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Le zoroastrisme (1/2) : doctrine et rites

Par Simon Fauret
Publié le 05/08/2015 • modifié le 13/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Winged symbol of Ahura Mazda, worshipped by the Zoroastrians. Persepolis : Royal Audience Hall of Darius, c.500 BC

ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12 / AFP

Malgré les découvertes archéologiques, il demeure particulièrement difficile de situer précisément le zoroastrisme dans le temps. Ainsi, la date de naissance de Zarathoustra (aussi appelé Zoroastre par les Grecs), le principal prophète du mazdéisme, oscille entre le VIème et le XVIIème siècle av. [2]. En ce qui concerne le lieu d’apparition de cette religion, il est pour le moment impossible de déterminer une zone plus précise que le territoire entre l’Iran oriental, l’Afghanistan et la mer d’Aral dans l’actuel Ouzbékistan [3]. Enfin, la figure même de Zarathoustra est controversée. Si la tradition mazdéenne le voit comme son fondateur et l’auteur du texte sacré, l’Avesta, les recherches historiques en font plutôt un réformateur [4]. En effet, l’Avesta, probablement rédigé vers le Vème siècle avant J-C d’après des traditions orales vieilles de plusieurs siècles, est un corpus de textes très hétérogène et ne peut être attribué de manière réaliste à un seul auteur [5].

Malgré ces difficultés historiques, les principaux éléments du mazdéisme peuvent encore être présentés, notamment grâce à l’Avesta, aux écrits officiels des différents empires perses de l’Antiquité, et aux communautés zoroastriennes toujours présentes en Iran et en Inde. La première partie de cet article s’attachera donc à exposer la doctrine et les rites du mazdéisme, alors que la deuxième évoquera son rapport au politique ainsi que son actualité.

Le mazdéisme : polythéisme, dualisme ou monothéisme ?

L’essentiel de la doctrine mazdéenne provient de l’Avesta, le texte sacré dont le nom signifierait « éloge [6] ». Etant donné leurs différences, une distinction a été établie entre l’Avesta ancien et l’Avesta récent. L’ancien, d’une cinquantaine de pages, est composé d’une partie en vers (les « Gathas » ou « chants ») et d’une partie en prose (le « Yasna Hapta-hati », « sacrifice en sept chapitres » [7]). Pour les mazdéens, l’Avesta ancien constitue le texte de référence de leur religion.

Ahura Mazda est le dieu dominant du mazdéisme, car il est celui qui a mis fin à la situation chaotique dans laquelle le monde se trouvait. Son acte initial est d’ailleurs un agencement (« Rta »), une organisation de l’univers, développée dans l’Avesta sous la forme métaphorique d’une hutte qui est érigée par le dieu afin d’établir l’ordre. A côté de la hutte Rta, liée à la lumière du jour, se trouve la hutte « Druj », celle de la nuit, du mystère et des menaces. Le mazdéisme se fonde donc notamment sur cette opposition diurne/nocturne qui se traduit par une lutte féroce entre le jour et la nuit [8].

Ahura Mazda est souvent représenté en train de prier devant le feu, élément qui symbolise pour les mazdéens « Asha », le Justice sacrée, et qui est dit être son fils [9]. Le réformateur Zarathoustra a élaboré le mythe fondamental du mazdéisme, celui du choix primordial. A l’origine, Ahura Mazda, véritable Esprit-Saint, a rencontré son jumeau, l’Esprit Mauvais, Angra Mainyu (aussi appelé Ahriman). Le premier a choisi le bien, le deuxième le mal. A son tour, le croyant se retrouve face à cet exemple et est libre de choisir entre le bien et le mal. Cependant, en fonction du choix effectué pendant sa vie, le croyant n’accède pas à la même résidence dans l’au-delà. Aux « méchants » sera réservé une demeure ténébreuse, aux « bons » une Maison d’Accueil paradisiaque. L’affrontement entre Ahura Mazda et son jumeau maléfique dure depuis le début de l’Histoire et s’étend à l’univers tout entier. Néanmoins, Zarathoustra affirme la supériorité de l’Esprit-Saint qui doit, à la fin des temps, vaincre l’Esprit Mauvais et rénover l’univers. Un tel événement ne se produira que lorsqu’un sauveur (« Saoshyant ») apparaîtra [10].

