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Les Assyro-Chaldéens sont un peuple chrétien du Proche-Orient, parlant et écrivant une langue syriaque proche de l’araméen, la langue du Christ. Ils appartiennent à une des Eglises orientales née à la fin du IVe siècle dans l’Empire romain, et qui reprit certaines thèses de Nestorius, patriarche de Constantinople (d’où leur nom également de Nestoriens) et qui se développa indépendamment de Rome.
Au XVIe siècle, certains membres de cette Eglise se rattachent à l’Eglise de Rome et forment une nouvelle hiérarchie, appelée Chaldéenne. A la veille de la Première Guerre mondiale existent deux patriarcats, le syrien sous la direction du Mar Shimoun dans les montagnes du Hakkari, le chaldéen à Mossoul. Les tribus assyriennes reconnaissent toute l’autorité de Mar Shimoun, qui les représente devant les autorités ottomanes. Après avoir pris part à la Première Guerre mondiale, les Assyro-Chaldéens espèrent pouvoir profiter de la recomposition territoriale engendrée par la chute de l’Empire ottoman et de l’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour obtenir la création d’un Etat qui leur appartienne. Mais le jeu des grandes puissances et les divisions internes à cette Eglise empêchent la réalisation de ce projet, faisant des Assyro-Chaldéens des réfugiés et des minorités sur l’échiquier proche-oriental.
A la veille de la Première guerre mondiale, la population assyrienne dans l’Empire ottoman s’élève à un million de personnes environ, établies entre les actuels Iran, Irak et Turquie. Les communautés les plus importantes sont installées près du lac d’Ourmia en Perse, du lac de Van, en Mésopotamie, dans les provinces de Diarbékir, Erzeroum et Bitlis. Elles vivent au milieu de communautés arabes, arméniennes et kurdes, et leur place dans la société est définie par le système du millet, qui leur confère un statut de citoyen de second rang. En 1914, les grandes puissances convoitent le Moyen-Orient : les intérêts allemands menacent ceux des Français, des Britanniques et des Russes ; l’Empire ottoman et la Turquie espèrent s’emparer d’une partie de leurs territoires respectifs. Après avoir envahi la région d’Urmi en 1909, les Russes déclarent en 1914 la guerre à l’Empire ottoman, allié à la Triple Alliance. Le Mar Shimoun, en réaction aux raids menés par les Kurdes contre les districts frontaliers en Perse, décide de s’allier aux Russes en mai 1915. Mais après leur défaite cette même année, les Russes entraînent dans la débâcle des milliers de chrétiens qui se réfugient en Perse, tandis que ceux qui restent sont massacrés par les troupes ottomanes. Lorsque les Russes se retirent du conflit après la Révolution de 1917, les Assyriens se mettent au service des Britanniques, qui requièrent leur aide pour tenir le front perse, en échange de la promesse d’un territoire autonome à l’issue du conflit. Les bataillons assyriens repoussent les Ottomans de Mossoul et assurent aux Britanniques le contrôle de cette région riche en pétrole, qu’ils convoitent depuis le début du conflit. Mais en 1918, la paix séparée avec la Russie facilite l’avancée des troupes ottomanes en Perse, qui perpètrent à nouveau des massacres contre les Assyro-Chaldéens, alors que le Mar Shimoun est assassiné. Sous la protection des Britanniques, les Assyriens se réfugient à Ba’quba en Irak (à 50 kilomètres de Kaboul), au cours d’un exode qui fait près de 50 000 morts. En Irak, ils sont provisoirement installés dans des camps ou enrôlés comme volontaires par les troupes britanniques, attendant que leur sort soit réglé par la Société des Nations, et sans autorité incontestée pour les représenter.
Après la déclaration de guerre de l’Empire ottoman en novembre 1914, est proclamé le Jihad contre les infidèles, parmi lesquels les chrétiens. A partir du début de 1915, les chrétiens sont tués dans les provinces orientales. Entre le printemps et l’automne, la Turquie d’Asie subit une sanglante répression, qui entraîne la dévastation des principaux diocèses chrétiens. On estime que pendant la Première Guerre mondiale, entre 270 000 et 750 000 Assyro-chaldéens sont morts. La qualification de génocide a été donnée en 2007 par l’Association internationale des génocides. Elle est reconnue par un certain nombre de pays, mais ne fait pas l’objet d’une reconnaissance officielle de la part de l’ONU.
