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La politique étrangère vénézuélienne et la question palestinienne

Par Anaïs Mit
Publié le 12/06/2014 • modifié le 11/03/2018 • Durée de lecture : 12 minutes

VENEZUELA : Venezuelan President Hugo Chavez applauds after decorating Palestinian President Mahmud Abbas (L) with the order of the Liberators at Miraflores presidential palace in Caracas on November 27, 2009.

AFP PHOTO/Juan BARRETO

Au cours des trois étapes correspondant à des phases de changements politiques internes (1998-2000, 2000-2004, 2004-2012), la diplomatie vénézuélienne a développé un contre-agenda qui mélange les sujets traditionnels à des nouveautés. Parmi les premiers figurent l’utilisation du pétrole comme vecteur premier de présence sur la scène internationale, et l’activisme du pays. L’activité pétrolière, comme nous le verrons dans notre développement, reste l’apanage premier du discours et de l’orientation diplomatiques du Venezuela, bien que Chávez en donne une dimension nouvelle. Au titre des nouveautés, apparait la promotion d’un nouveau modèle politique, social et économique, basé sur la « révolution bolivarienne ». Pour André Serbin, la politique extérieure du Venezuela se trouve renforcée par la vision d’Hugo Chavez du rôle de son pays - et du sien - dans la transformation de la région et du système international [1]. Quelles sont donc ces transformations ? Et comment participent-elles à l’inclusion de la question palestinienne dans les objectifs extérieurs vénézuéliens ?

Le projet d’une politique internationale solidaire et révolutionnaire

L’exportation d’un modèle à l’international

Après son élection à la Présidence de la République à la fin de l’année 1998, l’une des premières mesures prises par Hugo Chávez a été la rédaction d’une nouvelle Constitution, dont la modification la plus symbolique a été le changement du nom de l’Etat en « République Bolivarienne du Venezuela ». Au début des années 2000, le concept de « socialisme du XXIe siècle » a été intégré au répertoire discursif d’Hugo Chávez : il consiste en un projet politique d’inspiration marxiste, réadapté aux besoins et aux réalités propres au monde de l’après-Guerre froide. Organisé sur le plan interne, avec une réorganisation complète des instances gouvernementales, ce projet politique est aussi axé sur l’international. On trouve en effet de façon très présente dans le discours vénézuélien la notion « d’exportation de la révolution », c’est-à-dire d’une projection à l’international des changements mis en œuvre en interne. L’activisme historique du Venezuela sur la scène internationale s’affirme en effet avec ce gouvernement d’une manière plus ferme et plus institutionnalisée : les relations internationales sont vues comme asymétriques, et cette asymétrie réduit les pays en développement comme le Venezuela à un rôle secondaire. C’est pourquoi le dirigeant vénézuélien considère qu’il est nécessaire d’en réformer le fonctionnement. La politique internationale que tend à développer le projet bolivarien mis en place par Hugo Chávez a, en théorie, une nature tout aussi révolutionnaire qu’elle l’est dans la sphère domestique. Et de fait, la stratégie bolivarienne internationale fait partie intégrante des prérogatives induites par les programmes de politique intérieures. Dans le « Plan de développement économique et social de la nation » [2], un chapitre entier est consacré à l’« équilibre international ». Le projet international voulu par le Venezuela bolivarien est dicté : il vise avant tout à « la construction d’un monde multipolaire par la création de nouveaux pôles de puissance, marquant la fin de l’hégémonie de l’impérialisme nord-américain, pour la recherche de la justice sociale, la solidarité et la garantie de la paix par l’approfondissement du dialogue fraternel entre les peuples, le respect de la liberté de penser, de religion, et du droit des peuples à l’autodétermination ». Ce discours particulier prend tout son sens dans la manière dont il est incarné par la personnalité d’Hugo Chávez. Steve Ellner considère par exemple le Président vénézuélien comme le premier Président latino-américain à véritablement défier les « puissance hégémoniques du nouvel ordre mondial », à prôner une politique étrangère indépendante et à s’opposer au monde néolibéral imposé par les puissances traditionnelles [3]. Le leader vénézuélien considère alors que pour arriver à un équilibre international, il est essentiel d’impulser la multipolarité de la société internationale, promouvoir l’intégration latino-américaine, consolider les relations bilatérales et un nouveau modèle social, économique et politique. Toute cette rhétorique n’est pas sans but. Il s’agit en effet de donner une image particulière au reste du monde, et cette politique sert notamment le Venezuela dans ses rapprochements avec les pays du monde arabe.