Ainsi, l’opposition jour/nuit du mazdéisme se retrouve dans la lutte perpétuelle entre ces deux divinités. A premier abord, les deux Esprits peuvent donc sembler égaux, et le mazdéisme constituer un dualisme. Cependant, Ahura Mazda est clairement désigné comme le seul dieu prééminent, puisque selon la tradition eschatologique (discours sur la fin du monde) il doit remporter la victoire finale sur son adversaire [11].

D’autres figures divines que ces deux esprits sont pourtant évoquées dans l’Avesta. Ainsi, Spenta Mainyu, « l’esprit bénéfique », est utilisé par Ahura Mazda pour contrer son jumeau maléfique, et les « Amesha Spenta » (« les immortels bénéfiques ») agissent comme ses assistants [12]. Toutefois, ces six Amesha Spenta, hiérarchiquement soumises à Ahura Mazda, sont plutôt désignées comme des entités allégoriques que comme des divinités : l’agencement Rta, la pensée correcte Manah, la soumission mentale Armati, l’emprise Xshathra, la santé Harvatat et l’immortalité Amrtat. Enfin, il existe parallèlement des entités mauvaises, les « daivas », qui sont des émanations de l’esprit Angra Mainyu [13].

Si, avant Zarathoustra, la religion mazdéenne semblait se rapprocher d’un véritable polythéisme, la réforme de Zarathoustra a contribué à transformer les anciennes divinités en entités subalternes des deux esprits jumeaux, et à consacrer la domination d’Ahura Mazda sur son frère [14].

Une religion influente

L’apparition du mazdéisme est liée à l’histoire des peuples indo-iraniens. Au milieu du premier millénaire avant J-C., ces derniers habitaient un large territoire s’étendant sur l’Iran, l’Afghanistan, l’Ouzbékistan et les vallées indiennes du Gange et de l’Indus. S’appuyant sur une tradition culturelle commune, les Indiens et les Iraniens ont assuré parallèlement, via la transmission orale, la conservation de leur corpus de textes sacrés : le Veda pour les premiers, l’Avesta pour les seconds. Les deux corpus sont peu à peu rédigés dans des langues voisines, issues de la famille des langues indo-européennes : le Veda en sanskrit, l’Avesta en avestique [15].

Dès lors, nombreux sont les points communs entre le Veda et l’Avesta. Certaines divinités indiennes ont ainsi leurs équivalents iraniens (par exemple, Manah, la pensée correcte, correspond à Mitra, Xshathra correspond à Indra, patron de la caste indienne des Kshatriya, etc.), la liqueur indienne Soma fait écho à la boisson sacrificielle mazdéenne Haoma, et les trois premières classes sociales ou castes se correspondent (prêtres, guerriers, éleveurs) [16]. Bien évidemment, les deux livres sacrés ne sont pas exempts de différences. Tout d’abord, l’Avesta est de dimension beaucoup plus modeste et représente l’équivalent d’un livre de poche de deux cent pages, alors que le Veda est une bibliothèque à lui seul [17]. Ensuite la transformation de la mythologie de chaque religion est allée de pair avec celle des deux sociétés (par exemple, « deva » désigne un dieu en sanskrit alors qu’il désigne un démon en avestique) [18]. Les deux religions ont donc évolué côte à côte jusqu’à aujourd’hui, et les derniers mazdéens sont d’ailleurs surtout présents en Inde sous le nom de « parsis » [19].

