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Le Hezbollah en pleine mutation : d’un mouvement de libération nationale à une alliance stratégique régionale avec l’Iran (1/2) : l’ascension du Hezbollah au sein du régime libanais

Par Matthieu Saab
Publié le 13/07/2016 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 10 minutes

A national flag flutters in the foreground as Lebanese army troops secure on May 11, 2008 west Beirut’s Corniche al-Mazraa thoroughfare, which witnessed heavy clashes between Hezbollah-led oppostion militants and supporters of the government earlier this week. The army deployed throughout Lebanon as clashes broke out between rival factions in the north and southeast while the Arab League met to try resolve the country’s ongoing political crisis.

ANWAR AMRO / AFP

Evolution du Hezbollah jusqu’à son intervention dans la guerre civile syrienne en 2013

La légitimité du Hezbollah au Liban s’appuie sur la lutte contre l’armée israélienne présente au Sud-Liban depuis le 15 mars 1978. Après plus de deux décennies d’occupation, l’armée israélienne se retire sans conditions du Liban en mai 2000.

Cette première victoire d’une puissance militaire arabe face à l’Etat hébreu depuis 1948 repose sur l’idéologie particulière du Hezbollah qui prône ce que l’on appelle chez les musulmans chiites le djihad défensif (2), qui reflète toutes les formes de résistance menées par les musulmans contre une oppression extérieure ou intérieure. L’idée du martyre est inséparable de la conception du djihad défensif. L’Islam chiite érige le martyr au rang d’intermédiaire entre le héros et le Saint, ce en quoi il s’apparente au martyre chrétien. Cette idée de troc de la vie d’ici-bas contre la vie dans l’au-delà, évoquée dans le Coran, a servi de fondement à la légitimation théologique des opérations kamikazes du Hezbollah contre la présence israélienne ayant conduit au retrait inconditionnel de l’Etat d’Israël du Liban (3).

La légitimité acquise par le Hezbollah lui permet de conserver ses armes après le retrait israélien, alors que toutes les milices qui ont opéré au Liban entre 1975 et 1990 sont dissoutes. Il faut insister sur le fait que c’est le Hezbollah et non l’armée libanaise qui a vaincu l’armée israélienne.

Sur le terrain politique, et dès la fin de la guerre civile en 1990, le Hezbollah doit tenir compte de la stratégie d’un Premier ministre sunnite, Rafic Hariri, dont l’ambition est de reconstruire le Liban économiquement et de transformer ses structures pour en faire un Etat moderne (4). Hariri souhaite également remettre en cause la présence syrienne au Liban, ininterrompue depuis 1976.

Or, l’armée syrienne est un allié stratégique du Hezbollah, ce qui provoque un conflit entre le Parti de Dieu et le Premier ministre libanais, conflit qui atteint son paroxysme avec l’assassinat de Hariri en février 2005. Un Tribunal Spécial pour le Liban est mis en place par les Nations unies, afin de mener une enquête sur l’assassinat du Premier ministre, et dans le cadre de cette enquête, des membres du Hezbollah sont inculpés (5). Or, le Hezbollah refuse de collaborer avec le Tribunal Spécial.

Le 12 juillet 2006, le Hezbollah provoque l’Etat hébreu en kidnappant deux soldats israéliens sur la ligne de cessez-le-feu. Un conflit armé s’en suit au cours duquel le Hezbollah tient tête à Tsahal, l’armée israélienne, pendant plus d’un mois. La légitimité du Hezbollah s’en trouve renforcée au Liban et dans les pays arabes, et sa popularité lui permet d’échapper aux poursuites engagées contre lui par le Tribunal Spécial et retire à ce dernier toute légitimité. C’est dans ce contexte que le 11 novembre 2006, le Hezbollah demande à ses ministres (chiites) de mettre fin à leur participation au gouvernement libanais de Fouad Siniora qui s’apprêtait à mettre en place un dispositif fixant les prérogatives du Tribunal Spécial.

Or, cette mise en place s’effectue malgré l’opposition du Hezbollah. En signe de protestation, le Parti de Dieu organise une occupation qui paralyse le centre ville de Beyrouth et demande la formation d’un nouveau gouvernement d’Union Nationale afin de s’opposer aux décisions du Tribunal Spécial. Cette instabilité institutionnelle débouche sur un conflit entre les forces du 14 mars - qui réclament la poursuite de l’enquête menée par le Tribunal Spécial et qui représentent l’axe américano-saoudien au Liban - et les forces du 8 mars - qui rassemblent les partisans du Hezbollah. En mai 2008, ce conflit débouche sur la décision des membres du gouvernement alliés aux forces du 14 mars, de démanteler le réseau téléphonique privé du Hezbollah qui fonctionne parallèlement au réseau public.

