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Le modèle turc, bien qu’issu d’une histoire spécifique, peut-être restreint à la politique actuelle de l’AKP (1), parti au pouvoir en Turquie depuis 2002. Se définissant comme un parti « démocrate conservateur » ou « démocrate musulman » favorable à l’économie de marché, l’AKP s’est imposé en opposition - et paradoxalement dans son sillage - à la politique laïciste, jacobine, positiviste et modernisatrice de Mustapha Kemal Atatürk, le « Père des Turcs » ; fondateur de la République de Turquie.
Président de la République de Turquie depuis le 28 août 2014, Recep Tayyip Erdoğan a récemment été accusé par les trois grands partis d’opposition - le CHP (2), le HDP (3) et le MHP (4) - d’instituer « une dictature constitutionnelle (5) » en affichant désormais clairement son souhait de « réislamiser (6) » la Turquie.
Comment analyser le discours politique de l’AKP turc, ses succès électoraux et comprendre l’orientation autocratique (7) de Recep Tayyip Erdoğan ?
La République de Turquie, née en 1923, va créer une identité nationale reposant sur la citoyenneté républicaine, sur une appartenance musulmane unifiée par l’État et sur une définition ethnico-nationale arrêtée autour d’une notion de turcité idéologique. En effet, pour Atatürk, l’intérêt de la nation turque prime sur toute autre considération. Les individus sont amenés à changer de mentalité pour devenir Turc.
Dans ce but, la « sortie de la religion (8) » est clairement affichée. En 1928, toute référence à l’islam est abolie par la Constitution et, en 1937, le principe de laïcité (Laiklik) y est porté. S’en suit l’abolition du califat, l’interdiction des confréries religieuses, la fin du système d’enseignement islamique. Le port de vêtements religieux est interdit en dehors des lieux de cultes, y compris dans les écoles (privées et publiques) ainsi qu’à l’université. Le code civil remplace la loi coranique et le calendrier grégorien remplace le calendrier lunaire musulman.
La République de Turquie, laïque, jacobine et centralisée, n’est toutefois pas un État neutre face à la religion. Un contrôle étroit de l’État sur l’islam est institutionnalisé à travers la Direction des affaires religieuses (Diyanet) aux fins d’empêcher toute intervention de l’islam dans le champ politique. Est organisé un islam national sunnite de rite hanéfite : un islam officiel est mis en place. Ainsi, la faculté de théologie, fondée en 1924, est le lieu de production de la nouvelle théologie républicaine et il n’est pas d’intermédiaires possibles ; les confréries (Soufies) sont interdites en 1925. Les écoles d’imams-prédicateurs remplacent aussi les medrese (écoles autonomes), ce qui signifie que l’État paye les salaires des imams devenus fonctionnaires de l’État. L’État contrôlant donc ces derniers en les formant.
La Turquie Kémaliste était véritablement dans cette optique de modernisation (9) en limitant la participation politique ainsi que l’autonomie de la société civile ; ce fut un parfait exemple de « révolution par le haut (10) ».
Jusqu’en 2002, l’État et ses élites kémalistes maintiennent - notamment par quatre coups d’Etat (1960, 1971, 1980, 1997) - leur tutelle sur toutes les sphères de la société (politique, économique, culturelle et religieuse).
Le mouvement « islamiste » turc apparaît véritablement dans les années 70 sous la houlette de Necmettin Erbakan. Après avoir commencé la politique en 1969 au parti de la juste voie, puis au parti de l’ordre national (interdit en 1971), Erbakan fonde le parti du bien-être national en 1973. Ce parti obtient 11,8% des voix lors des législatives de 1973 et participe alors à trois coalitions gouvernementales successives, de 1974 à 1977. A la suite du putsch de septembre 1980, l’armée prend à nouveau le pouvoir et interdit tous les partis politiques ; Erbakan est emprisonné avec d’autres dirigeants du parti pour avoir agi contre le pouvoir laïque. En 1987, Erbakan prend la tête du parti de la prospérité (ou Refah), créé en 1983 (11).
