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En raison du syncrétisme religieux particulièrement riche inhérent au yârsânisme, les membres de cette communauté religieuse sont régulièrement l’objet de discriminations et d’actes à leur encontre, notamment de la part des groupes islamistes radicaux ou de gouvernements autoritaires, tout particulièrement depuis la seconde moitié du XXème siècle.
A l’époque ottomane et jusqu’à la période monarchique, les Kaka’i ont occupé des postes influents en Irak et ont pu devenir de riches propriétaires terriens dans la province de Kirkouk [1]. Dans le contexte du conflit du régime baasiste avec les Kurdes, notamment les insurrections initiées par Mustafa Barzani, certains Kaka’i soutiendront la cause kurde tandis que d’autres resteront neutres - les soutiens au gouvernement resteront, eux, bien plus rares. De fait, en raison des politiques d’arabisation du régime, de nombreux Kaka’i ont été contraints de quitter leurs terres et se sont déplacés vers Sulaymaniyah, Erbil ou le sud de l’Irak ; à l’instar des Feylis, des centaines de Kaka’i vivant à Kirkouk seront par ailleurs déchus de leur nationalité et exilés de force en Iran [2]. Le gouvernement a également détruit des villages Kaka’i le long de la frontière iranienne afin de créer des zone de sécurité permettant de renforcer le contrôle frontalier vis-à-vis de l’Iran ennemi.
Dans le cadre du conflit contre l’Etat islamique en Syrie et en Irak, et notamment lors de la montée en puissance de l’organisation en 2014, l’identité religieuse des Kaka’i sera, comme d’autres minorités, une cible de ce groupe. Ainsi, la plupart des Kaka’i vivant dans les villages à l’est de Mossoul fuiront à Erbil lors de l’avancée de l’Etat islamique dans le nord de l’Irak : l’EI publiera en effet des déclarations menaçant de mort les Kaka’i s’ils ne se convertissaient pas à l’islam. Plusieurs villages Kaka’i seront capturés par l’Etat islamique durant son avancée foudroyante de l’été 2014 ; il y détruira notamment plusieurs sanctuaires Kaka’i [3], essentiellement dans le district d’al-Hamdaniya, dans la plaine de Ninive. En réponse, les Kaka’i formeront leurs propres forces d’autodéfense, dont les effectifs atteindront entre 600 et 700 combattants en 2015, avant qu’ils ne soient incorporés aux Peshmergas du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) sous le nom de « Bataillon Kaka’i » [4]. Tout au long du conflit, l’Etat islamique continuera de cibler les Kaka’i, à l’instar de l’attentat à la voiture piégée de septembre 2016 dans un village Kaka’i près de Tuz Khurmatu, durant lequel six personnes perdront la vie [5].
En-dehors des persécutions exercées par des groupes terroristes islamistes, les Kaka’i souffrent des divisions au sein de leur communauté, comme évoqué précédemment, notamment sur la question de leur appartenance, ou non, à l’islam. Ces divisions, les discriminations dont ils sont l’objet et la petite taille de leur communauté les ont empêché, jusqu’à maintenant, d’exister réellement dans la sphère politique et de porter leurs droits et revendications. Ainsi, la Constitution irakienne de 2005 ne mentionne pas la religion Kaka’i. Or, sans reconnaissance officielle, les Kaka’i ne peuvent faire valoir leurs particularismes et ne peuvent pas, par exemple, établir leur appartenance au yârsânisme sur les cartes d’identité irakiennes [6] ; ils choisissent bien souvent, par défaut, d’affirmer leur appartenance à l’islam. Cette option convient par ailleurs à de nombreux Kaka’i qui voient là un moyen d’échapper à de potentielles discriminations.
Les actes commis par Daech contre les Kaka’i et d’autres minorités ethno-religieuses irakiennes ont néanmoins fait prendre conscience à de nombreuses élites irakiennes de l’importance de prendre en compte ces minorités et de les protéger. Ainsi, en 2015 par exemple, le Ministère des Affaires religieuses du gouvernement régional du Kurdistan reconnaissait la religion yârsâne pour la première fois [7], octroyant par la même occasion un siège réservé aux fidèles du yârsânisme au conseil provincial de Halabja [8].
En Iran, les yârsâns souffrent également de discriminations institutionnalisées [9] : la Constitution iranienne ne reconnaît en effet que quatre religions : l’islam, le christianisme, le judaïsme et le zoroastrisme ; les autres minorités religieuses, à l’instar des Yârsâns, ne peuvent donc faire valoir leurs particularismes et revendications. Depuis janvier 2020 par ailleurs, une réforme de la carte d’identité a ôté la possibilité de choisir l’option « Autre religion », disponible auparavant pour les minorités religieuses ; celles-ci se voient donc contraintes de mentir et sélectionner une religion par défaut. Loin d’être une simple omission administrative, la suppression de l’option « autre religion » est le fruit d’une volonté politique réelle, née de la volonté d’un Parlementaire conservateur, Javad Abthi (élu dans la province d’Ispahan), de supprimer cette option qu’il considérait comme « légitimant l’existence de sectes déviantes » [10].
