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‘Abdel Karim Nasrallah, père de l’actuel Secrétaire général du Hezbollah, et le poète syrien Adonis en étaient membres. Quel est ce Parti énigmatique ? Le PSNS (1) est un mouvement politique, intellectuel et militaire, fondé en 1932 par le Libanais Antoun Sa’adeh (1904-1949) et actif aujourd’hui en Syrie, au Liban et dans une moindre mesure, en Palestine et Jordanie.
A la fois autoritariste fascisant et palestino-progressiste, anticommuniste et allié au PCL, pansyrien et s’accommodant aux réalités nationales syro-libanaises, subversif et légaliste, il accumule – sans doute à dessein – les ambiguïtés. Incarné par le Za’im, Antoun Sa’adeh, il est une plate-forme intellectuelle reflétant les débats sur l’identité et la nation dans le monde arabe. Politiquement, il est présent au niveau gouvernemental, parlementaire et municipal. Enfin, militairement, son aile combattante a participé à la guerre civile libanaise et a mobilisé en 2016 environ 8 000 miliciens aux côtés des forces pro-gouvernementales syriennes. Dans cet article, nous nous concentrons sur la question suivante : comment le PSNS a-t-il évolué depuis sa fondation et comment expliquer sa réception aujourd’hui ?
Suite aux accords Sykes-Picot et au partage des provinces arabes de l’Empire ottoman, les autorités françaises installent un mandat sur le Levant arabe en 1920. Le Parti social nationaliste syrien est fondé clandestinement à l’Université américaine de Beyrouth en réaction aux volontés françaises de démanteler la Syrie historique en plusieurs Etats : le Grand Liban, l’Etat des Alaouites, le Djebel druze, l’Etat de Damas, l’Etat d’Alep et le Sandjak d’Alexandrette. Dans ce contexte en pleine ébullition, les populations s’interrogent sur leur identité politique et divers projets nationalistes se font alors concurrence. Mis sur pied en 1932 par Antoun Sa’adeh, intellectuel libanais de confession grecque orthodoxe, le PSNS se veut une alternative entre les partisans d’un Liban indépendant et le nationalisme arabe. Selon le chercheur Labib Yamak, le PSNS serait un des groupes les moins représentatifs du Liban traditionnel (2). Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques, résume l’idéologie du PSNS à deux points cardinaux : le nationalisme et le refus viscéral de l’internationalisme, contre lequel le premier terme serait une réponse (3).
Le nationalisme du PSNS est révolutionnaire pour son époque. Reprenant les idéaux des nationalistes arabes syriens, le PSNS milite contre la présence française au Levant et pour la formation d’une « Grande Syrie », espace qui comprendrait la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine, l’Irak, le Koweït, le Sinaï, le Chatt al-Arab, la Cilicie et Chypre. Sa’adeh met en avant un nationalisme régionaliste qui n’exalte pas l’arabité. L’intellectuel considère que la nation syrienne est l’aboutissement historique de différentes civilisations et que par conséquent, son avènement en tant que communauté nationale ne pourrait en aucun cas être réduit aux conquêtes arabes du VIIème et VIIIème siècle qui ont suivi l’apparition de l’Islam (4). Il avance que la nation syrienne se fonde sur la géographie physique et la dimension spirituelle que la population lui attribue (5). Sa vision géographique déterministe du nationalisme est présentée dans son ouvrage La Genèse des nations (1937) : « La nation résulte non de l’origine ethnique commune, mais du processus unificateur du milieu social et physique ambiant. L’identité des Arabes ne provient pas du fait qu’ils descendraient d’un ancêtre commun, mais qu’ils ont été façonnés par le milieu géographique : le désert de l’Arabie, l’Assyrie pour la Syrie, le Maghreb […] » (6). Le nationalisme du PSNS se différencie ainsi tant du nationalisme hachémite qui met l’accent sur la descendance et l’origine ethnique de la Péninsule arabique, que du nationalisme arabe qui valorise le patrimoine historique, culturel et linguistique arabe. Ni islamiste ni arabiste, le caractère laïc et non-sectaire du Parti attire de nombreux sympathisants issus des communautés minoritaires grecque-orthodoxe, druze et chiite (7). Le PSNS entend revitaliser l’identité syrienne et son exceptionnalisme, en glorifiant sa civilisation plurimillénaire tant d’un point de vue ethnique que confessionnel. Cette revitalisation est impérative pour les nationalistes syriens face à une série d’événements – accords Sykes-Picot (1916), Déclaration Balfour (1917), Conférence de San Remo (1920), annexion d’Alexandrette à la Turquie (1939), création d’Israël (1948) – qu’ils perçoivent comme une menace. En ce sens, Antoun Sa’adeh peut être considéré comme « l’architecte du nationalisme syrien par excellence » (8).
