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Le retour de « King Bibi » et l’ombre de l’extrême droite

Par Ines Gil
Publié le 18/11/2022 • modifié le 23/11/2022 • Durée de lecture : 7 minutes

Photo prise pendant les élections.

Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas

« Un jour sombre pour la démocratie israélienne »

Le dimanche 13 novembre, lors d’une cérémonie à Jérusalem, le président israélien Isaac Herzog a remis un mandat à Benyamin Netanyahou pour former une coalition gouvernementale. Le chef de file de la droite a 28 jours pour proposer un gouvernement. Passé ce délai, il devra remettre son mandat au président. Mais la tâche est à sa portée, car avec la nouvelle Knesset formée à l’issue des élections du 1er novembre dernier, une majorité de 64 députés sur 120 soutiennent le chef du Likoud. Parmi eux, les députés du Likoud, qui se maintient comme la première force au Parlement mais enregistre une baisse du nombre de voix, les députés des partis religieux Shas et Judaïsme unifié de la Torah qui ont des scorent plus élevés que ce que prévoyaient les sondages, et les députés d’extrême droite du parti sioniste-religieux qui marque une percée historique. Pour le parti centriste Yesh Atid de Yair Lapid, qui mène le bloc anti-Netanyahou, « c’est un jour sombre pour la démocratie israélienne, dans lequel le nouveau Premier ministre peut faire l’objet d’un chantage de la part de ses partenaires [de la coalition], dont le seul but commun est de le sauver de son procès et de faire remonter le temps à Israël. »

« Sauver son procès », car Benyamin Netanyahou risque la prison dans plusieurs affaires de corruption. Pour échapper à la justice, il cherche à se maintenir au pouvoir comme Premier ministre et faire passer une loi sur l’immunité, dite « la loi française », qui éviterait au chef du gouvernement de faire l’objet de poursuites judiciaires. Échapper à la justice, à tout prix, au risque de favoriser l’extrême droite autrefois bannie de la vie politique israélienne. En remportant 14 sièges, l’extrême droite suprémaciste juive s’impose, avec le soutien de Netanyahou, comme la troisième force du Parlement avec le Parti sioniste-religieux. Une victoire inédite. Ces résultats marquent une nouvelle réalité, l’Etat d’Israël change de visage, car l’extrême droite a arraché trois fois plus de voix que le Parti travailliste, qui avait fondé le pays.

Ce succès est le fruit d’une combinaison de deux forces. D’un côté, le chef du parti Otzma Yehudit (« force juive » en français), un politicien représenté par l’héritier du mouvement kahaniste raciste, Itamar Ben-Gvir. Connu pour ses provocations violentes, ce suprémaciste juif a par le passé porté en héros le terroriste Baroukh Goldstein, qui assassine vingt-neuf Palestiniens au tombeau des Patriarches d’Hébron en 1994. Fervent critique des accords d’Oslo, soutien de la colonisation dans les Territoires palestiniens, il demande l’annexion de toute la Cisjordanie, un territoire occupé par Israël depuis 1967 qui abrite 2,9 millions de Palestiniens et 475 000 colons juifs. Il a également appelé à l’expulsion des citoyens arabes jugés ‘’déloyaux’’ envers Israël, tout en critiquant l’armée et la police pour ne pas avoir utilisé la force adéquate contre les Palestiniens. A ses côtés, son allié Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste-religieux. Plus expérimenté dans la vie politique israélienne (ancien ministre des Transports), il soutient une politique de colonisation active des Territoires palestiniens, représentant par ailleurs les colons israéliens les plus radicaux, et milite activement contre la construction d’habitations sans permis israéliens par les Palestiniens en Israël et dans les Territoires occupés. Également connu pour ses déclarations anti-arabes, il a tenu par le passé des propos homophobes.

