Appel aux dons jeudi 28 mars 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/2079



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3000 articles publiés depuis juin 2010

mercredi 27 mars 2024
inscription nl


Accueil / Actualités / Analyses de l’actualité

Les différentes perceptions du printemps arabe dans le champ politique israélien

Par Amicie Duplaquet
Publié le 27/11/2015 • modifié le 27/11/2015 • Durée de lecture : 6 minutes

La perception négative de la coalition gouvernementale

La première école de pensée perçoit les événements comme un phénomène hégémoniquement négatif aux conséquences dangereuses pour Israël. C’est l’école de pensée majoritaire car elle est endossée par les gouvernements israéliens successifs depuis 2011. Parce qu’ils ouvrent une longue période d’instabilité régionale, les bouleversements politiques ont été principalement appréhendés en termes sécuritaires. D’un point de vue stratégique, les événements laissent craindre que la formation d’un « nouveau Moyen-Orient » rende le statu quo de moins en moins tenable, tant au niveau interne qu’au niveau externe. Les discours des personnalités officielles ne laissent aucun doute sur la vision négative qu’a le gouvernement des révoltes. Dans sa première référence publique à la révolution tunisienne, Benjamin Netanyahou n’a pas mentionné les références démocratiques de ces événements, mais en a souligné la nature instable. Sa première réaction aux protestations égyptiennes était centrée sur la crainte que les événements conduisent à la création d’un « régime islamique radical et oppressif ». Lors de son discours d’ouverture à la Knesset en octobre 2011 (4) il confirma son inquiétude face aux évolutions régionales de la façon suivante : « si je devais résumer ce qui nous attend dans la région, j’utiliserais deux termes : instabilité et incertitude (…) Face à l’incertitude et à l’instabilité il nous faut employer deux choses : fermeté et responsabilité ». Le mois suivant, il s’exprima de nouveau à la Knesset pour dénoncer l’attitude de l’Union européenne et des États-Unis, qui avaient rapidement affiché leur soutien à la révolution égyptienne. Il déclara que « le Moyen-Orient n’est pas un endroit pour les naïfs » et que ces événements marquent le risque « qu’une vague islamiste déferle sur les pays arabes, une vague anti-occidentale, anti-libérale, anti-israélienne et, finalement, une vague anti-démocratique » (5).
La position de Benjamin Netanyahou au niveau interne, face aux citoyens d’Israël, a donc été majoritairement axée sur les risques que pouvaient représenter le printemps arabe. Il est toutefois intéressant de noter que sur le plan international, le Premier ministre a utilisé une rhétorique plus modérée. Lors de son discours à l’ONU de septembre 2011, il a par exemple exprimé sa gratitude aux « peuples de Libye et de Tunisie, qui cherchent à construire un avenir démocratique » (6).

Qu’en est-il des nombreuses formations politiques, autour de Benjamin Netanyahou, notamment parmi la coalition gouvernementale ? Le vice Premier ministre de l’époque, Moshe Yaalon, a ainsi expliqué que les pays Arabes n’étaient pas prêts pour la démocratie et qu’Israël avait déjà pris note du danger démocratique au Moyen-Orient avec la victoire électorale du Hamas en 2006. Des élections démocratiques, a-t-il dit, n’aboutissent pas forcément à des pratiques démocratiques : « Nous pensons que la démocratie ne s’atteint pas des élections mais découle d’un long processus qui commence par l’éducation » (7). Cette analyse rappelle singulièrement le paradoxe de la « paix démocratique », théorie selon laquelle seules les démocraties ne font pas la guerre entre elles, qui avait été défendue par de nombreuses personnalités politiques israéliennes. Cette théorie n’était par ailleurs pas très pertinente car les seuls Traités qui liaient Israël dans la région étaient des duos mixtes démocratie-autocratie.

