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Le regain de violence entre Israéliens et Palestiniens

Par Amicie Duplaquet
Publié le 16/10/2015 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Palestinian protesters are seen behind a wire during clashes with Israeli soldiers near the border fence between Israel and the central Gaza Strip east of Bureij on October 15, 2015.

AFP PHOTO / MOHAMMED ABED

La dégradation de la situation sur l’esplanade des Mosquées

Troisième lieu saint de l’Islam sunnite, après La Mecque et Médine, l’esplanade abrite la Mosquée al Aqsa et le Dôme du Rocher, connu pour être l’endroit d’où le prophète Mahomet serait monté au paradis. Ce lieu est aussi le plus saint du judaïsme puisqu’il renferme les ruines du second Temple de Jérusalem, aussi appelé Temple de Salomon, duquel il ne reste aujourd’hui plus que le mur occidental, plus connu sous le terme de mur des lamentations. Détruit en l’an 70 par des légionnaires romains, l’esplanade qui renferme la Mosquée al Aqsa et le Dôme du Rocher a été construite sur les ruines de l’ancien Temple. Pèlerins juifs et musulmans affluent donc toute l’année sur ce lieu qui est sous administration israélienne depuis 1967, consécutivement à la guerre des six jours et au début de l’occupation des Territoires palestiniens et de Jérusalem Est. S’il est vrai que la Jordanie a officiellement été nommée garante des lieux saints musulmans de Jérusalem à travers l’organisme du Waqf, il n’en reste pas moins que la sécurité du lieu est assurée par l’État israélien. Afin de ne heurter aucunes des sensibilités religieuses, un statu quo en vigueur depuis plusieurs décennies autorise les non-musulmans, juifs et chrétiens, à se rendre sur l’esplanade des Mosquées à certaines heures et à certains jours spécifiques, à condition qu’ils n’y organisent pas de prières. Le mur des lamentations, qui se trouve en contrebas de l’esplanade, peut en revanche accueillir quotidiennement des pèlerins juifs. Or, depuis quelques années, certains colons d’extrême droite, dont le poids politique a augmenté, réclament la remise en cause de ce statu quo et le droit de prier sur le site. Ils organisent régulièrement des excursions sur le site et les plus extrêmes vont même jusqu’à prôner la destruction du dôme du Rocher pour y reconstruire un troisième Temple (2).

Le 13 septembre dernier, à l’occasion du nouvel an juif, un groupe d’Israéliens nationalistes s’était rendu sur l’esplanade des Mosquées pour y prier (3), ce qui fut perçu comme une provocation par certains Palestiniens qui dénoncent régulièrement la « judaïsation » de Jérusalem. Plusieurs jours d’affrontements ont suivi sur l’esplanade, avant de se propager ailleurs dans la ville de Jérusalem et dans certaines villes de Cisjordanie. La tension sur le site s’est maintenue jusqu’à la fin du mois de septembre, notamment à travers la succession, très proche cette année, des fêtes religieuses musulmane (l’Aid el-kébir les 23 et 24 septembre) et juive (Souccot, du 27 septembre au 6 octobre).

Le gouvernement israélien a pris des mesures pour tenter de contenir ces heurts. Dès le 18 septembre, l’accès de l’esplanade des Mosquées est restreint pour les Palestiniens (4), ce qui, contre l’avis escompté, ne calme pas la propagation des tensions. Rapidement, des premières victimes palestiniennes sont comptées en Cisjordanie et à Jérusalem alors que l’État israélien autorise, à partir 24 septembre (5), ses forces de sécurités à tirer à balles réelles contre les lanceurs de pierres palestiniens si « une tierce personne a sa vie menacée et plus seulement quand un policier est menacé », selon un communiqué du bureau du Premier ministre (6). Or, dans les faits, les forces de sécurités sont accusées par plusieurs ONG (7) d’employer une force excessive. Depuis le début du mois d’octobre, trente Palestiniens et sept Israéliens ont été tués par arme à feu ou arme blanche, notamment depuis les séries quasi quotidiennes d’attaques au couteau entre Israéliens et Palestiniens. Ces actes, perpétrées par des Arabes israéliens, des Palestiniens de Jérusalem Est et/ou de Cisjordanie et des Israéliens, se sont déroulés dans différentes villes israéliennes et à travers le pays tout entier. Leur impact psychologique est tel qu’il a conduit le gouvernement israélien à accepter, le 14 octobre, la demande longtemps évoquée par le maire de Jérusalem de boucler les quartiers arabes de Jérusalem Est et d’y imposer un couvre feu. Cette mesure exceptionnelle et symbolique touche les 300 000 habitants palestiniens de la ville Sainte (8).

Les causes profondes de ces événements

Bien que ce regain de violence ait commencé sur l’esplanade des Mosquées, ces événements ne peuvent s’expliquer uniquement à travers leur caractère religieux. Les causes de l’embrasement actuel vont en effet au-delà de l’aspect religieux et sont plus profondes.

