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La rénovation du Saint-Sépulcre : la fin d’un long processus de négociation entre les Eglises, entretien avec Marie-Armelle Beaulieu

Par Ines Gil
Publié le 22/06/2017 • modifié le 22/06/2017 • Durée de lecture : 10 minutes

Christian clergymen and other guests attend a ceremony next to the Edicule surrounding the Tomb of Jesus (where his body is believed to have been laid) at the Church of the Holy Sepulchre in Jerusalem’s Old City, on March 22, 2017. The ornate shrine surrounding what is believed to be Jesus’s tomb was reopened at a ceremony in Jerusalem following months of delicate restoration work.

MENAHEM KAHANA / POOL / AFP

Le tombeau du Christ, cœur du Saint-Sépulcre

Aux origines du Saint-Sépulcre, on trouve l’emplacement probable du tombeau du Christ. Dans la tradition chrétienne, Jésus Christ a été crucifié sur la colline du Golgotha puis enterré dans une tombe construite dans un jardin environnant en 30 ou 33 après J-C. Après trois jours, il aurait ressuscité d’entre les morts. En 324, à la demande de Constantin, converti depuis peu au christianisme, Macaire, l’évêque de Jérusalem, part à la recherche du tombeau du Christ. Après avoir détruit des bâtiments païens, il serait tombé sur la « grotte la plus sainte de toutes » (2) à côté du sommet du Golgotha. Des bâtiments sont érigés sur ces deux lieux sacrés, et inaugurés en 335. Ils viennent entourer le lieu le plus important de la tradition chrétienne jusqu’à nos jours. Mis à feu durant le pillage et la destruction de Jérusalem en 614, le Saint-Sépulcre est ensuite détruit par Al-Hakim bi-Amr Allah, calife fâtimide d’Egypte, en 1009 après J-C. Il est reconstruit dans un style simplifié, quelques années plus tard. Après la conquête de la ville sainte par les croisés, le Saint-Sépulcre traverse un siècle sous leur royaume. Suite à une période calme, Jérusalem passe sous domination turque, pendant laquelle l’édicule est détruit par un incendie (3) ; il est reconstruit en 1810. A la chute de l’Empire ottoman, la ville sainte tombe sous contrôle britannique, puis jordanien à partir de 1948. Depuis la conquête de Jérusalem Est et donc de la vieille ville par l’armée israélienne en 1967, c’est Israël qui a autorité sur la partie de la ville abritant le Saint-Sépulcre.

Cependant, « Rien ne permet d’affirmer catégoriquement que nous sommes devant le tombeau de Jésus », nous affirme Marie-Armelle Beaulieu. Les travaux de rénovations auraient pu constituer une occasion de réaliser des recherches, comme pour le tombeau de Saint Pierre, découvert sous la basilique Saint Pierre – au Vatican – en 1950. Mais « aucun archéologue ou historien n’a été convié », « ce n’était pas l’objectif des travaux » selon la Rédactrice en chef de Terre Sainte. La vérification du caractère historique des lieux relève d’enjeux politiques et économiques conséquents, étant donné l’importance théologique et politique du lieu pour les Eglises qui y cohabitent, mais aussi l’afflux de touristes qui s’y rendent chaque jour en masse.

La nécessité de rénover le bâtiment recouvrant le tombeau, appelé édicule (du latin aedicule), s’est imposée il y a plusieurs décennies déjà. « L’édicule a été construit à la va-vite en 1810, il n’était pas très solide », nous affirme Madame Beaulieu, « en 1927, les Britanniques demandent aux autorités religieuses d’intervenir. Avant leur départ de Palestine, ils saturent les poutres d’acier en attendant que les autorités prennent un accord ». Les autorités religieuses, qui gèrent le Saint-Sépulcre en copropriété, on mis 90 ans à trouver un accord pour rénover l’édicule.

Les difficultés de dialogue entre les Eglises, facteur de ralentissement des travaux de rénovation

Dans le Saint-Sépulcre, plusieurs copropriétaires doivent cohabiter : « la basilique est en copropriété avec espaces communs et privatifs » entre les Grecs orthodoxes, les Franciscains qui dépendent de l’Eglise catholique, les Arméniens, mais aussi les Syriaques orthodoxes, les Cooptes et les Ethiopiens. « Mais seuls les Orthodoxes, les Franciscains et les Arméniens possèdent des titres de copropriété dans les espaces privés », indique Madame Beaulieu, et « la restauration dépendait de ces trois Eglises majeures ». A noter que la copropriété est aussi partagée avec deux familles musulmanes, en charge d’ouvrir et de fermer les portes du Saint-Sépulcre, et l’autorité en place, soit Israël depuis 1967.