Le Venezuela : « diplomatie contestataire », Etat « déviant », défenseur des « opprimés » de la scène internationale

Le projet international bolivarien, mis en exergue par une pratique discursive innovante, contribue à la construction d’un statut particulier par et pour le Venezuela, sur la scène internationale. Pour Sonia Rochatte, ce statut particulier, pour être visible par les autres acteurs du système mondial, « doit nécessairement être disproportionné par rapport à la capacité d’action réelle d’un Etat tel que le Venezuela » [4]. En effet, le Venezuela dispose certes d’une ressource inestimable stratégiquement, mais elle ne suffit pas à elle seule à expliquer l’omniprésence vénézuélienne. Et de fait, pour assurer une visibilité à sa politique internationale, Hugo Chávez l’a intégrée dans une forme de conflictualité internationale, dont elle se nourrit, mais qu’elle entretient également. L’antiaméricanisme devient ainsi peu à peu le fer de lance de la diplomatie vénézuélienne : elle installe immédiatement l’Etat vénézuélien dans une posture visible, qui lui permet de faire entendre son projet bolivarien à l’échelle internationale. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en effet, le Venezuela s’est montré de plus en plus critique envers les Etats-Unis, dans la lignée du combat de Fidel Castro entre autres, contre l’impérialisme. Les relations entre les deux Etats se sont tendues avec l’arrivée de George W. Bush au pouvoir et, en janvier 2007, le chef des services secrets américains, John Negroponte, décrit même Hugo Chávez comme « un des leaders anti-américains les plus stridents du monde, qui va essayer de réduire l’influence des Etats-Unis au Venezuela, en Amérique latine et dans le monde entier ».

C’est cette contestation grandissante de la politique américaine qui va favoriser les liens entre le Venezuela et la Palestine. En effet, les Etats-Unis étant le principal soutien d’Israël, le Venezuela d’Hugo Chávez, par réaction directe, se positionne dès lors du côté de la cause palestinienne. Ainsi, selon ses propres dires, « les mouvements de gauche ont commencé à occuper des espaces de pouvoir en Amérique latine et cela a permis un contact avec le monde arabe, parce que lorsque nous étions subordonnés aux directives de Washington, cela n’était pas possible » [5]. Il s’agit donc, à la fois de s’émanciper de cette tutelle américaine, et de la contrer sur des terrains où cette dernière n’a plus de légitimité : « Nous ne pouvons pas dire que c’est la faute du peuple d’Israël, nous ne pouvons pas dire que c’est celle du peuple palestinien. Non ! La culpabilité fondamentale retombe sur l’empire nord-américain, qui est l’empire qui a armé et appuyé les violations de l’élite israélienne » [6].

Face à cette contestation grandissante, certains parlent d’une politique étrangère déviante pour qualifier la politique étrangère mise en œuvre par le Président Chávez, notamment depuis le référendum de 2004. Un Etat déviant serait un Etat qui n’adopterait pas le comportement que l’on attend de lui, parce qu’il ne respecterait pas une norme à laquelle il est habituellement soumis. Par ses discours et ses actions internationales, qui feraient de lui un Etat dit « déviant », Hugo Chávez inscrit le Venezuela dans un cadre qui conduit à le stigmatiser. En ce sens, il est mis au ban de la société internationale, rejoignant l’ensemble des acteurs internationaux jugés non-conformes aux comportements considérés comme normaux. De cette posture qu’on lui donne et qu’il se donne, Hugo Chávez en fait ressortir un thème nouveau, un groupe nouveau, celui des « proscrits », avec lesquels la solidarité est de mise. L’Etat palestinien rentre dans cette catégorie. Bien que ne contestant pas les normes établies, sa situation de non-Etat en fait un exclu de la société mondiale : le Venezuela déclare incarner un projet révolutionnaire pour impulser un changement radical, et la résistance palestinienne devient un emblème de cette contestation contre l’ordre international. La force de cette solidarité des proscrits est qu’elle s’insère dans un réseau mondial relativement dense, en recherche de figures de proue de la contestation mondiale : un leader du type d’Hugo Chávez retire donc un succès de son positionnement international. L’image du leader est ici très importante dans le soutien à la cause palestinienne, et la figure d’Hugo Chávez, très significative. Riyad al Malki, ministre palestinien des Affaires étrangères en 2009 le considérait même comme « le leader le plus populaire au sein du monde arabe », ajoutant que « ses déclarations en soutien à la cause palestinienne ont été reconnues, acceptées et appréciées par le peuple palestinien et par l’ensemble du peuple arabe » [7]. Deux facteurs interviennent alors ici : le projet, contestataire et anti-impérialiste, d’une part, et le décideur, frondeur et charismatique, d’autre part.

