musulmane, c’est Gabriel qui prend le relais de chef des armées célestes à Badr et à U ?ud. Comme le Prophète, il est à la fois le transmetteur du message divin et un combattant exceptionnel. Dans les sources narratives, tous les autres anges sont d’ailleurs perçus comme des guerriers portant un turban blanc, l’insigne des oulémas. On associera donc la figure du Prophète-combattant avec l’image antique des anges guerriers dans les textes des débuts de l’Islam.

Conclusion

Mu ?ammad est bien un personnage sanctifié par les historiens musulmans du Moyen Âge. La poésie et le contexte préislamique ont joué un rôle dans la construction de l’épopée du Prophète-combattant, dans la représentation du combat et l’édification des martyrs dans l’Islam. Les sources sont rares, mais on peut tout de même retracer des motifs. L’Islam reprend des codes antiques universels mais aussi des images propres à la poésie des princes de la J ?hiliyya. Si les auteurs des textes héritent de ce passé, le contexte du califat abbasside influe également sur l’écriture de l’histoire des débuts de l’Islam. Les enjeux de la construction d’une figure aussi importante que celle du Prophète sont multiples et mêlent l’histoire des conquêtes et de l’empire aux querelles religieuses internes à la communauté. Le conflit entre le sunnisme et le sh ??isme, particulièrement attaché à la figure de ?Al ? l’illustre. Les historiens musulmans répondent ainsi à une demande qui émane de leurs mécènes, les califes, mais aussi de toute la société de l’empire. Durant cette période l’Islam façonne aussi ses propres codes et son esthétique, ce qui est à mettre en lien de manière générale avec la naissance d’une littérature arabe singulière au Moyen-Orient.

Bibliographie indicative :
 Michael Bonner, Le Jih ?d ? : origines, interprétations, combats, Paris, Téraèdre, 2004.
 Jacqueline Chabbi, « Histoire et tradition sacrée. La biographie impossible de Mahomet », Arabica, 1996, vol. 43, no 1, p. 189 ?205.
 Abdesselam Cheddadi, Les Arabes et l’appropriation de l’Histoire. Emergence et premiers développements de l’historiographie musulmane jusqu’au IIe/VIIIe siècle, Paris, Sindbad, Actes Sud, 2004.
 David Cook, Martyrdom in Islam, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
 Fred McGraw Donner, Narratives of Islamic origins ? : The beginnings of Islamic historical writing, Princeton, The Darwin Press, 1998.
 Denis Gril, « Le corps du Prophète », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2006, p. 37 ?57.
 Martin Lings, Le Prophète Mu ?ammad ? : sa vie d’après les sources les plus anciennes, Paris, Seuil, 1986.
 Alfred Morabia, Le Jih ?d dans l’Islam médiéval ? : le « combat sacré » des origines au XIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
 Harald Motzki, The biography of Mu ?ammad ? : the issue of the sources, Leiden, Brill, 2000.
 Annliese Nef et Vanessa Van Renterghem, Mu ?ammad, Paris, La Documentation française, 2011.
 Alfred-Louis Prémare, Les fondations de l’Islam ? : entre écriture et histoire, Paris, Seuil, 2002.
 Chase F. Robinson (dir.), The New Cambridge History of Islam. Volume 1 ? : The Formation of the Islamic world, Sixth to Eleventh centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
 Uri Rubin, The Eye of the Beholder ? : The Life of Mu ?ammad as viewed by the Early Muslims ? : A Textual Analysis, Princeton, Darwin Press, 1995.
 Uri Rubin, The Life of Mu ?ammad, Aldershot, Ashgate, 1998.
 Gregor Schoeler, The Biography of Mu ?ammad ? : Nature and Authenticity, London, Routledge, 2011.

Cet article est extrait d’un mémoire de première année : Adrien de Jarmy, « Le paradis à l’ombre des épées : La naissance de la figure du Prophète-combattant dans l’Islam des VIIe-Xe siècles », École Normale Supérieure de Lyon, 2014, sous la direction de Cyrille Aillet et Abbès Zouache , CIHAM.

Notes :

Publié le 23/04/2015


Actuellement en M2 d’histoire à l’ENS de Lyon, Adrien de Jarmy a rédigé deux mémoires sous la direction de Cyrille Aillet et d’Abbès Zouache du CIHAM : « Le paradis à l’ombre des épées : La naissance de la figure du Prophète-combattant dans l’Islam classique des VIIe-Xe siècle » et « L’épopée des Arabes : analyse comparative des maghāzī et des futūḥāt, VIIe-Xe siècle ».
Il envisage de préparer une thèse sur la figure du Prophète-combattant et de lier ses recherches à des problématiques contemporaines.


 


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