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La question égyptienne, une lutte d’influence franco-britannique (1798-1882)

Par Clémentine Kruse
Publié le 27/04/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Les débuts de la question égyptienne

L’expédition française en Egypte, qui débute en 1798 et s’achève en 1801, marque le début de la lutte d’influence entre la France et la Grande-Bretagne en Egypte. L’un des buts de l’expédition d’Egypte est en effet de freiner l’expansion de la puissance britannique en Méditerranée et au Proche-Orient ainsi que de lui couper la route des Indes. D’un point de vue militaire, il semble que ce soit un échec pour la France : elle ne parvient pas à s’installer durablement en Egypte et à contenir les ambitions britanniques. Bonaparte en revanche apparaît comme le vainqueur de cette expédition, bénéficiant désormais de conditions favorables pour réaliser ses ambitions politiques. A la suite de cette première confrontation militaire entre la France et la Grande-Bretagne en Egypte, les luttes d’influence se poursuivent.

La prise de pouvoir de Méhémet Ali à la suite de l’expédition d’Egypte ouvre l’autre volet de la question égyptienne, à savoir l’émancipation progressive de l’Egypte de la tutelle ottomane. Officiellement, l’Egypte est partie intégrante de l’Empire ottoman. Cependant, avant l’arrivée des Français en Egypte, ce pouvoir était concurrencé par celui des mameluks. Lorsque Méhémet Ali prend le pouvoir, il met définitivement fin au règne des mameluks mais l’idée d’une Egypte plus autonome et plus indépendante ne disparaît pas pour autant. Méhémet Ali mène ainsi deux guerres contre l’Empire ottoman. La première se déroule entre 1831 et 1833 : Ibrahim Pacha, fils de Méhémet Ali, envahit la Syrie. Si cette campagne est une réussite sur le plan militaire pour l’Egypte, c’est un échec sur le plan diplomatique. Les grandes puissances européennes, et plus particulièrement la France et la Grande-Bretagne, interviennent et le traité de Kutayah est signé le 14 mai 1833. La seconde confrontation entre l’Egypte et l’Empire ottoman a lieu entre 1839 et 1841. Une nouvelle fois, les grandes puissances interviennent : les troupes franco-britanniques débarquent en Egypte dès le début des hostilités. Méhémet Ali tente, pour obtenir gain de cause, de diviser l’alliance franco-britannique, d’autant plus que la France est, depuis son arrivée au pouvoir, sa principale alliée. Il ne parvient cependant pas à rompre l’alliance entre les deux grandes puissances européennes : le maintien de l’Empire ottoman et de son intégrité territoriale prend le pas sur les luttes d’influence franco-britanniques.

Les luttes d’influence entre la France et la Grande-Bretagne

Après la mort de Méhémet Ali en 1849, la question de l’indépendance de l’Egypte est éclipsée pour quelques décennies et c’est principalement sur le terrain politique, culturel et économique que se jouent les luttes d’influence entre la France et la Grande-Bretagne. L’influence culturelle de la France est très forte en Egypte, Méhémet Ali ayant notamment encouragé l’élite égyptienne à faire ses études en France. En 1854, Saïd Pacha, quatrième fils de Méhémet Ali, arrive au pouvoir. Comme son père, il est un francophile convaincu. En novembre 1854, il accorde à la France la concession des terres de l’isthme de Suez pour la construction d’un canal. La France jouira de cette concession pendant 99 ans, après quoi celle-ci reviendra à l’Egypte. Le projet du percement du canal est confié à un ami de Saïd Pacha, Ferdinand de Lesseps. Dès lors, la lutte d’influence entre la France et la Grande-Bretagne se cristallise sur la construction du canal de Suez, qui devient un enjeu majeur. Les Britanniques craignent notamment que la construction de ce canal permette à la France d’attaquer l’Inde.

Pour financer la construction du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps fait appel à des investisseurs français, étrangers et égyptiens. La Compagnie universelle du canal maritime de Suez est fondée et la souscription aux actions ouverte. Si la souscription est une réussite en France, les investisseurs étrangers sont plus réticents, si bien que c’est finalement l’Egypte qui devient en grande partie actionnaire. Les travaux débutent en avril 1859 pour une période de 10 ans : le canal est inauguré le 17 novembre 1869. Sur le plan de la politique intérieure, Ismaïl Pacha est désormais à la tête de l’Egypte. Il obtient également du Sultan une autonomie plus grande pour l’Egypte : il obtient le titre de khédive en 1867 et la transmission héréditaire du titre. De plus, il peut désormais contracter des prêts sans obtenir l’accord préalable du Sultan.