Pour ce nouveau gouvernement, Itamar Ben-Gvir exigerait le ministère de la Sécurité intérieure, et Bezalel Smotrich, la Défense. Les portefeuilles ministériels ne seront annoncés qu’à l’issue des tractations actuellement engagées, et celles-ci risquent de s’avérer houleuses. Mais il est déjà possible d’imaginer les domaines dans lesquels le Parti sioniste-religieux cherchera à influencer la politique gouvernementale. L’indépendance de la justice israélienne pourrait être réduite car l’adoption de la clause dérogatoire - qui donnerait à la Knesset le pouvoir de passer outre les décisions de la Haute Cour de justice - permettra de contourner des questions sensibles telles que l’initiative de l’extrême droite visant à promulguer une loi de régularisation pour légaliser le statut des avant-postes illégaux de colons en Cisjordanie. On peut d’ailleurs imaginer que chaque mesure pour laquelle Netanyahou recevra le soutien de ses partenaires d’extrême droite aura un prix, et une grande partie de la contrepartie exigée sera payée dans les Territoires palestiniens.

Photo prise pendant les élections. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas
Photo prise pendant les élections. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas
Photo prise pendant les élections. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas
Photo prise pendant les élections. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas

Vote d’extrême droite

Dans une petite ruelle des quartiers nord de Tel-Aviv, environ 200 militants d’Otzma Yehudit attendent le chef de leur parti, Itamar Ben-Gvir, dans une ambiance électrique. Nous sommes à une semaine du scrutin. « Jérusalem est à nous ! » les slogans ultra-nationalistes fusent dans les airs. Les militants sont jeunes, à l’aube de la vingtaine, et ce sont principalement des hommes. Dans la foule, les activistes interrogés disent vivre dans les quartiers modestes du sud de Tel-Aviv ou en périphérie de la capitale onéreuse. Ils « craignent pour leur sécurité », et veulent la « protection de leur identité juive. » Ben-Gvir répond à un désir de fermeté sur les questions sécuritaires et de protection de l’identité juive supposément menacée, dans un contexte de peur de déclassement pour son électorat. Si Itamar Ben-Gvir attire et fascine autant, surtout parmi la jeunesse israélienne, c’est aussi parce que ses électeurs voient en lui un leader qui « parle vrai. » Ses provocations et formules simples et chocs attirent. Mais qu’en sera-t-il quand Ben-Gvir connaîtra l’expérience du pouvoir avec les nécessaires concessions qui l’accompagnent ?

Photo prise pendant un meeting d'Itamar ben Gvirà Tel-Aviv pendant la campagne électorale. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas
Photo prise pendant un meeting d’Itamar ben Gvirà Tel-Aviv pendant la campagne électorale. Crédit photo : Ines Gil / Hans Lucas

Outre l’attraction qu’exerce ce personnage provocateur pour une partie de la société israélienne, la montée fulgurante de l’extrême droite s’explique par plusieurs facteurs selon le politiste Samy Cohen, directeur de recherche émérite au CERI (Centre de recherches internationales de Sciences Po) et auteur notamment de “Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix” : « D’abord, par l’action de Benyamin Netanyahou qui a favorisé à l’ascension d’Itamar Ben-Gvir au cours des élections de mars 2021, en poussant Otzma Yehudit à s’associer au parti de Bezalel Smotrich pour s’assurer que leur formation, le Parti sioniste-religieux, obtienne un maximum de sièges et l’aide à constituer une coalition gouvernementale. C’est donc Benyamin Netanyahou qui a permis à Itamar Ben-Gvir d’entrer au Parlement comme député et lui a donné une honorabilité qu’il n’avait pas. Ensuite, Naftali Bennett, qui représente la droite nationaliste et religieuse, a perdu de nombreux électeurs en formant en juin 2021 une coalition gouvernementale avec la gauche et un parti arabe. Son électorat déçu s’est tourné vers le Parti sioniste-religieux de Smotrich et Ben-Gvir. Et enfin, on ne peut pas comprendre cette montée de l’extrême droite sans prendre en compte le contexte sécuritaire. Au printemps 2022, plusieurs attentats terroristes ont eu lieu à Tel-Aviv, Hadera, Beer Sheva, faisant de nombreux morts. En Cisjordanie, les violences sont quotidiennes aujourd’hui. Et de nombreux Israéliens ont encore en mémoire les émeutes de mai 2021 dans les villes mixtes judéo-arabes. Or, plus la situation sécuritaire est tendue, plus les Israéliens se tournent vers la droite car selon eux, le centre et la gauche sont incapables de gérer efficacement ce problème ».