L’audience du Refah s’accroit de manière constante et, lors des élections municipales de mars 1994, le Refah prend contrôle de six villes importantes de Turquie (Ankara, Diyarbakir, Erzurum, Istanbul, Kayseri et Konya), de 28 provinces, et d’environ 400 petites villes et districts. A l’occasion des élections législatives du 24 décembre 1995, le parti remporte 158 sièges sur 550 et devient le plus important du pays. Il forme une coalition gouvernementale avec le Parti de la Juste Voie (de centre-droit) de Tansu Çiller, et Erbakan devient Premier ministre. Mais rapidement, les conflits s’enchaînent avec l’armée et les élites kémalistes. L’armée intervient et Erbakan est forcé à la démission.
Le Conseil de Sécurité national (MGK) (12), suite à cet épisode, a déclaré que « le sécularisme en Turquie n’est pas seulement une assurance quant au régime politique mais également une manière de vivre (13) ».
En effet, Erbakan aurait agi contre la laïcité en autorisant notamment la liberté de porter le voile pour les femmes à l’université. La Cour Constitutionnelle a alors dissous le Refah et banni Erbakan de la vie politique pendant cinq ans. Environ 900 officiers militaires et plusieurs bureaucrates furent par ailleurs expulsés de leur poste du fait de leur style de vie trop islamique.
Suite à cet épisode de l’histoire turque dite du « February 28 process », le général Hüseyin kivrikoglu, figure du Kémalisme, a déclaré que le « February 28 process continuera pendant mille ans (14) ».
Dans la foulée fut créé le parti de la vertu (Fazilet Partisi) par Erbakan mais il ne prit que peu d’ampleur en comparaison de l’AKP ; il fut interdit en 2001.
L’émergence de l’AKP se situe donc dans un contexte politique particulier. Face à un Etat agissant tel un « despote éclairé », et un parti Refah « islamiste » en rupture totale avec la modernité Kémaliste, l’AKP s’est approprié les règles démocratiques.
Le 14 août 2011, le Parti de la Justice et du développement est créé. Réformiste, pragmatique, technocratique, pro-européen, l’affrontement brutal est rejeté au profit d’une ligne réformiste d’apaisement. Refusant le qualificatif « islamiste », Recep Tayyip Erdogan définit ce mouvement comme fondé sur une approche « démocrate et conservatrice » lequel regroupe les islamo-féministes qui luttent pour le port du foulard et l’émancipation, des intellectuels voulant concilier moralité islamique et pensée critique, une partie du patronat islamique (le Müsiad) et les membres des confréries religieuses, soutenu en cela par une immense partie de la population - rurale notamment - ne se reconnaissant pas dans les valeurs kémalistes.
Cette nouvelle approche de l’islam allie foi, économie de marché et démocratie. Il peut ainsi être considéré comme un « islamisme » moderne.
Zigzaguant avec l’Etat profond (l’institution kémaliste représentée par les militaires), afin de ne pas être interdit, le mouvement remporte les élections législatives le 3 novembre 2002.
Plébiscité à chaque élection depuis cette date, l’AKP ne cesse d’enchaîner les réformes ; notamment sur la justice et les droits de l’homme. La Grande Assemblée nationale de Turquie (15) a par exemple légiféré sur la réduction de la durée de garde à vue, la levée de l’interdiction des émissions en langue kurde et le rééquilibrage de la représentation civile au sein du conseil de sécurité nationale (MGK). Un nouveau code civil a été adopté, lequel vise à améliorer la liberté d’association et de réunion ainsi que l’égalité des sexes. L’abolition de la peine de mort est à présent acquise et une certaine extension de la liberté de pensée, d’expression et de réunion a pu se développer bien que fortement malmenée depuis le début du procès Ergenekon (16). Un nouveau code pénal et un code de procédure pénal ont aussi été adoptés.
La logique kémaliste a été bloquée par l’arrestation en chaîne de ses membres (procès Ergenekon) et les personnalités de l’AKP s’arrogent le pouvoir du fait notamment de nominations au sein des instances importantes du pays.
Les valeurs religieuses, transcrites au sein de l’espace public, sont de plus en plus acceptées au sein de la population et elles sont légitimées, juridiquement parlant, tant au niveau national qu’international (Union européenne (17), Cour internationale…). Selon un sondage du quotidien Turc Star, 48% des Turcs considèrent la religion comme le meilleur guide moral de la conduite de la société.