En 1993, Benjamin Netanyahou a pourtant publié un livre (8) dans lequel il consacre tout un chapitre au lien existant entre paix et démocratie. Il y explique que le principal obstacle à la paix au Moyen-Orient est le fait qu’aucun des pays de la région, excepté Israël, ne soit démocratique. Il y reproche également aux puissances occidentales de n’avoir pas exercé de pression suffisante sur les autocraties arabes dans le but de les faire plier vers des réformes démocratiques. Vingt ans plus tard, sa réaction face au printemps arabe semble sensiblement opposée à ses écrits. Précisément au moment où les sociétés voisines aspirent à un processus de démocratisation, Benjamin Netanyahou présente à ses concitoyens une lecture hégémoniquement pessimiste de ces événements et dont les conséquences pour Israël seraient tout autant négatives.

La perception plus modérée de certains officiels

Une deuxième école de pensée, endossé par différents acteurs diplomatiques, perçoit aussi le contexte par la négative mais accepte cependant différents développements aux conséquences plus variables. L’ancien chef du renseignement militaire, Amos Yadlin, déclare par exemple que la vague de protestations est plus une opportunité qu’un risque. Les révolutions donnent en effet l’occasion à Israël d’engager le dialogue avec la nouvelle force politique régionale que constitue les partis religieux et qui, malgré les craintes qu’ils suscitent, tendent à se modérer avec la pratique du pouvoir. Cela donne aussi l’occasion d’ouvrir le dialogue avec les sociétés civiles du monde arabe qui se sont longtemps senties exclues des traités de paix que leurs dirigeants avaient contracté. Ce dernier point est particulièrement important car une paix durable entre Israël et ses voisins doit impérativement s’effectuer entre les peuples et non seulement entre les États. Yitzhak Levanon, qui était ambassadeur d’Israël en Égypte jusqu’en novembre 2011, avait à ce titre présenté une approche similaire en faisant notamment remarquer que les manifestants égyptiens n’avaient fait aucune référence à Israël, qu’elle soit positive ou négative, durant la révolution de 2011 et qu’il s’agissait donc d’un soulèvement tourné uniquement contre le régime égyptien et non contre l’État israélien (9).

Cette vision plus modérée, mais tout autant partagée, semble être également endossée par une part importante de la population israélienne, si l’on se réfère aux sondages d’opinions réalisés dans les mois suivants les révolutions arabes. Bien que ces sondages révèlent que le public israélien tende à endosser la première école de pensée, qui voit le printemps arabe comme un processus aux conséquences négatives, beaucoup des personnes interrogées s’accordent aussi à penser que ces évolutions sont positives pour les sociétés arabes. D’après les enquêtes de l’institut « L’indice de la Paix », 48% des personnes sondées en mars 2011 (10) voyaient les événements comme positifs pour Israël contre 30% qui les considéraient comme négatifs. Les premières réactions face à la révolution égyptienne faisaient en revanche part d’une certaine inquiétude puisqu’en février 2011 (11), 70% pensaient que les chances qu’un régime démocratique émerge en Égypte étaient faibles et 46% estimaient que la révolution égyptienne aurait un impact négatif sur les relations avec Israël. Paradoxalement, ces craintes sur l’avenir des relations israélo-égyptiennes s’étaient atténuées après la victoire de Mohamed Morsi. Ce sentiment avait même augmenté après l’opération « Pilier défense » où près des deux-tiers des personnes sondées disaient avoir appréciées son rôle de médiateur pour parvenir à un cessez-le-feu. Les sondages montrent aussi que les Arabes israéliens ont accueilli les révoltes avec plus d’enthousiasme que leurs concitoyens juifs. Le discours public israélien concernant le printemps arabe est donc assez nuancé et prend en compte différents facteurs.