Les désaccords de ces trois Eglises ont retardé les travaux. Pour ces trois entités, la vie en commun dans le Saint-Sépulcre est parfois difficile. Ce lieu est l’objet de convoitise, de jeux de pouvoir et, « d’un amour jaloux », selon Madame Beaulieu. Les désaccords entre les propriétaires sont bien connus, puisque les batailles entre religieux au sein de la basilique sont régulièrement relatées. Batailles durant lesquelles ils en viennent parfois aux mains. Marie-Armelle Beaulieu nous explique les origines de ces dissensions : « elles ont lieu exactement deux fois par an, entre Grecs orthodoxes et Arméniens. Elles sont dues au règlement de copropriété. Il est basé sur une tradition de transmission orale entre les Eglises. On a commencé à parler de statu quo pour cette tradition orale en 1752 et l’Empire ottoman l’a confirmé en 1852 par un firman ottoman (4). Mais les traditions orales des Grecs orthodoxes et des Arméniens ne s’accordent pas deux fois par an. Ils organisent leurs prières au même moment, au même endroit, ce qui crée des dissensions. Mais le reste du temps, la répartition du temps et de l’espace fonctionne parfaitement ». Concernant l’édicule, ces trois Eglises ont mis du temps à s’entendre sur les modalités de restauration. Marie-Armelle Beaulieu nous précise les raisons de ces indécisions : « On restaure mais pourquoi ? L’édicule à l’identique en consolidant ce qui est fragile ou on construit quelque chose de neuf, qui correspond à une réalité moderne, le tourisme de masse ? Il y avait des opinions divergentes. Finalement, l’édicule est restauré comme à l’origine, sauf qu’il est propre. Il tient debout tout seul car consolidé partout où il pouvait l’être ».

90 ans pour trouver un accord, la lenteur de prise de décision peut paraître extrême. Mais le caractère exceptionnel du lieu implique de grands enjeux, et sa dimension religieuse le fait aussi sortir d’une certaine rationalité. Les négociations concernant la restauration du tombeau du Christ ne sont pas les plus longues observées à ce jour. « Pour restaurer l’Eglise de la nativité de Bethléem, les Eglises sont restées en négociations… pendant 200 ans », nous affirme Madame Beaulieu. Elles ont trouvé un accord il y a cinq ans.

Cette vie en commun doit prendre en compte chaque Eglise, avec sa hiérarchie. Les travaux du Saint-Sépulcre ont été réalisés par une équipe grecque, ce qui s’explique par le fait que l’édicule de 1810 avait déjà été confié à un Grec. En échange, d’autres travaux dans la basilique avaient été menés par des Italiens. Ces attributions de tâches selon les nationalités comportent une grande symbolique pour les Eglises.

Au cœur des travaux, le tombeau révélé

Marie-Armelle Beaulieu a été une des rares à pouvoir observer le rocher qui, dans la tradition chrétienne, constituerait le tombeau originel du Christ : « ce que j’ai vu est caché par les plaques de marbre de l’édifice actuel. Elle cache les états antérieurs de l’édicule, et ce qui reste du rocher de la grotte creusée originellement dans un pan de Jérusalem. J’ai vu ce rocher. Il a été découvert pendant 62 heures et il pourrait être le lit sur lequel a reposé le corps de Jésus ». Pour permettre aux pèlerins de se rendre au Saint-Sépulcre, les travaux de rénovation ont été réalisés de nuit. Arrivée au deux tiers des travaux, l’équipe de restaurateurs a dû atteindre la couche correspondant au tombeau de Jésus. L’édicule renferme en effet plusieurs couches qui sont venues se superposer au fil de l’Histoire. C’était seulement la troisième fois « dans l’Histoire qu’on a pu assister au déplacement de la dalle qui recouvre le lit funéraire de Jésus » (5), en 1555 puis en 1810.

