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Le Hezbollah dans ses relations avec l’Iran et la Syrie

Par Clément Guillemot
Publié le 02/08/2012 • modifié le 06/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Lebanese Hezbollah supporters wave a Syrian flag under a huge portrait of Iran’s supreme leader, Ayatollah Ali Khamenei, during a rally in the southern town of Bint Jbeil on May 25, 2012 to mark the 12th anniversary of the withdrawal of Israeli troops from south Lebanon after a 22-year occupation

MAHMOUD ZAYAT/AFP

L’objectif principal du Hezbollah étant la lutte contre « l’entité sioniste [1] », il est partie prenante au « front de refus [2] » avec l’Iran et la Syrie. Les intérêts et/ou les idéologies communes entre ces différents acteurs incite à préjuger que « la réalité reste que le visage du mouvement est intrinsèquement lié aux rapports de dépendance du Hezbollah à l’égard de la Syrie et de l’Iran et que dès lors, les stratégies diplomatiques et conflictuelles de ces deux pays influent sur l’évolution identitaire du Hezbollah [3] » pour reprendre Jean-Loup Samaan. Le Hezbollah apparait d’un côté épouser la doctrine idéologique de l’Iran, et de l’autre entretenir un rapport stratégique avec la Syrie. Il persiste cependant, pour les spécialistes, de l’extrême difficulté d’analyser la marge de manœuvre du Hezbollah vis-à-vis de l’Iran et de la Syrie, et inversement, de la véritable influence de ces deux pays envers le Hezbollah. Néanmoins, les politiques interne et externe du Hezbollah ne peuvent se comprendre sans appréhender les intérêts syriens et iraniens à le soutenir. Pour ces sponsors, le Hezbollah est devenu un outil stratégique servant les intérêts stratégiques régionaux. Réciproquement, ses deux alliés lui ont permis de passer d’un mouvement local à une puissance militaire ayant un poids important au sein de la communauté chiite et sur la scène politique libanaise. Le Hezbollah serait de ce fait, un véritable Etat dans l’Etat.

La connivence idéologique entre l’Iran et le Hezbollah

Dès novembre 1982, soit 5 mois après la création officielle du Hezbollah, 1 500 gardiens de la Révolution islamique iranienne, les Pasdarans, s’installent dans la plaine de la Bekaa (nord-est du Liban), afin de former au combat les membres du Hezbollah contre Israël. L’ayatollah Khomeini, le nouveau guide spirituel iranien, y perçoit un moyen d’exporter son concept de Wilayat al-Faqih (révolution islamique). De fait, le Hezbollah s’accorde avec les idéaux religieux de l’Iran. C’est ainsi que le Hezbollah reconnaît l’autorité du guide suprême de l’Iran (l’ayatollah Khomeini puis l’ayatollah Khameini en 1989) au niveau politique et religieux. Lors d’un entretien donné à l’occasion du premier anniversaire de la guerre du Liban de 2006, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, affirme la dévotion du Hezbollah à l’Iran en affirmant que « son organisation s’était battu pour l’Iran [4] », alors même que l’ancien ambassadeur d’Iran à Damas, Ali Akbar Mohtashemi, clame l’affiliation du Hezbollah au régime Iranien : « oui, j’ai créé le Hezbollah, ses membres sont mes enfants [5] ».