Les porteurs d’alternative

Enfin, une troisième école de pensée propose une alternative optimiste. Elle est principalement incarnée par deux grandes figures qui avaient développé l’idée de la « paix démocratique » dans les années 1990. La première de ces grandes figures est l’ancien président Shimon Peres, qui publie un article dans The Guardian intitulé « Nous accueillons le printemps arabe en Israël » (12). Il y expose sa vision des événements et les conséquences positives qu’ils pourraient avoir pour l’État hébreu : « Israël accueille ce vent de changement et y voit une fenêtre d’opportunité. (…) Israël ne veut pas être un îlot d’affluence dans un océan de pauvreté. L’amélioration du quotidien de nos voisins signifie l’amélioration de l’environnement auquel nous appartenons ». À travers cet article, il est l’un des rares officiels israéliens à avoir rendu hommage à la jeune génération du monde arabe, qu’il considère « plus instruite, plus ouverte, plus moderne ». Quant à l’arrivée des partis islamistes sur les nouvelles scènes politiques, il prédit leurs échecs s’ils ne parviennent pas à vaincre les problèmes économiques : « La faim noiera une telle victoire, les jeunes ne seront pas en mesure de se calmer ». Lors d’un entretien avec Hillary Clinton, il affirme même que les évolutions régionales pourraient favoriser la relance du processus de la paix, notamment en lui donnant un nouveau cadre (13). À travers ses observations, le président Peres appréhende les événements dans leur globalité et comme un processus à long terme.
La seconde personnalité à proposer une lecture optimiste du printemps arabe est Natan Sharansky, le président de l’Agence Juive, qui a aussi des années durant appelé à la promotion de la démocratie dans le monde arabe. Dans un article intitulé L’occident devrait miser sur la liberté en Egypte (14), il critique la position du gouvernement israélien appelant à soutenir les dictateurs au nom de la stabilité régionale. Présentant lui aussi une vision à long terme des événements, il appelle l’Occident à agir pour renforcer les sociétés civiles et les structures démocratiques des pays arabes, notamment à travers une intensification des aides économiques.
Ces analyses optimistes ont été principalement exposées dans la presse étrangère et n’ont trouvé que peu d’échos dans le discours officiel israélien.

Aujourd’hui, l’instabilité régionale s’est sensiblement propagée notamment à travers le conflit syrien. Ce cadre régional a contribué à alimenter un discours sécuritaire israélien, qui a reconduit Benjamin Netanyahou à la tête de deux nouvelles coalitions gouvernementales depuis 2011.

Notes :
(1) http://books.openedition.org/ifpo/6922?lang=fr
(2) http://www.haaretz.com/blogs/2.244/the-islamic-winter-is-already-here-1.396459
(3) http://www.israelhayom.com/site/newsletter_opinion.php?id=3144
(4) http://mfa.gov.il/MFA/PressRoom/2011/Pages/PM_Netanyahu_opening_Knesset_winter_session_31-Oct-2011.aspx
(5) http://www.haaretz.com/news/netanyahu-arab-spring-pushing-mideast-backward-not-forward-1.397353
(6) http://www.haaretz.com/israel-news/full-transcript-of-netanyahu-speech-at-un-general-assembly-1.386464
(7) http://www.israeltoday.co.il/NewsItem/tabid/178/nid/23069/Default.aspx
(8) Netanyahou Benjamin, A place among the nation. Israel and the world., 1993, Bantam
(9) http://www.zfa.com.au/zfa-biennial-ambassador-levanon/
(10) http://en.idi.org.il/media/599581/The%20Peace%20Index%20Data%20-%20March%202011.pdf
(11) http://en.idi.org.il/media/599697/The%20Peace%20Index%20Data%20-%20February%202011.pdf
(12) http://www.theguardian.com/commentisfree/2011/apr/01/palestinians-science-soil-arab-uprisings
(13) http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/peres-to-clinton-mideast-storm-must-bring-peace-and-democracy-1.354092
(14) http://articles.washingtonpost.com/2011-12-16/opinions/35287425_1_muslim-brotherhood-tahrir-square-stability

Publié le 27/11/2015


Amicie Duplaquet est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, en Master Coopération et développement au Maghreb et Moyen-Orient. Après avoir suivi des cours de sciences politiques à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, elle a réalisé un mémoire sur les conséquences du printemps arabe sur la stratégie israélienne et prépare une thèse sur le même sujet à l’Institut Français de Géopolitique. 


 


Diplomatie

Israël

Politique