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Malgré les difficultés et les vives oppositions auxquelles les Omeyyades doivent faire face de 661 à 750, le premier empire musulman arabe a accompli des prouesses militaires en s’étendant de l’Atlantique au Turkestan. Malgré les affirmations des écrits abbassides postérieurs, sous les Omeyyades les arts n’étaient pas négligés, ni le fait religieux. Dans ce second article portant sur la dynastie des Omeyyades, nous exposerons les différents succès et caractéristiques de la dynastie omeyyade. Nous reviendrons tout d’abord sur les vastes conquêtes territoriales, puis sur l’arabité intrinsèque de l’Empire et enfin sur l’art sous les Omeyyades.
Lire la partie 1 : Les Omeyyades, histoire du califat omeyyade de Damas (1/2)
Les Omeyyades furent à l’origine de la deuxième vague d’expansion de l’islam. Celle-ci fut opérée simultanément vers l’Ouest, vers l’Est, et légèrement vers le Nord (Anatolie). Ces conquêtes survinrent lors des périodes où la situation intérieure de l’Empire était relativement calme. La détermination des Arabes et leur « enthousiasme conquérant », tel que le qualifie Robert Mantran, sont illustrés par les tentatives de sièges de Constantinople, qui était pourtant une ville réputée pour sa richesse, son armée et sa puissance.
A la différence de la première vague d’expansion, l’extension du domaine de l’Islam ne se fit plus au détriment de l’Empire byzantin, malgré des conflits de frontières réguliers entre les musulmans et les chrétiens et les différentes tentatives de siège de Constantinople entre 678 et 718. Les principaux mouvements d’expansion partirent d’Egypte ou du Khurâsân. Fait nouveau par rapport aux premières conquêtes de l’islam, les armées comprenaient non seulement des contingents de militaires arabes, mais aussi des éléments indigènes (iraniens ou berbères) convertis à l’islam (1). Un des chefs de guerre les plus importants, Tarîk, était lui-même berbère, il vainquit les Wisigoth en Espagne et s’empara de Tolède en 711. La présence d’éléments indigènes s’expliquait par la sédentarisation progressive des Arabes. « Les Arabes, en effet, se montraient de plus en plus réticents à partir pour des campagnes lointaines, l’élan guerrier se ralentissait avec leur progressive sédentarisation et la découverte de sources de revenus nouvelles pour eux même si, aux frontières, se maintenait le goût du djihâd » (2).
Les expéditions vers la Transoxiane (Asie centrale) et vers l’Inde partaient de la province du Khurâsân. L’Afghanistan fut conquis en 699-700, puis les troupes arabes s’emparèrent de la Sogdiane, du Tokharistan, du Khwârezm et du Ferghâna, régions situées à l’emplacement actuel de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kirghizstan. Dans ces régions, et notamment au Ferghâna, les Arabes se battirent contre les Chinois qui étaient alors la puissance occupante. Les conquérants s’attachèrent à islamiser les populations conquises, Samarkand et Boukhara devinrent ainsi de grands centres de civilisation musulmane. Les Turcs constituaient une menace pour les territoires nouvellement conquis, que les Omeyyades tâchèrent de maintenir. Plus au sud, les Arabes atteignirent l’Indus et le sud du Penjab en 713.
A l’ouest, les conquêtes partirent d’Egypte. La campagne menée par ‘Oqba ibn Nafi’ en 670 fut décisive, elle aboutit à la fondation d’un camp militaire permanent à Kairouan. Les Arabes occupèrent momentanément la Tripolitaine, la Cyrénaïque et l’Ifrîqiya, puis soumirent définitivement à l’Islam la totalité du Maghreb entre 705 et 708. La résistance des Byzantins et des Berbères fut forte, et même après la victoire décisive des Arabes sur l’Afrique du Nord, la résistance berbère demeura. Ceux-ci se convertirent massivement à la doctrine kharidjite, hostile aux Omeyyades. A partir de 710, les Arabes conquirent l’Espagne. Sous l’impulsion des Berbères intégrés aux armées musulmanes, les Omeyyades marchèrent sur le sud de la Gaule, et furent stoppés à Poitiers en 732 : cette défaite marqua le point extrême de l’expansion musulmane à l’Ouest.