En 1989, les relations irano-Hezbollah évoluent. Cette année charnière est marquée par la mort de l’ayatollah Khomeini et la signature des accords de Taëf mettant fin à la guerre civile libanaise. Voulu par le Hezbollah et/ou totalement décidé par l’Iran (la question reste débattue), alors que jusqu’à présent le Hezbollah décidait de toutes ses décisions avec l’Iran, le mouvement devint dorénavant beaucoup plus indépendant et plus ancré dans le jeu politique libanais. Dans un premier temps, comme l’analyse Jean-Loup Samaan, « le président Iranien Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, pour qui l’intérêt national iranien primait sur l’exportation de la Révolution Islamique, aurait ainsi demandé aux leaders du Hezbollah venus à Téhéran au printemps 1992 de se détacher de la référence khomeiniste et de rentrer dans le jeu politique libanais [6] ». Dans un second temps, cet ancrage dans la politique libanaise se fait sous la pression syrienne, Damas estimant que le Hezbollah ne devrait pas rejeter l’identité libanaise. En conséquence, la même année et pour la première fois, le Hezbollah participe aux élections législatives libanaises. Ce processus de « libanisation », lequel culmine en 2005 avec la participation du Hezbollah au gouvernement, vise à adopter une approche nationaliste dont le discours n’est plus centré sur la transformation de l’Etat libanais en un Etat islamique mais seulement sur la lutte contre Israël. Cette indépendance accrue du Hezbollah est confirmée par Ali Akbar Mohtachamipour, ministre iranien de l’Intérieur entre 1985 et 1989 : « au début, les combattants du Hezbollah ont été formés par les gardiens de la révolution iranienne. Mais aujourd’hui ils sont comme des élèves qui ont pris leurs distances avec leurs instituteurs [7] ». Rejetant les accusations de double jeu, Ali Fayad, membre du bureau politique du Hezbollah, martèle que « l’intérêt national Libanais est le critère principal qui détermine le comportement du mouvement [8] », même si, depuis l’élection d’Ahmadinejad en 2005 en Iran, la direction du Hezbollah, le guide de la révolution et la présidence iranienne partagent les mêmes affinités idéologiques, contribuant au renforcement d’une vision géopolitique régionale ne tenant pas compte des spécificités locales.

Pourtant, même si l’Iran ne décide plus directement de toute la politique du Hezbollah, son contrôle est indirect, comme le formule le cheikh Yusuf Subayti, directeur d’un séminaire musulman au Sud-Liban : « l’autonomie du Hezbollah est relative, il dépend toujours de l’armée iranienne et de son aide financière, sur la formation qu’il fournit et de son assistance [9] ». Le Hezbollah reçoit en effet en moyenne 100 millions de dollars de l’Iran ainsi que des informations détaillées sur Israël. Ses membres sont formés en Iran et utilisent le matériel logistique, d’ingénierie et de communication, fruits de la technologie iranienne.

Les Relations géostratiques entre la Syrie et le Hezbollah

Le soutien politique de la Syrie laïque au Hezbollah est d’ordre politique et non idéologique. La Syrie est surtout intéressée par le maintien d’un équilibre militaire avec Israël, s’exprimant par les actions guerrières du Hezbollah. Dès 1990, suite à la guerre civile libanaise, la Syrie considère le mouvement comme un atout dans un contexte de négociations occasionnelles avec Israël. C’est pourquoi, alors que la Syrie a obligé les milices libanaises à déposer les armes, elle ne l’a pas fait pour le Hezbollah. En contrepartie, Damas a droit à un contrôle strict sur les opérations militaires menées par le Hezbollah.

En 2005, le retrait du Liban par l’armée syrienne met fin au contrôle direct de Damas dans les affaires du Hezbollah. Bien que la Syrie reste la seule voie possible pour le transit des armes iraniennes vers le Hezbollah, ce dernier a cependant plus d’autonomie politique vis-à-vis de la Syrie comme le justifie l’arrangement électoral du Hezbollah avec la Coalition anti-syrienne du 14 mars, suite aux élections législatives de 2009. Akram Tleiss, ancien conseiller politique du Hezbollah, explique : « depuis que la Syrie a quitté le Liban, elle n’intervient dans les affaires du Hezbollah que quand ses intérêts vitaux sont en jeu. Elle n’est plus impliquée dans les affaires courantes ». Cependant, pour des raisons historiques et géopolitiques, la Syrie a toujours réclamé le Liban comme faisant partie de son territoire. La Syrie essaye donc de le déstabiliser, cherchant à mettre en évidence l’instabilité d’un Liban « affranchi », ceci entrainant des dissensions entre le Hezbollah et Damas.