Les forces de sécurité iraniennes conduisent régulièrement, de fait, des arrestations et raids à l’encontre de la communauté yârsâne en Iran [11] ; après les élections parlementaires iraniennes du 26 février 2016 par exemple, une centaine d’activistes yârsâns était arrêtée sur ordre d’un Parlementaire conservateur [12]. En décembre 2017 encore, un activiste yârsâne proéminent, Seyyed Peyman Pedrood, était enlevé à son domicile à Karaj et n’a jamais été libéré [13].
Ainsi, face à ces situations, une association yârsâne publiait le 17 juin 2016 une pétition à l’intention d’Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution de la République islamique d’Iran, énumérant dix points vécus comme une violation des Droits de l’Homme par la communauté yârsane iranienne : « la principale violation est […] le manque d’une reconnaissance officielle de notre religion dans la Constitution. C’est pour ça que nos droits sont bafoués ; d’un côté, les responsables politiques considèrent notre foi comme une branche de l’islam ou du chiisme, et en même temps nous n’avons pas les mêmes droits que les musulmans ou les chiites. Nous ne pouvons pas avoir de travail sans nier notre identité. Nous n’avons pas de représentant au Parlement, ni n’avons de hauts responsables politiques qui soient membres de notre communauté. Nous ne pouvons même pas devenir proviseur d’une école sans renier qui nous sommes ! », déplorait ainsi Siavash Hayati, un porte-parole de la communauté yârsâne en Iran [14]. Cette lettre n’a pas obtenu de réponse du Guide suprême.
Bibliographie :
– Hosseini, Seyedehbehnaz. "Kakai internal displacement in Kirkuk and the fear of violence from the so-called Islamic State in Iraq (ISIS)." In Beyond ISIS : History and Future of Religious Minorities in Iraq, pp. 189-196. Transnational Press London, 2019.
– Hosseini, Seyedehbehnaz. "The Kaka ‘i : A religious minority in Iraq." Contemporary Review of the Middle East 5, no. 2 (2018) : 156-169.
Sitographie :
– The secretive Kaka’i of Iraq are finally speaking out, BBC News, 17/05/2019
https://www.bbc.com/news/av/world-middle-east-48301954
– Iraq Population, WorldOMeter
https://www.worldometers.info/world-population/iraq-population/
– ISIS threatens to attack Kaka’i religious minority in Iraq – Sozbin Celeng, Kurdish Institute Belgium, 20/03/2021
https://www.kurdishinstitute.be/en/isis-threatens-to-attack-kakai-religious-minority-in-iraq-sozbin-celeng/
– In pictures : Inside Iran’s secretive Yarsan faith, BBC News, 13/11/2019
https://www.bbc.com/news/world-middle-east-50378946
– Kurdistan iranien LES MAQAM RITUELS DES YARSAN Ali Akbar Moradi, chant et tanbur, Nathalie Ducharme, 01/03/2016
http://docplayer.fr/27232851-Kurdistan-iranien-les-maqam-rituels-des-yarsan-ali-akbar-moradi-chant-et-tanbur.html
– Ostad Elahi, Ostad Elahi, date inconnue
https://ostadelahi.com/life/biography/the-early-years/
– Gunmen detonate Kaka’i shrine used to light Newroz flame, south of Kirkuk, Kurdistan24, 22/03/2018
https://www.kurdistan24.net/en/story/15185-Gunmen-detonate-Kaka%E2%80%99i-shrine-used-to-light-Newroz-flame,-south-of-Kirkuk-
– Exclusive : Kakai Minority Risks Eradication in Iraq, Faith Keepers, 28/08/2016
https://faithkeepers.clarionproject.org/exclusive-kakai-minority-risks-eradication-iraq/
– Hawar, a thousand-year old mountainous home of tolerant Kaka’is, KirkukNow, 02/02/2021
https://kirkuknow.com/en/news/64771
– كتائب بابليون : القوات الامنية حررت الفتاة المسيحية المختطفة شرقي بغداد, Alsumaria TV, 14/05/2015
https://www.alsumaria.tv/news/134012/
– Kurdish Kakai flee state ‘discrimination’ in Iran, Rudaw, 09/09/2015
https://www.rudaw.net/english/kurdistan/09092015
– New Discrimination Against Minorities, The Iran Primer, 12/02/2020
https://iranprimer.usip.org/blog/2020/feb/12/new-discrimination-against-minorities
– Religious Minority in Iran Asks Khamenei for Constitutional Protection, Center for Human Rights in Iran, 17/06/2016
https://www.iranhumanrights.org/2016/06/yarsan/
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
Notes
[1] Hosseini, Seyedehbehnaz. "The Kaka ‘i : A religious minority in Iraq." Contemporary Review of the Middle East 5, no. 2 (2018) : 156-169.
[2] Hosseini, Seyedehbehnaz. "Kakai internal displacement in Kirkuk and the fear of violence from the so-called Islamic State in Iraq (ISIS)." In Beyond ISIS : History and Future of Religious Minorities in Iraq, pp. 189-196. Transnational Press London, 2019.
[3] https://www.kurdistan24.net/en/story/15185-Gunmen-detonate-Kaka%E2%80%99i-shrine-used-to-light-Newroz-flame,-south-of-Kirkuk-
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