Une critique courante adressée au projet bolivarien international de Chávez est que l’affichage d’une volonté de créer une nouvelle impulsion de solidarité internationale au Sud ne serait qu’une façade, derrière laquelle se cacherait une stratégie du Venezuela pour accéder aux centres de pouvoir mondiaux. En cela, le Venezuela est l’illustration type d’une diplomatie contestataire, dans la mesure où elle se construit sur une critique de l’ordre international, plus que sur un programme visant à la réformer. Cependant, l’émergence de nouveaux acteurs unifiés et capables d’altérer les asymétries du système mondial actuel ne peut se réaliser que par le biais du projet bolivarien. C’est cette double dynamique particulière qui éclos dans les rapports du Venezuela avec l’OPEP, à savoir, comment le Venezuela se sert de l’OPEP comme arène pour promouvoir son rôle international, mais aussi comment l’OPEP attire le Venezuela pour obtenir de lui le soutien nécessaire à ses causes régionales, et notamment la question palestinienne.

Derrière les discours, une autre réalité : le Venezuela comme puissance pétrolière

« Dans le cas vénézuélien, nous ne pouvons pas séparer la stratégie pétrolière de la diplomatie » [8]. Tout est dit dans cette allocution d’Hugo Chávez lors de l’investiture de Nicolás Maduro en tant que ministre des Affaires étrangères en 2006. La ressource énergétique constitue en effet la force principale du positionnement international de la République bolivarienne du Venezuela. Treizième producteur mondial de pétrole, avec 2,47 millions de barils par jour en 2012 et premier réservoir mondial avec 24,80% de la réserve globale, le Venezuela assure aujourd’hui sa visibilité internationale grâce à sa richesse en hydrocarbures. Dès les années 1950, déjà, les gouvernements successifs ont pris conscience qu’ils devaient veiller sur les prix du pétrole pour permettre le développement de leur pays, d’abord en interne. S’effectue alors un rapprochement avec les Etats du Moyen-Orient, l’objectif étant d’éviter une concurrence qui pourrait leur être néfaste. Le retour de la démocratie amène la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le 14 septembre 1960, par l’initiative de Juan Pablo Pérez Alfonso. Grâce au succès diplomatique dont jouit l’OPEP dès sa fondation, le Venezuela développe des relations particulières avec le Moyen-Orient, mais dont les fondements restent axés sur la rente pétrolière. Or, Hugo Chávez, dès son arrivée au pouvoir en 1998, veut en faire un véritable forum politique. L’impulsion donnée par le Président vénézuélien et la redynamisation des relations au sein de l’OPEP a contribué au renforcement de l’organisation en tant qu’acteur de la scène internationale.