La présence britannique

Si les Britanniques n’ont pu empêcher la construction du canal de Suez, les difficultés économiques que rencontre l’Egypte à partir des années 1860 leur permettent de renforcer leur influence, par l’intermédiaire du domaine financier. La guerre de Sécession aux Etats-Unis ayant provoqué une hausse importante du prix de coton, l’Egypte devient le premier pays exportateur de coton en Europe depuis le grand port d’Alexandrie. Cependant avec la fin de la guerre (1865), le prix du coton baisse et les difficultés financières de l’Egypte s’aggravent. Ismaïl Pacha tente de résoudre la situation par la mise en œuvre de mesures fiscales impopulaires telles que la Muqabala en 1871, qui permet aux propriétaires terriens de payer leurs impôts en avance, en échange d’une réduction des charges fiscales. Ces mesures ne permettent pas pour autant à l’Egypte de retrouver une santé financière et en novembre 1875, Ismaïl Pacha est contraint de vendre toutes les actions de la Compagnie du canal de Suez à la Grande-Bretagne pour 100 millions de francs. La Compagnie devient alors franco-britannique, les deux pays en étant actionnaires majoritaires. Suite à la vente des actions, la Grande-Bretagne envoie en Egypte Stephen Cave, membre du Parlement, afin d’évaluer la situation financière de l’Egypte. La conclusion de Cave, à son retour en avril 1876, est que le pays est dans une impasse financière. En mai 1876, Ismaïl Pacha crée la Caisse de la Dette Publique, composée de représentants français, britanniques mais également italiens et austro-hongrois. En 1878, ses prérogatives sont renforcées avec la nomination au gouvernement égyptien de deux ministres européens, l’un aux Finances et l’autre aux Travaux publics. A cette mesure s’ajoute la mise en place d’un système de contrôle franco-britannique de 1876 à 1882. Deux contrôleurs, l’un français et l’autre britannique, officient au sein d’un cabinet européen. En mars 1879, une émeute d’officiers égyptiens, dont la paie a été divisée de moitié, renverse le cabinet européen, qui est remplacé par un cabinet égyptien. Cependant, la France et la Grande-Bretagne soupçonnent Ismaïl Pacha d’avoir organisé cette émeute et en juin 1879, à la demande des diplomates européens présents à Constantinople, il est déposé par le Sultan et remplacé par son fils, Tawfiq Pacha. Le comité européen est rétabli avec de nouveaux contrôleurs : le Britannique Sir Evelyn Baring et le Français Ernest de Blignières. Le contrôle franco-britannique sur l’Egypte est à son apogée.

Cette situation pèse sur la population égyptienne et l’on assiste à la montée en puissance d’un mouvement nationaliste égyptien mené par un colonel, Ahmad Arabi. En 1882, il s’empare du pouvoir et prend le contrôle de l’armée. Ces événements inquiètent la France et la Grande-Bretagne qui cherchent avant tout à protéger leurs intérêts en Egypte. Les deux puissances font part de leur mécontentement dans une note de janvier 1882. Cependant, la situation empire, notamment à Alexandrie où des émeutes éclatent en juin 1882, poussant les populations étrangères, notamment française et britannique, à fuir la ville. Les grandes puissances menacent Arabi d’utiliser la force si celui-ci ne renonce pas. En août 1882, les Britanniques débarquent à Alexandrie sans les Français, alors en proie à une crise ministérielle. Les nationalistes égyptiens sont défaits à Tel el-Kebir le 13 septembre 1882 et le 14, les troupes britanniques entrent au Caire : Arabi se rend. Jugé, il est tout d’abord condamné à mort avant d’être exilé à Ceylan et les Anglais rétablissent Tawfiq Pacha au pouvoir. L’occupation britannique devait être temporaire, elle dure en réalité jusqu’en 1922.

De 1798 à 1882, la question égyptienne semble être avant tout celle d’une lutte de pouvoir entre la France et la Grande-Bretagne dans le but d’étendre leur influence en Egypte, haut lieu géostratégique. Cette rivalité s’est cependant atténuée quand il a été nécessaire de défendre leurs intérêts communs : empêcher l’Egypte de devenir une puissance indépendante et conserver celle-ci au sein de l’Empire ottoman. La dernière intervention des deux grandes puissances en Egypte date de 1956, lorsque Nasser prend la décision de nationaliser le canal de Suez. Cependant, l’échec diplomatique de cette intervention montre que, après la Seconde Guerre mondiale, le temps du contrôle franco-britannique de l’Egypte est révolu.

Bibliographie :
 J. Carpentier et F. Lebrun, Histoire de la Méditerranée, Seuil, 2001, 619 p.
 Arthur Goldschmidt Jr. ; Robert Johnston, Historical dictionary of Egypt, Third Edition, Scarecrow Press, 2003, 510 P.
 Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2002, 336 p. ?
 Sous la direction de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1994, 810 p.
 Timothy Mitchell, Colonising Egypt, University of California Press, 1988, 218 p.

Publié le 27/04/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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