Un dialogue qui s’améliore, malgré les difficultés de cohabitation et la situation politique complexe de Jérusalem

Pour Marie-Armelle Beaulieu, les Eglises entrent dans une phase de dialogue de plus en plus poussée : « Cela fait peu de temps qu’on apprend à s’aimer ». Elle considère que depuis l’instauration de Vatican II, le dialogue est plus ouvert entre les différentes Eglises, sous l’impulsion de Rome. Il est vrai que la restauration de l’édicule entre dans une dynamique de négociation. Il y a cinq ans, un accord sur la restauration de l’Eglise de la nativité à Bethléem a été trouvé, ce qui a potentiellement accéléré le début des travaux sur l’édicule. Par ailleurs, cette rénovation a montré que ses fondations nécessitaient aussi une restauration, et une seconde phase de discussion concernant de nouveaux travaux va s’ouvrir.

La gestion du Saint-Sépulcre est d’autant plus complexe que les six Eglises n’en sont pas les seules actrices. Le contrat de copropriété du Saint-Sépulcre est aussi partagé avec deux grandes familles musulmanes, qui détiennent les clés de l’Eglise, et Israël : « Donc, dans ce qui touche à la vie du Saint-Sépulcre, il y a d’abord les communautés chrétiennes, les familles musulmanes, et les autorités en place. De facto, dans Jérusalem aujourd’hui, l’autorité israélienne » explique Madame Beaulieu. Les familles musulmanes sont la famille Nusseibeh et la famille Joudeh. Les Joudeh possèdent la clé de la basilique, et les Nousseibeh en ouvrent la porte, et la referment le soir. Ce statut quo remonte au 13ème siècle après J-C. Une taxe était prélevée par ces familles pour chaque individu pénétrant dans le Saint-Sépulcre. Elle a pris fin pour les pèlerins en 1831, sous décision d’Ibrahim Pacha. Selon Madame Beaulieu, c’est cette taxe qui est à l’origine de l’installation de plusieurs Eglises dans le Saint-Sépulcre : « un jour, les chrétiens de Jérusalem se sont dit : on va payer une fois et plus en sortir, et donc des communautés religieuses se sont installées à l’intérieur du Saint-Sépulcre ». « Il existe toujours un acquittement mensuel des Eglises pour les familles musulmanes », ce sont donc des raisons financières qui expliquent, selon elle, que les deux familles musulmanes possèdent toujours les clés de la basilique. Mais ces familles constituent aussi des parties plus neutres sur le plan religieux. Leur rôle permettrait donc d’éviter les querelles entre les Eglises sur l’ouverture et la fermeture du lieu saint (6). Concernant l’autorité en place partie au contrat de copropriété, aujourd’hui Israël, elle a aussi joué de tout temps un certain rôle dans la vie du Saint-Sépulcre. Déjà en 1927, les Britanniques avaient alarmé les autorités religieuses sur la nécessité de procéder à des rénovations ; s’en était suivie l’ouverture de négociations entre les Eglises. Le pouvoir de l’autorité en place reste relatif, son avis n’étant pas toujours pris en compte. Récemment, face au risque de tremblement de terre qui pèse sur Jérusalem, « les autorités israéliennes avaient demandé que les Eglises fassent une étude sur la capacité du Saint-Sépulcre à résister aux séismes. Elles ont été réalisées par une université italienne. Il y a un dialogue », selon Marie-Armelle Beaulieu, mais les indications d’Israël ne sont pas soumises à une obligation d’action de la part des Eglises : « Israël avait demandé à ce qu’une sortie de secours soit installée dans la basilique, mais les Eglises n’ont pas pris en compte ces remarques ».

