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La guerre en Ukraine, une onde de choc alimentaire pour le Moyen-Orient (1/3). Un condominium russo-ukrainien sur la culture et l’approvisionnement du Moyen-Orient en blé

Par Emile Bouvier
Publié le 22/04/2022 • modifié le 29/04/2022 • Durée de lecture : 4 minutes

A view from a bakery in capital Beirut on April 13, 2022. Decreased flour stocks throughout the country due to the problems in importing from Ukraine wheat supply in the adversely affected country many bakeries.

Fadel Itani / NurPhoto / NurPhoto via AFP

En effet, pour des raisons principalement géographiques, l’essentiel des pays du Moyen-Orient ne se montrent guère en mesure d’assurer leur autosuffisance alimentaire, en particulier en matière agricole : le stress hydrique que connaît la région de façon croissante, de l’Irak à l’Iran en passant par la Syrie ou la Jordanie, l’empêche en effet de développer un secteur agricole à même de répondre aux besoins d’une population elle-même en essor quasi-permanent.

Si les initiatives et tentatives de résolution - ou en tous cas d’atténuation - du problème se multiplient dans la région, à l’instar du projet Anatolie du Sud-Est en Turquie, du Canal de la Paix en Jordanie ou encore des politiques de développement agricole menées par le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak, le Moyen-Orient se montre fortement dépendant du blé russe et ukrainien, comme le conflit l’illustre de façon particulièrement éloquente.

L’impact économique de la crise ukrainienne sur le Moyen-Orient ne s’arrête toutefois pas à la seule question agricole et implique également le secteur des hydrocarbures et divers autres produits, comme les images récentes de Trucs stockant des litres d’huile végétale afin d’anticiper une potentielle pénurie a pu le montrer.

Le présent article entend ainsi présenter l’onde de choc économique et alimentaire créée par le conflit en Ukraine au Moyen-Orient : la question agricole, centrale, sera abordée dans un premier temps avant que ne soit abordée la problématique des hydrocarbures et des divers autres secteurs économiques touchés.

I. Un condominium russo-ukrainien sur la culture et l’approvisionnement du Moyen-Orient en blé

Le 1er avril 2022, à travers la voix d’une conseillère économique de l’administration Biden, Cecilia Rouse, les Etats-Unis annonçaient leur crainte croissante de voir apparaître des situations de famine à travers le monde en raison du conflit en Ukraine, notamment au Moyen-Orient. Et pour cause : la Russie est le plus grand exportateur de blé au monde et l’Ukraine le cinquième [2]. Cette dernière détiendrait, de fait, un tiers des terres les plus fertiles du monde selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) [3].

Responsables à eux deux de 25,4% des exportations de blé dans le monde en 2020 [4], ils draguent dans leur sillage une cinquantaine de pays se fournissant à plus de 30% auprès d’eux en blé, dont une trentaine qui excède largement les 40%. C’est le cas de pays comme l’Erythrée (100%) ou de pays centrasiatiques et transcaucasiens comme le Kazakhstan, la Mongolie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan ou encore la Géorgie (plus de 95%), mais surtout d’un grand nombre de pays du Moyen-Orient : la Syrie (près de 100%) [5], l’Egypte (80%) [6], la Turquie (85%) [7] ou encore la Libye (75%) [8] et le Liban (60%) [9].Ces chiffres montrent la dépendance notable du Moyen-Orient face à l’approvisionnement en blé russo-ukrainien. De fait, 50% des exportations de blé ukrainien en 2020 ont été à destination du Moyen-Orient [10] et son allié biélorusse un producteur incontournable de certains engrais-clés comme la potasse [11] (troisième plus grand producteur en 2020), dont l’industrie a été spécifiquement ciblée par des sanctions internationales [12].

L’Ukraine et la Russie s’avèrent par ailleurs, respectivement, les premier et deuxième plus grands producteurs de graines de tournesol [13], totalisant plus de 80% de la production mondiale [14]. Ces graines sont essentiellement exploitées pour la production d’huile de tournesol, un ingrédient incontournable de l’industrie agro-alimentaire qui l’utilise pour la production de frites, chips, sauces, biscuits, margarines, plats préparés, etc [15], mais aussi dans la cuisine quotidienne des foyers. Or, le Moyen-Orient s’approvisionne essentiellement en huile de tournesol auprès des Russes et des Ukrainiens ; ces derniers ont ainsi représenté 87,8% des importations irakiennes en 2020 par exemple [16], 69,7% des importations turques en 2021 [17], et plus de la moitié des importations égyptiennes en 2020 [18].

En plus de nuire à la culture et à la récolte du blé, la guerre en Ukraine en perturbe également l’exportation : les ports ukrainiens de la mer Noire desquels partent les navires chargés de blé, notamment ceux d’Odessa, Kherson et Mykolaiv font en effet l’objet d’un blocus conduit par la Marine russe [19]. Ces ports sont pourtant essentiels aux exportations de blé ukrainien : en 2020, 95% des exportations ukrainiennes de cette céréale étaient parties de ces ports [20]. Dans tous les cas, afin de limiter l’ampleur de la crise alimentaire et humanitaire provoquée par le conflit, les autorités ukrainiennes ont annoncé, le 9 mars 2022, l’interdiction totale des exportations de blé et certains autres produits de consommation [21].

Cette dépendance du Moyen-Orient à l’égard de la Russie et de l’Ukraine en matière de culture et d’approvisionnement en blé s’avère d’autant plus sensible que, selon le think tank parisien « Initiative de réforme arabe », les pays arabes, qui composent pour une large part le Moyen-Orient, ont consommé en 2020 presque deux fois plus de blé (128 kg annuels par personne) que la moyenne mondiale (65 kg) [22].

A la faveur de la crise ukrainienne, cette dépendance du Moyen-Orient à l’égard des deux belligérants pour leur culture et approvisionnement en blé a ainsi provoqué une très forte insécurité alimentaire.

Lire la partie 2

Publié le 22/04/2022


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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