Le Hezbollah, estimant qu’une ligne rouge a été franchie avec cette décision ministérielle, occupe militairement Beyrouth-Ouest, fief des forces du 14 mars représentées principalement par le Mouvement du Futur, dirigé par le fils du défunt Rafic Hariri, Saad. L’occupation de Beyrouth-Ouest empêche les forces du 14 mars (principalement sunnites et chrétiennes) de procéder au démantèlement du réseau téléphonique privé du parti chiite.

Or, les événements de mai 2008 sont d’une importance cruciale sur l’évolution du Liban puisque, et pour la première fois, le parti chiite s’est opposé militairement à d’autres forces libanaises alors que jusque-là il avait toujours insisté sur le fait que son combat était uniquement dirigé contre Israël. Le conflit entre les forces du 14 mars et celles du 8 mars trouve une issue grâce à la médiation qatarie qui permet la formation d’un nouveau gouvernement d’Union Nationale le 11 juillet 2008, dans lequel le Hezbollah a un droit de veto sur toutes les décisions qui seront prises par ce gouvernement. Ainsi, la crainte du Parti de Dieu de voir notamment son infrastructure militaire démantelée au Liban est dissipée (6).

Le gouvernement d’Union Nationale est affaibli en raison de ce droit de veto. Il continue à diriger le pays sans prendre de décisions majeures, auxquelles se serait opposé le Hezbollah. C’est dans ces conditions qu’en janvier 2011, le Hezbollah demande à ses ministres de quitter le gouvernement d’Union Nationale, rendant du coup le Cabinet ministériel inconstitutionnel car la représentation chiite n’y est plus assurée. Cette situation conduit à la paralysie du gouvernement qui souhaitait mettre en place une nouvelle loi électorale (pour les élections législatives) et élire un nouveau chef de l’Etat. C’est la fin du gouvernement d’Union Nationale.

Un nouveau gouvernement est constitué afin d’expédier les affaires courantes, rendant impossible la mise en place de la nouvelle loi électorale et conduisant le Parlement à auto-proroger son mandat. Dans ces conditions, l’élection d’un nouveau chef de l’Etat est également rendue impossible. En outre, les forces du 14 mars sont affaiblies à cause d’une série d’attentats contre leurs dirigeants, conduisant à la paralysie de ce mouvement jusqu’en 2013. Cette paralysie est également due au manque d’unité des forces du 14 mars et à leur alignement systématique sur les positions de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis, alignement qui concerne surtout leur opposition au Hezbollah et à l’Iran.

Ainsi, dix ans après la mort de Rafic Hariri, le Hezbollah a réussi à bloquer les institutions libanaises et à affaiblir notoirement ses rivaux politiques.

Intervention du Hezbollah en Syrie

En 2013, le Hezbollah décide de participer à la guerre civile syrienne afin de protéger le régime alaouite (une émanation du chiisme), partenaire privilégié de l’Iran, principal soutien financier et militaire du Hezbollah. Le Parti de Dieu refuse à ses adversaires politiques le droit de remettre en cause sa légitimité y compris dans le cadre de son intervention en Syrie (7). D’autant plus que ce parti continue à être perçu au Liban comme le protecteur de la communauté chiite qui craint l’expansion de l’Etat islamique en Syrie et en Irak.

En mai 2013, un observateur américain estimait que les deux organisations terroristes s’opposant en Syrie - al-Qaïda et le Hezbollah - allaient s’affaiblir dans une lutte intestine sans merci, faisant ainsi le jeu des Américains. En effet, al-Qaïda est un mouvement sunnite anti-américain qui s’oppose à un mouvement chiite anti-américain, le Hezbollah. Le conflit entre les deux parties aurait pu bénéficier aux intérêts des américains. En fait, il n’en est rien car, trois ans plus tard, en avril 2016, le Hezbollah, al-Qaïda et l’Etat islamique contrôlent une grande partie du territoire syrien et interviennent militairement à une grande échelle. De plus, le Hezbollah se renforce en Syrie sans perdre le contrôle de la situation au Liban. Stratégiquement et régionalement, ceci conduit à estimer que la situation est en train d’évoluer en faveur de l’Iran.