Dans les régions conquises, d’importantes vagues de conversion eurent lieu, sans que les Arabes aient mené de politique délibérée en ce sens. Les nouveaux convertis devinrent les mawâlî (Cf. Partie I : Histoire du califat omeyyade de Damas).
Le groupe des mawâlî (« clients ») formé par les nouveaux convertis dans les territoires conquis ne cessa de grossir et de poser problème, du moins jusqu’à l’avènement du calife Umar II (717-720). Jusqu’à son règne, la suprématie arabe dans l’Empire était sans conteste. A ce titre, l’Empire omeyyade est considéré comme intrinsèquement arabe et musulman, à l’inverse de son successeur abbasside qui intégra des musulmans de tous horizons dans l’administration.
Dans les premières décennies de l’Empire, le système social était fondé sur une stricte séparation entre conquérants et conquis. Sous Abd al-Malik, l’arabe devint langue administrative, et des monnaies arabes furent frappées. Dans les provinces, des terres furent attribuées par les califes à des particuliers qui devaient les exploiter : ces particuliers étaient tous Arabes. De même, les administrateurs de l’Etat central et des provinces étaient presque tous Arabes, à l’exception de certains Syriens. La religion musulmane était diffusée dans les terres nouvellement conquises par l’arabe, et la langue et l’administration arabes ont constitué un facteur essentiel d’unification de l’Empire. Il faut d’ailleurs préciser que les peuples conquis conservaient leurs langues et leurs coutumes, l’arabe étant utilisé essentiellement pour le culte religieux et pour les affaires relatives à l’Etat. Pour autant, l’ouvrage Le Moyen-Âge en Orient nous précise : « si des critiques et des révoltes apparurent contre le régime umayyade, elles ne furent ni anti-islamiques, ni anti-arabes, mais s’inscrivirent dans le cadre arabo-musulman qui venait de se préciser » (3).
Les conquérants musulmans arabes formaient au début de l’Empire une classe supérieure sous l’autorité du calife. Ils bénéficiaient d’un régime d’imposition préférentiel et étaient les seuls à pouvoir entrer dans l’armée. On leur attribuait les terres et les revenus. C’est à cette classe que les mawâlî voulaient adhérer. Les autres membres de la société étaient les dhimmî, c’est-à-dire les chrétiens et les juifs, qui jusqu’à Umar II, bénéficièrent d’une vie assez calme. Ensuite, ils subirent des pressions fiscales très dures. Enfin, les esclaves constituaient la dernière classe sociale de l’empire omeyyade.
A l’époque omeyyade, la vie économique était essentiellement fondée sur l’agriculture. En revanche, dès cette époque, un phénomène caractéristique de la civilisation musulmane s’enclencha : le développement des villes, dû au rôle central que jouait désormais la mosquée comme lieu de rassemblement des croyants, et à l’organisation administrative de l’Empire. Les villes étaient les centres de gouvernement provinciaux.
L’expansion territoriale sous les Omeyyades
Dans ces villes en plein essor, une culture commença à se développer. L’art islamique est né dans les villes de Syrie et de Palestine à l’époque omeyyade. Au départ, les objets manufacturés du VIIe siècle étaient identiques à ceux des siècles précédents, marqués par les traditions sassanide et byzantine. Mais peu à peu, un art musulman naquit.
La poésie antéislamique continua de jouer un grand rôle dans la tradition orale et littéraire des Arabes. Une prose littéraire émergea également, et les premières études du Coran et de la tradition furent entreprises.
