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Les Etats-Unis au Moyen-Orient (5) : le cas de Bagdad (2003-2008)

Par Laura Monfleur
Publié le 03/05/2018 • modifié le 27/02/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

La prise de Bagdad (avril 2003)

La capitale a été tout d’abord bombardée par l’aviation américaine, afin de préparer l’offensive terrestre. L’armée américaine, entrée dans le pays par le Sud, arrive aux portes de Bagdad le 3 avril 2003. La ville est défendue par la Garde républicaine de Saddam Hussein. Deux lieux sont particulièrement considérés comme des sites clés par les Etats-Unis : l’aéroport de Bagdad à l’ouest et le quartier du palais présidentiel près du fleuve Tigre (Laurens, 2005). L’aéroport est pris par l’armée américaine le 4 avril et le palais présidentiel le 7 avril. Le 9 avril, une statue de Saddam Hussein est renversée par un char américain sur le square Firdos. Hautement symbolique, cette destruction marque la fin de l’offensive et le renversement du régime de Saddam Hussein, qui est annoncé officiellement le 12 avril par les Etats-Unis, après la chute des dernières poches de résistance dans la capitale.

La prise de Bagdad s’est accompagnée de pillages dans les administrations publiques, les hôpitaux, les écoles, les maisons des cadres baathistes, excepté le ministère du Pétrole protégé par les troupes américaines (Laurens, 2005). Le musée de Bagdad et la bibliothèque nationale ont été également pillés : certaines pièces du musée ont été sauvés par les conservateurs mais les archives patrimoniales irakiennes ont été détruites (Laurens, 2005). Pour Henry Laurens, « la chute du régime entraîne la disparition de toute force de l’ordre et une généralisation de l’anarchie » (p. 246).

La mise en place de bases militaires (2003-2006)

Face à la persistance des combats et l’instabilité sécuritaire, les Américains s’installent durablement dans la capitale. Ils mettent en place notamment des bases militaires (les Forward Operating Bases, FOB). Ces espaces fortement fortifiés sont construits comme des espaces sûrs de projection des troupes américaines lors des opérations tactiques (Gregory, 2008). Les troupes américaines se sont notamment déployées depuis ces bases lors de l’Opération Together Forward (27 août 2006). Un couvre-feu a alors été imposé, des checkpoints, des patrouilles et des raids ont été mis en place (Gregory, 2010). Les bases militaires ont été installées dans toute la capitale en particulier dans les lieux stratégiques comme l’aéroport de Bagdad, l’ancien quartier présidentiel ou dans les lieux de loisirs disposant d’assez d’espaces pour y faire résider les troupes militaires (cf. carte). La principale base est la Green Zone.

La Green Zone est un espace de 10 km2 mis en place en avril 2003 dans l’ancien quartier du palais présidentiel où se trouvaient également les habitations des dignitaires irakiens, le quartier général du parti baath qui était en construction, le Musée de l’Histoire Militaire, la Tombe du Soldat Inconnu et le centre de Convention. C’est un espace fortement sécurisé par l’armée américaine et séparé du reste de la ville par des check-points, des barbelés et des murs. Ainsi, l’armée américaine formalise les frontières d’un quartier qui représentait auparavant la « richesse et les prétentions du régime baath » (Parker, 2012, p. 99). Les Etats-Unis ont par ailleurs installé leur quartier général puis leur ambassade dans l’ancien palais présidentiel. Le centre de convention est utilisé pour les conférences de presse des forces de coalition (Global Security Group). Ce quartier où résident troupes militaires, chefs de l’état-major, dirigeants des compagnies de reconstruction est conçu comme étant auto-suffisant avec des supermarchés, un cinéma, un hôpital, un gymnase, une école. Les infrastructures et les services se sont développés et se sont améliorés au fur et à mesure que l’occupation américaine en Irak se pérennisait. Ces services et infrastructures sont notamment fournis par des compagnies privées comme Kellogg, Brown et Root Services, un sous-traitant de Halliburton, une compagnie américaine fournissant des services à l’industrie pétrolière et gazière (Global Security Group).

L’isolement physique des bases militaires a été fortement critiqué par les spécialistes de la question. Ces bases ont participé à « une des occupations les plus isolées dans l’histoire », selon George Packer (2005), et sont des no go zone pour les Irakiens, empêchant la création d’un contact entre la population locale les Américains (Johnson, 2003 ; Chandrasekaran, 2006). Pour Chalmers Johnson (2003), au sein de ces bases est créée une « version hollywoodienne de la vie » qui contraste avec la réalité quotidienne des populations locales. Pour mettre en évidence cette vie parallèle et isolée, Rajiv Chandrasekaran décrit la Green Zone comme « la ville Emeraude », en référence à la ville fantastique dans le Magicien d’Oz, par opposition au reste de la ville qui est considérée comme dangereuse et communément appelée Red Zone.

