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La 49e édition des Rencontres de la photographie d’Arles se tient depuis le 2 juillet dans divers espaces d’exposition de la ville, et ce jusqu’au 23 septembre. A l’image de l’édition 2017, qui mettait à l’honneur la photographie iranienne, les Rencontres de 2018 ont choisi de mettre en lumière la photographie turque et son potentiel de dissidence. Panorama remarquable d’une certaine scène turque en dissidence, l’exposition « Une Colonne de fumée » (1), montée à la Maison des Peintres par deux commissaires, Ilgın Deniz Akseloğlu et Yann Perreau se distingue par sa capacité à présenter, en quelques salles, les multiples facettes d’une scène artistique en résistance. Ailleurs dans Arles, d’autres artistes de la région MENA sont à l’honneur, comme en témoignent les expositions individuelles du Palestinien Taysir Batniji, « Gaza To America, Home Away From Home », commissionnée par Sam Stourdzé, directeur depuis 2014 des Rencontres d’Arles, et de l’Algérien Adel Abdessemed, « Au-delà du principe de plaisir », commissionnée par l’architecte français Jean Nouvel.
Pour réagir aux événements qui ont suivi le coup d’État manqué de juillet 2016 en Turquie, seul l’art peut prendre la parole. Alors que les journalistes et les intellectuels en opposition au régime turc se trouvent menacés d’emprisonnement et réduits au silence, les commissaires de l’exposition « Une colonne de fumée » consacrée à la photographie turque à Arles ont choisi de mettre à l’honneur l’engagement de photographes capables par la métaphore de rendre compte des conditions difficiles dans lesquelles se trouve à vivre la population turque aujourd’hui. Quinze artistes photographes, plasticiens et reporter ainsi que deux collectifs ont été mobilisés pour rappeler les manifestations de 2013 pour la liberté d’expression, réprimées par la police, et mettre en lumière le passage dans la clandestinité de la nuit de beaucoup d’activités jusque-là pratiquées au grand jour.
Les photographes exposés ne sont pourtant pas tous hors de danger ; l’objectif de l’exposition, rappelle l’un des commissaires de l’exposition Yann Perreau, est de « mettre en valeur des travaux qui ont envoyé des photographes en prison » (2). Parmi eux, le reporter Fukran Temir s’est vu interdire ses photographies prises au Kurdistan en 2015 et 2016. Refusant de s’exiler, il se soumet à la réalité d’une œuvre censurée, dissimulée, que les Rencontres proposent aux spectateurs pour la première fois. Le franco-belge Mathias Depardon pour sa part fut emprisonné en 2017 pour ses photographies sur les militants du PKK, également exposées à Arles, ou Çağdaş Erdoğan, dont la série Control, sur la face sombre d’Istanbul, lui valut des mois d’incarcération. Ces dernières photographies, en prenant le corps comme espace de violence, crée l’amalgame entre des combats de chiens, la prostitution, la communauté homosexuelle – renvoyés à la violente réalité de la nuit, à l’heure des intimidations et de l’état d’urgence.
Dans la forme comme dans le fond, l’exposition « Une colonne de fumée » propose des œuvres qui se frottent les unes aux autres sans toujours se rencontrer. Le clip du groupe de hip-hop Tahribadi syan (La Destruction suit la Révolte), qui critique la politique du régime en place à partir d’une esthétique YouTube, côtoie le travail du collectif 140journos qui a cherché dès 2012 à s’imposer comme un projet de journalisme citoyen et qui a su devenir un « nouveau média » contestataire populaire auprès des jeunesses turques, comme le travail photographique plus esthétique de Nilbar Qüres, qui met en scène dans une série comme TrabZONE des souvenirs d’été appartenant à son enfance. Cette diversité de médias et de sujets offre à ce panorama décalé la richesse pluridimensionnelle qui fait l’importance de cette exposition qui, tout en soulevant de lourdes questions socio-politiques, a su ramener ses réflexions à des problématiques plus universelles.
Parmi les nombreux événements que proposent cette année les Rencontres d’Arles figurent deux artistes d’origine arabe réputés, l’Algérien Adel Abdessemad et le Palestinien Taysir Batniji. Artiste pluridisciplinaire, le premier propose, dans l’espace de la Croisière, un ensemble de photographies et deux sculptures qui interrogent le principe de plaisir par des mises en scènes renforcées par les légendes apportées aux images. L’artiste se met en scène dans les bras de sa mère comme en descente de croix, questionne le rapport à l’animalité, et interroge de grands symboles picturaux qui ont marqué la conscience collective à travers le monde. Il dénonce ainsi les horreurs de la guerre du Vietnam avec une sculpture de la fillette touchée par le napalm qui fut le personnage si célèbre de la photographie de Nick Ut, Kim Phuc, et de son ombre projetée au mur, mais aussi par une installation le massacre des habitants du ghetto de Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale. D’autres images, au contraire, le renvoient dans les rues parisiennes qu’il a l’habitude de fréquenter, ou sous les flammes d’une immolation pratiquée calmement, comme une provocation.
Taysir Batniji, quant à lui, questionne l’exil dans une exposition intitulée « Gaza To America, Home Away From Home » présentée à la Chapelle Saint Martin du Méjean. Gazaoui d’origine, il a émigré aux États-Unis, comme la plupart des membres de sa famille. En donnant la parole à ceux qui ne sont plus en Palestine, il donne de l’héritage qu’ils portent une image fragmentée, altérée par la vie américaine qui mène les plus aisés d’entre eux à défendre le programme politique de Donald Trump. Il interroge aussi les nouvelles générations, qui ne choisissent pas toujours de revendiquer leur identité palestinienne – l’identité d’une terre qu’ils ne connaissent pas. Par ce voyage à travers l’Amérique, illustré par des vidéos, des bandes sonores, des photographies et des histoires, Taysir Batniji raconte des histoires de déplacement, et questionne ainsi la persistance d’une identité et d’une culture en exil.
Les Rencontres d’Arles, jusqu’au 23 septembre 2018. En savoir plus : https://www.rencontres-arles.com
Notes :
(1) Une visite 3D de l’exposition est proposée sur le site des Rencontres d’Arles : https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/235/une-colonne-de-fumee
(2) Yann Perreau, interrogé par Lou Tsatsas, « C’est comme si nous avions pris un instantané de la Turquie », Fisheye, juillet 2018, disponible en ligne. URL : https://www.fisheyemagazine.fr/rdv/cest-dans-le-mag/cest-comme-si-nous-avions-pris-un-instantane-de-la-turquie/
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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