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La politique étrangère cairote sous Sadate (1/3) : l’héritage diplomatique de Gamal Abdel Nasser

Par Nicolas Klingelschmitt, Younouss Mohamed
Publié le 14/04/2021 • modifié le 26/04/2021 • Durée de lecture : 8 minutes

President of Uganda Idi Amin Dada (2nd-L) poses with some of the Organization of African Unity (OUA, from left) Syrian President Hafez al-Assad, Egyptian President Anwar El Sadat and Lybian leader Muammar Kadhafi in juin 1972 in Kampala during an OUA summit.

AFP

Echecs et succès des ambitions politiques nasseriennes : un bilan domestique terne, une politique étrangère influente

Sur le plan de la politique nationale, Gamal Abdel Nasser poursuit le développement d’un socialisme nassérien, c’est-à-dire d’un socialisme adapté aux contextes, particularités et objectifs arabes, musulmans et égyptiens [3]. Ainsi, de nombreuses nationalisations d’industries sont réalisées, un plan de division des terres arables limitant le nombre d’hectares par individu est mis en place, et la bureaucratisation est généralisée. Cependant, gangrénés par la corruption et le contournement des lois les encadrant, les projets de logement, d’urbanisation, de coopération et d’industrialisation sont globalement des échecs.

Sur le plan de la politique étrangère, dès les premières années à la tête de l’Égypte, durant la décennie 1950, Nasser soutient activement la révolte des Mau-mau au Kenya, instiguée par le peuple kikuyu, ethnie la plus représentée dans le pays, contre l’occupation britannique. Nasser envoie ainsi régulièrement aux troupes rebelles kikuyu des armes et du matériel.
Il appuie également Patrice Lumumba au Congo [4] et le FLN pendant la guerre d’Algérie jusqu’à la signature des accords d’Évian qui mettent fin au conflit.
Ces différents appuis militaires sont doublés d’un soutien aux mouvements indépendantistes qui les accompagnent par la mise en valeur du droit à l’autodétermination des peuples sur les scènes diplomatiques de l’ONU et de l’OUA. Par cette politique étrangère, l’Égypte de Nasser se fait le héraut du nationalisme et de l’anticolonialisme [5].
Concernant la question du panarabisme, le raïs en reste partisan, malgré l’échec de la République arabe unie regroupant l’Égypte et la Syrie entre 1958 et 1961. Il plaide en effet pour un développement autonome, sans ingérence marquée de l’Est ou de l’Ouest, des États du Sud.

Initialement partisan d’un non-alignement sur les positions des Occidentaux ou des Soviétiques, il participe à la conférence de Bandung en 1955 rassemblant l’ensemble du Mouvement des Non-Alignés, mais se rapproche finalement, sans affection ni adhésion idéologique particulière, de l’URSS qui lui apporte un soutien logistique (armes et matériel). Cela étant, Nasser n’affiche pas ouvertement un soutien conséquent à un camp ou l’autre. Il « récuse l’idée de s’aligner, de choisir entre Washington et Moscou : il refuse de s’allier à l’un des deux Grands contre l’autre » [6]. Ce choix géopolitique lui vaut, la même année, de refuser l’invitation américaine à signer le pacte de Bagdad, duquel nait l’Organisation du traité central (CenTO, Central Treaty Organization). Cette alliance internationale née au Moyen-Orient instiguée par les Américains a pour but de montrer le soutien de ses membres au bloc de l’Ouest, et regroupe la Turquie, l’Irak, l’Iran (pré révolution), le Pakistan et la Grande-Bretagne. Par la signature de ce traité, ces nations sont de facto diplomatiquement éloignées de l’Égypte puisqu’elles affirment leur soutien aux Etats-Unis, rival du soutien soviétique de Nasser.

L’État d’Israël, ennemi fédérateur des panarabes, et des panafricains ?