La contre-insurrection face à une guérilla urbaine (2007-2008)

La présence de ces bases sécurisées s’explique par – mais également renforce –l’émergence d’une opposition à la présence américaine qui prend la forme d’une guérilla urbaine et d’attentats terroristes. Ces derniers se multiplient dans la capitale (1). Face à cette guérilla, les Etats-Unis adoptent une stratégie de contre-insurrection, le surge, développée et mise en place par le Général David Petraeus. Cette stratégie met la population au centre des opérations militaires et cible la capitale comme un terrain majeur de cette contre insurrection : en effet, selon l’armée américaine, 80% des violences sectaires auraient lieu dans un rayon de 50 km autour de la capitale (Gregory, 2008).

Concrètement, les troupes dont le nombre s’accroit sont dispersées depuis les FOB vers des Joint Security Stations et des Combat Outposts. Ces bases sont de plus petite dimension et moins isolées que les FOB. Elles sont donc censées favoriser le contact avec la population locale tout en garantissant un contrôle quartier par quartier (Gregory, 2008). La ville est découpée par l’armée américaine en districts de sécurité (cf. carte). C’est à partir de ces nouvelles bases que les troupes sont déployées lors de l’Opération Imposing the Law qui débute en avril 2007. En juillet 2007, l’armée américaine annonce avoir sécurisé 50% des quartiers. En septembre, le général Petraeus annonce devant le Congrès que les violences interconfessionnelles ont diminué de 80% par rapport à l’année précédente, attribuant cette diminution majoritairement à la contre-insurrection américaine (Gregory, 2008).

Cependant, la réussite du surge doit être nuancée à plus d’un titre selon Derek Gregory (2008) :
 le surge au sein de la capitale s’est accompagné d’une recrudescence des frappes aériennes et terrestres américaines et donc de la puissance de feu dans les villages autour de la capitale lors de l’Opération Phantom Thunder. La mort de civils a augmenté au début de l’année 2007 malgré la volonté de remettre au cœur des opérations militaires le contact avec la population locale (Gregory, 2008).
 Les différentes opérations américaines dont le surge n’ont pas permis d’empêcher l’éviction des sunnites de certains quartiers lors de la guerre civile avec les chiites à la suite de l’attaque de la mosquée chiite Al-Askari à Samarra en février 2006. Dans les années 1950, 90% de la ville était sunnite, et elle est devenue à 75% chiite en 2007 (Gregory, 2008).
 La diminution des violences interconfessionnelles peut être attribuée principalement au renforcement de la ségrégation entre chiites et sunnites, les points de contact entre ces deux confessions étant ainsi plus restreints dans l’espace de la capitale. La contre-insurrection se déroulant après et pendant ce nettoyage ethno-confessionnel n’aurait eu qu’un effet limité dans cette réduction (Gregory, 2008 ; Agnew, Gillespie, Gonzalez, 2008).

Notes :
(1) Pour une carte avec les attentats terroristes à Bagdad, voir l’article de Corentin Denis : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-sunnites-d-Irak-au-coeur-des-crises-depuis-2003-l-analyse-par-les-cartes.html.

Bibliographie :
AGNEW J., GILLESPIE T., GONZALEZ J., 2008, « Baghdad Nights : Evaluating the US Military « Surge » Using Nighttime Light Signatures », Environment and Planning A : Economy and Space, Vol. 40, p. 2285-2295.
CHANDRASEKARAN R., 2006, Imperial Life in the Emerald City : Inside Iraq’s Green Zone, New York : Alfred Knopf.
GREGORY D., 2008, « The Biopolitics of Baghdad : Counterinsurgency and the counter-city », Human Geography. A new radical Journal, Vol. 1, p. 6-27.
GREGORY D., 2010, « Seeing Red : Baghdad and the event-ful city », Political Geography, Vol. 29, p. 266-279.
JOHNSON C., 2003, « America’s Empire of Bases », The Asia-Pacific Journal, Vol. 1, n°5.
LAURENS H., 2005 [seconde édition], L’Orient arabe à l’heure américaine. De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, Paris : Armand Colin, 453 p.
PACKER G., 2005, The Assassins’ Gate : America in Iraq, New York : Farrar, Strauss and Giroux.
PARKER N., 2012, « The Iraq We Left Behind : Welcome to the World’s Next Failed State », Foreign Affairs, Vol. 91, n°2, p. 94-110.
Site du Global Security Group : http://www.globalsecurity.org

Publié le 03/05/2018


Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.


 


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