Dans une lettre adressée le 10 novembre 1939 au journal Suriya al-Jadida, Sa’adeh souligne la particularité de la politique du PSNS en tant que syrienne nationale, excluant tout caractère fasciste, nazi, démocratique, communiste ou bolchévique (9). Pour de nombreux auteurs cependant, le PSNS tire son inspiration du modèle nazi. Cette comparaison est cependant délicate. Tout d’abord, le symbole du Parti (tornade, al-zawba’a) ne tirerait pas son inspiration de la croix gammée ni même de la combinaison de la croix et du croissant islamique mais d’un swastika sumérien datant du VIème millénaire avant J-C (10). De plus, le grand auteur du nationalisme syrien Adel Beshara souligne « [qu’] à l’époque où la thèse d’une « seule origine raciale » reprenait de l’élan avec la montée du nazisme en Allemagne, Sa’adeh, a contrario, (…) soulignait que la Syrie, comme toute nation, était une société multiraciale. Par conséquent, associer Sa’adeh au national-socialisme est une erreur » (11).
La nature du nationalisme et l’identité nationale syrienne telle qu’elles sont présentées par Antoun Sa’adeh, expliquent son refus de l’internationalisme. L’internationalisme se référant pour Sa’adeh à « [ce] qui est non seulement incarné par le marxisme et le capitalisme, mais encore, et cela constitue une analyse assez novatrice au Proche-Orient, par les religions qui divisent à l’intérieur et préconisent le dépassement des cadres nationaux naturels (panislamisme) » (12). Sacralisation du territoire dans son histoire longue et lutte contre toute forme de séparatisme (confessionnalisme, tribalisme, clanisme), laïcité, recherche d’une « troisième voie » sur le plan social et économique, le PSNS s’impose comme un fer de lance original de la contestation de l’ordre établi.
L’intense activité politique de Sa’adeh lui vaut l’emprisonnement au Liban (en 1935, 1936 et 1937) et l’exil en Amérique latine (1938) où il sera à nouveau incarcéré à São Paulo l’année suivante au motif de sympathies supposées pour les puissances de l’Axe. La prétendue affinité du PSNS pour le IIIème Reich et l’Italie fasciste, ainsi que ses visions anti-françaises valent au parti d’être interdit à plusieurs reprises. Dès lors, selon Labib Yamak, il faut interpréter l’orientation officiellement fasciste-nazie du Parti avec prudence puisqu’il ne bénéficie d’aucune amitié de la part de Vichy, bien au contraire (13). Après la campagne de Syrie en 1941, l’administration mise en place par le général de Gaulle s’inquiète à son tour de l’action du parti. Entre 1943 et 1945, le PSNS joue un rôle majeur dans les protestations populaires et des milices menacent constamment les troupes françaises. La fin du mandat français ne satisfait pas pour autant les membres du Parti. En effet, la proclamation de l’indépendance du Liban semble enterrer son espoir de création d’une Grande Syrie. De retour d’exil en 1947, Antoun Sa’adeh va tout faire pour mener l’unification de ces deux Etats. Le PSNS participe activement dans la vie électorale libanaise et parvient à faire élire plusieurs membres au Parlement lors des élections de mai 1947. En 1948, le Parti est même suffisamment puissant pour envoyer des hommes se battre contre les groupes armés sionistes dans les villages palestiniens (14). Suite à une tentative de coup d’Etat contre le gouvernement de Riad Es-Solh en juin 1949 – célébré par le PSNS comme la « première révolution » –, Sa’adeh s’exile en Syrie. Alors qu’il espère recevoir le soutien du président syrien Husni El-Zaim, ce dernier le livre aux services de sécurité libanais. Sa’adeh est arrêté en juillet 1949 et sommairement exécuté. Le PSNS est déclaré hors-la-loi et devient clandestin. En représailles, le Parti prend part au coup d’Etat de Damas qui dépose Zaim alors qu’au Liban, Riad Es-Solh est assassiné deux ans plus tard. La période post-Sa’adeh est caractérisée par des luttes intestines, conflits idéologiques et scissions au sein du Parti (15). Légalisé au Liban en 1953, le PSNS participe aux élections. Il s’oppose avec violence au Parti phalangiste du clan Gemayel qui tente de s’implanter dans ses fiefs du district du Metn. A l’exception de la guerre de 1958 contre les courants pro-nassériens, le PSNS s’est toujours opposé aux Phalangistes, parce qu’il les considère comme une création de l’Etat français s’appuyant sur le confessionnalisme (maronite) et le nationalisme libanais (16). Dans les années qui suivent, le PSNS tente de noyauter l’armée libanaise en vue de prendre le pouvoir par un coup de force. La nuit du 31 décembre 1961, le Parti tente un coup d’Etat (« la seconde révolution ») contre le gouvernement de Fouad Chehab mais échoue. 3 500 membres du Parti sont arrêtés, 50 sont tués lors d’affrontements armés. Le parti est à nouveau interdit et ses militants incarcérés, jusqu’à l’amnistie de 1969.