Le point de ralliement du panarabisme maintenant malgré tout une certaine unité entre États arabes, tout au long de la Guerre froide, est l’opposition commune de ces derniers face à l’État israélien, dont l’existence est une source d’irritation depuis la déclaration Balfour en 1917 [7]. De même, au sein de l’OUA, les luttes pour les indépendances qui se sont jouées au temps de sa création, et les déclarations officielles multiples de l’institution contre les politiques discriminatoires à l’image de l’Apartheid sud-africain, poussent les États membres à également condamner la politique d’Israël vis-à-vis de la Palestine. En outre, si l’État hébreu désapprouve officiellement le régime d’Apartheid sud-africain à l’ONU, officieusement, le consulat général d’Israël à Prétoria est très actif et les deux États entretiennent d’étroites relations diplomatiques. À l’époque, l’Afrique du Sud n’est pas membre de l’OUA, son régime politique étant dénoncé sur l’ensemble du continent africain.
Idéologiquement, l’institution panafricaine est en outre plus organiquement prompte à soutenir la cause des États arabes ; la Ligue des États arabes, créée en mars 1965, compte parmi ses membres l’Égypte de Nasser, ainsi que l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc, le Soudan et la Tunisie, tous étant également membres de l’OUA [8].

Une position anti-israélienne non unanime à la création de l’OUA

Cela étant, la question israélienne n’est pas non plus omniprésente au sein des débats de l’institution. Dès les négociations entourant la création de l’OUA entre les groupes de Casablanca, Monrovia et Brazzaville, des dissensions apparaissent à ce sujet. Si les représentants des États nord-africains, réunis dans le groupe de Casablanca, veulent que la politique d’Israël soit clairement dénoncée dans les documents marquant la création de l’organisation, les groupes de Monrovia et de Brazzaville préviennent explicitement que l’unité africaine ne saurait être discutée sans que le sujet israélien ne soit retiré des déclarations. Les études de chercheurs nigérians des années 1980, notamment du professeur Adeoye Akinsanya, mettent en avant cette réticence de certains États d’Afrique subsaharienne à s’opposer officiellement à Israël, réticence qu’Akinsanya impute à de forts liens économiques qu’entretiennent certains d’entre eux avec l’État hébreu [9], notamment le Kenya et l’Ouganda (même si les relations israélo-ougandaises se détériorent fortement sous la dictature d’Idi Amin Dada). Le ministère israélien des Affaires étrangères fait valoir, dans une rubrique intitulée « derrière les gros titres : l’histoire des relations Israël-Afrique » que dès la libération des États africains de l’emprise coloniale, et à l’initiative de Golda Meir, qui était alors ministre des Affaires étrangères (et qui sera par la suite Première ministre), Israël a été l’un des premiers pays à envoyer une assistance substantielle aux États nouvellement indépendants. Cette assistance, en pleine guerre froide, s’étend à tous les domaines possibles, à savoir « l’agriculture, la médecine et la défense » jusqu’à la création d’aéroports [10], ou encore d’instituts de formation professionnelle. Néanmoins, si Israël annonce posséder 30 ambassades sur le continent africain en 1973 [11], une majorité d’États membres de l’OUA dénoncent dans les résolutions de l’institution panafricaine la politique israélienne vis-à-vis des États arabes.

De l’échec de la guerre des 6 Jours au décès de Gamal Abdel Nasser

Les tensions arrivant à leur paroxysme entre l’État hébreu et les nations arabes de la région, Nasser s’engage dans la Guerre des 6 Jours aux côtés de deux autres pourvoyeurs majeurs de troupes, la Syrie et Jordanie, avec le soutien du Liban et de l’Irak, du 5 au 16 juin 1967.
Selon plusieurs spécialistes de l’histoire militaire moyen-orientale dont l’israélien Mosh Gat, la stratégie de Nasser consiste alors à « montrer ses muscles » en engageant d’importants mouvements de troupes dans la péninsule du Sinaï pour impressionner l’État hébreu, le dissuader de chercher une issue militaire à la crise, et contraindre ce dernier à offrir une victoire politique à l’Égypte sans que des combats décisifs aient lieu, comme ce fut le cas lors de la prise du Canal de Suez en 1956. Néanmoins, ce n’est pas la logique que suit l’armée israélienne, qui, loin d’être dissuadée, lance ses forces aériennes contre l’Égypte et détruit l’immense majorité de la flotte de l’armée de l’air égyptienne, avant de défaire l’ensemble de la coalition arabe en moins d’une semaine.