D’un point de vue architectural, les Omeyyades ont laissé quelques traces, mais malheureusement assez peu. Sur les châteaux du désert des princes omeyyades, référons-nous à l’article de Baptiste Enki publié sur Les clés du Moyen-Orient : « L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne ». Ces châteaux sont aujourd’hui malheureusement dans un état assez délabré, et les rares fouilles archéologiques qui s’y sont intéressées ne sont pas parvenues à déterminer leur utilité : pavillons de chasse ? Forts avancés ? Lieux de commandement ? Demeures de villégiature ? Tout cela à la fois ? Ces châteaux posent plus de questions qu’ils n’en résolvent, mais ils constituent les premières traces que l’on ait gardées de l’Islam. De plus, ils apportent la preuve grâce aux représentations iconographiques que les princes Omeyyades appréciaient les plaisirs de toutes sortes et que la représentation d’êtres humains n’était pas interdite.
Certains édifices religieux omeyyades demeurent à ce jour, notamment la Coupole du Rocher à Jérusalem, dont la construction débuta en 688 sur l’emplacement du Temple de Jérusalem. Elle fut construite en suivant des plans et des motifs de mosaïques antiques. Elle devait permettre le pèlerinage des musulmans à Jérusalem et la célébration de l’Islam. L’édifice religieux le plus emblématique de cette période est la Grande mosquée des Omeyyades de Damas, elle fut le premier édifice à adapter les plans byzantins aux besoins du culte musulman. L’Encyclopédie Larousse développe : « Sa cour antérieure entourée de portiques, sa salle à trois nefs parallèles, coupées en leur milieu par une travée perpendiculaire, donnent le schéma fondamental de ce qui sera, pour des siècles, la mosquée dite « arabe ». » D’autres grandes mosquées omeyyades sont toujours debout aujourd’hui. Jusqu’à 2013 et sa destruction par le régime de Bashar al-Assad, la mosquée des Omeyyades d’Alep en Syrie constituait l’un des joyaux de cet art architectural omeyyade.
Pour les arts ornementaux, on peut constater l’émergence d’un art omeyyade dans certains châteaux du désert et dans les édifices religieux épargnés par les siècles. On y trouve de la pierre et du stuc travaillés, de la peinture murale et des mosaïques. L’art non-figuratif était répandu, mais la représentation d’être animés était majoritaire.
Ces traditions artistiques furent transférées en Al-Andalus à la chute des Omeyyades de Damas après 750. En Espagne, elles connurent un essor et un foisonnement sans précédent, et le califat omeyyade de Cordoue est aujourd’hui considéré comme une des époques intellectuellement et artistiquement les plus florissantes de l’histoire de l’Islam.
L’empire des Omeyyades fut donc une période de grande expansion de l’Islam menée par des Arabes guerriers et conquérants. Période que l’on connaît finalement assez mal et qui a souffert d’une politique de discréditation par les Abbassides, elle marque cependant une étape fondamentale de l’histoire du monde musulman.
Nous utiliserons en conclusion un passage du livre de Robert Mantran : « Si l’on a pu qualifier l’Empire omeyyade d’Empire arabe c’est qu’il a non seulement étendu la suprématie arabe sur des territoires considérables, que les Arabes se sont répandus de l’Atlantique au Turkestan, mais surtout qu’il a maintenu le caractère arabe du gouvernement et continué les traditions littéraires de l’Arabie pré- et proto-islamique. En outre, il a œuvré en faveur de l’instauration de la langue arabe comme langue commune en ajoutant à sa qualité de langue religieuse celle de langue de l’administration » (4). Si l’Empire omeyyade fut caractérisé par son Islam intrinsèquement arabe, l’Empire abbasside qui lui succéda fut plutôt décrit comme l’empire de l’Islam multinational.
Notes
(1) A. Ducelier, M. Kaplan, B. Martin, F. Micheau, Le Moyen-Âge en Orient, 3e édition, Hachette Supérieur, 2006, Paris
(2) Ibid.
(3) Ibid
(4) Robert Mantran, L’expansion musulmane. VIIe – XIe siècle, 6e édition, coll. « Nouvelle Clio, l’histoire et ses problèmes », PUF, 2001, Paris
Pour aller plus loin sur Les clés du Moyen-Orient :
– État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée ? Première partie
– État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. Deuxième partie
– L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne (1/2)
– L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne (2/2)
Oriane Huchon
Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.
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