A l’issue de la guerre, la situation des Assyro-Chaldéens est marquée par plusieurs exodes. Le camp de Ba’quba, accueillant une très importante population assyrienne, est fermé en 1920. Ceux qui souhaitent regagner le Hakkari ou Ourmia sont provisoirement installés plus au nord, à Mindan, fermé à son tour en 1921, tandis qu’un nouveau camp est ouvert à Mossoul. Face à la lenteur des conférences internationales, les Assyriens doutent du règlement de leur statut. Conscients qu’ils ne peuvent pas compter sur l’aide des Britanniques et qu’aucune garantie ne leur est assurée en Irak, ils envisagent d’émigrer. En 1932, les brimades du gouvernement irakien à l’égard de Mar Shimoun Eshaï, déchu de ses prérogatives temporelles, déclenchent l’exil de plusieurs chefs de tribus en Syrie. En juillet 1933, plusieurs centaines d’Assyriens franchissent le Fechkhabour, sont arrêtés par les autorités britanniques, puis massacrés par les autorités irakiennes. Le patriarche est déclaré déchu de la nationalité irakienne et part en exil. Les autorités mandataires françaises décident alors de leur accorder l’autorisation de s’installer en Syrie, tandis que la Société des Nations envisage plusieurs plans d’installation de ces populations en Afrique ou en Amérique du Sud. C’est finalement la vallée du Khabour, en Haute-Djézireh syrienne, qui est choisie pour leur établissement. La SDN et le Haut-Commissariat français en Syrie prennent en charge l’ensemble des infrastructures nécessaires à leur installation, tandis que l’organisation sociale en tribu, telle qu’elle se pratiquait dans le Hakkari, perdure après l’exil.
Les délégués des Assyro-Chaldéens, installés aux Etats-Unis, en Europe ou au Moyen-Orient, assistent aux conférences de la paix en leur propre nom et cherchent à défendre leurs intérêts, dans le contexte du programme en 14 points du président Wilson. Ils appuient leurs demandes sur leur participation à la guerre aux côtés des Britanniques et aux promesses qui leur ont été faites par ces derniers. Au total, les Assyro-Chaldéens présentent 11 mémorandums avant la signature du traité de San Remo de 1920. L’essentiel de leurs revendications consiste à créer un Etat assyro-chaldéen autonome, placé provisoirement sous le mandat d’un des pays de l’Entente et destiné à devenir indépendant. Ils demandent également la reconnaissance de l’existence de la nation assyro-chaldéenne par les pays de l’Entente et la SDN. Enfin, ils souhaitent obtenir deux débouchés maritimes (sur la Méditerranée par Alexandrette et sur le Golfe Persique). Ils proposent, cartes à la clé, ce nouvel Etat assyrien situé entre les lacs de Van et d’Ourmia, que les Britanniques envisagent d’accepter, comme Etat tampon destiné à faire barrage aux ambitions persanes et turques, qui s’opposent à une telle configuration.
Les revendications des Assyro-Chaldéens sont néanmoins entravées par les profondes divisions internes. A Ba’quba déjà, les Assyriens étaient divisés en deux camps. Celui de Mar Shimoun Paulos, qui avait succédé à son oncle assassiné en 1918, puis de Mar Shimoun Eshaï qui lui succéda en 1920, était soutenu par les Britanniques. Celui du général Agha Petros, qui s’était distingué lors des combats contre les Ottomans depuis 1915, était soutenu par les Français. Ensuite, l’union réalisée à Istanbul en 1919 entre les différentes composantes assyro-chaldéennes en vue de la conférence de la paix fait rapidement long feu. La question du nom à donner à la nation ne fait pas consensus, car il n’est pas reconnu par les différentes composantes. L’implantation géographique, le rôle au sein de la communauté, l’appartenance religieuse engendrent des définitions différentes : à Constantinople, on se définit ainsi comme Assyro-Chaldéen, alors que dans le Caucase, on se définit comme Assyrien. La question du nom national constitue un ferment de divisions et de rancoeurs au sein de la communauté. Ensuite, les divisions apparaissent au grand jour dans la multiplicité des délégations et des revendications. Les uns, sous la houlette du patriarche nestorienne, de la délégation américaine et du patriarche syriaque orthodoxe, revendiquent une large autonomie territoriale sous l’égide d’une grande puissance de l’Entente ; les autres, comme les Eglises chaldéenne et syriaque catholique, ne font pas de l’autonomie territoriale une priorité, mais voient dans le soutien d’une puissance mandataire - de préférence française - une condition sine qua non.
Malgré la confiance des Assyro-Chaldéens en leurs bons offices et en dépit des promesses de guerre, les impératifs des grandes puissances sur l’échiquier proche-oriental ne font pas du problème assyro-chaldéen un dossier prioritaire à la sortie du conflit. La Grande-Bretagne tient avant tout à préserver les intérêts britanniques, notamment dans la région de Mossoul, tout en ménageant la Perse. La conséquence en est que le sort des Assyro-Chaldéens n’est pas envisagé de manière globale, mais examiné séparément selon les pays : le sort des Assyriens de Perse n’est pas corrélé avec celui des Assyriens du Hakkari. Pourtant, pendant les années 1920, la Grande-Bretagne qui détient le mandat sur l’Irak, crée le corps des Assyrian Levies, qui compte en 1922 deux bataillons d’infanterie, deux escadrons de cavalerie et un peloton d’artillerie. La Grande-Bretagne se sert de ces troupes pour défendre la frontière nord de l’Irak face aux ambitions turques. La France, quant à elle, cherche à préserver ses clientèles. Cela passe par le soutien accordé aux revendications d’une installation en Syrie sous mandat français présenté par les Assyro-Chaldéens, et à l’enrôlement d’un certain nombre de ces derniers dans le bataillon formé par le général Gouraud pour pacifier la Syrie. Sur le plan diplomatique cependant, les Assyro-Chaldéens se retrouvent lâchés par les deux puissances : alors qu’ils avaient essayé de faire valoir leurs droits à posséder un territoire national à Sèvres, à Lausanne en 1923, il n’en est plus du tout question.