Avec la montée du ba’athisme et du nassérisme, le PSNS est obligé de reconsidérer le nationalisme syrien. Lors du congrès de l’hôtel Melkart (1969), le Parti révise son anticommunisme originel et envisage le nationalisme arabe comme un objectif ultime dans le long terme : « Nous croyons au monde arabe, nous considérons que notre nation est arabe et que son arabisme n’est point contestable. La réalisation et l’unité complète des quatre cercles de la nation arabe est un objectif suprême » (17).
Officiellement interdit en Syrie depuis 1955, le PSNS parvient toutefois à se faire progressivement accepter par l’Etat. L’orientation stratégique vers le régionalisme entamé par le Ba’ath après l’échec de la République arabe unie (1961) et la prise du pouvoir de Hafez Al-Assad (1970) marquent une convergence d’intérêts entre le Ba’ath et le PSNS (18). Ce rapprochement tactique s’illustre dans la guerre du Liban, non sans créer des divergences intra-Parti. Le PSNS éclate alors en deux tendances qui parviendront néanmoins à se réunifier en 1978 (19). En 1982, Habib Tanious Chartouni assassine Bashir Gemayel, pour se venger de la répression contre le Parti mais aussi pour punir le Président d’avoir des liens étroits avec Israël. Le PSNS intègre le Front de la Résistance nationale libanaise (FRNL) et multiplie les actions spectaculaires contre Israël au Liban, organisant de nombreux attentats à la voiture piégée, ainsi que des attentats-suicides. Au Sud-Liban, le PSNS affronte dans un premier temps le Hezbollah et Amal. Le Hezbollah veut, à cette époque, être la seule organisation à résister contre Israël dans la zone à majorité chiite du Liban. Hafez Al-Assad impose aux différentes factions de laisser le Hezbollah seul résistant, ayant le soutien de l’Iran et étant mieux armé et organisé. Dans ce contexte, la branche armée du PSNS incorpore les Brigades de la résistance libanaise (Saraya al-muqawama al-lubnaniya) en tant qu’élément supplétif de la Résistance islamique au Liban, l’aile militaire du Hezbollah. Depuis la fin de la guerre en 1990, le PSNS subit un « processus de libanisation » par l’envoi de plusieurs députés au Parlement et intègre même le gouvernement (20).
En Syrie, le Parti est légalisé en 2005 au sein du Front national progressif et présidé depuis 2008 par Asa’ad Hardan. L’éclatement de la crise syrienne voit l’émergence d’une nouvelle scission. Alors que le PSNS central soutient le gouvernement Assad, le « PSNS Intifada » conduit par ‘Ali Haidar rejoint l’opposition politique officielle, au sein du Front populaire pour le Changement et la Libération. L’année suivante, Haidar est nommé par Bachar Al-Assad à la tête du Ministère de la Réconciliation nationale. A mesure que le conflit s’enlise, les deux tendances font bloc avec le régime, convaincus d’une unité de destin pour la sauvegarde de la souveraineté du pays face à la menace de l’islamisme radical. Disposant de sa propre branche militaire (les Aigles de la Tornade, Nusur al-Zawba’), le PSNS participe aux combats contre les djihadistes et l’armée syrienne libre et gagne en popularité, notamment en défendant les minorités confessionnelles (21). Alors que l’Etat syrien ne détient plus le monopole de la force, et externalise sa sécurité à différentes milices, la question aujourd’hui en suspens est de savoir si, à l’avenir, le PSNS sera ou non en mesure d’imposer ses conditions au Parti Ba’ath.