L’AKP, c’est l’islam politique à l’heure de la postmodernité ; son action est approuvée par la population. Comme mesure concrète, l’AKP a par exemple fait abolir l’article 163 du code pénal qui interdisait la propagande politique inspirée de la religion.
La forte critique (18) de la laïcité Kémaliste fait ainsi partie du discours de l’AKP et pour reprendre Tancrède Josseran : « l’islamisation en Turquie n’est pas le fait d’un État qui impose la religion mais d’une société qui se libère des chaines d’un État autoritaire et répressif… La laïcité (kémaliste) serait devenue une quasi-religion de l’État, violant la conscience au lieu d’en garantir la liberté (19) ».
Concernant sa politique économique, l’AKP accepte toutes les règles de l’économie de marché tout en essayant d’y apporter une certaine éthique par l’intermédiaire du patronat favorable à l’AKP, le Müsiad (20).
Alors que la politique kémaliste se caractérisait par la mise en œuvre d’une planification centralisée et par le développement d’un secteur public puissant qui constituait le fer de lance de l’industrialisation du pays, l’AKP comprend assez vite son intérêt à se convertir au libéralisme économique. En effet, de façon très politique « les élites islamistes comprennent que le marché est peut-être le bélier qui pourra les libérer de la géhenne d’acier de l’État Kémaliste et de sa triple logique centraliste, bureaucratique et laïc (21) ».
Cette conversion à l’économie de marché est aussi une véritable inflexion idéologique. En effet, au sein de l’AKP se développe une réelle volonté de concilier la rigueur morale de l’islam avec la modernité et l’innovation technologique ; « la conviction religieuse personnelle doit ainsi se traduire dans une pratique entrepreneuriale ou la maximisation du profit n’est limitée que par la rigueur éthique… (22) » analyse Marie-Elisabeth Maigre. Un membre du Müsiad s’est exprimé en ces termes : « vous devez vous rappeler que le prophète Muhammad, que son nom soit béni, était lui-même un homme d’affaires, et un très bon homme d’affaires (23) ». Erol Yarar, ancien Président du Müsiad, a décrit l’objectif de l’acceptation des préceptes capitalistes : « nous devons devenir riches, nous devons travailler encore plus et devenir encore plus riches pour devenir plus forts que les profanes (24) ».
Cette alliance entre tradition, religiosité et modernité semble bien être une troisième voie qui offre de nombreux avantages : celui de ne sacrifier ni la culture, ni les traditions religieuses au profit d’une société purement occidentalisée, décadente, tout en participant pleinement au monde moderne. Pour autant, ce modèle est au bord de l’implosion.
Cependant, aujourd’hui, au sein d’une économie « vacillante », en conflit ouvert avec le parti kurde HDP accusé d’être le prolongement du PKK (mouvement de guérilla armée kurde), avec une liberté d’expression de plus en plus réduite (25), une justice de plus en plus dépendante de l’exécutif (26), soupçonné de mener un jeu ambigu vis-à-vis de Daech, en conflit diplomatique avec ses voisins (27), un discours islamiste et anti-démocratique (28) de plus en plus prégnant et surtout avec un pays scindé entre les partisans et les anti-Erdoğan, le modèle de l’AKP turc ne séduit plus.
Au vu de la situation actuelle en Turquie, comme l’avance l’écrivain Nedim Gürsel pour qui « l’Islam conservateur, celui de l’AKP, n’est pas compatible avec la démocratie (29) », sans doute est-il important de s’interroger plus en amont sur le substrat idéologique de l’AKP.
Notes :
(1) Le Parti de la justice et du développement (en turc : Adalet ve Kalkınma Partisi)
(2) Le Parti républicain du Peuple (en turc Cumhuriyet Halk Partisi)
(3) Le Parti démocratique des peuples (en turc : Halkların Demokratik Partisi)
(4) Le Parti d’action nationaliste (en turc : Milliyetçi Hareket Partisi)
(5) http://www.institutkurde.org/info/depeches/turquie-erdogan-veut-une-dictature-constitutionnelle-accuse-le-chef-du-part-6103.html
Et http://fr.euronews.com/2015/10/06/avant-les-elections-de-novembre-en-turquie-interview-de-kemal-kilicdaroglu-chef/
(6) http://www.breitbart.com/national-security/2016/01/08/turkish-nationalist-party-head-erdogan-has-wahhabi-tendencies/
(7) On peut dire que cette inflexion est apparue avec le début du procès Ergenekon en 2007.