Depuis la guerre des Six jours de 1967, Israël occupe militairement la Cisjordanie et Jérusalem Est. Ces territoires sont sous administration de l’État hébreu qui y construit depuis des colonies de peuplement. Ces implantations sont contraires au droit international, l’article 8,2,b,VIII du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale définissant « le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe » (9) comme un crime de guerre. Depuis cette date, des checkpoints ont été installés par Israël, restreignant la liberté de mouvement des Palestiniens et, depuis 2002, un mur de séparation est construit le long de la ligne verte de 1967. Le 9 avril 2004, la Cour internationale de justice avait rendu un avis dans lequel elle affirmait que ce mur « et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international » (10) et que l’État israélien était tenu « de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent » (11), tout en « réparant tous les dommages causés par la construction du mur » (12). Cet avis n’a pas été suivi et le mur de séparation s’étend aujourd’hui sur près de 500 kilomètres, s’enfonçant parfois dans le territoire palestinien au-delà de la ligne verte qui fait 350 kilomètres. Le passage d’un côté à l’autre du mur nécessite, pour les Palestiniens de Cisjordanie, l’obtention d’un permis délivré par l’administration militaire israélienne.

Sur les plans économique et social, cette situation favorise l’insécurité alimentaire et la pauvreté. Selon le rapport de 2014 de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement, « ce sont les Palestiniennes qui pâtissent le plus de l’occupation : leur taux de participation au marché du travail est parmi les plus faibles et le taux de chômage le plus élevé au monde » (13). A Gaza, après neuf ans de blocus et trois interventions israéliennes, le taux de chômage atteint 43 %, et 68 % parmi les jeunes qui composent l’essentiel de la population. Selon un rapport publié en septembre dernier, l’ONU indiquait que l’enclave palestinienne « pourrait devenir inhabitable d’ici 2020 si rien n’est fait pour enrayer le « dé-développement » actuel » (14).

Qu’en est-il sur le plan politique, vingt ans après les premières négociations internationales ? En 1993, les accords d’Oslo avaient marqué la reconnaissance réciproque des deux parties, la mise en place d’une Autonomie palestinienne, devant à l’origine être transitoire et ne durer que cinq ans avant d’aboutir à des négociations finales, et le découpage administratif des territoires palestiniens en zones A, B et C (les zones A étant sous contrôle palestinien, les zones B étant sous autorité palestinienne mais la sécurité y étant assurée par l’armée israélienne et les zones C restant sous occupation israélienne provisoire). C’est par ailleurs dans cette zone C, où l’occupation israélienne provisoire est toujours de rigueur, que se situent la majorité des colonies. Lorsque les accords de Camp David II se sont tenus en 2000, l’Autorité palestinienne ne contrôlait plus que 40 % du territoire cisjordanien. Cet Accord, aussi appelé « Sommet pour la paix au Proche-Orient », ne fit que reposer un cadre partiel pour des négociations et les pourparlers butèrent sur les points de discorde habituels, à savoir le statut de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens, la démarcation de la ligne des frontières et la colonisation. C’est par ailleurs la question de la colonisation israélienne qui est en partie responsable de l’échec des rencontres suivantes (Taba en 2001, Annapolis en 2007 et Washington en 2010) à poser un cadre pour la reprise des négociations. Entre les Accords d’Oslo de 1993 et 2014, le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est passé de 120 000 à plus d’un demi-million. Malgré l’éphémère tentative d’Obama en ce sens au début de son premier mandat, le gel de la colonisation en vue de la reprise d’un dialogue n’est, jusqu’à présent, pas envisagé par le gouvernement israélien. Du point de vue palestinien, le processus de paix qui devait déboucher sur leur indépendance n’a donc rien apporté d’autre que l’augmentation des colons, qui s’accompagne d’une augmentation de la présence militaire israélienne en Cisjordanie.

De l’autre côté, la violence et l’imprévisibilité des attaques de ces derniers jours ont engendré une réelle psychose en Israël. A travers toutes les villes du pays, beaucoup des habitants redoutent désormais de sortir de chez eux, craignant d’être la victime collatérale d’une nouvelle attaque. Certains n’ont cessé de lancer des appels au calme et, pour les plus à gauche d’entre eux, des appels à la fin de l’occupation, conscients des origines de cette situation. Des manifestations ont même étaient organisées devant le bureau du Premier ministre, marquant le désaccord de beaucoup avec sa politique des territoires palestiniens . Pour d’autres, c’est l’escalade sécuritaire incarnée par le gouvernement actuel, qui devrait être la réponse à ces événements.

Troisième intifada ou actes isolés ?