L’OPEP de Chávez : un acteur géopolitique

Dans le prolongement de la tradition vénézuélienne, l’une des priorités internationales d’Hugo Chávez depuis son premier mandat a donc d’abord été de renforcer l’OPEP et d’assurer son unité, dans le même but historique de défendre un niveau des prix du pétrole élevé et de contrôler le niveau de la production. Le pétrole devient un moyen de nourrir une diplomatie de puissance moyenne. Mieux encore : l’entrée dans le cercle de l’OPEP devient une manière d’afficher son désir d’autonomisation, en ralliant un cartel dont la seule existence, et surtout l’élargissement, constituent un défi porté aux puissances exportatrices de pétrole. Une différence notable existe toutefois quant à la perception et à l’appréhension de l’OPEP par les dirigeants vénézuéliens. En effet, contrairement à ses prédécesseurs, Hugo Chávez cherche à faire de l’OPEP un acteur géopolitique majeur et par là-même, un vecteur essentiel de la redistribution des richesses à l’échelle mondiale. Dans ses discours notamment, le Président vénézuélien donne une dimension politique relativement nouvelle à l’existence de l’OPEP au sein des solidarités Sud-Sud. Cette institution représente en effet une arène, où l’engagement pour les droits de l’homme et la promotion du développement des pays du Sud peut être encore mené, ainsi que le lieu de concertation des Etats du Sud possédant une certaine marge de manœuvre pour imposer des normes au Nord, ou en tout cas, en contester des pré-existantes. L’effort fondamental de la politique extérieure d’Hugo Chavez est d’intégrer le Venezuela à la communauté internationale comme un acteur autonome et indépendant, et l’OPEP constitue un cadre idéal à cette fin. Pour le spécialiste américain Steve Ellner, Hugo Chávez est le seul président du continent à poursuivre une politique étrangère vraiment indépendante, il œuvre à l’unité de l’OPEP et à l’intégration de l’Amérique latine car elles servent à renforcer la souveraineté nationale. En témoigne son discours d’inauguration du IIe Sommet de l’OPEP en septembre 2000 : « Cette réunion ne touche pas seulement au pétrole […] mais nous nous concentrons également sur des thèmes de l’agenda mondial actuel, thèmes qui nous préoccupent et qu’il est nécessaire de diffuser au monde entier. » [9]. Dans ces problèmes actuels auxquels le monde doit faire face, le conflit israélo-palestinien arrive en première ligne de mire.

Le Venezuela : instrument de l’OPEP ?

Hugo Chávez a choisi de faire de l’OPEP un organe particulier de sa politique étrangère envers les pays du Moyen-Orient, et envers la Palestine dans une moindre mesure. L’investigateur peut pourtant devenir instrument. En effet, bien que le Venezuela ait été le fer de lance du renouveau de la politique extérieure de l’OPEP, l’on peut également soutenir que les pays membres de l’OPEP ont à leur tour utilisé cette rhétorique contestataire pour promouvoir à plus grande échelle la cause palestinienne. Dès ses débuts, l’OPEP a utilisé son arme, le pétrole, pour recueillir le soutien des pays latino-américains à la cause palestinienne. Ainsi, durant le premier choc pétrolier de 1973, les pays membres de l’organisation décidèrent de ne plus exporter de pétrole vers les pays qui soutenaient les actions de l’Etat hébreu. C’est dans ce contexte particulier que la plupart des pays latino-américains se rallièrent à la cause palestinienne [10]. Toutefois, pour le Venezuela, le principe est différent. Lui-même pays exportateur de pétrole, cette ressource ne pouvait pas apparaître comme un moyen de pression suffisant. Se ralliant de lui-même à la cause pour défendre ses intérêts économiques au sein de l’OPEP, le Venezuela a tout de même été le pays qui a été le principal vecteur des aspirations des pays membres et de leurs revendications en faveur de la Palestine. Il s’est en effet agi d’utiliser le Venezuela de Chávez et ses contestations pour exporter les sollicitations palestiniennes sur le continent latino-américain, par un autre moyen que par la simple menace pétrolière.

Les rapports de la politique étrangère vénézuélienne avec la Palestine sont donc aussi ambivalents que réciproques. Pour Hugo Chávez en effet, la cause palestinienne prend une place toute particulière dans son projet international. En tant qu’acteur « opprimé » du système international, la Palestine est de fait l’illustration parfaite de ce pour quoi le Venezuela veut étendre sa révolution bolivarienne en dehors de ses frontières. Cependant, la Palestine apparaît également comme une cause commune partagée par le Venezuela et les membres de l’OPEP : elle prend alors deux dimensions, devenant le gage de la légitimité vénézuélienne au sein de l’organisation, mais également l’un des enjeux de la pérennité des liens entre le Venezuela et le Moyen-Orient. La Palestine sert l’insertion et la visibilité internationale du Venezuela autant que ce dernier sert la cause palestinienne en dehors du monde arabe.

Bibliographie :
 BADIE, Bertrand, Le diplomate et l’intrus : l’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008, 430 p.
 ROMERO, Simon, « Venezuela Strengthens its relationships in the Middle East », The New York Times, 21 août 2006.
 « Pourquoi les arabes aiment le Venezuela ? », Courrier International, 30 novembre 2006.

Publié le 12/06/2014


Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.


 


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