Incontestablement, dans la constellation des projets et idéologies politiques du Proche-Orient, le PSNS est un parti singulier. Culte de la personnalité et de l’homme nouveau, héraldique suspecte, irrédentisme, organisation et discipline militaire, ses détracteurs lui reprochent son aspiration totalitaire et n’hésitent pas à l’identifier à une forme orientale du fascisme-nazisme. Ses admirateurs au contraire, vantent son esprit visionnaire et tolérant, solution au séparatisme impérialiste et confessionnel. Véritable « parti idéologique », ses appels au dépassement des frontières doivent faire face à plusieurs obstacles. Après la mort de son leader (1949) et l’échec des « deux révolutions » (1949, 1961), le PSNS ne parvient pas à échapper à la logique des Etats-Nations. Sur le plan militaire, il s’adosse aux agendas de l’Axe de la Résistance (intégré à la Résistance islamique au Liban, simple composante des forces gouvernementales en Syrie). Sur le plan politique, son adhésion au système étatique est évidente. Si le PSNS puise dans le passé pour retrouver une Syrie mythifiée, bâtir la Grande Syrie du futur s’avéra plus difficile.
Notes :
(1) Al-Hizb as-Suri al-Qawmi al-Ijtimâ’i (الحزب السوري القومي الاجتماعي), est traduit indifféremment en français par « Parti nationaliste social syrien », « Parti national social syrien » voire « Parti populaire syrien ». A noter que cette dernière appellation est une erreur de traduction faite par un membre du Deuxième Bureau de l’Etat-major français, en référence au Parti populaire français de Jacques Doriot.
(2) Yamak, 1966b, p.131, cité par MERMIER Franck, MERVIN Sabrina, Leaders et partisans au Liban, Paris : Karthala, 2012, p.190.
(3) SAINT-PROT Charles, Le nationalisme arabe, alternative à l’intégrisme, Paris : Ellipses, 1995, p. 43.
(4) BESHARA Adel. Antun Sa’adeh, Architect of Syrian nationalism. In : BESHARA Adel (dir.). The Origins of Syrian Nationhood, Histories, pioneers and identity. New York : Routledge, 2011, pp. 347-348.
(5) Ibid.
(6) SAINT-PROT Charles, op.cit., p. 41.
(7) MERMIER Franck, MERVIN Sabrina, op. cit., p. 191.
(8) Yamak, 1969, p. 67, cité par BESHARA Adel, op. cit., p. 341
(9) MERMIER Franck, MERVIN Sabrina, op. cit., p. 197.
(10) MCDONALD J. Jesse. « The SSNP’s Military : the Eagles of the Whirlwind & Their Emblem » in Syria Comment, LANDIS Joshua, 5 juin 2017. Disponible sur : https://www.joshualandis.com/blog/24853-2/
(11) Traduction de l’anglais BESHARA Adel, op. cit., p. 348.
(12) SAINT-PROT Charles, op.cit., p. 43.
(13) MERMIER Franck, MERVIN Sabrina, op. cit., p. 198.
(14) DOT-POUILLARD Nicolas. Sur les frontières : le Parti syrien national social entre idéologie unitaire et Etats-Nations in LUIZARD Pierre-Jean et BOZZO Anne-Marie, Vers un nouveau Moyen-Orient ? Etats arabes en crise entre logiques de division et sociétés civiles, Roma Tre-Press, pp. 209-227, 2016, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01347629/document
(15) MERMIER Franck, MERVIN Sabrina, op. cit., p. 200.
(16) Propos de l’ancien militant ‘Abdallah Qubrusi voir History of SSNP (Syrian Social Nationalist Party) [enregistrement vidéo]
(17) SAINT-PROT Charles, op. cit., p. 45.
(18) MCDONALD J. Jesse. « Syrian Social Nationalist Party (SSNP) and the War in Syria » in Syria Comment, LANDIS Joshua, 11 mai 2016. Disponible sur : http://www.joshualandis.com/blog/syrian-social-nationalist-party-ssnp-war-syria/
(19) Le « courant du centre » (Jinah al-markaz) dirigé par Abdallah Sa’adeh et In’am Ra’ad, intègre le Mouvement National libanais aux côtés des formations de gauche pro-palestiniennes. Le « courant dissident » (Jinah al-khawarij) dirigé par Youssef al-Achqar et Asa’ad Hardan, appuie Damas.
(20) Asa’ad Hardan et Hasan ‘Izz al-Din occupent respectivement les postes de ministre du Travail (1995-1998, 2003-2004) et ministre du Développement administratif (2000-2001).
(21) MCDONALD J. Jesse, op. cit.
Léo Ruffieux
Léo Ruffieux est étudiant en Relations internationales au Global Studies International à l’Université de Genève, où il poursuit actuellement un Master Moyen-Orient. Il s’intéresse particulièrement à l’histoire et la géopolitique dans la région du Levant/Syrie historique, et en particulier au Hezbollah, au conflit israélo-palestinien et syrien.
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