(8) VANER Semih, « passage de la laïcité jacobine à la sécularité laïque en Turquie ? », dans sécularisation et démocratisation dans les sociétés musulmanes, VANER Semih, HERADSVEIT Daniel et KAZANCIGIL Ali (Dir), Hommes et Religions, Dieux, n°15, Bruxelles 2008, page 66.
(9) Les six flèches du kémalisme sont : la laïcité, le républicanisme, le nationalisme, le populisme, l’étatisme et le réformisme.
(10) TRILBERGER Ellen Kay, Revolution from above : military bureaucrats and development in Japan, Turkey, Egypt and Peru, New Brunswick, N.J, transaction books, 1978, page 22.
(11) Parti qu’il contrôlait déjà plus ou moins directement depuis sa création.
(12) Le MGK est depuis 2003 une institution constituée de civils et de militaires qui fait part au Conseil des ministres de ses recommandations sur la politique de sécurité nationale. C’est devenu un organe consultatif. Précédemment, le MGK était un véritable gouvernement de l’ombre composé pour beaucoup de militaires.
(13) MGK « press declaration », 28 février 1997, http://mgk.gov.tr/basinbildiri1997/28subat1997.htm
(14) Fethullah Gülen website, « Ilk kez konustu », 4 Septembre 1999.
(15) Parlement monocaméral.
(16) Le procès Ergenekon a conduit à l’arrestation en chaîne de personnalités kémalistes (notamment dans l’institution militaire). Plus d’informations sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ergenekon
(17) L’AKP en acceptant le respect des critères de Copenhague, conditions d’une adhésion pleine et entière à l’UE (position de l’AKP), a permis de discréditer l’establishment kémaliste en clarifiant ses contradictions avec les principes officiels affichés. De fait, l’Union européenne a renforcé l’AKP en faisant en sorte que les partis en Turquie ne puissent plus être interdits, sauf en cas de violation avérée de la constitution ; la juridiction des différentes cours militaires sur les civils est devenue limitée, la cour des comptes est devenue valide pour vérifier les dépenses de l’armée, l’organe de contrôle de l’armée au sein de l’université est dissout…
(18) En 1999, 42% des turcs jugeaient la religion opprimée en Turquie.
(19) JOSSERAN Tancrède, La nouvelle puissance turque : l’adieu à Mustapha Kemal, Ellipses 2010, p. 69.
(20) En termes schématiques, s’y retrouvent les pro-AKP à la différence du Tüsiad (l’autre patronat Turc), affilié au kémalisme.
(21) JOSSERAN Tancrède, La nouvelle puissance turque : l’adieu à Mustapha Kemal, Ellipses, page 124.
(22) MAIGRE Marie-Elisabeth, « l’émergence d’une éthique musulmane dans le monde des affaires turcs : réflexions autour de l’évolution du MÜSIAD et des communautés religieuses », Religioscope, études et analyses N°7 mai 2005.
(23) GYM Aa, dans le Times.
(24) MAIGRE Marie-Elisabeth cite YARAR Erol, premier président du MÜSIAD, « l’émergence d’une éthique musulmane dans le monde des affaires turcs : réflexions autour de l’évolution du MÜSIAD et des communautés religieuses » Religioscope, études et analyses N°7 mai 2005.
(25) La Turquie pointe à la 149e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).
(26) http://ovipot.hypotheses.org/9823
(27) Y compris avec l’Union européenne concernant la crise des migrants.
(28) L’AKP n’a pour autant jamais perdu d’élections depuis son arrivée au pouvoir en 2002.
(29) http://www.letemps.ch/monde/2015/10/29/islam-conservateur-celui-akp-compatible-democratie.
Clément Guillemot
Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.
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