A la fin de la Première Guerre mondiale, la plupart des survivants de 1915 se trouvent en Irak. Avec la création de l’Etat nationaliste turc par Mustafa Kemal, leurs espoirs de retourner en Turquie deviennent vains. Une petite communauté de quelques centaines de personnes s’établit cependant à Istanbul, où elle demeure encore aujourd’hui. Elle se trouve renforcée par l’arrivée de chrétiens d’Irak. Cependant, ces Assyro-chaldéens de Turquie ne se voient par reconnaître par l’Etat leur statut de réfugiés. La majeure partie des Assyro-Chaldéens de Turquie a quitté la Turquie pour s’installer en Suède, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, en Suisse. En France, ils constituent aujourd’hui une communauté de 18 000 personnes, en région parisienne, à Marseille, Toulouse et Lyon.
En Syrie, la communauté assyro-chaldéenne actuelle provient de deux vagues d’immigration : celle qui a suivi les massacres de 1915, qui ont conduit quelques centaines de Chaldéens originaires d’Ourfa à s’installer à Alep ; celle qui a suivi ceux de 1933 en Irak, qui ont amené bon nombre d’Assyriens et de Chaldéens en Djézireh. Les Assyriens sont cependant divisés sur le plan ecclésiastique : certains sont rattachés à l’Eglise d’Orient, représentée par un évêque installé à Hassetché, tandis que les autres suivent l’ancienne Eglise d’Orient du patriarche Addaï. Ils sont également divisés sur le plan linguistique : les Assyro-chaldéens de Djezireh parlent encore le soureth, tandis que les Chaldéens adoptent de plus en plus l’arabe.
En Irak, Bagdad est devenue la principale ville assyro-chaldéenne du pays. Comme la hiérarchie chaldéenne a reconnu son appartenance à la nation irakienne et son identité arabe, les autorités politiques irakiennes lui ont laissé une certaine marge de manœuvre. Entre 1960 et 1991, les conflits entre les Kurdes - avec lesquels ils partagent leur territoire, et qui s’opposent aux nationalistes arabes qui le revendiquent - et les gouvernements à Bagdad ont entraîné la fuite des Assyro-Chaldéens des régions montagneuses où ils se trouvaient. Forcés à l’assimilation, ils doivent opter pour une origine arabe ou turque et disparaissent des recensements à partir de 1977. Sous Saddam Hussein, certains Chaldéens ont cependant fait une carrière politique au plus haut niveau. Le parti Baath fait en effet quelques ouvertures politiques et culturelles aux Assyro-chaldéens, les intègre dans des milices afin de faire barrage aux revendications kurdes. Mais, depuis les années 1970, la guerre et les affrontements entre les Kurdes et les Arabes de Bagdad provoquent une importante vague d’émigration, notamment vers la Syrie. La chute de Saddam Hussein ne permet pas aux Assyro-Chaldéens un retour au pays, en raison de l’insécurité, de la montée des attentats islamistes contre les minorités, de l’exacerbation des clivages communautaires et de l’absence de développement économique. Dans la constitution de 2005, les chrétiens sont ignorés dans le préambule. Etant près d’un million il y a quelques années, les chrétiens sont aujourd’hui environ 400 000 en Irak.
Bibliographie :
– BRIE, Françoise, « Migrations et déplacements des Assyro-Chaldéens d’Irak », Outre-Terre, 2006/4.
– HELLOT, Florence, « La fin d’un monde : les Assyro-chaldéens et la Première Guerre mondiale », in Bernard Heyberger, Chrétiens du monde arabe, Autrement « Mémoires/Histoire », 2003, p. 127-145.
– TEULE, Herman, Les Assyro-Chaldéens. Chrétiens d’Irak, d’Iran et de Turquie, Brepols, 2008.
– WEIBEL YACOUB, Claire, Le rêve brisé des Assyro-Chaldéens. L’introuvable autonomie, Paris, Le Cerf, 2011.
Cosima Flateau
Agrégée d’histoire, élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, les recherches doctorales de Cosima Flateau portent sur la session du sandjak d’Alexandrette à la Turquie (1920-1950), après un master sur la construction de la frontière nord de la Syrie sous le mandat français (1920-1936).
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