Société fragmentée

Les élections du 1er novembre sont le cinquième scrutin en moins de quatre ans. Cette overdose électorale dévoile les dysfonctionnements de ce système parlementaire à la proportionnelle, qui, bien que solide et répondant aux exigences de l’électorat, ne semble pas adapté à l’état actuel de la société israélienne. Le bipartisme (bien que relatif) entre la gauche et la droite qui rythmait les premières décennies de la vie politique dans l’Etat hébreux s’imbriquait bien avec ce système électoral. Mais désormais, la montée de petits partis faiseurs de rois entraîne des scrutins à répétition et témoignent des puissantes fractures qui traversent la société israélienne autour de sujets majeurs comme la place de la religion dans la société, la question palestinienne ou encore l’indépendance de la justice. En conséquence, au sein de chaque bloc, on retrouve des formations qui ne partagent pas forcément les mêmes projets ni les mêmes valeurs autour de sujets essentiels et risquent de faire éclater leur bloc à chaque difficulté. Ces scrutins à répétition témoignent aussi de la capacité pour Benyamin Netanyhou à continuer de personnifier la vie politique. Les divisions profondes fracturent le pays en deux entre les anti et les pro-Bibi. Le chef du Likoud, « King bibi » (surnom donné par ses partisans), par sa personne, rythme encore, pour ce scrutin, la vie politique israélienne.

Du côté du bloc réuni autour de Yair Lapid, cette défaite est un échec, mais pas aussi cuisant qu’on pourrait le prétendre. Le parti de Yair Lapid, Yesh Atid (‘’il y a un futur’’ en français) progresse avec 180 000 voix de plus que lors du précédent scrutin en mars 2021. Mais le centriste partait avec un point faible. Contrairement à Benyamin Netanyahou, il devait compter sur une multitude de petits partis pour former une coalition. Or, un de ses alliés, le Meretz, n’a pas franchi le seuil électoral pour siéger au Parlement. Un échec de taille pour la gauche radicale sioniste qu’incarne ce petit parti, dont les idéaux s’essoufflent au fil des années.

Du côté des partis arabes, ce scrutin a été marqué par les divisions car les quatre formations se sont présentées en ordre dispersé. Au printemps dernier, le parti islamiste Ra’am avait rejoint la coalition gouvernementale menée par Yair Lapid et Naftali Bennett en échange d’une augmentation des fonds alloués aux localités arabes et d’une lutte plus ferme contre l’insécurité parmi le secteur arabe-israélien. La participation à une coalition sioniste est le point de fracture qui rythme aujourd’hui les relations entre les partis arabes. Car les trois autres partis, Ta’al et Hadash (qui se sont tous deux présentés ensemble et sont entrés au Parlement) et Balad (qui n’a pas passé le seuil électoral), s’opposent à une telle alliance.

Un gouvernement autour de la droite, l’extrême droite et les partis religieux mené par Benyamin Netanyahou devrait bientôt voir le jour. Il semble certes moins hétéroclite que le bloc réuni autour de Lapid, qui réunissait des formations du centre, de la droite radicale, de la gauche et un parti arabe. Néanmoins, sa survie sur le long terme n’est pas assurée. Le retour d’une certaine stabilité politique va dépendre des relations entre Benyamin Netanyahou et les leaders du Parti sioniste-religieux. Bibi, véritable « animal politique », a une longueur d’avance sur ses alliés de l’extrême droite moins préparés à l’exercice du pouvoir. Mais il a affaire à des politiciens avides de provocations et nourris par une idéologie extrême et dangereuse, qui peuvent échapper à son contrôle.

Publié le 18/11/2022


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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