L’intervention du Hezbollah permet à Bachar al-Assad de reprendre la ville de al-Qusair le 8 juin 2013 puis d’occuper la ville de Homs et, au sud, de s’assurer du contrôle de Damas puis d’occuper Alep en 2015. Les gains territoriaux du Hezbollah en Syrie lui permettent d’avoir accès et de contrôler les zones dont son approvisionnement militaire dépend. Tactiquement, le Hezbollah renforce sa présence en Syrie et acquiert de l’expérience sur un champ de bataille étranger et dans une guerre contre une insurrection militaire.

Outre la Syrie, tout en gardant la haute main sur la situation au Liban, le parti chiite libanais est présent sur deux champs de bataille régionaux : en Irak et au Yémen, pays dans lesquels il souhaite s’implanter à long terme.

Depuis septembre 2015, le Hezbollah peut compter sur l’appui de la Russie. Ainsi, la couverture aérienne assurée par la Russie a été cruciale dans la bataille de Palmyre (mars 2016) et dans les combats autour d’Alep, deux champs d’opération qui ont nécessité une intervention au sol du Hezbollah. A l’origine, le Parti de Dieu s’était engagé en Syrie pour protéger le Président Assad. A présent, les troupes du Hezbollah remplacent les troupes de Assad dans certaines régions où elles sont affaiblies, augmentent leur l’influence, deviennent plus autonomes et interviennent impunément en Syrie (8).

L’intervention militaire du Hezbollah dans la guerre civile en Syrie a provoqué un glissement dans sa doctrine : en effet, à l’origine, le Hezbollah se présente comme un mouvement islamiste (et non chiite) dont la vocation est de combattre l’Occident et plus particulièrement l’Etat juif. En intervenant en Syrie, le Hezbollah accentue son orientation chiite au dépend de son image islamiste et devient un acteur confessionnel, ce qu’il avait toujours refusé de faire par le passé.

Au Liban, cette situation ne convient pas aux sunnites qui critiquent ouvertement le régime de Bachar al-Assad, qui massacre les sunnites en Syrie, opposés au régime baasiste. Les sunnites libanais (et une partie des chrétiens) rejettent le Hezbollah jadis admiré pour son combat contre Israël, pour la protection sociale accordée aux Libanais et pour l’absence (relative) de corruption dans son fonctionnement. Au final, les sunnites (et certains chrétiens) rejettent violemment aussi bien l’Etat islamique que le Hezbollah (9).

Or, des membres de cette même communauté sunnite au Liban sont des djihadistes liés à l’Etat islamique, à Jabhat al-Nousra et à al-Qaïda en Syrie. En novembre 2015, les partisans de l’Etat islamique ont perpétré deux attentats suicides dans une région contrôlée par le Hezbollah, provoquant la mort de plus de quatre personnes dont trois citoyens libano-américains (10).

Accord sur le nucléaire entre les grandes puissances et l’Iran

En juillet 2015, un accord est conclu entre l’Iran et les grandes puissances afin de limiter les capacités nucléaires iraniennes. Une question demeure essentielle après cet accord : c’est celle de savoir comment les relations entre les chiites iraniens et libanais vont évoluer. Tous les indices portent à croire que cette alliance va se renforcer. Si les dirigeants iraniens et libanais ont précisé plusieurs fois que l’accord signé ne porte que sur le nucléaire, d’après un officier du Hezbollah, la relation entre les deux parties est similaire à celle qui existe « entre un père et un fils ». « Tout succès iranien se traduit par une alliance renforcée avec le Hezbollah et par une consolidation de la stratégie politique et religieuse iranienne fondée sur la velayat e-faqih (11) ».

D’après Hussam Mattar, un analyste libanais proche du Hezbollah, « En Iran, l’Etat est au service de la révolution et le Hezbollah est au cœur de la révolution ». Mattar insiste sur le fait que l’alliance entre les deux parties est une « combinaison de la résistance idéologique anti-israélienne avec l’idéologie religieuse chiite » alors que « dans la relation entre l’Iran et la Syrie, la résistance idéologique anti-israélienne joue le rôle essentiel ».

