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Les Arméniens parviennent aujourd’hui à contenir davantage les Azéris car ces derniers se trouvent désormais en territoire de plus en plus escarpé. Les Arméniens maîtrisent les montagnes, dans lesquelles est notamment enclavée Stepanakert (la « capitale » du Haut-Karabakh). Les premières semaines de l’offensive ont été aisées pour les Azéris car ils n’ont eu qu’à balayer les plaines de l’Araxe et de la Koura, à l’est des Monts Mourovdag. La différence d’altitude est significative : l’altitude moyenne observée dans les plaines est d’environ un millier de mètres, mais elle passe à 3 000 mètres dans les montagnes du Haut-Karabagh. Du haut des montagnes, les Arméniens peuvent voir l’ennemi avant que ces derniers ne les voient ; le relief leur offre un choix considérable de lieux d’embuscades, de pièges, mais aussi de caches pour échapper aux drones azéris, qui ont fait en grande partie le succès des opérations militaires de Bakou depuis le début des affrontements.
L’ascension de ce relief complique également fortement l’approvisionnement des forces azéries, en rendant les flux logistiques à la fois plus complexes à mettre en œuvre, plus coûteux, mais aussi plus vulnérables vis-à-vis des forces arméniennes.
Enfin, ces montagnes abritent en leur sein la part la plus notable des zones de peuplement arménien dans le Haut-Karabagh. En raison de la symbolique identitaire que revêtent ces montanes et des craintes - légitimes - de représailles de la part des forces azerbaïdjanaises à l’encontre des civils arméniens, il y a fort à parier que les soldats d’Erevan montrent davantage de fougue et d’ardeur au combat qu’en contrebas, dans les plaines de la Koura et de l’Arax.
Le Président Aliev articule sa stratégie de la manière suivante : bousculer le dispositif défensif arménien et réaliser de substantiels gains territoriaux en profitant de la supériorité technologique très nette de l’armée azérie, en particulier dans le domaine des drones militaires, qu’ils soient de reconnaissance, de combat, et même kamikazes.
Bakou cherche à avancer sur la plus grande superficie possible dans la mesure du faisable mais, surtout, du défendable :
– Le Président Aliev a conscience des limites de son armée et des fortes contraintes qu’imposent les opérations de conquête territoriale. Il ne s’agit pas seulement de reprendre le terrain à l’ennemi arménien, mais surtout de pouvoir le garder ; or, des avancées trop rapides et/ou trop vastes de l’armée azérie étireront ses flux logistiques et grèveront ainsi, concomitamment, ses capacités opérationnelles.
– Les succès indéniables de l’armée azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabagh s’expliquent par le facteur géographique, bien trop souvent délaissé par les analystes : comme indiqué plus haut, les portions territoriales conquises par l’armée azérie se caractérisent par de vastes plaines. Elles sont parcourues de forêts suffisamment éparses et d’un relief suffisamment mineur pour ne pas représenter un facteur sérieux de contre-mobilité. L’armée azérie, appuyée de ses drones, a ainsi pu balayer ces territoires sans difficultés majeures. En revanche, le cœur du Haut-Karabagh se caractérise par un relief très accidenté. Au vu de la facilité de camouflage et de caches qu’offrent les montagnes, les drones ne représenteront plus qu’un gain opérationnel mineur pour les forces azéries, comme le montrent par exemple les opérations militaires turques contre le PKK dans les montagnes du Kurdistan d’Irak. Ce facteur géographique explique ainsi, en grande partie, le ralentissement des gains territoriaux azéris.
– Le Président Aliev craint par ailleurs, certainement à juste titre, qu’une avancée trop profonde de l’armée azérie au sein du territoire arménien ne déclenche une intervention militaire de Moscou, soucieuse de ne pas perdre l’un de ses alliés les plus fiables dans la région (l’Arménie) et de ne pas voir tout un pan de la Transcaucasie sombrer dans l’instabilité.
Le président Erdogan a tout d’abord un intérêt idéologique : sans parler du fameux « néo-ottomanisme » qui est un raccourci intellectuel sans intérêt, il apparaît toutefois évident que le soutien d’Ankara à Bakou trouve sa motivation avant tout dans la proximité culturelle, les Azéris étant considérés comme des « frères » turciques. Partout en Turquie fleurit ainsi, en ce moment, une campagne de communication de la présidence turque où l’on aperçoit deux mains nouées (l’une aux couleurs turques, l’autre aux couleurs azerbaïdjanaises), et où apparaît en lettre capitale le slogan : « deux pays, une nation ». En plus de la proximité « ethnique » entre Turcs et Azéris, le fait que ces derniers se battent contre l’éternel ennemi de la Turquie - les Arméniens - encourage clairement le soutien d’Ankara à Bakou. Enfin, il s’agit d’une démonstration de puissance évidente de la part de la Turquie, qui souhaite autant s’imposer comme un acteur militaire incontournable capable de projeter des forces à la fois en Irak, en Syrie, en Libye, et dans le Haut-Karabagh, que comme une force diplomatique capable de s’imposer là où l’Union européenne, les Etats-Unis ou la Russie ont échoué.
Les intérêts d’Ankara sont aussi éminemment économiques : en août 2020, l’Azerbaïdjan devenait le premier fournisseur de gaz à la Turquie, consacrant le succès de la volonté turque de réduire sa dépendance au gaz russe, les relations avec Moscou s’avérant particulièrement instables depuis environ une dizaine d’années. L’Azerbaïdjan est en effet l’un des pétro-Etats les moins connus du monde mais recèle, pourtant, de substantiels gisements d’hydrocarbures en son sein, notamment dans ses eaux territoriales en mer Caspienne. En juin 2018, le « Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline », (TANAP) a été inauguré. Il connecte directement l’Azerbaïdjan à la Turquie en contournant soigneusement l’Arménie et en passant par la Géorgie à travers le Caucase et l’Anatolie. D’autres projets seraient en cours et des bruits de couloir non-recoupés mais de plus en plus nombreux, feraient état d’un projet de pipeline connectant directement la Turquie à l’Azerbaïdjan et qui passerait par le sud du Haut-Karabagh pour atteindre l’exclave azérie de Nakhitchevan et, de là, le territoire turc. Or, où les troupes azéries concentrent-elles actuellement leur offensive ? Dans le sud du Haut-Karabagh… mais il ne s’agit là que de rumeurs qui n’ont pour l’instant pas été vérifiées.
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
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