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Souvent victimes des conflits, parfois combattantes, rarement entendues, les femmes ont pourtant un rôle à jouer dans la mise en place des processus de paix. Plusieurs initiatives ont ainsi vu le jour, en Israël et en Palestine, dans le contexte du conflit israélo-palestinien, et ont été relayées par les instances internationales.
Comment ces initiatives sont-elles nées ? Sont-elles le fruit de politiques séparées ou d’une volonté d’action commune ?
Au vu de la multiplication des conflits depuis la Seconde Guerre mondiale, et de leur impact dans les sociétés, la communauté internationale s’est interrogée sur le rôle et la place des femmes, au sein des conflits, mais aussi et surtout, dans la construction de la paix. Les femmes ne sont désormais plus seulement considérées comme victimes des conflits, mais aussi comme les participantes actives, comme décideurs dans la prévention et la résolution de ceux-ci et dans la construction de la paix.
Deux initiatives internationales entérinent cette nouvelle vision. D’une part, la Conférence mondiale sur les femmes de Nairobi tenue en 1985, qui met en évidence le besoin d’intégrer les femmes aux structures nationales et internationales de prises de décision afin d’accroître leur participation dans la promotion de la paix et de la coopération internationale : « Devant le fait que les femmes souffrent encore d’une représentation inadéquate au sein des processus politiques nationaux et internationaux relatifs à la paix et à la résolution des conflits, il est essentiel que les femmes s’appuient et s’encouragent mutuellement dans le contexte de leurs initiatives et de leurs actions reliées, soit à des enjeux universels […], ou à des situations conflictuelles inter-étatiques ou internes. ». D’autre part, la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations unies, intitulée « Les femmes, la paix et la sécurité », est adoptée le 21 octobre 2000. Cette résolution constitue une étape charnière dans l’intégration des femmes dans les processus de paix, à qui on reconnaît le rôle dans les initiatives de paix et de consolidation post-conflit. Deux facteurs sont importants pour comprendre l’établissement et l’acceptation de cette résolution, en interne et à l’international : le fait d’accepter que les femmes ne vivent pas les conflits de la même façon que les hommes ; l’idée que tout effort pour établir la paix doit obligatoirement prendre en compte tous les composants de la société, et donc laisser une place aux femmes.
Le premier pas des femmes palestiniennes et israéliennes pour la paix a été de se défaire des tropismes nationaux. En effet, d’un nationalisme à l’autre, les femmes ont leurs rôles préétablis, celui de mères et de femmes de combattants et de martyrs. En Palestine, les schémas patriarcaux des extrémismes religieux considèrent que la femme doit être là pour encourager les hommes au combat, pour veiller sur la nation, et pour perpétrer les traditions. La situation n’est pas différente en Israël, avec un pouvoir religieux qui apparaît comme pivot de la société : le rôle traditionnel de la femme israélienne est celui de mère et d’épouse, et ce rôle devient le pilier dans une société en guerre. La femme est ainsi la reproductrice, mais elle devient aussi la gardienne des traditions. Les similitudes sont nombreuses entre les deux discours sur l’assimilation de la patrie à une figure féminine, sur la préservation d’un idéal, d’une culture associée à la femme. Dans les deux traditions, les femmes incarnent symboliquement une barrière, une frontière avec l’Autre.
Et c’est contre ces carcans sociétaux imposés par les nationalismes que les femmes des deux camps se sont d’abord élevées. Sortir de l’espace privé pour faire entendre leurs voix dans l’espace public : tel était le défi. Pour elles, tout d’abord, pour s’affirmer en tant que citoyennes. Pour la paix, ensuite, parce que l’intériorisation d’un discours promulguant la femme comme emblème d’une patrie leur apparaissait dangereuse. Peu à peu, les femmes palestiniennes et israéliennes ont fait irruption dans un espace qui leur était jusqu’alors interdit, inaccessible : l’espace militant, l’espace politique, d’abord dans leurs propres camps, puis conjointement.
« Il faut que les femmes parlent ! Il faut qu’elles agissent ! Laissez les femmes palestiniennes et israéliennes montrer la voie. Ce sont les femmes israéliennes qui ont modifié l’opinion publique envers la terrible et inutile guerre du Liban. Ce sont les femmes palestiniennes qui ont eu le courage de mener des initiatives de paix avec les Israéliens. Nous, les femmes, nous pouvons également mettre un terme à ce cycle de violence […]. Les femmes palestiniennes et israéliennes parlent ensemble de leur avenir depuis des années. […] Désormais il est temps de donner de la voix, il est temps d’être entendues […] Les femmes ne tireront pas, elles parleront. Laissez les femmes parler, nous pouvons apporter la paix [1]. ». L’engagement féminin pour la paix trouve ses origines dès les prémices du conflit, mais c’est la première Intifada qui est aujourd’hui considérée comme le véritable point de départ de l’action des femmes en faveur de la paix. Les difficultés de leur inclusion dans un militantisme en grande majorité masculin, n’ont pas dissuadé les femmes de s’insérer dans les mouvements pour la paix. Pour ces dernières, il était en effet important de ne pas laisser aux hommes le monopole d’un discours pour la paix, et par là-même de construire leurs propres plaidoyers, leurs propres actions.