Dans ces conditions, il est probable que la levée des sanctions prises à l’égard de l’allié iranien pourrait permettre à ce dernier d’augmenter son aide au Hezbollah. C’est une fenêtre stratégique et économique pour l’Iran. D’autant plus que, suite au déclin de la relation entre l’Iran et le Hamas et à l’effondrement de l’Etat syrien, le Hezbollah constitue l’un des atouts maîtres de l’Iran dans le monde arabe. L’Iran continue à aider le régime du Président Assad en Syrie, à maintenir une large représentation clandestine en Irak et à établir de solides relations avec les Houtis du Yémen.

Le Hezbollah trouve chez son allié iranien un soutien indéfectible. Ainsi, le Parti de Dieu consulte régulièrement le guide suprême iranien, Ayatollah Ali Khamenei pour avoir des conseils idéologiques et stratégiques. D’un point de vue militaire, les officiers iraniens et notamment les Gardiens de la Révolution soutiennent le Hezbollah et prennent part à des opérations militaires conjointes avec le Parti de Dieu, notamment en Syrie.

Au-delà des orientations stratégiques, le Hezbollah a reçu de l’Iran des missiles sol-air qu’il pourrait utiliser en cas de conflit au Sud-Liban. L’assistance financière de l’Iran varie selon les circonstances et les objectifs entre 60 millions et 200 millions de dollars par an. Le Hezbollah utilise ces fonds pour payer ses combattants et pour développer un système de sécurité sociale de grande qualité au Liban. Des milliers de combattants chiites libanais s’entrainent régulièrement en Iran. En termes de renseignements, les réseaux du Hezbollah et ceux de l’Iran sont imbriqués et des opérations sont menées conjointement par des officiers libanais et iraniens (12).

Dans la suite de cet article, nous détaillerons le cheminement du Parti de Dieu depuis le retrait israélien en 2000 et sa politique nationale et régionale qui lui a valu récemment d’être classé dans la catégorie des mouvements terroristes par la Ligue arabe et par le Conseil de Coopération du Golfe.

Lire la partie 2 : Stratégie régionale et internationale du Hezbollah

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 Le Hezbollah, de la défense du territoire libanais à la défense de ses intérêts régionaux
 Le Hezbollah dans ses relations avec l’Iran et la Syrie
 Entretien avec Aurélie Daher – Le point sur le Hezbollah
 Décès de l’idéologue du Hezbollah, Mohammed Hussein Fadlallah
 14 février 2005 – 14 février 2015 : de l’assassinat de Rafic Hariri à la division politique de la société libanaise
 Entre loi et politique : gagner la bataille des perceptions. Le Hezbollah accuse le tribunal spécial pour le Liban

Notes :
(1) Charara et Domont, Le Hezbollah un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2004.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Lina Khatib, « Hezbollah’s Ascent and Descent », Carnegie Middle East Center http://carnegie-mec.org/2015/06/05/hezbollah-s-ascent-and-descent/i9ko le 5 juin 2015.
(5) Nicholas Blandford, Killing Mr Lebanon : The Assassination of Rafik Hariri and its impact on the Middle East, London, IB Tauris, 2009.
(6) Lina Khatib, Dina Matar, and Atef Alshaer, The Hizbollah Phenomenom : Politics and Communication, London, Hurst, 2014.
(7) Mario Abou Zeid « Hezbollah’s Last-Ditch Battle », Carnegie Endowment for International Peace, http://carnegie-mec.org/publications/?fa=55170 2 avril 2014.
(8) Joyce Karam « Hezbollah transforming to a juggernaut in Syria », Al-Arabiya English, http://english.alarabiya.net/en/views/news/middle-east/2016/04/12/Hezbollah-transforming-to-a-juggernaut-in-Syria.html le 12 avril 2016.
(9) Daniel Byman « Hezbollah’s growing threat against US national security intererests in the Middle East », Brookings http://www.brookings.edu/research/testimony/2016/03/22-hezbollah-growing-threat-byman le 22 mars 2016.
(10) cf. Daniel Byman « Hezbollah’s growing threat against US national security intererests in the Middle East ».
(11) « What Hezbollah stands to gain from Iran’s nuclear deal » Al-Monitor http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/02/iran-nuclear-deal-hezbollah-support.html le 16 février 2016.
(12) Matthew Levitt, Hezbollah : The Global Footprint of Iran’s Party of God, Washington DC, Georgetown University Press, 2015.

Publié le 13/07/2016


Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).


 


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