La Syrie et le Hezbollah demeurent toujours en lien contre Israël. Ainsi, « partenaires sous contrainte [10] » pour citer Olfa Lamloum, la Syrie et le Hezbollah demeurent unis par « un mariage sans amour qui résiste par la nécessité de préserver les intérêts communs [11] » concluent Abdelnour et Gambill. Le Hezbollah a, dans la période actuelle, plus que jamais besoin du soutien syrien pour contrecarrer les pressions internationales et renégocier sa place sur la scène libanaise, du fait notamment de l’adoption en 2010 de la résolution 1959 par le Conseil de sécurité prévoyant le désarmement du Hezbollah. Dans cette logique, le Hezbollah mobilise fréquemment ses militants lors de grandes manifestations, en témoignage de reconnaissance pour l’aide du régime syrien à la résistance (selon Wikileaks, le Hezbollah aurait même une base militaire en Syrie). Réciproquement pour la Syrie qui, dans le contexte régional ouvert par « la guerre contre le terrorisme », l’invasion de l’Irak et l’isolement de la Syrie, cible des pressions de l’administration Bush, a besoin du Hezbollah pour trois raisons qu’évoque Jean-Loup Samaan [12] : le Hezbollah est un moyen de coercition vis-à-vis des autorités libanaises afin d’imposer un ordre syrien sur le pays du Cèdre ; il est le moyen de coercition vis-à-vis d’Israël pour obliger au retrait des territoires de 1967 et notamment du Golan ; il est le moyen de coercition vis-à-vis des Etats-Unis pour négocier une sortie de l’isolement diplomatique.

Dans la crise que connait la Syrie en 2011-2012, le Hezbollah est dans une position difficile. Conscient que sans le soutien syrien, il ne peut lutter contre Israël, et au-delà peser sur le plan international, il ne souhaite pas non plus être en désaccord profond avec une partie de la population libanaise (anti Bachar al-Assad), perdre son soutien et entraîner le pays dans une nouvelle guerre civile. Ainsi, le Hezbollah se fait discret sur la situation syrienne tout en affirmant son appui au président qu’il ne veut pas perdre comme allié. C’est pourquoi dès le début des émeutes en Syrie, le Hezbollah a exprimé son « soutien » et sa « fidélité [13] » au régime de Bachar al-Assad. « Nous sommes encore aujourd’hui une fois de plus à côté de la Syrie » a affirmé Nawwaf el Moussaoui, député du Hezbollah, « il n’y a aucune stabilité au Liban sans stabilité en Syrie, il n’y a aucune sécurité au Liban sans sécurité en Syrie [14] », conclut-il.

Bibliographie :
 Le Hezbollah et la crise libanaise, Rapport Moyen-Orient N°69, International crisis group, 2007.
http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/Middle%20East%20North%20Africa/Iraq%20Syria%20Lebanon/Lebanon/69_hizbollah_and_the_lebanese_crisis_french
 Hizballah and Syria : outgrowing the proxy relationship, Emile el-Hokayem, the Washington Quarterly, 2007, http://www.stimson.org/images/uploads/research-pdfs/07spring_elhokayem.pdf
 Hezbollah as a strategic arm of Iran, Intelligence and Terrorism Information center at the center for special studies, 2006, http://www.terrorism-info.org.il/data/pdf/PDF_06_267_2.pdf

 Sabrina Mervin (Dir), Le Hezbollah, état des lieux, Paris, Actes Sud, 2008, 363 pages.
 Jean-Loup Samaan, Les métamorphoses du Hezbollah, Paris, Karthala, 2007, 224 pages.
 Hervé Pierre, Le Hezbollah : un acteur incontournable de la scène internationale ? Préface de Bertrand Badie, Paris, L’Harmattan, collection Chaos International, 2009, 193 pages.

Publié le 02/08/2012


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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