A Jérusalem, le conflit entre Juifs et musulmans est venu remplacer les disputes entre les Eglises. Les batailles entre les différentes Eglises qui se partagent les Lieux saints comme le Saint Sépulcre ou l’Eglise de la nativité à Bethléem semble aujourd’hui s’être apaisées. Mais elles constituaient pour les nations européennes, à une époque, un véritable enjeu de pouvoir. A la fin du XVIIIème siècle, à l’apparition de la question d’Orient, le problème du partage de l’Empire ottoman alors en déclin commence à se poser pour les Européens. Avec la fin des conquêtes égyptiennes en 1840, « Jérusalem fait sa grande entrée sur le théâtre de la question d’Orient et les Lieux saints vont en être le prétexte ». En effet, « durant cette décennie 1840, les puissances européennes considèrent les non-musulmans comme l’instrument de leur politique d’influence ». La France, fille de l’Eglise catholique, revendique un protectorat sur les catholiques ottomans, alors que la Russie avance ses cartes en rétablissant le protectorat grec-orthodoxe en 1845. De son côté, la Prusse, soutenue par le Royaume-Uni, tente de renforcer la présence des protestants en installation en 1842 un évêché protestant à Jérusalem. En 1842, le Royaume-Uni demande la liberté d’immigration des juifs, sous sa protection. Ces batailles d’influences se retrouvent aussi dans le contrôle des Lieux saints comme le Saint-Sépulcre. Suite à la Première Guerre mondiale et à l’éclatement de l’Empire ottoman, le mandat des Britanniques sur la Palestine est confirmé par la conférence de San Remo, en 1920. Les querelles commencent alors à se cristalliser autour du partage des Lieux saints entre Juifs et musulmans : « les Lieux saints musulmans se voient appliquer à leur tour la législation du statu quo, au moment où le mouvement sioniste conteste leur appropriation traditionnelle par les musulmans », ainsi, dès les années 1920, le mur des lamentations, qui est adossé à l’esplanade des mosquées, fait l’objet de querelles, puisque les Juifs en ont un droit d’usage et non de propriété. Ainsi, « Si les disputes entre moines chrétiens se poursuivent [jusqu’à aujourd’hui], le principal foyer de tension s’est déplacé vers les Lieux saints musulmans et leur revendication par les Juifs » (7), ce qui participe aux évolutions vers la naissance du conflit israélo-palestinien.

Conclusion

Les travaux de restauration du tombeau du Christ constituent un événement marquant pour les chrétiens, puisque c’est la troisième fois seulement que la pierre qui constituerait à l’origine le tombeau a été révélée. Ces travaux rappellent que les enjeux de pouvoir qui se cristallisent autour du Saint-Sépulcre sont sources de difficultés pour trouver un accord entre les Eglises. Ils marquent cependant la concrétisation d’un difficile dialogue débuté il y a plusieurs décennies. Par ailleurs, ces travaux constituent aussi une évolution pour les fidèles, qui pourront maintenant observer la pierre originelle du tombeau. En effet, depuis les travaux, une plaque de verre sépare les visiteurs du tombeau (8) ; une évolution qui change le rapport de cette pierre de marbre marquée d’Histoire et de symbole, en démocratisant un peu plus son accès.

Lire sur ce thème sur Les clés du Moyen-Orient :

 Jérusalem au Moyen Âge : de la conquête musulmane au Royaume de Jérusalem (v. 638-1187)
 Jérusalem au Moyen Âge : de Saladin aux Mamelouks (1187-1516)
 Entretien avec Elodie Hibon, La Jérusalem ayyoubide
 Jérusalem au XIX ème siècle
 Jérusalem
 Vincent Lemire (dir.), Jérusalem. Histoire d’une ville-monde
 Dôme du Rocher
 La diplomatie britannique au Proche-Orient au XIXème siècle
 La pénétration allemande dans l’Empire ottoman à la fin du XIXème siècle (1880-1914)

Notes :
(1) Petit bâtiment qui recouvre l’emplacement du tombeau du Christ dans la tradition chrétienne, dans la basilique du Saint-sépulcre, à Jérusalem.
(2) « L’époque de Constantin », Custodia Terrae Sanctae, Sanctuaire Saint-Sépulcre, consulté le 25 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.saintsepulcre.custodia.org/default.asp?id=4194
(3) L’incendie a lieu en 1808.
(4) Naaman Abdallah, « Le Liban, Histoire d’une nation inachevée », Broché, 19 octobre 2015.
(5) Poletti Arianna, « Que sait-on de plus sur la tombe depuis l’ouverture ? », Terre Saint Magasine, Janvier Février 2017, N°647.
(6) Tharoor Ishaan, « Why Christianity’s holiest shrine is guarded by two muslim families », Washington Post, Le 1er novembre 2016, consulté le 25 mai 2017 (en ligne), URL : https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/11/01/why-christianitys-holiest-shrine-is-guarded-by-two-muslim-families/?utm_term=.f865cd1e8bdd
(7) Querelle des lieux saints : une tragédie en cinq actes », L’Histoire, Sophia Publications, 2012, p.112.
(8) « Le tombeau du Christ dévoile ses nouvelles couleurs à Jérusalem », La Croix, le 22 mars 2017, consulté le 27 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Le-tombeau-Christ-devoile-nouvelles-couleurs-Jerusalem-2017-03-22-1300833822

Publié le 22/06/2017


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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