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Les Etats-Unis au Moyen-Orient (6) : bilan de la présidentielle de Georges W. Bush (2004-2008)

Par Laura Monfleur
Publié le 10/05/2018 • modifié le 27/02/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Le bilan de la guerre en Irak : une présence renforcée mais contestée

La Guerre en Irak a laissé le pays dans une situation d’éclatement (Bauchard, 2007) : l’Etat, l’armée et la police ont été affaiblis par la débaathisation ; le contrôle des territoires et la sécurité sont aux mains de 23 milices armées. La contre-insurrection américaine n’a pas empêché le nettoyage ethnique. Malgré quelques résultats ponctuels notamment lors du surge à Bagdad, cette guerre a eu pour corollaire le développement des milices et des menaces terroristes. La guerre contre le terrorisme a plus conduit à une « sanctuarisation du territoire américain » qu’à une stabilisation du Moyen-Orient (Bauchard, 2007).
Pour sa part, Michael Lind (2007), écrivain et journaliste américain, qualifie la guerre en Irak d’échec militaire mais également d’échec idéologique. En effet, c’est toute la stratégie de démocratisation du Moyen-Orient et de regime change des néo-conservateurs qui est remise en cause. Pour Alexandra de Hoop Scheffer (2011), la guerre en Irak « a contribué à geler le débat autour de la « démocratisation » dans le monde arabe, faisant de ce terme un tabou, trop associé à sa dimension militaire : la « guerre contre le terrorisme » » (p. 560). Selon elle, la démocratie imposée en Irak par les Etats-Unis est devenue un « contre-modèle » qui n’a pas eu l’effet domino attendu mais un « effet domino inversé », les autres pays se détournant du modèle de démocratisation et de pacification imposé par les Etats-Unis. Alexandra de Hoop Scheffer (2008) souligne ainsi une « perte de sens » de l’intervention américaine en Irak : les Etats-Unis n’ont pas de projet politico-militaire clairement fixé pour l’Irak, ils peinent à définir des interlocuteurs irakiens précis face à la multiplication des milices et à la faiblesse de la légitimité du régime de Maliki, ils ont perdu leur capacité de façonner le gouvernement après les élections irakiennes en 2005. Les Etats-Unis, qui ne souhaitaient pas au début de la guerre en Irak s’engager dans les questions intérieures, se retrouvent contraints de jouer un rôle d’arbitre et de négocier avec les différentes factions communautaires, renforçant la dépendance de l’Irak aux Etats-Unis (Hoop Scheffer, 2008).

L’image des Etats-Unis a ainsi été écornée par cette guerre, discréditant la politique unilatérale et hégémonique des néo-conservateurs et la possibilité d’une intervention américaine ailleurs dans le monde (Lind, 2007). Même parmi ses alliés comme l’Egypte et l’Arabie saoudite, des interrogations sur la capacité des Etats-Unis à assurer la sécurité du Great Middle East (qui prend ensuite le nom de Broader Middle East and North Africa à partir de juin 2004) se font entendre. Les réformes demandées par les Etats-Unis sont repoussées. Lors du sommet de Riyad en 2007, l’Arabie saoudite dénonce même l’occupation américaine en Irak et apporte son soutien aux sunnites irakiens (Bauchard, 2007).

A la fin de la présidence de Georges W. Bush, il y a bien une volonté de se désengager. Le président annonce en janvier 2007 que l’engagement américain n’est pas illimité dans le temps, puis en novembre 2007 que le contrôle complet sera bientôt donné aux forces irakiennes. En juillet 2008, il affirme que les troupes américaines se retireront des agglomérations irakiennes à la fin de l’année 2009 et que les troupes combattantes se retireront complètement du territoire irakien en décembre 2011. On observe ainsi une baisse des effectifs militaires américains qui passent de 218 500 en septembre 2007 à 183 100 en juin 2008 (Herrera, Cicchini, 2013).

Cependant, l’occupation renforce sur le long terme la présence américaine sur le territoire irakien et au Moyen-Orient en général (cf. carte). A partir de 2001, l’affermissement et la diversification des positions américaines au Moyen-Orient sont passés par une hausse importante de bases militaires dans la région (Herrera, Cicchini, 2013). De plus, s’il y a bien un désengagement des troupes militaires, il s’est accompagné d’une sous-traitance des services par des sociétés militaires privées américaines, comme Halliburton, qui s’occupent de la maintenance et de la construction des installations militaires, de la protection de sites stratégiques, du ravitaillement ou du renseignement. L’Irak est un terrain d’action privilégié du « nouveau marché de la guerre » avec 300 sociétés américaines, employant environ 126 000 personnes, selon une estimation basse (Herrera, Cicchini, 2013).

Le processus de paix israélo-palestinienne dans l’impasse

A partir du 11 septembre 2001 et de la mise en place de la guerre contre le terrorisme, le conflit israélo-palestinien n’occupe pas une place centrale dans la pensée géopolitique et la stratégie des Etats-Unis : les conflits sont pensés en terme de « choc des civilisations », pour reprendre les termes de Samuel Huntington, plus qu’en terme d’opposition entre deux nationalismes (Copolani, 2010). Quelques tentatives ont été néanmoins menées en 2002 avec l’instauration d’une feuille de route pour parvenir à un plan de paix et créer un Etat palestinien d’ici 2005. Cependant, jusqu’en 2007, la stratégie, notamment de Codoleezza Rice, est de mener une « diplomatie transformationnelle » : favoriser des changements vers une plus grande démocratie dans les sociétés plutôt que de favoriser l’émergence d’accords entre les deux autorités politiques. Or, la transformation de l’Autorité palestinienne exigée par les Etats-Unis a conduit à la victoire du Hamas lors des élections en janvier 2006, alors qu’ils souhaitaient un renforcement du Fatah (Copolani, 2010). Le Hamas s’empare de la bande de Gaza tandis que la colonisation israélienne se poursuit. C’est dans ce contexte que les Etats-Unis réactivent leurs tentatives de parvenir à une résolution du conflit, en organisant la conférence d’Annapolis en 2007. Pour Antoine Copolani (2010), cette conférence ne fait « qu’entériner les blocages » (p. 193), le Hamas étant exclu des négociations, et la réactivation du processus de paix n’est qu’un moyen de redorer l’image des Etats-Unis dans la région. Selon ce même chercheur, les deux mandats de Bush sont caractérisés par un « enlisement » voire « un vrai recul » (p. 203) de la résolution du conflit israélo-palestinien.