En Israël, où les initiatives sont les plus nombreuses (l’espace public leur étant plus accessible), les Femmes en noir (Nashim Be-Shador en hébreu) constituent le groupe de femmes pour la paix le plus connu et le plus ancien. Constitué après la première Intifada, ce groupe informel, composé d’Israéliennes et de Palestiniennes, est né d’une désillusion, celle de ne pas avoir pu intégrer les groupes mixtes pour la paix desquels elles étaient mises de côté. Les Femmes en noir ont organisé leurs premiers sitting en 1988, puis ont continué, mettant en place une manifestation hebdomadaire. Utilisant un rituel bien déterminé, elles ont fait le choix de défiler les vendredis, en silence, toutes vêtues de noir, pour ainsi utiliser leurs corps en deuil comme symbole d’un message de contestation, inscrit sur des pancartes : « Halte à l’occupation » (Daï le-kibboush). L’utilisation de cette tenue vestimentaire est comme une sorte de provocation aux obligations nationales que devaient justement remplir les femmes, de l’image donnée par le gouvernement qui fait des femmes des citoyennes de second plan. « Nous sommes des femmes de convictions politiques différentes, mais l’appel à la cessation de l’occupation nous unit. Nous demandons toutes que le gouvernement prenne immédiatement des décisions en faveur de négociations de paix […] basées sur le principe de deux Etats pour deux peuples. […] Nous sommes unies dans notre croyance que notre message est juste et plein de puissance et qu’il apportera la paix [2] »
Entre Palestiniennes et Israéliennes, une autre initiative doit être mise en lumière, celle du groupe de Mapat ha-Shalom (la Nappe pour la paix) qui a vu le jour en 1988. Contrairement aux Femmes en noir, ce groupe a été éphémère, le temps d’une manifestation artistique et symbolique, mais comme elles, il incarne une action conjointe et symbolique. L’objectif était simple : broder, coudre et assembler une nappe, comme pour recouvrir symboliquement la table des négociations. Ainsi, près de 5 000 femmes palestiniennes et israéliennes ont brodé en arabe, en hébreu ou en anglais cet ouvrage de plus de deux cents mètres, et le 6 juin 1988, la nappe a été montrée à l’intérieur de la Knesset dans le cadre du 21e anniversaire de la guerre des Six Jours, puis partout en Israël, chaque mois, pour une manifestation différente.
Dans ces deux cas, les femmes instrumentalisent leurs fonctions féminines données par les sociétés israéliennes et palestiniennes, pour promouvoir un message pacifiste, illustrant la possibilité pour les deux peuples de partager les mêmes aspirations.
En plus de ces initiatives d’origine palestinienne ou israélienne, d’autres proviennent de la communauté internationale, ou de propositions individuelles, donnant une plus grande visibilité à ces mouvements pour la paix. Ainsi, en 1992, David et Simone Susskind, un couple de juifs belges, organisent à Bruxelles la conférence « Give Peace a Chance : Women Speak Out », où Israéliennes et Palestiniennes aux opinions divergentes, voire radicalement opposées, ont pu exposer leurs vues quant au terme à donner au conflit. De cette rencontre ressort un document fondamental : une déclaration commune, dans laquelle les femmes reconnaissent mutuellement deux Etats : « Nous, Palestiniennes et Israéliennes, femmes juives et arabes, sommes d’accord pour partager la terre selon les résolutions 181 et 242 basées sur le principe de la séparation territoriale. Pour le bienfait des deux peuples, l’occupation doit cesser. La nation palestinienne a le droit à l’autodétermination et à la souveraineté nationale ». Ce type d’entreprises, saluées par la communauté internationale, n’ont pas été étrangères dans la construction des accords d’Oslo en 1993, bien que les militantes, peu politisées au niveau national, ont eu du mal à se reconnaître dans un processus de « paix des grands ».
Les femmes ont fondé des groupes, développé des manifestations pour la paix, et en ont fait un lieu d’expression privilégié, contre le nationalisme latent qui leur assignait des fonctions restreintes, mais aussi contre la radicalisation de leurs sociétés après les deux Intifada. Trouvant ses racines dans la contestation d’un idéal national qui obstruait la possibilité d’une paix viable, l’implication des femmes palestiniennes et israéliennes dans le processus de paix a permis de prendre à parti la communauté internationale, et de porter le conflit israélo-palestinien hors des frontières, réelles et imaginées, nationales et internationales.
Bibliographie :
– Israël-Palestine : des femmes contre la guerre / textes rassemblés par Naama Farjoun, Paris, Dagorno, 2001.
– POUZOL ERSHAIDAT, Valérie, Clandestines de la paix : Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, Editions Complexe, 2008.
– RIOUX, Jean-Stéphane, GAGNE, Julie, Femmes et conflits armés. Réalités, leçons et avancements des politiques, Laval, Presses de l’Université de Laval Sainte-Foy, 2005.
– PASSEVANT, Christiane, « Voix de femmes et de féministes dans le conflit israélo-palestinien », Nouvelles Questions Féministes, vol.13, n°3, 1992, pp.61-85.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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