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La ville de Bagdad voit le jour sous le califat des Abbassides, dynastie fondée par Abû al-Abbas As Saffah, descendant de l’oncle du prophète. La période allant de 750 à 861 est une période de grand essor, de progrès et de faste ; tandis que la période allant de 861 à 946 voit se multiplier les difficultés intérieures conduisant à l’effacement progressif des souverains et au morcellement de l’Empire en nombreuses principautés autonomes.
Pendant cette période prospère, marquée par un pouvoir politique fort, un commerce florissant, l’essor de la culture et des idées intellectuelles, naissent et se développent les villes, en particulier Bagdad.
Au milieu du VIIème siècle, une conjonction de facteurs aboutit à la chute de la dynastie omeyyade et à l’avènement de la dynastie abbasside. En effet, la lente assimilation de la propagande anti omeyyade dans les régions mécontentes du califat, la permanence d’une agitation chiite restée fidèle à Ali, les difficultés de successions ajoutées aux obstacles d’ordres politique et militaire des califes omeyyades de Damas, ainsi que l’émergence d’un mouvement clandestin révolutionnaire abbasside ayant pour berceau le Khorasan, débouchent en 749 sur le renversement des Omeyyades. Le premier calife de la dynastie abbasside est proclamé : al Saffâh, dit le Généreux. En 754 lui succède son frère désigné, Abu Ja’far, né d’une mère berbère, qui prend le nom d’al-Mansûr. Cependant, cette succession se voit contestée et engendre une révolte. Dans ce contexte insurrectionnel, le nouveau calife répond dans un premier temps par la force. Cependant, dans le but d’ancrer sa dynastie dans le paysage politique, al-Mansûr fait le choix d’affirmer son pouvoir en décidant en 762 de la création d’une nouvelle capitale abbasside : Bagdad. Ce choix résulte également de la volonté de rompre avec le modèle omeyyade en dotant le nouvel Empire d’un nouveau centre. En effet, là où les Omeyyades s’appuyaient sur les Arabes syriens de Damas, les Abbassides s’appuient sur des contingents composés d’Arabes d’Iran et de convertis, les mawalis, originaires en grande majorité du Khorasan, berceau de la révolution abbasside. La capitale de la nouvelle dynastie se rapproche donc de ses alliés sans s’éloigner de ses ennemis politiques afin de les garder sous contrôle. Son emplacement s’ancre désormais dans les terres originelles du pouvoir perse achéménide, non loin de l’ancienne capitale, Babylone.
Selon al-Ya’qûbî, fonctionnaire de l’administration califale, historien et géographe, le calife al-Mansûr aurait déclaré en arrivant sur le site de la future ville de Bagdad « c’est bien la ville qu’aux dires de mon père je dois fonder […]. Cette « île » bordée à l’Est par le Tigre et à l’Ouest par l’Euphrate, se révélera être le carrefour de l’univers ». Dès lors, c’est entre le mythe et la véracité historique que l’histoire de la fondation de Bagdad se révèle.
Selon la légende, l’emplacement de la ville abbasside aurait été prédestiné par Muhammad qui en aurait eu la révélation, moyen à l’époque d’enraciner le pouvoir abbasside dans les pas du prophète. En effet, selon ce dernier, l’air y aurait été pur, la terre fertile, la température équilibrée et les ressources abondantes et variées. La renommée de l’emplacement transparait encore aujourd’hui à travers le nom de la ville elle-même, puisqu’en persan, « bâgh » signifie « jardin ». Le lieu primitif de la ville était « Baghdalth », signifiant « Dieu donné ». Ainsi, le caractère religieux et prophétique de la ville est un aspect important de la fondation de la ville, et pose les bases d’une cité à l’avenir prometteur puisque prédéterminé par la volonté de Dieu.