La montée de l’influence iranienne dans la région

La déstabilisation de l’Etat irakien et donc la disparition d’une puissance qui se voulait hégémonique dans la région a eu pour corollaire le développement de l’influence iranienne et de ses alliés chiites comme le Hezbollah au Liban ou la milice de Moqtada el-Sadr en Irak (Bauchard, 2007, Hoop Scheffer, 2011). Face aux contestations grandissantes envers l’occupation en Irak et à l’absence américaine dans la gestion du conflit israélo-palestinien, l’Iran se fait le « champion de la cause palestinienne et de la résistance à « l’impérialisme américain et à l’expansion sioniste » » (Bauchard, 2007, p. 407).

Selon François Nicoullaud (2008), les Etats-Unis mènent « une guerre froide » ou une « guerre de l’ombre » (p. 486) avec l’Iran sur les terrains diplomatique, économique, culturel et nucléaire. La confrontation n’est pas directe mais passe par le biais de représentation géopolitique et médiatique, l’Iran faisant partie de « l’axe du Mal », selon les Etats-Unis. Ces derniers ne disposent pas d’ambassade à Téhéran. Face à la menace nucléaire et terroriste que représente l’Iran, les Etats-Unis jugent que les sanctions du Conseil de sécurité (résolution 1747) sont peu contraignantes (Bauchard, 2007), et adoptent donc également des sanctions économiques. Ils s’opposent notamment à l’entrée de l’Iran dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’Iran-Libya Sanctions Act (1996) qui interdit tout investissement de plus de 40 millions de dollars dans le domaine pétrolier est renforcé en 2007 par des mesures dans le domaine financier : les banques iraniennes sont interdites de travailler aux Etats-Unis ou avec des banques américaines, le Trésor américain conseille aux banques des autres pays de se retirer de l’Iran, ce qu’ont fait notamment des banques allemandes et suisses (Nicoullaud, 2008). Ces mesures sont jugées efficaces par certains commentateurs (Bauchard, 2007 ; Nicoullaud, 2008), notamment dans les domaines de la haute technologie : les infrastructures pétrolières et aériennes sont vieillissantes, la production de pétrole baisse. Cependant, elles n’ont pas fait plier l’Iran en matière de politique extérieure et de politique nucléaire. En 2007 et 2008, des rumeurs et des débats au sein des Etats-Unis évoquent plusieurs scénarios d’évolution de la politique américaine envers l’Iran : une possible invasion comme en Irak, un encouragement à l’irrédentisme des minorités (Kurdes, Arabes, Baloutches), une aide à l’émancipation de la société civile (Nicoullaud, 2008). Le scénario d’une invasion en Iran est cependant écarté car les Etats-Unis ne veulent pas reproduire l’expérience irakienne. A partir de 2006, on observe même une inflexion de la politique des Etats-Unis qui modèrent leur discours et laissent certains pays européens mener des tentatives de conciliation avec l’Iran, sans toutefois instaurer de véritable dialogue avec ce pays (Nicoullaud, 2008).

Conclusion : une politique évolutive sous Georges W. Bush mais des héritages pesants à gérer

Les dernières années de la présidentielle de Georges W. Bush sont marquées par des modifications dans la stratégie militaire et diplomatique. Cependant, ces modifications ne sont pas une refonte complète mais plutôt des inflexions légères qui n’ont pas l’effet escompté de démocratisation, de pacification et de stabilisation de la région. La politique des années 2000 préparée dès les années 1990 par l’émergence d’une doctrine néo-conservatrice a renforcé des enjeux déjà présents qui devront être gérés par le président suivant : la montée du terrorisme et des milices, la déstabilisation de certains Etats comme l’Irak et le Liban, la question de la prolifération nucléaire et de l’influence iranienne, le conflit israélo-palestinien (cf. carte).

Bibliographie :
BAUCHARD D., 2007, « Un Moyen-Orient en recomposition », Politique étrangère, Vol. 2, p. 397-410.
COPOLANI A., 2010, « Les années Bush et le conflit israélo-palestinien : un bilan », Politique étrangère, Vol. 1, p. 193-204.
HERRERA R., CICCHINI J., 2013, « Notes sur les bases et les effectifs militaires états-uniens à l’étranger », Documents de travail du Centre d’Economie de la Sorbonne.
HOOP SCHEFFER (de) A., 2008, « l’Irak : une Amérique en quête de sens », Politique américaine, Vol. 1, n°10, p. 13-34.
HOOP SCHEFFER (de) A., 2011, « Les Etats-Unis en Irak : les errances du regime change », Politique étrangère, Vol. 3, p. 559-572.
LIND M., 2007, « Le monde après Bush », Le Débat, Vol. 1, n°143, p. 105-112.
NICOULLAUD F., 2008, « Les relations Iran-Etats-Unis. A la recherche du « regime change » », AFRI, Vol. 9, p. 483-496.

Publié le 10/05/2018


Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.


 


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