L’embrasement des dernières semaines a fait s’interroger nombre d’acteurs et observateurs sur la possibilité de l’émergence d’une troisième intifada. Rappelons que la première intifada avait débuté en 1987, suite à la mort de quatre Palestiniens écrasés par un camion israélien, et pris fin en 1993 avec la signature des accords d’Oslo. La seconde est connue pour avoir commencé en septembre 2000, suite à la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquée, et la plupart s’accordent à dater sa fin à 2005. Ces intifada avaient toutes deux été coordonnées par les responsables politiques de leurs époques, qui avaient réussi à mobiliser l’ensemble de la société palestinienne.

Les manifestants palestiniens sont parmi les premiers à prôner l’avènement d’une troisième intifada, soutenu de près par la presse palestinienne. Pour le quotidien al-Quds, « il est temps d’avoir une position palestinienne unifiée qui reconnaît que l’Intifada est une réalité sur le terrain et, en conséquence, d’élaborer une nouvelle stratégie politique » (15). Pour l’autre quotidien al-Hayat al-Jadida, « c’est le point de non-retour » qui a été atteint face aux actions israéliennes, qui « n’ont pas réussi à mettre notre peuple à genoux » (16). A Gaza, c’est le mouvement du Hamas qui, par la voix d’Ismael Hanniyeh, appelle « à renforcer et à accentuer l’intifada » (17).

Pour d’autres observateurs, et malgré le durcissement de la conflictualité sur le terrain, il est encore trop tôt de parler d’intifada au sens de soulèvement de l’ensemble de la population palestinienne. Si les deux premières intifada avaient été des mobilisations sociales généralisées, les violences actuelles ne s’incarnent pour le moment que dans des successions d’actions individuelles. Les attaques à l’arme blanche et à la voiture bélier ont été à l’initiative d’individus, et non d’un mouvement politique. Ces actes isolés découlent du blocage de la situation politique et ils se répètent régulièrement au fils des ans. De plus, et contrairement à l’organisation des deux intifada précédentes, les révoltes actuelles ne sont ni portées, ni revendiquées par un parti politique. Même s’il est vrai que le Hamas tente, depuis quelques jours, de récupérer le terme d’intifada à son avantage et que le Fatah soutient globalement le mouvement en cours, l’Autorité palestinienne, qui administre la Cisjordanie depuis deux décennies, reste silencieuse. Elle s’est contentée, à son maximum, de quelques appels au calme, qui ont été perçus comme une énième trahison par sa population. En effet, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas aurait beaucoup plus à perdre qu’à gagner si la propagation d’une troisième intifada venait à se confirmer. En effet, et en vertu de sa coopération sécuritaire avec Israël, cela signifierait qu’elle aurait échoué dans sa mission de maintien de l’ordre en Cisjordanie.

Finalement, et comme l’expliquait il y a peu le quotidien israélien Yediot Aharonot (18), l’important est moins de savoir si nous sommes face à une troisième intifada que de stopper l’escalade des violences.

Notes :
(1) http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-esplanade-des-Mosquees-cristallise-la-colere-des-Palestiniens-2015-09-16-1357054
(2) http://www.courrierinternational.com/article/israel-lesplanade-de-jerusalem-epicentre-de-la-prochaine-deflagration
(3) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/09/15/a-jerusalem-est-les-tensions-reprennent-sur-l-esplanade-des-mosquees_4757793_3218.html
(4) http://www.lemonde.fr/proche-orient/twitter/2015/09/18/israel-interdit-aux-hommes-de-moins-de-40-ans-d-acceder-a-l-esplanade-des-mosquees_4762472_3218.html
(5) http://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-autorise-les-tirs-a-balles-reelles-contre-les-lanceurs-de-pierres_1098533.html
(6) http://www.liberation.fr/monde/2015/09/24/israel-elargit-l-autorisation-de-tirs-a-balles-reelles-contre-les-lanceurs-de-pierres_1390177
(7) http://www.amnestyinternational.be/doc/s-informer/actualites-2/article/les-violences-s-aggravent-en
(8) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/10/14/israel-la-police-pourra-boucler-des-quartiers-arabes-de-jerusalem_4788818_3218.html
(9) http://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
(10) http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1670.pdf
(11) Ibid.
(12) Ibid.
(13) http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33227#.Vh9j5vntlBc
(14) http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=35472#.Vh9i3fntlBc
(15) http://www.alquds.com/articles/1443994299110556900/
(16) http://www.alhaya.ps/ar_page.php?id=7d2ff5y8204277Y7d2ff5
(17) https://www.youtube.com/watch?v=D6RpaJNRq6E
(18) http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4706865,00.html

Publié le 16/10/2015


Amicie Duplaquet est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, en Master Coopération et développement au Maghreb et Moyen-Orient. Après avoir suivi des cours de sciences politiques à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, elle a réalisé un mémoire sur les conséquences du printemps arabe sur la stratégie israélienne et prépare une thèse sur le même sujet à l’Institut Français de Géopolitique. 


 


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