Si l’Avesta et le Veda se sont mutuellement influencés, la doctrine mazdéenne a surtout inspiré la naissance de nouvelles religions : le manichéisme et le mazdakisme. Mani, né au début du IIIème siècle après J-C et formé en Babylonie au sein des elkasaïtes, mouvement syncrétique situé entre judaïsme et christianisme [20], est son fondateur. Se proclamant l’héritier de Zarathoustra, du Bouddha et de Jésus, Mani déclare que chaque être humain est habité à la fois par le bien et le mal. Avant la création de l’univers, le royaume de la lumière et le royaume des ténèbres coexistaient, jusqu’au jour où les ténèbres ont envahi la lumière. L’objectif du manichéisme est donc de rétablir cette dernière. La nouvelle religion ne demeure pas longtemps tolérée par les autorités perses, et Mani, emprisonné, meurt de privations. Désigné comme hérétique par le christianisme qu’il concurrence et, plus tard, par l’islam, le manichéisme parvient toutefois à se maintenir quelques siècles en Chine [21].

A la fin du Vème siècle, un autre mouvement émerge en Perse : le mazdakisme. Probablement fondée par le prêtre zoroastrien Mazdak, cette nouvelle religion cherche à revisiter le manichéisme sous un angle davantage optimiste. Fruit de l’influence croisée du mazdéisme et du manichéisme, le mazdakisme apporte des nouveautés à ces deux religions en insistant sur l’importance cruciale des œuvres sociales pour faire revenir la lumière sur terre, en prêchant l’égalité absolue entre les hommes et les femmes et en appelant à l’abolition des classes sociales. Ce programme social radical, jugé dangereux par l’Empire perse sassanide, se retourne contre le mazdakisme et ses fidèles qui sont alors violemment réprimés par les autorités perses. Malgré la répression, le mazdakisme a survécu et il en existe encore des traces de nos jours en Iran, sur les bords de la mer Caspienne [22].

Les rites zoroastriens

Dans la religion mazdéenne, les rituels revêtent une importance capitale. Le premier acte d’Ahura Mazda, l’agencement du monde, doit être sans cesse glorifié, sans quoi l’Esprit-Saint ne sera plus capable de maintenir l’ordre. Cependant, si les rites sont avant tout une commémoration de l’action du dieu, ils sont aussi une nécessité pour atteindre le paradis. Dès lors, ce qui attend le croyant dans l’au-delà (la Maison d’Accueil d’Ahura Mazda ou la demeure maléfique d’Angra Mainyu) ne dépend pas selon l’Avesta de sa conduite éthique mais de sa capacité à bien suivre les rites, dont les sacrifices. Ahura Mazda rend aux croyants leur générosité en leur accordant notamment la santé et la longévité [23].

En ce qui concerne la pratique religieuse, le mazdéisme est centré autour du feu. Dans chaque temple, un feu doit brûler en permanence. Des offrandes (pain, plantes ou viande) et des récitations tirées de l’Avesta viennent accompagner le culte dirigé par la caste des prêtres [24]. La réforme de Zarathoustra a modifié des éléments du livre sacré en supprimant les sacrifices sanglants, qu’il jugeait trop cruels, ainsi que l’Haoma, une boisson hallucinogène [25].

La particularité du culte zoroastrien provient surtout des rites mortuaires. La terre et le feu étant perçus comme sacrés par les croyants, le cadavre ne doit pas entrer en contact avec eux sous peine de les souiller. Dès lors, les morts ne sont ni enterrés ni incinérés, mais déposés au sommet de « tours du silence » (« dakhma ») où ils sont dévorés par les vautours. Les prêtres viennent alors récupérer les os restant et les jettent dans un puits [26].

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 Le zoroastrisme (2/2) : Trajectoire historique
 L’Empire sassanide et la conquête arabe
 Des Parthes aux Sassanides : l’unification de l’espace iranien

Publié le 05/08/2015


Simon Fauret est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (Relations internationales - 2016) et titulaire d’un Master 2 de géopolitique à Paris-I Panthéon Sorbonne et à l’ENS. Il s’intéresse notamment à la cartographie des conflits par procuration et à leurs dimensions religieuses et ethniques.
Désormais consultant en système d’information géographique pour l’Institut national géographique (IGN), il aide des organismes publics et privés à valoriser et exploiter davantage les données spatiales produites dans le cadre de leurs activités (défense, environnement, transport, gestion des risques, etc.)


 


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