L’issue désastreuse de cette guerre reste dans les esprits comme une défaite militaire majeure pour la coalition des États arabes qui non seulement ne parvient pas à percer les défenses israéliennes, mais perd en plus le contrôle de la péninsule du Sinaï, du plateau du Golan et de la bande de Gaza. Nasser, qui aurait pu « confirmer une bonne fois pour toutes l’hégémonie égyptienne dans le monde arabe » [12], subit un revers majeur. Ne s’arrêtant pas à cette défaite, Nasser tente une « guerre d’usure » [13] contre Israël le long du canal de Suez avec l’appui de l’URSS entre 1969 et 1970. L’appui soviétique étant relativement faible, Nasser accepte finalement de cesser la guerre d’usure. Il se lance dans un processus de négociations proposé par les Américains, le « second plan Rogers », sous l’égide de l’ONU. Un cessez-le-feu est adopté et durera à peine un mois, du 7 août au 6 septembre 1970, date à laquelle Israël se retire des négociations. Trois semaines plus tard, Nasser succombe à une crise cardiaque, le 28 septembre 1970.

Anouar el-Sadate prend le pouvoir à la suite de « l’homme sorti des entrailles de l’Égypte, un produit du passé de l’Égypte, circonscrit par son présent, brisant les barrières, et devenant l’architecte de son futur » [14] des propres mots biographiques de Shirley Graham DuBois. Si Nasser est une légende pour l’Égypte, l’OUA et le panarabisme, Anouar el-Sadate n’est pas en reste. Il faisait partie du groupe des Officiers libres ayant dénoncé la corruption et l’incompétence du régime du roi Farouk d’Égypte et étant parvenu en juillet 1952 à le renverser sans violence. Il exerce pendant 8 ans, de 1960 à 1968, la fonction de président de l’Assemblée nationale égyptienne. C’est donc en toute légitimité qu’il accède au pouvoir à la suite du décès du Raïs Nasser, d’abord comme président par intérim puis à la suite d’élections par référendum au cours duquel il obtient 90% des suffrages [15].

Sadate débute son règne en suivant la ligne diplomatique de son prédécesseur, notamment au sommet des 10 ans de la création de l’OUA, du 27 au 29 mai 1973 à Addis Abeba. À cette occasion, les États membres de l’OUA n’ont pas une position unifiée quant à la position à adopter vis-à-vis d’Israël, ce que nous verrons dans la seconde partie de cette série d’articles.

Publié le 14/04/2021


Nicolas Klingelschmitt est doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses domaines de recherche portent sur les Relations Internationales, en particulier la paix et la coopération sur le continent africain.
Titulaire d’un master en Droit public mention Relations Internationales - Gestion de Programmes Internationaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, il est également consultant en géopolitique et a réalisé à ce titre plusieurs études auprès de l’Institut Afrique Monde (Paris) dont il est membre depuis 2016.
Il a ainsi étudié les migrations de l’Afrique vers l’Europe, le dialogue interreligieux et la gouvernance. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent politiquement, culturellement, économiquement et historiquement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient.


Younouss Mohamed est doctorant en Science Politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d’un master de recherche en Science Politique, obtenu à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun, il est également membre du Groupe Interuniversitaire d’Études et de Recherches sur les Sociétés Africaines (GIERSA). La participation politique de la diaspora africaine, la sociologie politique et la géopolitique constituent ses domaines de recherche principaux. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse à l’histoire politique commune des États et figures politiques de l’Afrique et du Moyen-Orient.


 


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