Pourtant en Orient, la puissance d’une ville se mesure à son temps de prospérité. L’astrologue Noubaht, « nouvelle fortune » en persan, prédit pour Bagdad une durée de vie similaire au nombre 309 de la Sourate XVIII du Coran, symbolique du temps d’attente pendant lequel les Alides, fils du prophète, attendirent avant de retrouver leurs droits méconnus depuis la mort de ce dernier. Puis Bagdad se voit donner le nom de la ville de « la paix », réunissant en effet tous les critères de prospérité que le poète d’Al-Andalous, Mansour an Namary décrit ainsi : « As-tu vu de tes yeux sur la longueur et la largeur de la terre une maison pareille à Bagdad ? Certes c’est le paradis terrestre. »
Pour les historiens cependant, la ville n’a rien d’extraordinaire. Elle serait en effet désertique, les pluies y seraient rares, le climat y atteindrait des extrêmes. Ainsi, pour comprendre l’emplacement de la ville, il faut regarder à l’échelle de la Mésopotamie. La région de Bagdad est une zone plate constituée d’immenses étendues de plaines. A l’Est se situent les montagnes de Zagros, à l’Ouest, le désert de Syrie. Mais la présence des deux fleuves que sont le Tigre et l’Euphrate en fait, avec la région de la vallée du Nil, la région la plus fertile du Moyen-Orient, d’où son nom de « Croissant fertile ». D’autres facteurs topographiques sont à prendre en compte pour expliquer l’emplacement de la ville, en particulier sa position de coeur des voies de circulation : l’une suit l’Euphrate, l’autre le Tigre, la troisième le Satt al-Garraf, et la dernière passe à la limite du Zagros. Dès lors, c’est de Bagdad que l’on peut rejoindre le plus rapidement Alep, la côte méditerranéenne, l’Egypte, ainsi que les lieux saints de l’islam. D’un point de vue stratégique, le lieu est avantageusement protégé par les deux fleuves qui constituent un rempart naturel.
Dès lors, la fondation de Bagdad ne résulte pas d’un facteur décisif comme ce fut le cas pour Jérusalem, construite sur les ruines de l’Acropole jébuséenne primitive. Bagdad est une ville construite de toute pièce, dont la fondation reste l’un des événements les plus importants de l’histoire du monde arabe et islamique.
Pour déterminer l’emplacement exact de sa capitale, al-Mansûr fait appel à des spécialistes, des astronomes, des géomètres « habiles, des experts dans l’art de construire » [1], des physiciens, des ingénieurs, afin de déterminer la qualité des sols, de l’air, du climat. Al-Yaqûbî cite deux spécialistes : al-Fazâri, le premier à fabriquer des astrolabes (outils permettant de mesurer la hauteur des astres), Mâshallâh, astrologue personnel du calife et savant juif. Ainsi, les plans de la ville auraient été dressés en 758-759 au « mois de rabi’ I de l’an 141 » [2], c’est-à-dire en juillet 758. Ainsi, la construction de la ville débute sous les auspices de la science. Al-Mansûr ne fait débuter les travaux que lorsqu’il « eut à sa disposition cent mille ouvriers et manoeuvres » [3]. La « ville ronde » nait. Cette forme géométrique reflète la volonté d’affirmation des Abbassides, forme nouvelle, géométrique parfaite et rigoureuse, à l’image de leur pouvoir. Effectivement, la figure géométrique ronde est le symbole de la perfection et du cycle permanent, un signe parfait déjà en vigueur chez les Grecs. La ville a donc cette particularité de s’inscrire à l’intérieur d’un rempart circulaire, alors que les villes du monde méditerranéen ont été plutôt carrées ou rectangulaires.
D’un périmètre d’environ dix kilomètres, la ville donne une vision solaire du pouvoir, reflétant la puissance du calife. Sur l’esplanade centrale se dresse le palais du calife et sa porte d’Or. Ce somptueux palais est le symbole d’une cité sensée se suffire à elle-même. Le palais possède une coupole verte d’une extrême magnificence, dans le but d’effacer le souvenir des coupoles vertes omeyyades de Damas ou de Wasit. Le calife reçoit, dans la plus grande solennité, au centre du palais, c’est-à-dire au centre des centres. A proximité du palais se situe la Grande Mosquée. Autour du palais, les bâtiments administratifs sont voisins des demeures princières, constituant ainsi le cercle le plus proche du calife. L’enceinte extérieure est aménagée de quatre portes se faisant face deux par deux : la porte de Kufa, la porte de Basra, la porte du Khurasan et la porte de Syrie. Ces quatre portes correspondent aux quatre avenues rejoignant le centre de la circonférence et débouchant parallèlement sur les principales régions composant l’Empire abbasside. Ainsi, le calife est, symboliquement, au centre de son Empire. Toujours à l’image du calife, une extrême richesse s’y déploie, quantité de bois précieux compose la ville. Al-Mansûr a ainsi une vision claire de sa politique, celle-ci passant dans un premier temps par l’image du lieu de son pouvoir, Bagdad étant en effet à la fois la vitrine et l’outils de celui-ci : un pouvoir centralisé et fort.
La ville de Bagdad ne se limite cependant pas à l’enceinte royale. Dans les alentours de la ville se situent les espaces commerçants nécessaires à la vie quotidienne. Les faubourgs sont également organisés selon un plan d’ensemble, divisés à leur tour en quatre quartiers, selon al-Yaqûbî. Ces quartiers accueillent chacun un corps de métiers, ce qui facilite non seulement leur gestion, mais également le juste et correct prélèvement des impôts et des taxes. Ainsi, autour de la ville ronde de trouvent les sûqs des librairies près de la porte de Basra, ceux des chevaux sur la route du Khorasan, ceux des tanneurs, bouchers, tisserands, métiers ayant des besoins d’approvisionnement en eau, marchands de produits de luxe, (épices, pierres…), bains mais également mosquées.
La situation géographique de Bagdad prédispose la ville à jouer un rôle de centre économique important, se trouvant au centre d’un califat s’étendant de l’Atlantique à l’Inde. « Le centre de ce bas monde, le nombril de la terre » [4] est également une ville cosmopolite dans laquelle se sont établis des marchands arabes ou étrangers. Les historiens estiment le nombre d’habitant de Bagdad à environ 1,5 million. A la mort de son fondateur, en 774, la ville est une métropole s’étendant sur les deux rives du Tigre.
A partir de 814, le calife ne réside plus dans la ville ronde et s’installe sur la rive orientale du Tigre. La capitale abbasside se déplace à Samarra, sous le règne du calife al Mu’tasim, qui prend en 833 la tête de la dynastie. En 865 cependant, le pouvoir retourne à Bagdad. La ville subit de terribles dommages au cours des siècles.
Aujourd’hui, seuls des plans théoriques de la ville nous sont parvenus, les fouilles étant impossibles, le site se trouvant sous les habitations d’aujourd’hui et du fait de la situation politique et militaire du pays qui freine les recherches archéologiques. Cependant, Bagdad, ville de pouvoir, ville cosmopolite, ville de savoir, a participé pendant des siècles à l’essor du monde musulman, d’un point de vue économique, intellectuel, scientifique, politique ce qui lui vaut sa renommée encore aujourd’hui.
Bibliographie :
– Encyclopédie islamique.
– Dominique Sourdel, L’Etat impérial des califes abbassides, Editions puf, 1999.
– Roger Arnaldez, Les grands siècles de Bagdad, Volume I, De la fondation de Bagdad au début du IVème au Xème siècle, SNED, 1985.
– Bagdad, volume spécial publié à l’occasion du mille deux centième anniversaire de la fondation, Leiden, Brill, 1962.
– Georges Salmon, Islamic Geography, Volume 86, Introduction topographique à l’histoire de Bagdad, 1904.
Louise Plun
Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.
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